"Into the wild" de Sean Penn: une quête de vérité bouleversante
Quel voyage saisissant ! Quelle expérience envoûtante ! A la fois éprouvante et sublime. Je devrais commencer par le début avant d’en venir à mes impressions mais elles étaient tellement fortes que parmi toutes ces sensations puissantes et désordonnées suscitées par ce film, c’était ce qui prévalait, cette impression pas seulement d’avoir vu un film mais d’avoir effectué un voyage, un voyage en moi-même, et d’avoir vécu une véritable expérience sensorielle. Depuis que j’ai vu ce film, hier, il me semble penser à l’envers, du moins autrement, revenir moi aussi (plutôt, moi seulement, certains n’en reviennent pas) d’un voyage initiatique bouleversant.
Mais revenons au début, au jeune Christopher McCandless, 22 ans, qui reçoit son diplôme et avec lui le passeport pour Harvard, pour une vie tracée, matérialiste, étouffante. Il décide alors de tout quitter : sa famille, sans lui laisser un seul mot d'explication, son argent, qu’il brûle, sa voiture, pour parcourir et ressentir la nature à pied, et même son nom pour se créer une autre identité. Et surtout sa vie d’avant. Une autre vie. Il va traverser les Etats-Unis, parcourir les champs de blé du Dakota, braver les flots agités du Colorado, croiser les communautés hippies de Californie, affronter le tumulte de sa conscience pour atteindre son but ultime : l’Alaska, se retrouver « into the wild » au milieu de ses vastes étendues grisantes, seul, en communion avec la nature.
Dès les premières secondes la forme, qui attire d’abord notre attention, épouse intelligemment le fond. Des phrases défilent sur l’écran sur des paysages vertigineux, parce que ce sont les deux choses qui guident Christopher : l’envie de contempler la nature, de se retrouver, en harmonie avec elle et la littérature qui a d’ailleurs en partie suscité cette envie, cette vision du monde. Jack London. Léon Tolstoï. Et en entendant ces noms, je commence à me retrouver en territoires connues, déjà troublée par ce héros si différent et si semblable. Influencé par Henry David Thoreau aussi, connu pour ses réflexions sur une vie loin de la technologie…et pour la désobéissance civile.
Puis avec une habileté déconcertante et fascinante Sean Penn mélange les temporalités ( instants de son enfance, sa vie en Alaska, seul dans un bus au milieu de paysages sidérants de beauté) et les rencontres marquantes de son périple, les points de vue (le sien, celui de sa sœur), les fonctions de la voix off (lecture, citations, impressions)brouillant nos repères pour en créer d’autres, trouver les siens, transgressant les codes habituels de la narration filmique, s’adressant même parfois à la caméra, à nous, nous prenant à témoin, nous interpellant, nous mettant face à notre propre quête. De bonheur. De liberté. Et surtout : de vérité.
Au travers de ces différentes étapes, nous le découvrons, ainsi que ce qui l’a conduit à effectuer ce périple au bout de lui-même en même temps que lui chemine vers la réconciliation avec lui-même, avec son passé, avec son avenir. En phase avec l’instant, l’essentiel, le nécessaire. Un instant éphémère et éternel. Carpe diem. Au péril de sa vie, au péril de ceux qui l’aiment. Mais c’est sa vérité. Paradoxale : égoïste et humaniste.
Comme son protagoniste, la réalisation de Sean Penn est constamment au bord du précipice, à se faire peur, à nous faire peur mais jamais il ne tombe dans les écueils qu’il effleure parfois : celui d’un idéalisme aveugle et d’un manichéisme opposant la nature innocente et noble à la société pervertie. Non : la nature est parfois violente, meurtrière aussi, et sa liberté peut devenir étouffante, sa beauté peut devenir périlleuse. Et la mort d’un élan la plus grande tragédie d’une vie. De sa vie. La fin d’un élan, de liberté.
