Festival du film de Paris île-de-France : un festival en quête d’identité
Ce soir s’achève le festival de Paris île de France, première édition…en réalité la continuité du festival du film de Paris qui peine à trouver son identité depuis que la mairie de Paris s’en est désengagée et depuis la création du festival Paris cinéma qui se déroule au mois de juillet. Après avoir eu les honneurs de l’espace Cardin pendant plusieurs années et la totalité du Gaumont Marignan, le festival doit désormais se cantonner à deux salles de ce même cinéma, cadre plutôt restreint pour un festival qui doit donc en plus cohabiter avec les blockbusters à l’affiche, dont la programmation n’en est néanmoins pas moins foisonnante. Trop ? Entre la compétition officielle, le prix du cercle de la presse, le prix du public, le festival de la francophonie, le cinéma d’aujourd’hui, l’hommage au festival des antipodes, les documentaires, l’hommage au cinéma québecois, le cinéma témoin sur l’immigration et l’intégration en France… le programme est en tout cas très diversifié.
Le festival propose par ailleurs chaque année des rencontres avec des acteurs, cinéastes, producteurs… avec notamment cette année Francis Huster, Patrice Leconte, Mireille Darc, Bernard-Henri Lévy, Jean-Louis Livi, Pierre Schoenderffer.
Francis Huster est ainsi venu présenter « Classe de comédie », un documentaire de Raoul Girard qui immortalise la rencontre de l’acteur avec des étudiants de la classe d’été du cours Florent auxquels il transmet avec passion son expérience et sa conception du métier de comédien avec notamment un cours très enrichissant sur les regards. Il martèle par ailleurs sa conception du jeu ou plutôt du non jeu puisque pour lui elle consiste à « ne pas jouer », ce qui donna lieu à un débat plutôt animé avec François Florent également présent. Patrice Leconte d’une disponibilité exemplaire pour le public venu l’écouter, avait quant à lui amené dans ses bagages « La fille sur le pont » et « Dogora », deux chefs d’œuvre qui montrent l’éclectisme du cinéaste… « La fille sur le pont » fait partie de ces films que vous pouvez revoir pour la énième fois ( ce qui est mon cas) et continuer à le trouver jubilatoire grâce à un scénario et des dialogues ciselés et non moins caustiques, une interprétation remarquable de Vanessa Paradis et Daniel Auteuil, une musique envoûtante, une réalisation impeccable à laquelle le noir et blanc procure un parfum délicieusement suranné, une atmosphère onirique et romantique, voire sensuelle, qui ne tombe jamais dans la mièvrerie, une inspiration multiple parfois fellinienne, parfois chaplinesque, des personnages singuliers et attachants... « Dogora » propose un pari ambitieux, celui d’un film musical sans acteur ni dialogue, tourné au Cambodge, et dont le scénario est composé d’une suite symphonique du compositeur, intitulée Dogora… Le pari est réussi, chaque plan étant empreint d’émotion corroborée par une musique emphatique. Plutôt que de filmer pour la énième fois le temple d’Angkor, Leconte s’est attaché à scruter les visages, à capter la mélancolie des regards, les couleurs chatoyantes de ce pays qui le fascine. Ce n’est plus la fiction mais la seule émotion qui guide le spectateur happé par ces regards et la beauté picturale de cette symphonie visuelle. Gageons sans grand risque que l’échec (malheureux) cuisant de ce film sera à la mesure du succès annoncé des « Bronzés » dont le cinéaste commence le tournage le mois prochain, témoignant ainsi encore de l’éclectisme de son travail. Bernard-Herni Lévy était quant à lui venu présenter « Le jour et la nuit » qui avait connu lors de sa sortie un échec retentissant auprès du public mais aussi (car aussi et avant tout) de la critique qui s’était littéralement acharnée. Certes, « le jour et la nuit » est loin d’être un chef d’œuvre mais méritait-il un tel acharnement médiatique, « Les cahiers du cinéma » l’ayant même qualifié de « plus mauvais film depuis 1945 » ? Les raisons de cet acharnement n’étaient-elles pas davantage dues à la personnalité du cinéaste qu’à son film ? Un critique présent au festival lors de la rencontre avec BHL apporta d’ailleurs une amorce de réponse déclarant au cinéaste avoir réalisé une critique négative de son film lors de sa sortie et revoyant le film le trouvant « plutôt pas mal » et (un comble) demandant à BHL s’il connaissait les raisons de cet acharnement, lequel lui a évidemment retourné la question, non sans une pointe de consternation et d’ironie. Quel plus bel exemple d’une critique grégaire et versatile ? Pour sa défense, et pour ne pas faire écho au lynchage généralisé, le film comporte quelques plans intéressants, la mythique présence du « Samouraï » Alain Delon et de Lauren Bacall. Certes cela n’enlève rien à l’aspect trop didactique d’un film qui selon son réalisateur n’avait néanmoins pour autre ambition que de faire une « œuvre lyrique, nostalgique et romantique ». BHL a également évoqué sa volonté de réaliser d’autres fictions, trouvant les potentialités de « l’alphabet filmique » beaucoup plus riches que celles du cinéma…
Outre ces rencontres, le festival c’est aussi et avant tout une compétition officielle qui à l’image de l’organisation du festival était parfois inégale et hasardeuse même si la règle veut que ce ne soit que des premiers ou deuxièmes films. Parmi les bonnes surprises figure d’abord « Souli » d’Alexandre Abela qui nous emmène avec Carlos, étudiant espagnol, en Afrique, dans un village de pêcheurs isolé, à la recherche de Souli, auteur africain qui détient un conte ancestral que le jeune espagnol espère transcrire. En s’immisçant dans la vie de la communauté, Carlos va provoquer l’explosion de son fragile équilibre social et de sa délicate harmonie. Ce film, dont le tournage a laissé une large place à l’improvisation, et qui est une adaptation très libre d’ « Othello », métaphorise brillamment les rapports ambivalents et passionnels entre l’Orient et l’Occident. Malgré un budget et une équipe réduite, grâce à une photographie sublime le résultat est parfaitement réussi. On peut s’interroger sur la cohabitation d’un film tel que celui-là et des très classiques « Quand les anges s’en mêlent » de Crystel Amsalem et « Saint-Ralph » de Michael Mc Gowan, ce dernier ayant même fait l’ouverture du festival de Toronto et ayant déjà une sortie prévue aux Etats- Unis. A côté de cela, la compétition officielle nous proposait également un film du dogme « In your hands » d’Annette K. Olesen, un film qui comme ses personnages oscille entre confiance et méfiance, savoir sur la foi et douleur sur l’amour. Pour reprendre l’expression de Francis Huster à propos de ses cours de comédie, les comédiens donnent ici l’impression de « ne pas jouer ». De plus, les règles inhérentes au dogme procurent à cette histoire des accents de véracité entraînant le spectateur alors en empathie pour ces personnages qui évoluent dans cette prison de femmes.
