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  • Critique de MR KLEIN de Joseph Losey ce soir à 20H45 sur Ciné + Classic

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    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein-là, interprété par Alain Delon,  voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal « Informations juives » adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect... Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître...

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

    Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là,  l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et  ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Raflé du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier...

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  • Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2017 : le programme complet détaillé (un festival à suivre ici en dire

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    Retrouvez ce même article sur Inthemoodforfilmfestivals.com, ici.

    Lors des trois premières éditions du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (créé par Sam Bobino en 2014 -qui  a aussi notamment à son actif  d’être délégué général de la Semaine du Cinéma Positif– et le cinéaste Christophe Barratier), je vous avais fait part de mon enthousiasme pour ce nouvel évènement cinématographique, convivial et passionnant, qui a lieu dans le cadre idyllique de La Baule, un festival pour lequel j’ai eu un coup de cœur tel que l’une des nouvelles de mon recueil « Les illusions parallèles » (Editions du 38), se déroule dans le cadre de celui-ci. J'avais d'ailleurs eu le plaisir de le dédicacer dans le cadre du festival l'an passé. Pour la 4ème année consécutive, vous pourrez me suivre en direct du festival. Je vous promets une belle immersion, a fortiori cette année. Suivez-moi sur twitter (@Sandra_Meziere) et Instagram (@sandra_meziere) pour tout savoir du festival au jour le jour. 

    Je  recommande vivement dès à présent cette édition 2017 du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, d’autant plus que le programme s'annonce particulièrement riche et alléchant (7 films en compétition, de nombreuses avant-premières, un jury présidé par Diane Kurys, un hommage à Vladimir Cosma et à Catherine Deneuve, de nombreux invités, des concerts, des classiques du cinéma à voir et revoir, de nombreuses animations dont une exposition consacrée à De Funès...- retrouvez tout le programme détaillé ci-dessous : 48 films dont 20 avant-première, 2 concerts, 3 Master class, 2 ciné-concert, une exposition De Funès) avec une durée en plus rallongée d'une journée cette année(avec ainsi une préouverture le 6 novembre avec  "Moi et le Che » de Patrice Gautier, avec Patrick Chesnais,en présence de Patrick Chesnais et Patrice Gautier). La cérémonie d'ouverture officielle aura lieu le mercredi 8 novembre à 20H  en présence du Jury avec un hommage à Remy Julienne en sa présence et un concert « UK on The Rocks » (Trio Cover) : Hommage au film « Good Morning England ». La cérémonie de remise des Prix aura lieu le samedi 11 novembre à 20H, en présence du Jury et de nombreux guests avec ensuite un concert dirigé par Vladimir Cosma, « Vladimir Cosma, dirige ses plus grandes musiques de films » (avec un Orchestre de 60 musiciens). 
     

    Pour tout savoir sur le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule retrouvez :

    mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014

    et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015

    et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2016.

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    Retrouvez également toutes mes bonnes adresses à La Baule pour profiter au mieux du festival, ici.

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    (Photos ci-dessous prises à l'hôtel Barrière Le Royal Thalasso de La Baule, mon article ici à ce sujet. Je vous parlerai également prochainement de l'hôtel Barrière L'Hermitage également rénové.)

     

    LES EVENEMENTS A NE PAS MANQUER

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    - L’hommage rendu, en sa présence, au compositeur Vladimir Cosma,

    une légende à qui l'on doit d'innombrables musiques de films dont celles de La Boum, des Aventures de Rabbi Jacob, du Grand Blond avec une chaussure noire (des films que vous pourrez d'ailleurs revoir dans le cadre du festival), de L'Aile ou La Cuisse, de La Chèvre, du Diner de cons , etc. VLADIMIR COSMA dirigera ses plus grandes musiques de film avec un orchestre symphonique d'une soixantaine de musiciens et artistes internationaux, sur la scène du Palais des Congrès Atlantia de La Baule, le samedi 11 Novembre à 20h. (précédé de la Cérémonie de remise des Prix du Festival) - Réservation : Site de vente en ligne : billetterie.atlantia-labaule.com. Par téléphone au : 02 40 11 51 51

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    -L'hommage à Catherine Deneuve :

    l'actrice viendra présenter en avant-première "Tout nous sépare" de Thierry Klifa aux côtés de ce dernier et de Nicolas Duvauchelle le samedi 11 novembre à 15h au Cinéma le Gulf Stream. A cette occasion, en bonus, en bas de cet article, retrouvez ma critique de "Les yeux de sa mère" de Thierry Klifa et le récit de ma rencontre avec l'équipe du film (dans lequel jouait déjà Catherine Deneuve). Cliquez ici pour retrouver mon article avec de nombreuses critiques de films avec Catherine Deneuve.

    -Les comédies mises à l'honneur :

     pour illustrer ce thème, les organisateurs du Festival ont ainsi choisi une affiche réalisée par l’artiste Sébastien Dupouey (qui avait déjà réalisé l’affiche de l’édition précédente). Cette affiche fait référence à la comédie « Les Vacances de M. Hulot », de Jacques Tati, dont le tournage a eu lieu en 1951 et 1952 près de La Baule (à Saint-Marc-sur-Mer).

