« Backstage » d'Emmanuelle Bercot : la radiographie d’une vertigineuse dépendance
Bien souvent, pour moi, un souvenir cinématographique est associé à un souvenir de (ma) réalité lors de mes multiples pérégrinations festivalières, d’autant plus avec Emmanuelle Bercot puisque son film Clément avait reçu le prix de la jeunesse 2001, l’année où j’allais pour la première fois au festival de Cannes sélectionnée parmi les 40 à Cannes de ce même prix de la jeunesse organisé par le Ministère de la jeunesse et des sports. Alors évidemment, je risque d’être soupçonnée de partialité en disant que ce film m’avait littéralement bouleversée, qu’il m’avait énormément marquée, notamment pour le traitement de cette histoire poignante ô combien délicate de l’amour d’un adolescent pour une femme d’âge plus mur. Une histoire intense dont chaque plan témoignait, transpirait de ferveur amoureuse. Une histoire de passion irrationnelle déjà. Je ne pouvais qu’être impatiente de découvrir Backstage, une autre histoire de passion irrationnelle, celle d’une jeune fan Lucie (Isild Le Besco) pour la chanteuse Lauren (Emmanuelle Seigner), deux univers si différents pourtant qui se rencontrent, se confrontent, lors d’une émission télévisée, où la seconde rend une visite surprise à la première. Rencontre suffocante. Emmanuelle Bercot la filme au plus près des corps, du visage tétanisé de Lucie, de la réaction glaciale de Lauren. Tout est dit déjà : Lucie qui recule saisie d’une terrifiante fascination devant cette apparition blanche, faussement virginale, Lauren qui l’enserre dans ses bras, à la fois gênée et jouant de la fascination qu’elle exerce, et puis ces caméras éblouissantes, impudiques, inévitables, miroir déformant et amplifiant. Emmanuelle Bercot assimile ici ce fanatisme fantasmagorique à une drogue, un besoin irrationnel, irraisonné, un besoin viscéral, physique même. La dépendance est d’ailleurs multiple puisque Lauren était elle-même dépendante de son ancien compagnon (interprété par l’auteur Samuel Benchetrit dont c’est ici le premier rôle au cinéma), et la fascination qu’elle exerce sur sa jeune fan n’est pas dénuée de perversité vengeresse dont elle se retrouvera bientôt victime. Encore une fois Emmanuelle Bercot montre à quel point elle sait filmer les moindres frémissements de la passion aussi irrationnelle soit-elle, en revanche l’univers musical n’échappe pas à la caricature, peut-être à dessein pour davantage analyser la relation entre la fan (aveuglée par son admiration) et l’idole (insupportable et –car- égarée par cette séparation avec son compagnon qui la vide de sa force créatrice). Dans le rôle de la fan, Isild Le Besco est encore une fois excellente dans cet aveuglement fanatique, ce vertige qui fait basculer son existence et sa raison. Dommage que la fin laisse un goût d’inachevé, probablement à l’image de la folie idolâtre de la jeune fan que rien ne pourra entraver et qui jamais ne s’achèvera non plus.A noter la présence de l’actrice/réalisatrice Noémie Lovsky, encore une fois impeccable cette fois dans un rôle d’assistante de la star intraitable.