A moins d’un mois du 71ème Festival du Film de Cannes qui aura lieu du 8 au 19 mai et alors que vient d’être annoncée la sélection officielle de cette édition 2018 (retrouvez-la, détaillée, dans mon article à ce sujet, ici), je vous emmène aujourd’hui rêver un peu dans le plus beau palace de la Croisette et celui qui est à mon avis l’endroit idéal pour séjourner pendant le festival : le fastueux hôtel Barrière Le Majestic.
En 17 Festivals de Cannes couverts du premier au dernier jour (notamment sur mon blog consacré au Festival de Cannes "In the mood for Cannes"), j’ai eu l’occasion d’expérimenter toutes sortes d’hôtels cannois (du plus au moins luxueux) et toutes sortes de restaurants sur la Croisette. J’ai ainsi choisi de vous parler aujourd’hui de l’un de ces hôtels cannois, celui que j’affectionne plus que les autres, le palace qui sert aussi de cadre à mon premier roman, « L’amor dans l’âme » (Editions du 38), un roman dont l’intrigue se déroule au cœur du Festival de Cannes. Les passages qui se déroulent à l’hôtel Majestic ont ainsi pour décor son restaurant Le Fouquet’s, le hall mais aussi la somptueuse suite Mélodie inspirée du film de Verneuil Mélodie en sous-sol (mes photos souvenirs ci-dessous, encore merci à l’équipe de l’hôtel pour l’écho donné à mon roman et pour les photos réalisées dans la suite lors du Festival de Cannes 2017).
Ci-dessus, publication de la page officielle de l’hôtel Barrière Le Majestic pendant le Festival de Cannes 2017.
Ci-dessus, photos personnelles avec mon roman « L’amor dans l’âme » dans la suite Mélodie de l’hôtel Barrière Le Majestic.
Si j’avais une baguette magique, c’est sans aucun doute en effet l’Hôtel Barrière Le Majestic que je choisirais pour séjourner pendant le festival, en raison de ses multiples atouts (que je vous présente ci-dessous) notamment de sa proximité avec le palais des festivals (c’est le palace le plus proche du palais) qui en font le lieu de séjour rêvé pour les festivaliers, et bien sûr en raison de l’accueil et du service, toujours irréprochables dans les hôtels Barrière, comme ce fut par exemple le cas lors de mon séjour de 10 jours à l’hôtel Barrière Le Royal de Deauville pendant le Festival du Cinéma Américain de Deauville 2017 (mon article, ici).
Photo ci-dessus à l’hôtel Barrière le Royal de Deauville lors du Festival du Cinéma Américain 2017 © Dominique Saint
Si je n’ai jamais séjourné au Majestic, j’y ai tant de souvenirs glanés au fil de mes 17 festivals de Cannes (comme ci-dessous en 2009 lorsque j’avais gagné le prix L’Oréal du meilleur blog, le hall a changé depuis mais est toujours aussi splendide) que je peux vous en parler comme si tel avait été le cas… Né en 1926, le Majestic n’a cessé de s’embellir et s’agrandir. Le 1er février 1926, l’Hôtel Majestic voit le jour : 250 Chambres avec Salles de bain, des salles de réception décorées par le peintre Francis di Signori, l’un des artistes les plus en vue de l’époque, des escaliers monumentaux en marbre de Carrare, un dallage en marbre rouge des Pyrénées, matériau précieux et lumineux… L’hôtel, déjà, est somptueux. En 1999, 40 nouvelles chambres voient le jour ainsi qu’une piscine moderne et raffinée parée de mosaïques réalisées par les verriers de Murano, un jardin terrasse et, directement sur la Croisette, une série de boutiques de luxe. La deuxième aile voit le jour en 2010 après un chantier colossal de plus de quatre ans.
L’hôtel , à l’image de sa plage dont je vous parlerai plus bas, se situe à la fois en plein centre de Cannes et un peu en retrait de son agitation. Il est également situé sur la Croisette et à deux pas des boutiques de la rue d’Antibes, du port et du Suquet. Son concierge clefs d’or répondra à vos demandes avec affabilité et professionnalisme remarquables (je peux en témoigner).
L’hôtel Le Majestic Barrière est aussi affilié aux Leading hôtels of the world, ce qui est aussi un indéniable gage de qualité. Le Majestic a reçu de nombreux prix et distinctions. Elu tour à tour « Luxury Hotel » aux « World Luxury Hotel Awards », « Best Hotel », « Hotel Best Architecture » et « Best resort Hotel » aux « International Hotel Awards » de Londres… Nommé « Meilleur Hôtel de bord de mer » au monde en 2012, il a reçu en 2015 les « Best Hotel France » et « Best Convention Hotel France » aux « International Hotel Awards ».
A fortiori pendant le festival, il est impossible de ne pas avoir le regard attiré par son entrée majestueuse qui est alors d’autant plus spectaculaire que, souvent, des studios américains rivalisent d’imagination pour la mettre en scène. Chaque année, plus de cinquante chambres deviennent ainsi des bureaux éphémères. L’hôtel affiche complet plusieurs mois à l’avance. Cela n’empêche pas certains de débarquer au dernier moment, comme cet Américain qui, en 1983, posa ses valises devant la loge, au plus fort du Festival. Lucien Barrière en personne lui céda son appartement privé. Il faut dire que l’homme en question se nommait… Paul Newman !