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

       

    -Le Coup de projecteur sur Jacques Tati

    dont on fête les 110 ans de sa naissance et dont le personnage culte M.Hulot figure donc sur la magnifique affiche du Festival et Buster Keaton, dont les projections de films seront accompagnées en musique. Vous pourrez ainsi voir "Sherlock Jr" le mardi 7 novembre à 20h (suivi du Film d’Ouverture « La Mélodie ») au cinéma le Gulf Stream, accompagné en musique par Laurent Pontoizeau. Vous pourrez également voir "Mon oncle " de Jacques Tati en copie restaurée le Mercredi 8 novembre à 12h au cinéma le Gulf Stream.

     

    -L'hommage à LOUIS DE FUNES à la Chapelle Saint Anne à la Baule

    avec une exposition d'objets inédits et encore jamais exposés ayant appartenu à l'acteur.

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    -L'hommage à REMY JULIENNE :

    Avec plus de 1400 films à son actif (!) et une carrière internationale qui en ferait réver plus d’un, il est considéré comme « le plus grand cascadeur du cinéma français » et l’un des plus grands cascadeurs au monde. Rémy Julienne recevra un Ibis d’Or d’Honneur, récompensant l’ensemble de sa carrière, lors de la Cérémonie d’Ouverture du Festival, le Mercredi 8 novembre, au Palais des congrès de La Baule Atlantia. Il rencontrera aussi le public le Mercredi 9 novembre à 17h au Cinéma Le Gulf Stream pour une Master Class.


    -L' hommage rendu au réalisateur  JEAN PIERRE MELVILLE,

     réalisateur des chefs-d'œuvre que sont notamment L’Armée des Ombres, Le Cercle Rouge, le Samouraï. A l'occasion de cet hommage seront également projetés ses chefs-d'œuvre "L'armée des ombres" et "Le cercle rouge" (un film dont je vous parle d'ailleurs dans mon roman "L'amor dans l'âme"), des séances que je vous recommande vivement. Pour nous parler de son rapport passionnel et paradoxal à la musique, le Festival de La Baule accueillera deux grands ambassadeurs melvilliens : Rémy Grumbach, réalisateur de télévision et neveu de Melville ; Eric Demarsan, le seul, l’unique compositeur à avoir composé deux bandes originales complètes pour le cinéaste, “L’Armée des ombres et “Le Cercle rouge” (Master Class, Vendredi 10 novembre à 18h au Gulf Stream). Cliquez ici pour lire mon article sur le cinéma de Melville.

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    Ma CRITIQUE du CERCLE ROUGE de Melville  à voir le Vendredi 10 novembre à 10h au cinéma le Gulf Stream.

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     Bien plus qu'un film policier, ce film est sans nul doute un de ceux qui ont fait naitre ma passion pour le cinéma...
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    Synopsis : Le commissaire Matteï (André Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s'enfuir et demeure introuvable malgré l'importance des moyens déployés. A même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit la visite d'un gardien  dans sa cellule venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l'affaire proposée par le gardien : le cambriolage d'une bijouterie place Vendôme. Ils s'adjoignent ensuite les services d'un tireur d'élite : Janson, un ancien policier, rongé par l'alcool.

    Dès la phrase d'exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et la fatalité : " Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".

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    C'est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policier et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu'à l'inspecteur général pour qui les hommes sont « tous coupables ». Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l'un est policier et l'autre un prévenu. Il n'y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu'ils traquent sont des hommes seuls. A deux reprises il nous est montré avec ses chats qu'il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l'alcool lui fait imaginer.

    Tous sont prisonniers. Prisonniers d'une vie de solitude. Prisonniers d'intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l'appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l'extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d'une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu'elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).

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    Avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu'un mot soit échangé), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe un polar d'une noirceur, d'une intensité, d'une sobriété rarement égalées.

     Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c'est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l'alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s'il tourna ensuite « Le mur de l'Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d'autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour « Le commissaire Matteï », Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.

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    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par

  • Festival de Cannes 2019, épisode 3 – Critique de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan

    cinéma, Xavier dolan, Matthias et Maxime, Festival de Cannes 2019, 72ème Festival de Cannes, Gabriel D’Almeida Freitas

    L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée.  Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.

    Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix.  Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.

    Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.

    Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences. 

    Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.

    Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.

    Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble  enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent  soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.

    "J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.

    Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette  pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.

    Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime,  jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.

     Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria.  Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.

    Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute.  Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses.  Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare…  Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

    La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".

    Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle.  Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.

    Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.

    A lire aussi :

    1/Festival de Cannes 2019 - LES PLUS BELLES ANNEES D’UNE VIE de CLAUDE LELOUCH - critique du film et conférence de presse

    2/Festival de Cannes 2019 - Master class d’Alain Delon et remise de sa Palme d’or d’honneur. Récit.

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  • Critique de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (en salles ce 16 octobre 2019)

    cinéma, Xavier dolan, Matthias et Maxime, Festival de Cannes 2019, 72ème Festival de Cannes, Gabriel D’Almeida Freitas

    L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée.  Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.

    Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix.  Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.

    Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.

    Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences. 

    Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.

    Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.

    Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble  enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent  soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.

    "J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.

    Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette  pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.

    Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime,  jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.

     Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria.  Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.

    Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute.  Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses.  Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare…  Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

    La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".

    Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle.  Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.

    Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.

    A lire aussi :

    1/Festival de Cannes 2019 - LES PLUS BELLES ANNEES D’UNE VIE de CLAUDE LELOUCH - critique du film et conférence de presse

    2/Festival de Cannes 2019 - Master class d’Alain Delon et remise de sa Palme d’or d’honneur. Récit.