Tout aussi inégale était la sélection du prix du cercle de la presse qui proposait notamment « Doo Wop » de David Lanzmann, road movie parisien racontant les errances de Ziggy, producteur de musique, rêveur et ambitieux. Ce « road movie » très attachant et désenchanté est aussi celui des illusions perdues sur fond de musique funk. De musique il était encore question dans « ma vie en cinemascope »…dans un genre beaucoup plus académique puisque le film inspiré d’une histoire vraie nous raconte le parcours et la maladie de la chanteuse Alys Robi.
Quant au prix du public il tente bien souvent de redonner un second souffle (ou un dernier) à des films grand public passés inaperçus lors de leur sortie, films français produits en 2004…
Des films plus engagés étaient également au programme avec notamment, concourant pour le prix de la francophonie, « Les suspects » de Kamal Dehane, une histoire d’amour en Algérie sur fond de corruption, misogynie, suspicion et montée de l’intégrisme. A l’issue de la projection, le film donna ainsi lieu à un passionnant débat sur la situation actuelle du pays avec son réalisateur et son interprète principale.
Tout aussi engagés étaient les passionnants et instructifs documentaires de la section « cinéma témoin : immigration et intégration en France » avec notamment « le plafond de verre » de Yamina Benguigui ou encore « la faute à Voltaire » d’Abdellatif Kechiche, réalisateur multicésarisé pour « l’Esquive » dont les jeunes interprètes Osman Elkharraz et Sabrina Ouazani figuraient parmi les nouveaux talents conviés à une rencontre avec le public. Dommage que ces rencontres se soient déroulées dans un lieu de passage incessant dont le brouhaha rendait les questions inaudibles, donnant l’impression de rencontres improvisées…
C’est donc avec nostalgie que j’ai quitté ce festival me souvenant de cette année 1998 où j’étais membre d’un jury pour la première fois, le jury jeunes du festival de Paris, y éprouvant plus que jamais cette délicieuse confusion entre fiction et réalité … Je ne savais pas alors que c’était le premier chapitre d’une histoire passionnante, celle de ma vie de festivalière, de jurée… Cette année là Sean Penn présidait le jury, rencontre inoubliable, rencontre surréaliste… En 2005, une municipalité et quelques années plus tard, le festival comptait comme membre du jury Jacques Séguéla…autre temps, autres mœurs… et cynisme involontaire de prendre un publicitaire pour un festival qui aspire à faire découvrir des « films plus fragiles » et qui se veut engagé dans « la découverte des œuvres nouvelles et des choix artistique rigoureux ».
Espérons que cette première édition ne sera pas la dernière et que ces balbutiements préfigurent une renaissance et que le festival reviendra à sa formule initiale se souvenant que diversité et richesse ne signifient pas forcément dispersion (de thèmes, de lieux, de motivation), certaines séances en région parisienne ayant ainsi totalisé...un spectateur.
Comment un festival qui se déroule sur la plus belle avenue du monde, dans la ville du septième art et des cinéphiles pourrait-ils être condamné à des salles au public (très) clairsemé comme ce fut malheureusement le cas cette année ?
Autre ambiance, autre effervescence… Dans un peu plus d’un mois le festival de Cannes déroulera son tapis rouge sur les mythiques marches que je ne manquerai pas de fouler pour vous en faire un récit détaillé… Alors, en attendant de retrouver le récit de mon immersion dans la folie cannoise (sur ce blog ou sur mon site dont le projet n’est pas abandonné, simplement retardé pour le rendre le plus attractif possible) retrouvez l’actualité cinématographique sur ce blog…
Sandra.M
(photo: Francis Huster et Raoul Girard lors de la rencontre avec le public à l'issue de la projection du documentaire "classe de comédie" de Raoul Girard. photo: Sandra.M)
Commentaires
On peut d'autant plus s'interroger sur la viabilité du festival losqu'on sait que la presse a refusé d'attribuer son prix. A suivre... En attendant retrouvez le palmarès 2005 sur le site officiel:
http://www.festivaldeparisidf.com/
Sandra.M