La magie du Festival se vit tout au long de l’année grâce à une remarquable collection de plus de 2 500 clichés. Retraçant soixante ans de Festival, ces murs d’images donnent à voir les plus grands talents d’Hollywood (Al Pacino, Robert de Niro, Steven Spielberg…) et les monstres sacrés du cinéma français : Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Romy Schneider, Catherine Deneuve. Pendant les douze jours du Festival, Le Majestic multiplie également les chiffres records : 14 000 serviettes de bain, 15 000 draps et 8 000 peignoirs, 16 000 savonnettes, 1000 litres de bain moussant, 8 000 roses déposées par les femmes de chambre dans les chambres, 500 pantalons et chemises à nettoyer et repasser par jour, •des effectifs qui passent de 350 à 700 personnes, 25 000 repas servis au restaurant ou dans les réceptions privées, 15 % de la recette annuelle de l’hôtel en matière de restauration, 2 tonnes de homard, 3 de poisson, 40 de fruits et légumes, 160 000 oeufs, 50 kilos de caviar, 350 kilos de foie gras et 800 de langoustes, 18 500 bouteilles de vin, dont plus de la moitié de champagne.
Une fois l’entrée franchie, vous découvrirez un hall aux proportions vertigineuses qui n’en reste pas moins particulièrement élégant, cosy et chaleureux. Si le luxe est présent, il est toujours synonyme de chic et jamais d’ostentation. En 2016, le Majestic Cannes a ainsi vu son décor évoluer et plusieurs de ses lieux emblématiques une nouvelle fois sublimés par les plus grands noms de la décoration. La nouvelle décoration du lobby du Majestic, dévoilée à l’occasion du Festival de Cannes 2016, est assurée par les plus grands noms du monde de l’architecture : le Cabinet Danan s’est inspiré de Jacques-Emile Ruhlmann, l’un des acteurs principaux du style Art Déco des années 1920 – 1930. La lustrerie du hall et de la conciergerie a été confiée à la «poétesse de la lumière», Sylvie Maréchal.
Le choix de chambres et suites est tellement pléthorique qu’il faudrait être particulièrement difficile pour ne pas trouver son bonheur. Dans la suite Mélodie précédemment évoquée, dans laquelle fut tourné le film de Verneuil en 1963, vous pourrez profiter de la terrasse panoramique sur la Méditerranée mais aussi du service d’un Majordome dédié et d’un accueil Top VIP. Tels Jean Gabin et Alain Delon dont les portraits surmontent la tête de lit, vous serez ainsi la star de la Suite Mélodie. La superbe fenêtre en demi-lune qui s’étend du sol au plafond, la salle de bain de marbre rose et l’accès i
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Sandra Mézière
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Cet après-midi, à 17H François Guérif et Nicholas Saada animeront la conférence « De l’influence de Jean-Pierre Melville sur le cinéma américain » qui aura lieu salle Lexington, au CID. A cette occasion, je vous propose ci-dessous ma critique du "Samouraï", l'analyse de "L'armée des ombres" et la critique du "Cercle rouge".
CRITIQUE – « LE SAMOURAÏ » De JEAN-PIERRE MELVILLE
« Le Samouraï » est un des films à l’origine de ma passion pour le cinéma qui s’est au départ et dès l’enfance nourrie surtout de cinéma policier, ensuite parce que c’est un chef d’œuvre du maître du cinéma policier et accessoirement un de mes cinéastes de prédilection, Jean-Pierre Melville, et enfin parce que c’est un des meilleurs rôles d’Alain Delon qui incarne et a immortalisé le glacial, élégant et solitaire Jef Costello tout comme il immortalisa Tancrède, Roch Siffredi, Corey, Robert Klein, Roger Sartet, Gino dans les films de Clément, Deray, Visconti, Verneuil, Losey, Giovanni. Si je ne devais vous recommander qu’un seul polar, ce serait sans doute celui-ci…
Jef Costello est un tueur à gages dont le dernier contrat consiste à tuer le patron d’une boîte de jazz, Martey. Il s’arrange pour que sa maîtresse, Jane (Nathalie Delon), dise qu’il était avec elle au moment du meurtre. Seule la pianiste de la boîte, Valérie (Cathy Rosier) voit clairement son visage. Seulement, lorsqu’elle est convoquée avec tous les autres clients et employés de la boîte pour une confrontation, elle feint de ne pas le reconnaître… Pendant ce temps, on cherche à tuer Jef Costello « le Samouraï » tandis que le commissaire (François Périer) est instinctivement persuadé de sa culpabilité qu’il souhaite prouver, à tout prix.