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  • Critique - LES TROIS MOUSQUETAIRES - D'ARTAGNAN de Martin Bourboulon (au cinéma le 5 avril 2023)

    cinéma, critique, film, Les trois mousquetaires - d'Artagnan de Martin Bourboulon, Les trois mousquetaires, Alexandre Dumas, François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmaï, Romain Duris; Vicky Krieps, Eva Green,

    cinéma, critique, film, Les trois mousquetaires - d'Artagnan de Martin Bourboulon, Les trois mousquetaires, Alexandre Dumas, François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmaï, Romain Duris; Vicky Krieps, Eva Green,

    Critique réalisée suite à l'avant-première qui eut lieu au Cinéville, ce 19.02.2023 - photo ci-dessus -

    Le film de cape et d’épée (défini comme mettant en scène des « personnages batailleurs, généreux et chevaleresques ») fut très à la mode, en particulier dans le cinéma français des années 1940 à 1970. Il tomba un peu en désuétude même si quelques films notables tentèrent de le faire revenir sur le devant de la scène. Parmi les films de cape et d’épée les plus remarquables, il faut bien sûr citer Le Bossu de Jean Delannoy en 1944, Le Capitan de Robert Vernay en 1946, deux films avec Jean Marais qui tourna de nombreux longs-métrages appartenant à ce genre, comme encore Le Masque de fer de Henri Decoin en 1962. Il y eut aussi l’incontournable Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque en 1952, rôle alors incarné par Gérard Philippe. Le même Christian-Jaque réalisa aussi La Tulipe noire avec Alain Delon en 1964.  On se souvient aussi de Belmondo dans Cartouche de Philippe de Broca en 1961 et, en 1971, dans Les Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau à qui l’on doit aussi le chef-d’œuvre Cyrano de Bergerac en 1990 et Le Hussard sur le toit en 1995. Il y eut encore Le Bossu de Philippe de Broca en 1997, La Fille de d’Artagnan de Bertrand Tavernier en 1994, et plus récemment, en 2003, une autre version de Fanfan la Tulipe réalisée par Gérard Krawczyk et, en 2010, La Princesse de Montpensier, autre chef-d’œuvre également réalisé par Bertrand Tavernier. Bien sûr, le film de cape et d’épée n'inspira pas seulement le cinéma hexagonal. Je pense notamment à Scaramouche de George Sidney avec Stewart Granger et Janet Leigh en 1952 ou aux Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang en 1955.

    Tout comme le polar, ou le cinéma français des Truffaut, Sautet (cf mon autre article du jour consacré à César et Rosalie de Claude Sautet), Renoir, Carné…, le film de cape et d’épée a bercé les premières années de ma cinéphilie. J’étais donc particulièrement impatiente de découvrir ces Trois mousquetaires qui firent déjà l’objet de tant d’adaptations au cinéma. Il s’agit en effet de la….44ème ! Parmi ces adaptations : Les Mousquetaires de la reine de George Méliès en 1903, les Trois Mousquetaires de Bernard Borderie de 1961 ou encore La Fille de d’Artagnan de Bertrand Tavernier en 1994, qui est néanmoins une libre adaptation de l’œuvre de Dumas, reprenant les personnages dans des aventures inédites. Alors, dans cette nouvelle adaptation, retrouve-t-on les fondamentaux du film de cape et d’épée ? S’agit-il d’une adaptation fidèle à l’œuvre de Dumas ou une adaptation très libre comme le fut celle de Tavernier ?

    D’abord, sachez qu’il s’agit d’un diptyque. La première partie intitulée Les Trois Mousquetaires – d’Artagnan sort ce 5 avril 2023. Il faudra attendre le 13 décembre 2023 pour découvrir la suite, intitulée Les Trois Mousquetaires – Milady. L’attente est énorme pour ce film produit par Dimitri Rassam et Pathé au regard de l’impressionnant casting, du genre du film, délaissé depuis des années par le cinéma français, de son ambition et du budget colossal (72 millions d’euros au total).

    Comme dans le roman de Dumas, en 1627, le Gascon d’Artagnan (François Civil) pauvre gentilhomme, vient à Paris dans le but d’intégrer le corps des mousquetaires. Comme dans le roman toujours, il se lie d’amitié avec Athos (Vincent Cassel), Porthos (Pio Marmaï) et Aramis (Romain Duris), les mousquetaires de Louis XIII (Louis Garrel), qui, chacun pour des raisons différentes, le provoquent en duel. Ils vont s’unir pour s'opposer au Premier ministre, le Cardinal de Richelieu, et à ses agents, dont la mystérieuse Milady de Winter (Eva Green), pour sauver l'honneur de la reine de France, Anne d’Autriche (Vicky Krieps) mais aussi pour sauver Athos accusé d’un crime dont il ignore s’il l’a commis. Le jeune d'Artagnan s'éprend de Constance Bonacieux (Lyna Khoudri), lingère d’Anne d’Autriche… Dans un royaume divisé par les guerres de religion et menacé d’invasion par l’Angleterre, l’aventure conduit les Mousquetaires des bas-fonds de Paris au Louvre, jusqu’au Palais de Buckingham.

    Comme l’indique son titre, cette première partie du dytique tourne essentiellement autour du personnage de d’Artagnan, et de la figure du héros qui nait sous nos yeux, un héros qui cherche à conquérir l’amour autant que son statut de mousquetaire.

    Tous les ingrédients sont là pour un grand divertissement populaire, tout public. Le scénario -signé Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte- auxquels on doit notamment la coécriture et la coréalisation du film Le Prénom, sorti en 2012 - est fidèle à l’œuvre mais témoigne aussi de son intemporalité dans les thèmes abordés : le courage, le sens de l’amitié, l’amour, la vengeance, l’honneur. Parmi les ingrédients qui contribuent à cette réussite figure la musique de Guillaume Roussel (à qui l’on doit récemment celles de Couleurs de l’incendie, Kompromat, Novembre…) dont le lyrisme accompagne, voire exacerbe, le caractère épique de l’aventure. Mais surtout les décors de Stéphane Taillasson et les costumes de Thierry Delettre contribuent à la modernité de cette version filmée en décors naturels, donnant un caractère de vérité aux course-poursuites et batailles dans un Paris interlope et obscur. À cela, il faut ajouter les cascades réalisées par les comédiens eux-mêmes qui contribuent aussi au sentiment de réalisme et à l’immersion du spectateur. Les plans-séquence nous immergent en effet avec les héros dans le décor et dans leur course haletante contre la mort et pour l’honneur. Martin Bourboulon souhaitait réaliser un film entre « le thriller et le western royal ». De ce point de vue aussi, c’est  une réussite. Les cavalcades au cœur de la nuit, les duels, les costumes, tout rappelle le western. Dès les premières minutes, le ton est donné : d’Artagnan reçoit un coup de feu censé être mortel, est enterré puis revient d’outre-tombe. Prémisses de la figure héroïque. Générique.

    Le casting contribue aussi largement à cette réussite, casting au premier rang duquel se trouve Lyna Khoudri (Papicha, Gagarine, La place d’une autre, Novembre...) dont le jeu est toujours aussi nuancé comme le personnage de la douce, malicieuse et courageuse Constance le nécessitait, mais aussi Vicky Krieps dans le rôle de la reine après avoir été une inoubliable impératrice dans Corsage de Marie Kreutzer, une Sissi frondeuse, à la fois sombre et excentrique, enfermée et avide de liberté.  Eva Green est une Milady de Winter charmeuse, mystérieuse, manipulatrice, diabolique comme il se doit, avec sa voix rauque inquiétante et envoûtante qui sied parfaitement au personnage. François Civil (Celle que vous croyez, Mon inconnue, Deux Moi, Bac Nord, et LE film de l’année 2022, En Corps...)  apporte à son personnage de d’Artagnan l’insolence, la candeur, la malice et l’intrépidité nécessaires, un héros dont le voyage initiatique le fait se muer en aventurier téméraire. Pio Marmaï, possède la gouaille de l’hédoniste Porthos. Cassel altier, torturé, est parfait dans le rôle de l’aristocrate Athos. Romain Duris se glisse idéalement dans le rôle d’Aramis, pétri de contradictions, séducteur et dévot. Les seconds rôles sont tout aussi judicieusement choisis : Eric Ruf dans le rôle du Cardinal de Richelieu, Oliver Jackson-Cohen dans le rôle du Duc de Birmingham, Alexis Michalik dans le rôle de Villeneuve de Radis, Marc Barbé dans le rôle du capitaine de Tréville…

    Là où le film aurait pu tomber dans une surenchère de scène sanguinolentes pour attirer un public plus jeune et moderniser l’œuvre, le son très habilement utilisé vient signifier la violence et la douleur sans que les images ne tombent dans cet écueil, ce qui n’en est pas moins efficace pour créer la tension et le suspense. Après Papa ou Maman (2015), Papa ou Maman 2 (2016) et Eiffel (2021), sa dernière réalisation déjà  très ambitieuse et spectaculaire, Martin Bourboulon démontre un véritable savoir-faire dans cette reconstitution historique virevoltante, ayant certainement tiré les enseignements des grands cinéastes pour lesquels il avait travaillé comme  assistant de réalisation : Joffé, Kassovitz, Tavernier, Rappeneau, Demme…

    Nous retrouvons la flamboyance, l’écriture savoureuse, la noirceur et l’humour, le rythme de l’œuvre de Dumas dans cette course effrénée pour sauver l’honneur et la paix, cette fresque pleine de panache. Parfois un peu sombre visuellement (certes comme l’étaient des films de cape et d'épée emblématiques :  Cyrano de Bergerac de Rappeneau ou La Princesse de Montpensier de Tavernier), cette nouvelle adaptation réussit brillamment à nous plonger dans l’univers de Dumas et surtout nous donne envie de relire ce récit historique et initiatique palpitant et ses autres chefs-d’œuvre (je vous recommande notamment La Dame de Monsoreau)…mais aussi de découvrir la suite le 13 Avril. Aux plus jeunes, ce film donnera probablement le goût du cinéma de cape et d’épée. Pour les autres, il sera une réminiscence d’un cinéma qui a peut-être illuminé leurs soirées d’enfance et dont le cinéma français a tardé à s’emparer de nouveau, craignant sans doute une comparaison avec des blockbusters d’Outre-Atlantique. Ce pari réussi prouve une nouvelle fois que le cinéma français peut s'approprier tous les genres, sans avoir à rougir d’aucune comparaison.