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Dès le premier plan, Melville parvient à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains…mais aussi référence de bien des cinéastes comme Johnny To dans « Vengeance » dans lequel le personnage principal se prénomme d’ailleurs Francis Costello mais aussi Jim Jarmusch dans « Ghost Dog, la voie du samouraï » sous oublier Michael Mann avec « Heat » , Quentin Tarantino avec « Reservoir Dogs » ou encore John Woo dans « The Killer » et bien d’autres qui, plus ou moins implicitement, ont cité ce film de référence…et d’ailleurs très récemment le personnage de Ryan Gosling dans « Drive » présente de nombreuses similitudes avec Costello (même si Nicolas Winding Refn est très loin d’avoir le talent de Melville qui, bien que mettant souvent en scène des truands, ne faisait pas preuve de cette fascination pour la violence qui gâche la deuxième partie du film de Nicolas Winding Refn malgré sa réalisation hypnotique) ou encore le personnage de Clooney dans « The American » d’Anton Corbijn.
Ce premier plan, c’est celui du Samouraï à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei interprété par Bourvil dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis). Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du « Cercle rouge » au début duquel on peut lire la phrase suivante : « Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : » Quand des hommes, même sils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna) ».
Puis, avec calme et froideur (manière dont il agira tout au long du film), Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau, tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant qui ne sied pas forcément à notre époque agitée et tonitruante. Ce chef d’œuvre (rappelons-le, de 1967) pourrait-il être tourné aujourd’hui ? Ce n’est malheureusement pas si certain…
Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. C’est une règle ? Une habitude. » Avec la scène du cambriolage du « Cercle rouge » (25 minutes sans une phrase échangée), Melville confirmera son talent pour filmer le silence et le faire oublier par la force captivante de sa mise en scène. (N’oublions pas que son premier long-métrage fut « Le silence de la mer »).
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère grise du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Il porte à la fois le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.
Le scénario sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer au « tous coupables » du « Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant. Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Que ce soit dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans les films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
Evidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef d’œuvre sans la présence d’Alain Delon (que Melville retrouvera dans « Le Cercle rouge », en 1970, voir ma critique ici, puis dans « Un flic » en 1972) qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux héros melvillien.
Avec ce film noir, polar exemplaire, Meville a inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il a donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Jef Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
Sachez encore que le tournage se déroula dans les studios Jenner si chers à Melville, en 1967, des studios ravagés par un incendie…et dans lequel périt le bouvreuil du film. Les décors durent être reconstruits à la hâte dans les studios de Saint-Maurice.
Analyse de "L'armée des ombres" de Jean-Pierre Melville
L'armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969) , d'après le roman de Joseph Kessel de l'Académie Française, avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Simone Signoret, Paul Crauchet, Claude Mann, Christian Barbier, Serge Reggiani/ Musique: Eric Demarsan/ Directeur de la photographie: Pierre Lhomme/ Décors: Théobald Meurisse.
Synopsis d’un scénario ciselé
Octobre 1942. " Ingénieur distingué des Ponts et Chaussées, soupçonné de pensée gaulliste, semblant jouir d’une certaine influence ", Philippe Gerbier (Lino VENTURA) est interné dans un camp français puis transféré au quartier général de la Gestapo de l’hôtel Majestic à Paris. Il s’en évade en tuant une sentinelle et en sacrifiant l’autre homme arrêté. A Marseille, il est chargé avec Félix (Paul CRAUCHET) et Le Bison (Christian BARBIER) d’exécuter Doinot, qui les a trahis. Jean-François (Jean-Pierre CASSEL), un ancien ami de régiment de Félix, entre dans le réseau et réussit sa première mission : livrer un poste émetteur à Mathilde (Simone SIGNORET), membre du réseau de Paris. Il en profite pour rendre visite à son frère, Luc Jardie, grand bourgeois rêveur dont il ignore qu’il est le chef de son réseau de résistance. Gerbier, qui se cache à Lyon sous le nom de Roussel, organise l’embarquement de huit personnes à bord d’un sous-marin pour l’Angleterre ; parmi eux, Luc Jardie (Paul MEURISSE). Pendant ce temps, Félix, arrêté par la Gestapo lyonnaise, est torturé. Mathilde, grâce à un astucieux stratagème, réussit à s’introduire, avec Le Bison et Le Masque (Claude MANN), dans le Q.G. de la Gestapo.
Par la minutie du scénario et la rigueur du découpage, L’armée des ombres est un film qui pourrait être considéré comme résolument classique, néanmoins la singularité de traitement de son thème principal et la singularité de traitement formel du temps notamment, nous amèneront à nuancer cette impression et à voir dans quelle mesure le film de Melville est loin d’être consensuel, à l’image des réactions contrastées, parfois même virulentes, qu’il suscita.