    « Toute fausseté est un masque, et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu d'attention, à le distinguer du visage. » Cette citation d’Alexandre Dumas de 1844, extraite des Trois Mousquetaires, rappelle le passionnant jeu de masques que sont les livres de Dumas et aussi pourquoi ils sont un matériau idéal pour l'adaptation cinématographique, art de l'illusion (et donc du jeu de masques) par excellence. Comme l’est aussi Le Comte de Monte-Cristo que Pathé produira également, un film qui sortira en 2024, réalisé par…Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière. Nous avons en effet appris il y a quelques jours que cet autre héros de Dumas serait incarné par Pierre Niney. Enfin, si vous voulez en savoir plus sur Alexandre Dumas, je vous recommande aussi le film L’autre Dumas de Safy Nebbou, sur le collaborateur de Dumas, l'artisan besogneux face au génie  inspiré qu'était Dumas. Leur face-à-face interroge le mécanisme complexe de la création. Maquet n'atteignit jamais les fulgurances de Dumas mais Dumas ne pouvait écrire sans Maquet. Une tragi-comédie romanesque, voire rocambolesque, à la manière d'un feuilleton de Dumas avec en toile de fond la révolution de 1848 qui apporte ce qu'il faut d'Histoire indissociable de cette du grand écrivain qui s'en est toujours largement inspiré.

    Cette parenthèse refermée, pour conclure, si vous voulez remonter et arrêter le temps en vous plongeant dans l’univers sombre, romanesque et passionnant de Dumas, voir un film ambitieux, populaire (au sens noble) et spectaculaire…je vous recommande vivement de foncer à la rencontre des Trois Mousquetaires, au cinéma le 5 avril.

    Les autres critiques du mois en avant-première* à lire sur Inthemoodforcinema.com : La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé, Mon crime de François Ozon, Sur les chemins noirs de Denis Imbert. Exceptionnellement, la critique des Trois Mousquetaires - D'Artagnan de Martin Bourboulon a été écrite suite à une avant-première en province et non suite à une projection presse comme c’est le cas pour les autres films précités. Retrouvez aussi mon article détaillant les nominations aux César 2023, ici.

  • Concours spécial César 2014 : gagnez des VOD de films nommés ou d'anciens films primés

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    Je vous parle ici souvent d'Univers Ciné qui permet de voir ou revoir des pépites cinématographiques en VOD. UniversCiné est une initiative d'une cinquantaine de producteurs et distributeurs indépendants français de cinéma, née en 2001. L'objectif de cette organisation est d'établir un modèle ouvert, fédérateur et collaboratif d'exploitation de films indépendants en vidéo à la demande (VoD) et l'on moins qu'on puisse dire est que l'offre est alléchante!

    A l'occasion des César 2014 auxquels je consacre une rubrique comme chaque année (cliquez ici pour retrouver mes articles consacrés aux César 2014), je vous propose de remporter 10x2 locations.

    A l'occasion de l'opération spéciale César sur Universciné, dix gagnants remporteront ainsi chacun

    - une location parmi les films nommés cette année

    ET une location parmi les anciens films primés (au passage actuellement à -50% sur UniversCiné) : 
    Le choix est vraiment cornélien. Pour ma part, je vous conseille "Elle s'en va", "Grand Central", "Syngué Sabour", "Monsieur Klein", "La Leçon de piano", "Garde à vue", "Camille Claudel", "Le Pianiste"...
     
    A cette occasion, je vous propose d'ailleurs mes critiques de "Elle s'en va" d'Emmanuelle Bercot et "Monsieur Klein" de Joseph Losey, ci-dessous, les deux que je choisirais si j'en avais également deux à sélectionner.
     
    Concours:
     
    Pour faire partie des gagnants, soyez parmi les dix premiers à me donner les titres des trois films suivants, en envoyant vos réponses à inthemoodforfilmfestivals@gmail.com avec, pour intitulé "Concours VOD César".
     
    1.

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    2.

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    3.

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    Critique de "Monsieur Klein" de Joseph Losey
     
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    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment. Ce fut à nouveau le cas hier soir. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein-là, interprété par Alain Delon,  voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal « Informations juives » adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect... Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître...

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

    Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là,  l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et  ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Raflé du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier...

    Critique de "Elle s'en va" d'Emmanuelle Bercot

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    Un film avec Catherine Deneuve est en soi déjà toujours une belle promesse, une promesse d’autant plus alléchante quand le film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là, l’histoire poignante et  délicate (et délicatement traitée) de l’amour d’un adolescent pour une femme d’âge plus mûr (d’ailleurs interprétée avec beaucoup de justesse par Emmanuelle Bercot). Une histoire intense dont chaque plan témoignait, transpirait de la ferveur amoureuse qui unissait les deux protagonistes. Puis, il y a eu « Backstage », et l’excellent scénario de « Polisse » dont elle était coscénariste.

     

    L’idée du road movie avec Catherine Deneuve m’a tout d’abord fait penser au magistral « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans lequel le dernier regard de Catherine Deneuve à la fois décontenancé et ébloui puis passionné, troublé, troublant est un des plus beaux plans qu’il me soit arrivé de voir au cinéma contenant une multitude de possibles et toute la richesse de jeu de l’actrice.  « Elle s’en va » est un road movie centré certes aussi sur Catherine Deneuve mais très différent et né du désir « viscéral » de la filmer (elle n’est sans doute pas la seule mais nous comprenons rapidement pourquoi l’actrice a accepté ici) comme l’a précisé la réalisatrice avant la projection.