Genèse d’ un film singulièrement instructif
L’armée des ombres est le onzième film de Melville et le troisième film qu’il consacre à la période de l’Occupation, une période qu’il connaissait bien pour l’avoir vécue dans la Résistance, s’étant engagé à Londres aux côtés du Général De Gaulle . Le premier de ces films fut Le silence de la mer en 1949 adapté du roman de Vercors paru dans la clandestinité, et dans lequel le refus d’un vieil homme et de sa nièce d’adresser la parole à un officier allemand logeant dans leur maison incarnait déjà l’esprit de résistance. Le second fut Léon Morin, prêtre, en 1961, qui était le récit de la fascination d’une veuve pour un jeune prêtre et qui était également situé au cours de cette période trouble. Enfin, l’armée des ombres sortit en 1969. Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Kessel publié en 1943, date depuis laquelle Melville n’avait cessé de rêver de son adaptation. Les souvenirs personnels liés à son passé d’agent de liaison constituent l’autre source d’inspiration comme peut le souligner la phrase d’exergue du film empruntée à Courteline : « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus...vous êtes une jeunesse lointaine. » Il est d’autant plus significatif que ce film soit
Lors des trois premières éditions du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (créé par Sam Bobino -qui a aussi notamment à son actif d’être délégué général de la Semaine du Cinéma Positif– et le cinéaste Christophe Barratier), je vous avais fait part de mon enthousiasme pour ce nouvel évènement cinématographique, convivial et passionnant, qui a lieu dans le cadre idyllique de La Baule, un festival pour lequel j’ai eu un coup de cœur tel que l’une des nouvelles de mon recueil « Les illusions parallèles » (Editions du 38), se déroule dans le cadre de celui-ci. J'avais d'ailleurs eu le plaisir de le dédicacer dans le cadre du festival l'an passé.
Pour tout savoir sur le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule retrouvez :
mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014
et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015
et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2016.
Je recommande vivement dès à présent l'édition 2017, d’autant plus que les premières annonces concernant la programmation sont vraiment alléchantes avec l’hommage rendu, en sa présence, au compositeur Vladimir Cosma, une légende à qui l'on doit d'innombrables musiques de films dont celles de La Boum, des Aventures de Rabbi Jacob, du Grand Blond avec une chaussure noire, de L'Aile ou La Cuisse, de La Chèvre, du Diner de cons , etc. VLADIMIR COSMA dirigera ses plus grandes musiques de film avec un orchestre symphonique d'une soixantaine de musiciens et artistes internationaux, sur la scène du Palais des Congrès Atlantia de laBaule, le samedi 11 Novembre à 20h.
CHRISTOPHE BARRATIER et SAM BOBINO, présidents du Festival, pour cette 4ème édition ont décidé de mettre à l'honneur les comédies :
-Coup de projecteur sur Jacques Tati dont on fête les 110 ans de sa naissance et dont le personnage culte M.Hulot figure sur la magnifique affiche du Festival ((en bonus, ma critique de "Playtime" de Tati en bas de cet article)), et Buster Keaton, dont les projections de films seront accompagnées en musique
-Hommage à LOUIS DE FUNES à la Chapelle Saint Anne à la Baule avec une exposition d'objets inédits et encore jamais exposés ayant appartenu à l'acteur.
-Par ailleurs, un hommage sera rendu au réalisateur culte JEAN PIERRE MELVILLE, réalisateur des chefs-d'œuvre que sont notamment L’Armée des Ombres, Le Cercle Rouge, le Samouraï (dont je vous propose ma critique en bonus, ci-dessus)
-Un hommage sera également rendu à REMY JULIENNE, le plus grand cascadeur du Cinéma Français.
-Le Festival, ce sont aussi des ateliers, des rencontres, des séances de dédicaces, des Master class dirigées par STÉPHANE LEROUGE, grand spécialiste de la musique de film, et bien sûr des projections en avant première en présence des équipes de films et acteurs.
Le festival 2017 aura lieu du mercredi 7 au dimanche 12 novembre.
Pour en savoir plus, vous pouvez d’ores et déjà vous abonner à la page Facebook du festival, ici, mais aussi le retrouver sur twitter (@FestivalLaBaule), sur Instagram (@festivallabaule) et sur son site internet.
Pour préparer au mieux votre séjour, vous pouvez aussi retrouver mes bonnes adresses à La Baule et Pornichet, ici.
Cet article (à retrouver aussi bientôt sur mon autre blog Inthemoodforfilmfestivals.com) sera complété au fur et à mesure des annonces sur la programmation de cette édition 2017.
Critique - Le Samouraï de Jean-Pierre Melville
C’est un des films à l’origine de ma passion pour le cinéma qui s’est au départ et dès l’enfance nourrie surtout de cinéma policier, un chef d’œuvre du maître du cinéma policier et accessoirement l'œuvre d'un de mes cinéastes de prédilection, Jean-Pierre Melville, et enfin un des meilleurs rôles d’Alain Delon qui incarne et a immortalisé le glacial, élégant et solitaire Jef Costello tout comme il immortalisa Tancrède, Roch Siffredi, Corey, Robert Klein, Roger Sartet, Gino dans les films de Clément, Deray, Visconti, Verneuil, Losey, Giovanni. Si je ne devais vous recommander qu’un seul polar, ce serait sans doute celui-ci…
Jef Costello est un tueur à gages dont le dernier contrat consiste à tuer le patron d’une boîte de jazz, Martey. Il s’arrange pour que sa maîtresse, Jane (Nathalie Delon), dise qu’il était avec elle au moment du meurtre. Seule la pianiste de la boîte, Valérie (Cathy Rosier) voit clairement son visage. Seulement, lorsqu’elle est convoquée avec tous les autres clients et employés de la boîte pour une confrontation, elle feint de ne pas le reconnaître… Pendant ce temps, on cherche à tuer Jef Costello « le Samouraï » tandis que le commissaire (François Périer) est instinctivement persuadé de sa culpabilité qu’il souhaite prouver, à tout prix.