     

    L’actrice incarne ici Bettie (et non Betty comme celle de Chabrol), restauratrice à Concarneau, veuve (je vous laisse découvrir comment…), vivant avec sa mère (Claude Gensac !) qui la traite encore comme une adolescente. L’amant de Bettie vient de  quitter sa femme… pour une autre qu’elle. Sa mère envahissante, son chagrin d’amour, son restaurant au bord de la faillite vont la faire quitter son restaurant, en plein service du midi, pour aller « faire un tour » en voiture, puis pour acheter des cigarettes. Le tour du pâté de maisons se transforme bientôt en échappée belle. Elle va alors partir sur les routes de France, et rencontrer toute une galerie de personnages dans une France qui pourrait être celle des « sous-préfectures » du « Journal de France » de Depardon. Et surtout, son voyage va la mener sur une voie inattendue…et nous aussi tant ce film est une surprise constante.

     

    Après un premier plan sur Catherine Deneuve, au bord de la mer, éblouissante dans la lumière du soleil, et dont on se demande si elle va se « jeter à l’eau » (oui, d’ailleurs, d’une certaine manière), se succèdent  des plans montrant des commerces fermées et des rues vides d’une ville de province, un chien à la fenêtre, une poésie décalée du quotidien aux accents de Depardon. Puis Bettie apparaît dans son restaurant. Elle s’affaire, tourbillonne, la caméra ne la lâche pas…comme sa mère, sans cesse après elle. Bettie va ensuite quitter le restaurant pour ne plus y revenir. Sa mère va la lâcher, la caméra aussi, de temps en temps : Emmanuelle Bercot la filme sous tous les angles et dans tous les sens ( sa nuque, sa chevelure lumineuse, même ses pieds, en plongée, en contre-plongée, de dos, de face, et même à l’envers) mais alterne aussi avec d

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  • ”Le Quai des brumes” de Marcel Carné ,dimanche, au restaurant ciné-club Les Cinoches (Paris, 6ème): analyse du film

    quaidesbrumes2.jpgJe vous ai déjà parlé du nouveau restaurant ciné-club du 6ème, "Les Cinoches" (cliquez ici pour lire mon article qui y était consacré) qui, en parallèle de votre dîner, chaque dimanche soir, propose des séances de ciné-club avec, en première partie, un classique du cinéma plus ancien et, en seconde partie, un film plus récent. La sélection est, jusqu'à présent, éclectique et judicieuse.

    Pour le 14 février, la programmation est donc "spéciale Saint-Valentin" avec, en première partie (à 19H) le sublime "Le Quai des brumes" de Marcel Carné, un film de 1938 qui incarne la poésie désenchantée de Prévert et Carné, célèbre pour la cultissime réplique de Gabin à Morgan, couple mythique, "T'as de beaux yeux tu sais".  Ce film est pourtant bien plus que cette réplique, il en contient d'ailleurs beaucoup d'autres. Je vous en propose l'analyse ci-dessous.

     La seconde partie de soirée sera consacrée à "Love actually" de Richard Curtis (à 21h), comédie romantique par excellence que je vous recommande également.

     Et si voir ces films aux "Cinoches" vous tente, l'adresse: 1 rue de Condé, dans le 6ème donc, et le site officiel: http://www.lescinoches.com .

    A noter les prochaines séances: le 21 février, la soirée sera consacrée à Faye Dunawaye avec, en première partie "L'affaire Thomas Crown" de Norman Jewison et en seconde partie "Arizona dream" d'Emir Kusturica. Le 28 février, la soirée sera consacrée à Jean-Paul Belmondo avec, en première partie, "Le Magnifique" de Philippe de Broca et la seconde partie "Itinéraire d'un enfant gâté" de Claude Lelouch. A quand une soirée Alain Delon?

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                  Le Quai des brumes : un cinéma du désenchantement

    Avant même d’en dépeindre l’atmosphère, le synopsis du Quai des brumes laisse déjà entrevoir le pessimisme qui émane de ce film et qui suffira à certains pour le qualifier de « film manifeste » du réalisme poétique.

    Le sceau de la fatalité

    Un déserteur de la coloniale Jean (Jean Gabin), arrive au Havre en espérant s’y cacher avant de partir à l’étranger. Dans la baraque du vieux Panama (Edouard Delmont)où il trouve refuge grâce à un clochard, il rencontre le peintre fou Michel Krauss(Robert Le Vigan) et une orpheline : Nelly(Michèle Morgan) .Cette dernière vit chez son tuteur Zabel (Michel Simon), qui tente d’abuser d’elle. Au moment où Jean se croit sauvé, un destin tragique va l’emporter, malgré la passion de Nelly et sa nouvelle envie de vivre.