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Dès le premier plan, Melville parvient à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains…mais aussi référence de bien des cinéastes comme Johnny To dans « Vengeance » dans lequel le personnage principal se prénomme d’ailleurs Francis Costello mais aussi Jim Jarmusch dans « Ghost Dog, la voie du samouraï » sous oublier Michael Mann avec « Heat » , Quentin Tarantino avec « Reservoir Dogs » ou encore John Woo dans « The Killer » et bien d’autres qui, plus ou moins implicitement, ont cité ce film de référence…et d’ailleurs très récemment le personnage de Ryan Gosling dans « Drive » présente de nombreuses similitudes avec Costello (même si Nicolas Winding Refn est très loin d’avoir le talent de Melville qui, bien que mettant souvent en scène des truands, ne faisait pas preuve de cette fascination pour la violence qui gâche la deuxième partie du film de Nicolas Winding Refn malgré sa réalisation hypnotique) ou encore le personnage de Clooney dans "The American" d'Anton Corbijn.
Ce premier plan, c’est celui du Samouraï à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei interprété par Bourvil dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis). Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du « Cercle rouge » au début duquel on peut lire la phrase suivante : "Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".
Puis, avec calme et froideur (manière dont il agira tout au long du film), Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau, tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant qui ne sied pas forcément à notre époque agitée et tonitruante. Ce chef d’œuvre (rappelons-le, de 1967) pourrait-il être tourné aujourd’hui ? Ce n’est malheureusement pas si certain…
Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. C’est une règle ? Une habitude. » Avec la scène du cambriolage du « Cercle rouge » (25 minutes sans une phrase échangée), Melville confirmera son talent pour filmer le silence et le faire oublier par la force captivante de sa mise en scène. (N’oublions pas que son premier long-métrage fut « Le silence de la mer »).
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère grise du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Il porte à la fois le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.
Le scénario sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer au « tous coupables » du « Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant. Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
© Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Que ce soit dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans les films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
Evidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef d’œuvre sans la présence d’Alain Delon (que Melville retrouvera dans « Le Cercle rouge », en 1970, voir ma critique ici, puis dans « Un flic » en 1972) qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux héros melvillien.
Avec ce film noir, polar exemplaire, Meville a inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il a donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Jef Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
Sachez encore que le tournage se déroula dans les studios Jenner si chers à Melville, en 1967, des studios ravagés par un incendie…et dans lequel périt le bouvr
Le 1er décembre 2021, vous pourrez découvrir Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville au cinéma, en version restaurée 4K. L'occasion de vous parler à nouveau de ce chef-d'œuvre.
Le retour en salles, le 1er décembre prochain, du chef-d'œuvre de Melville, "Le cercle rouge"(1970) (grâce à Carlotta et Studio Canal, dans sa version restaurée 4K inédite, est pour moi l'excellent prétexte pour vous en parler en espérant ainsi vous donner envie de le (re)découvrir ainsi que les autres films de Melville parmi lesquels "Le Samouraï" (1967) et "L'armée des ombres"(1969) dont je vous parle aussi ci-dessous au gré de quelques (nombreuses) digressions.
Synopsis : Le commissaire Matteï (Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s’enfuir et demeure introuvable malgré l’importance des moyens déployés. Au même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit dans sa cellule la visite d’un gardien venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l’affaire proposée par le gardien : le cambriolage d’une bijouterie de la Place Vendôme. Ils s’adjoignent ensuite les services d’un tireur d’élite : Jansen (Yves Montand), un ancien policier, rongé par l’alcool.
Dès la phrase d’exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité : "Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : Quand des hommes, même s'ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge ."
Comment ne pas établir un parallèle avec le debut du "Samourai" dans lequel Melville parvient là aussi d'emblée à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains… Le premier plan met en scène le Samouraï, à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil.
La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate, avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis). Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début là aussi placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité.
Même parallèle avec le début de "L'armée des ombres". Dès le premier plan, on éprouve là aussi cette sensation d’étirement du temps. La place est d’abord vide puis on entend les bruits de bottes hors champ puis on distingue les soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Puis vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre, pluvieuse, est déjà plantée. Le récit lui-même est claustrophobique, enfermé sur lui-même et semble sans issue. Ainsi, en effet, le film commence par une trahison et par le meurtre de celui qui a donné un résistant et il s’achève par l’exécution « nécessaire » de Mathilde (la Résistante incarnée par Simone Signoret) par ses propres compagnons. Le film commence à l’Arc de triomphe et s’achève à l’Arc de triomphe. Par ailleurs, les deux indices temporels sont ceux du début, le 20 octobre 1942 et de la fin, le 23 février 1943, un peu moins d’une année qui enferme le récit et les personnages dans leurs tragiques destins. Un sentiment oppressant se dégage du film et pas même les panneaux de la fin ne viendront le démentir puisqu’ils nous annoncent la mort de tous les protagonistes, le plus souvent torturés et exécutés. Ils nous renvoient ainsi au défilé militaire du début et ce qui s’est passé entre les deux semble n’y avoir rien changé, ce qui exacerbe encore l’horreur vaine des actes commis.
Dans "Le cercle rouge", c’est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira là aussi tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policiers et gangsters, le Commissaire Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers. Reviennent alors les propos de l’inspecteur général des services pour qui les hommes sont « tous coupables ».
Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l’un est policier et l’autre un prévenu. Il n’y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu’ils traquent sont des hommes seuls. À deux reprises, il nous est montré avec ses chats qu’il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie « les habitants du placard », des animaux hostiles que l’alcool lui fait imaginer. Tous sont prisonniers. Prisonniers d’une vie de solitude. Prisonniers d’intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l’appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l’extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique. Implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d’une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu’elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).
Dans "L'armée des ombres", c'était déjà là aussi un univers sombre, cruel, sordide qui nous était dépeint, rappelant l’univers de gangsters que Melville s’attache habituellement à filmer que ce soit dans "Le Doulos,", "le Samouraï" ou "Le deuxième souffle" etc.
Les hommes de la Résistance sont là aussi plongés dans ce « cercle rouge », ce « cercle de la mort où les hommes se retrouvent tous un jour. Dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connue sous la Résistance. Dans les films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Les mêmes acteurs jouent d'ailleurs dans ses deux « catégories » de films, encore faudrait-il y voir deux catégories distinctes car les points communs foisonnent. Ainsi Paul Meurisse et Lino Ventura étaient déjà à l’affiche du "Deuxième souffle" et Serge Reggiani avait interprété un rôle dans "le Doulos". Par ailleurs, les poursuites rappellent celles entre policiers et truands. Ainsi, certaines scènes de "L’armée des ombres", sorties de leur contexte pourraient très bien figurer dans un film policier notamment lorsque Félix (Paul Crauchet) est arrêté dans une rue tranquille puis encadré et entraîné brutalement par deux hommes surgis de nulle part vers une voiture qui démarre en trombe. La chambre où le traître est exécuté rappelle ainsi celle de Costello/Delon dans "Le Samouraï". Leur allure vestimentaire rappelle également celle des gangsters, notamment le chapeau qu’arbore la plupart du temps les Résistants du film et qui renvoie au fameux chapeau de Costello dans "Le Samouraï". Gangsters et Résistants sont obsédés par le secret et les uns et les autres ont bien souvent une double vie.
Les personnages vivent ici aussi dans la clandestinité afin de pouvoir réaliser leur objectif qui est de libérer la France tout comme ils vivent en clandestinité quand ils sont dans l’illégalité. Enfin, les protagonistes de ces deux types de films sont également soumis à la solitude, à l’angoisse, au danger. Dans "L'Armée des ombres", les Résistants ne sont pas des jeunes aventuriers intrépides comme on l’a souvent vu au cinéma. Melville casse délibérément cette image. Il montre des combattants de l’ombre dans leur quotidien. Ils se cachent, fuient, attendent dans un silence quasi absolu. On les voit douter des leurs convictions et parfois poussés par la peur à trahir, trahison qui engendre une exécution par la suite. On retrouve également l’influence du cinéma américain de ce cinéaste qui était un grand admirateur de Wyler. Melville rend même explicitement hommage au cinéma américain en reprenant le son du "Coup de l’escalier" dans la scène de l’ambulance où Mathilde vient sauver Félix. Ce son saccadé, haché, semble faire écho aux battements de cœur des Résistants que nous imaginons derrière leur impassibilité de façade. Ils martèlent aussi le temps qui passe et l’étirement des secondes dont chacune d’entre elles peut être décisive ou fatale. Tout comme le montrera ensuite Louis Malle avec le controversé Lacombe Lucien, la frontière entre le traître et le héros, l’homme de loi et le hors la loi, est bien fragile, surtout à cette époque troublée au cours de laquelle Melville nous montre ainsi qu’elle devait parfois être franchie, ainsi le nécessitait le passage de la lumière à l’ombre pour ensuite revenir à une autre lumière, celle de la Libération.
Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » déjà la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité.
Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
Le scénario du "Samouraï" comme celui du "Cercle rouge" sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer à Mattei et à son « tous coupables » dans « Le Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».
Avec "Le Samouraï', film noir, polar exemplaire, Meville avait inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il avait déjà donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
Évidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux (anti)héros melvillien.
De même déjà dans "Le Samouraï", le plan du début et celui de la fin se répondaient ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant. Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue là aussi comme dans "Le Cercle rouge". Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
Dans "Le cercle rouge" avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu’une parole ne soit échangée), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe là aussi un polar d’une noirceur, d’une intensité, d’une sobriété rarement égalées.
Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c’est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l’alcool, et Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s’il tourna ensuite « Le mur de l’Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ». Ce sont pourtant d’autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour Le commissaire Matteï, Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.
La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu’il est l’auteur du scénario original et de cette idée qu’il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu’ j’ai tournés, parce que j’en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau
Jef Costello (Alain Delon) est un tueur à gages dont le dernier contrat consiste à tuer le patron d’une boîte de jazz, Martey. Il s’arrange pour que sa maîtresse, Jane (Nathalie Delon), dise qu’il était avec elle au moment du meurtre. Seule la pianiste de la boîte, Valérie (Cathy Rosier) voit clairement son visage. Seulement, lorsqu’elle est convoquée avec tous les autres clients et employés de la boîte pour une confrontation, elle feint de ne pas le reconnaître… Pendant ce temps, on cherche à tuer Jef Costello « le Samouraï » tandis que le commissaire (François Périer) est instinctivement persuadé de sa culpabilité qu’il souhaite prouver, à tout prix.