    Le quai des brumes est une adaptation du roman de Pierre Mac Orlan de 1928 qui se déroule à Montmartre en 1900. Les services de propagande de la UFA jugent le sujet du film décadent et font savoir qu’il n’est pas souhaitable de le tourner. Le film devait en effet être tourné en Allemagne dans le cadre des accords de coproduction franco allemande mais les censeurs d’outre Rhin effarouchés par le pessimisme du sujet refusèrent l’autorisation de tourner à Hambourg les scènes qui dans le roman se déroulaient à Montmartre. La ténacité de Gabin permettra néanmoins au projet d’aboutir et c’est d’ailleurs lui qui imposera le scénariste Prévert et le réalisateur Carné. Gabin avait refusé de jouer dans Jenny et avait été intrigué par Drôle de drame. Rabinovitch, le producteur qui reprend le projet, l’accepte sur le nom de Gabin sans même avoir lu le scénario. Il le lira à la veille du tournage et n’aura de cesse de répéter « c’est sale, c’est sale », n’aimant pas le projet, refusant même que son nom apparaisse au générique et insistant pour qu’il y figure lorsque le film connaîtra un triomphe : un triomphe aussi bien en salle où il sera applaudi à l’issue de sa première projection (fait rarissime)-au cinéma Marivaux le 18 mai 1938-, que chez les professionnels pusqu’il reçut le prix Louis Delluc 1939 et le Lion d’or à Venise. A l’exception de l’Humanité et de l’Action Française le film est également encensé par la presse. Mac Orlan lui-même dira aimer cette « version nettement désespérée ». Le projet parvint donc à se monter sans veto de la commission de censure, si ce n’est le Ministère de la guerre qui exigea tout de même que le mot « déserteur » ne soit jamais prononcé et que le héros plie soigneusement ses effets militaires au lieu de les jeter en vrac, au cours d’une scène où il doit les remettre au tenancier du cabaret. Le producteur essaiera d’obtenir d’autres coupures mais grâce à l’obstination de Carné la seule qu’il parvint à obtenir fut celle d’une scène où l’on devait voir Michel Krauss nu et de dos s’avancer dans la mer. Dans la version définitive, son suicide est seulement évoqué mais pas montré.

    Dès les premiers plans, le décor (finalement celui du Havre) est planté, l’atmosphère est caractérisée. Jean est un personnage taciturne, suivi par un chien abandonné tel un miroir de lui-même. L’inéluctabilité du malheur résulte bien sûr du récit mais avant tout des personnages : un peintre fou, un mauvais garçon jaloux et violent, Lucien(interprété par Pierre Brasseur), un tuteur qui convoite sa pupille, un déserteur . Le destin de chacun semble être tracé dès les premières minutes du film et voué à la tragédie et au drame. Le décor et son charme triste créé par la pluie et la brume et les dialogues de Prévert renforcent cette impression. Les dialogues sont ceux de personnage pessimistes, et même davantage : désenchantés. Ainsi pour le peintre : « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses. Quand je peins un nageur, je vois un noyé. », « Oh, le monde il est comme il est, plutôt sinistre, plutôt criminel. », « Je verrais un crime dans une rose ». Les personnages ne croient plus en la vie, ni en l’amour : « Qu’est-ce qu’ils ont tous à parler d’amour, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’aime, moi ? » regrette Michel Simon qui se dit « amoureux comme Roméo avec la tête de barbe bleue. » Si la fatalité de la guerre semble planer comme la tragédie au-dessus des têtes des protagonistes, elle se confond avec le regret de 1936 : « C’est beau d’être libre. Oui, c’est beau, l’indépendance, la liberté. » Le cadre de la fête foraine à la fin du film rappelle également l’euphorie de 1936 et exacerbe encore le désenchantement dont elle est alors le cadre. Le thème de la solitude revient également comme un leitmotiv : « C’est difficile de vivre. », « Oui, on est seuls », « On rencontre des gens qu’on ne reverra peut-être pas et qui nous rendent service. » C’est un univers hanté par la mort comme la réalité est hantée par le spectre de la guerre : la mort se présente sous plusieurs formes. C’est d’abord le suicide avec le peintre, le meurtre avec Zabel, et la mort par la fatalité, dont la rencontre avec Nelly n’a fait que repousser l’échéance, celle du déserteur tué par la police. Nelly semble être la seule à matérialiser une forme de rêve, un ailleurs mais ses propos ne sont pas moins pessimistes : « Mais ce n’est pas le fond de la mer. Le fond de la mer, c’est plus loin, plus profond. »Le couple formé par Jean Gabin et Michèle Morgan dans Le quai des brumes est caractéristique du climat de lourde fatalité de l’avant guerre. Les personnages démissionnent tous face au cataclysme qui les menace comme la guerre menace la France et le monde. Ce pessimisme vaudra au Quai des brumes d’être un des premiers films interdits par le gouvernement français au moment de la déclaration de guerre, celui-ci le qualifiant de « démoralisateur ». 

     Le film emblématique du réalisme poétique

     Même si, chronologiquement, Le quai des brumes n’est pas le premier film à pouvoir s’inscrire sous la dénomination de réalisme poétique, même si c’est déjà le troisième film de Marcel Carné il est bien souvent qualifié de « film manifeste » de ce mouvement et même parfois de film créateur de ce mouvement. Il en a peut-être en revanche poussé les caractéristiques à leur paroxysme. Son atmosphère lugubre, bouleversante, mélancolique, ses personnages voués à un destin tragique, les décors embrumés de Trauner, la poésie de Prévert le classent indéniablement dans cette catégorie. Le réalisme poétique également synonyme de classicisme sera donc bien souvent décrié même si certains le défendirent comme le critique Claude Briac qui écrivit qu’il « n’y a pas au monde dix réalisateurs capables de réaliser un tel film. » Marcel Carné lui-même réfutait d’ailleurs cette dénomination de réalisme poétique à laquelle il préférait celle de « fantastique sociale » imaginée par Mac Orlan. Cela n’empêchera pas certains critiques d’encenser le film justement parfois grâce à ses caractéristiques propres à cette dénomination. Ainsi dans L’avant-garde du 28 Mai 1938 on pouvait lire : « en dépit de cette atmosphère de misère morale, physique et physiologique, peut-être même à cause de cette atmosphère, trouble, floue, brumeuse, le Quai des brumes est un chef d’œuvre. » 

     Des personnages victimes de la fatalité et une société qui court à sa perte

    Cette inéluctabilité du malheur s’incarne essentiellement dans un acteur, Jean Gabin, et dans un mouvement cinématographique, le réalisme poétique.

    Jean Gabin ou le mythe du héros tragique contemporain

    Dès la Bandera, l’image de Gabin était marquée du sceau de la fatalité et l’enchaînement inéluctable de ses infortunes procèderait, dans ses films à venir, d’un crime commis par désespoir d’amour : la Belle équipe qui se solde par le meurtre de Charles Vanel, Pépé le Moko dont le héros meurt sur le port d’Alger après avoir voulu rejoindre celle qu’il aimait etc. L’image du garçon malchanceux poursuivi par la fatalité sociale et victime du trop grand prix qu’il accorde à l’amour des femmes, sera celle de Gabin jusqu’au Jour se lève. Tous ses personnages sont voués à la mort comme la France est vouée à la guerre : que ce soit le sableur du Jour se lève, le déserteur du Quai des brumes ou le cheminot fou de La bête humaine ou encore le pittoresque Pépé de Pépé le Moko. C’est néanmoins toujours un personnage doté de moral et s’il tue, il n’est pas pour autant un assassin. C’est bien souvent la folie ou la fatalité qui le poussent au crime. Zola définit ainsi Lantier comme « un homme poussé à des actes où sa volonté n’était pour rien », une définition qui pourrait s’appliquer à chacun des personnages incarnés par Gabin. Dans tous ces films Gabin incarne un séducteur, la plupart du temps malgré lui, qui ne croit plus en rien mais dont l’amour s’empare et que la fatalité pousse à une fin tragique. Tout en continuant à incarner le Front Populaire, Gabin incarne donc ces destins tragiques comme s’il incarnait, au-delà de personnages fictifs, le destin d’un Etat. D’après la définition communément admise le mythe est une croyance, largement représentée dans l’imagination collective, en une fable porteuse de vérité symbolique et répondant aux inspirations souvent inconscientes de ceux qui la partagent .Le mythe transmet, justifie, renforce et codifie les croyances, valeurs et coutumes sociales. Il permet la projection des fantasmes et des problèmes d’une société lorsque celle-ci ne peut les satisfaire ou les résoudre. Elle apporte à l’homme moderne la certitude et la cohésion dont il a besoin , l’aide à se définir et lui fournit des modèles d’authentification .Les films ,comme les autres œuvres humaines , véhiculent des mythes , archétypes ,symboles , et stéréotypes qui expriment la mentalité collective de leur époque… Le mythe de Jean Gabin représente donc une mentalité pessimiste et les films dans lesquels il évolue : l’angoisse collective de la guerre. Au-delà de son immense talent le succès de Gabin s’explique donc aussi par les attentes, les craintes plus ou moins conscientes de la population, qu’il incarne. Les angoisses de ses personnages coïncident avec celles de la population, voyant en Gabin le « héros tragique par excellence du cinéma français d’avant-guerre », un héros dont les craintes résonnent avec une étonnante humanité et vérité dans ce contexte où l’héroïsme sera parfois le fruit des circonstances. Gabin c’est aussi l’incarnation du peuple ouvrier représenté pour la première fois à l’écran st ainsi selon Jean-Michel Frodon « Avec la double mort de Gabin-Lantier(La bête humaine) et de Gabin-François(Le jour se lève), le peuple ouvrier français quitte pour toujours les écrans. Le Gabin d’avant-guerre incarne donc une défaite, celle de l’idéologie et de l’époque du Front Populaire, qui voyait dans la classe ouvrière l’avenir du monde. » Pour d’autres comme Weber, .., ce « mythe emblématique et récurrent de l’ouvrier », « voué à l’échec » et « écrasé par la fatalité » reste l’image que se font les producteurs et les cinéastes de l’époque du prolétariat et qui selon lui représentent un « bel exemple d’idéologie dominante. » 

     Le mythe du réalisme poétique : reflet d’une angoisse collective.

    Le succès du Quai des brumes agit comme un révélateur. Les principaux succès de l’époque sont des comédies, des films d’espionnage ou d’aventures exotiques qui contrastent avec la noirceur absolue du film de Carné comme si les spectateurs se sentaient inconsciemment attirés par ce film comme par un miroir, celui de ses angoisses. Comme l’affirmait Ferro le cinéma « offre un outil d’investigation irremplaçable pour dévoiler le réel et révéler les non dits d’une société (…)de découvrir le latent derrière l ‘apparent, d’atteindre des zones inaccessibles par l’écrit » et de montrer comme l’a écrit Maurice Merleau Ponty la « pensée dans les gestes, la personne dans la conduite, l’âme dans le corps ». Le réel n’est donc pas celui que donne à voir les comédies mais celui qui semble si surréaliste par son pessimisme et qui sera pourtant bientôt la tragique réalité. La France court à sa perte, ne croit plus en son avenir comme Jean dans Le Quai des brumes, le poète Michel Krauss et les autres. Ce qui est encore invisible est pressenti par les réalisateurs. C’est avant tout en cela que le réalisme poétique peut être qualifié de mythe : les préoccupations des spectateurs s’incarnent dans ces films.

    D'autres critiques de classiques du 7ème art liées à celle-ci:

    "Le Jour se lève" de Marcel Carné et "Drôle de drame" de Marcel Carné

    Une autre suggestion pour la Saint-Valentin: "Sur la route de Madison" de Clint Eastwood

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