Dès le premier plan, Melville parvient à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains…mais aussi référence de bien des cinéastes comme Johnny To avec Vengeance dans lequel le personnage principal se prénomme d’ailleurs Francis Costello mais aussi Jim Jarmusch avec Ghost Dog, la voie du samouraï sans oublier Michael Mann avec Heat, Quentin Tarantino avec Reservoir Dogs ou encore John Woo dans The Killer et bien d’autres qui, plus ou moins implicitement, ont cité ce film de référence…comme plus récemment le personnage de Ryan Gosling dans Drive qui présente de nombreuses similitudes avec Costello ou encore le personnage de Clooney dans The American d’Anton Corbijn.
Ce premier plan, c’est celui du Samouraï à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei interprété par Bourvil dans Le Cercle rouge a ses chats pour seuls "amis"). Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du Bushido, le livre des Samouraï qui est en réalité inventée par Melville). Un début placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité comme celui du Cercle rouge au début duquel on peut lire la phrase suivante : « Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : » Quand des hommes, même sils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna) ».
Puis, avec calme et froideur (manière dont il agira tout au long du film), Costello enfile sa « panoplie », trench-coat et chapeau, tandis que son regard bleu acier affronte son image élégante et glaciale dans le miroir. Le ton est donné, celui d’un hiératisme silencieux et captivant.
Pendant le premier quart d’heure du film, Costello va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Les dialogues sont d’ailleurs rares tout au long du film mais ils ont la précision chirurgicale et glaciale des meurtres et des actes de Costello, et un rythme d’une justesse implacable : « - Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. - C’est une règle ? - Une habitude. » Avec la scène du cambriolage du Cercle rouge (25 minutes sans une phrase échangée), Melville confirmera son talent pour filmer le silence et le faire oublier par la force captivante de sa mise en scène. (N’oublions pas que son premier long-métrage fut Le silence de la mer).
La mise en scène de Melville est un modèle du genre, très épurée (inspirée des estampes japonaises), mise en valeur par la magnifique photographie d’Henri Decae, entre rues grises et désertes, atmosphère sombre du 36 quai des Orfèvres, passerelle métallique de la gare, couloirs tout aussi gris, et l’atmosphère plus lumineuse de la boîte de jazz ou l’appartement de Jane. Melville porte le polar à son paroxysme mais le révolutionne aussi, chaque acte de Costello étant d’une solennité dénuée de tout aspect spectaculaire.
Le scénario sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer au « tous coupables » de Mattei dans Le Cercle rouge. C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans Le cercle rouge.
Le plan du début et celui de la fin se répondent ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant. Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue. Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
Que ce soit dans Le Doulos, Le Deuxième souffle et même dans une autre mesure L’armée des ombres, on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires. Il est ainsi habituel de dire que L’armée des ombres est un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans les films précédant L’armée des ombres comme Le Samouraï, Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Comme dans L’armée des ombres, dans Le Samouraï, la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
Evidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef-d’œuvre sans la présence d’Alain Delon (que Melville retrouvera dans Le Cercle rouge, en 1970, puis dans Un flic en 1972) qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux héros melvillien.
Avec ce film noir, polar exemplaire, Meville a inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il a donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Jef Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans Le Battant. Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
Sachez encore que le tournage se déroula dans les studios Jenner si chers à Melville, en 1967, des studios ravagés par un incendie…et dans lequel périt le bouvreuil du film. Les décors durent être reconstruits à la hâte dans les studios de Saint-Maurice.
BONUS - Analyse de L'ARMEE DES OMBRES de Jean-Pierre Melville
Synopsis d’un scénario ciselé
Octobre 1942. " Ingénieur distingué des Ponts et Chaussées, soupçonné de pensée gaulliste, semblant jouir d’une certaine influence ", Philippe Gerbier (Lino VENTURA) est interné dans un camp français puis transféré au quartier général de la Gestapo de l’hôtel Majestic à Paris. Il s’en évade en tuant une sentinelle et en sacrifiant l’autre homme arrêté. A Marseille, il est chargé avec Félix (Paul CRAUCHET) et Le Bison (Christian BARBIER) d’exécuter Doinot, qui les a trahis. Jean-François (Jean-Pierre CASSEL), un ancien ami de régiment de Félix, entre dans le réseau et réussit sa première mission : livrer un poste émetteur à Mathilde (Simone SIGNORET), membre du réseau de Paris. Il en profite pour rendre visite à son frère, Luc Jardie, grand bourgeois rêveur dont il ignore qu’il est le chef de son réseau de résistance. Gerbier, qui se cache à Lyon sous le nom de Roussel, organise l’embarquement de huit personnes à bord d’un sous-marin pour l’Angleterre ; parmi eux, Luc Jardie (Paul MEURISSE). Pendant ce temps, Félix, arrêté par la Gestapo lyonnaise, est torturé. Mathilde, grâce à un astucieux stratagème, réussit à s’introduire, avec Le Bison et Le Masque (Claude MANN), dans le Q.G. de la Gestapo.
Par la minutie du scénario et la rigueur du découpage, L’armée des ombres est un film qui pourrait être considéré comme résolument classique, néanmoins la singularité de traitement de son thème principal et la singularité de traitement formel du temps notamment, en font un film loin d’être consensuel, à l’image des réactions contrastées, parfois même virulentes, qu’il suscita lors de sa sortie.
Genèse d’ un film singulièrement instructif
L’armée des ombres est le onzième film de Melville et le troisième film qu’il consacre à la période de l’Occupation, une période qu’il connaissait bien pour l’avoir vécue dans la Résistance, s’étant engagé à Londres aux côtés du Général De Gaulle. Le premier de ces films fut Le silence de la mer en 1949 adapté du roman de Vercors paru dans la clandestinité, et dans lequel le refus d’un vieil homme et de sa nièce d’adresser la parole à un officier allemand logeant dans leur maison incarnait déjà l’esprit de résistance. Le second fut Léon Morin, prêtre, en 1961, qui était le récit de la fascination d’une veuve pour un jeune prêtre et qui était également situé au cours de cette période trouble. Enfin, L’armée des ombres sortit en 1969. Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Kessel publié en 1943, date depuis laquelle Melville n’avait cessé de rêver de son adaptation. Les souvenirs personnels liés à son passé d’agent de liaison constituent l’autre source d’inspiration comme peut le souligner la phrase d’exergue du film empruntée à Courteline : « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus...vous êtes une jeunesse lointaine. » Il est d’autant plus significatif que ce film soit signé Jean-Pierre Melville que ce nom est celui qu’il avait choisi pour entrer dans la Résistance alors qu’il s’appelait encore Jean-Pierre Grumbach. Melville est ainsi son patronyme de clandestin emprunté à l’auteur de Moby Dick qu’il admirait. Il passa ainsi en Grande-Bretagne en 1942 et participa au débarquement en France et en Italie. Il dira ainsi « dans ce film j’ai montré pour la première fois des choses que j’ai vues, que j’ai vécues. Toutefois ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D’un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance (L’armée des ombres de Joseph Kessel) j’ai fait une rêverie rétrospective ; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération. » Il dira encore : « je l’ai porté en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C’est un morceau de ma mémoire, de ma chair. »
Une image inédite de la Résistance : une Résistance démythifiée
Même si, de son propre aveu, Melville n’a pas cherché à effectuer une reconstitution réaliste mais plutôt « une rêverie rétrospective, un pèlerinage nostalgique à une époque qui a pourtant marqué ma génération », ces ombres rappellent fortement celles de personnages ayant réellement existé. Melville s’est en effet inspiré de parcours de résistants. Luc Jardie rappelle ainsi Jean Moulin, aussi bien dans son apparence vestimentaire que dans quelques détails sur sa vie qui parsèment le film. La vie de Lucie Aubrac a également inspiré le récit. Les personnages de L’armée des ombres sont à l’opposé des héros romantiques que symbolisent en général les Résistants. Ils sont d’abord guidés par l’intérêt collectif même si parfois il leur arrive de succomber à des intérêts individuels remettant en cause leurs objectifs, notamment Mathilde dont la fille est menacée. L’armée des ombres est ainsi autant un film sur la Résistance que sur les contradictions humaines, plus exactement les contradictions entre les intérêts individuels et l’intérêt collectif, contradictions exacerbées dans ces conditions extrêmes. Alors que les films d’après-guerre étaient unanimes pour faire l’éloge inconditionnel de la Résistance et par conséquent unanimement manichéens, Melville se refuse à toute complaisance et se refuse à l’héroïsation de ces résistants qu’il ne présente pas comme des hommes exceptionnels mais comme des hommes ordinaires plongés dans l’exceptionnel. Loin d’assimiler chaque acte de ses personnages à des exploits, il en scrute la banalité tragique et parfois même l’inéluctable lâcheté ou les petitesses qu’elle engendre. La séquence au Majestic en fournit un exemple flagrant. Pour se sauver d’une mort certaine, Gerbier sacrifie un autre détenu, probablement un résistant comme lui, en lui demandant de courir pour détourner l’attention. Ce geste est précédé d’une suite de regards entre les deux hommes dans un silence pesant en cet instant décisif. Le vol du temps est suspendu, l’instant n’en paraît que plus crucial, la peur des personnages n’en est que plus prégnante. L’horloge est ainsi ostensiblement montrée deux fois, un de leurs « geôliers » baille à plusieurs reprises. Les deux prisonniers sont filmés en champ, contre-champ, l’autre résistant a le visage dans l’ombre préfigurant sa mort si bien qu’il est à peine perceptible tandis que celui de Gerbier est clairement visible. La caméra les scrute, les contourne, les domine. Melville ne glorifie donc pas la Résistance mais en offre une radiographie minutieuse, contrairement à des films comme Paris brûle-t-il ou La bataille du rail dans lesquels les résistants sont irréprochables et