« Into the wild » fait partie de ces rares films qui vous décontenancent et vous déconcertent d’abord, puis vous intriguent et vous ensorcellent ensuite progressivement, pour vous emmener vous aussi bien au-delà de l’écran, dans des contrées inconnues, des territoires inexplorées ou volontairement occultées, même en vous-même. Avec le protagoniste, nous éprouvons cette sensation de liberté absolue, enivrante. Ce désir de simplicité et d’essentiel, cette quête d’un idéal. D’un chemin particulier et singulier ( C’est une histoire vraie, Christopher McCandless a réellement existé, son histoire a inspiré « Voyage au bout de la solitude » du journaliste américain Jon Krakauer) Sean Penn écrit une histoire aux échos universels . Un chemin au bout de la passion, au bout de soi, pour se (re)trouver. Pour effacer les blessures de l’enfance. Et pour en retrouver la naïveté et l’innocence.
2H27 pour vivre une renaissance. Enfance. Adolescence. Famille. Sagesse. Au fil de ses rencontres, magiques, vraies, il se reconstitue une famille. Chaque rencontre incarne un membre de sa famille, l’autre, celle du cœur : sa mère, son père, sa sœur. Sur chaque personnage Sean Penn porte un regard empli d’empathie, jamais condescendant à l’image de cette nature. A fleur de peau. Sauvage. Blessée. Ecorchée vive.
La photographie du célèbre et talentueux Eric Gautier révèle la beauté et la somptuosité mélancolique de la nature comme elle révèle Christopher à lui-même, confrontant l’intime au grandiose. La bande originale poignante composée par Eddie Vedder du groupe « Pearl Jam » contribue à cette atmosphère sauvage et envoûtante, il a d’ailleurs obtenu le Golden Globe 2008 de la meilleure chanson. Et puis évidemment Emile Hirsch d’une ressemblance troublante avec Leonardo Di Caprio (Sean Penn avait d’ailleurs pensé à lui pour le rôle), par son jeu précis et réaliste, par sa capacité à incarner ce personnage à tel point qu’il semble vraiment exister, vibrer, vivre, mourir et renaître, sous nos yeux, est indissociable de la réussite de ce film.
Avec ce quatrième long-métrage (après « The Indian Runner », « Crossing guard », « The pledge ») Sean Penn signe (il a aussi écrit le scénario) un film magistralement écrit, mis en scène (avec beaucoup de sensibilité, d’originalité et de sens) et mis en lumière, magistralement interprété, un road movie animé d’un souffle lyrique, un road movie tragique et lumineux, atypique et universel.
Vous ne ressortirez ni indifférents, ni indemnes. Ce film va à l’essentiel, il vous bouscule et vous ensorcelle, il vous embarque bien au-delà de l’écran, dans sa quête d’absolu, de liberté, de bonheur. Un voyage aux confins du monde, de la nature, un voyage aux confins de l'être, de vous-même… Un film d’auteur. Un très grand film. D'un très grand auteur. Qui se termine sur des battements de cœur. Celui du héros qui renait. Au cœur de la vérité.
Voilà qui est de très bon augure pour ce 61ème Festival de Cannes dont Sean Penn présidera le jury. De belles surprises en perspective…
Sandra.M
Commentaires
Une belle chronique bien vraie
l'année ne fait que commencer, mais avec Into the wild, elle est déjà très bien partie!
@Herwann: :-)
@ Camille la it girl: Ce film fait aussi un très bon démarrage en salles, surtout qu'en raison de sa longueur son nombre de projections quotidiennes est limité.
Sandra M , ce message vous est adressé.
J'ai vu ,en salle,Into the wild, deux fois.
Il passe en boucle dans ma conscience.
Je me sents plus grâve et plus puissant après avoir vu ce film.
L' envie de pleurer à chaque image. Sean Penn m'a retourné. Il n'y a pas une pensée, un geste, ou un détail qui ne me soit étrangé, ce film m'a plongé dans le coeur, il y vit au chaud et m'accompagnera toute ma vie. Je me sents moins seul avec mes tumultes. J'ai toujours entendu dire que la vie était une suite de rencontres. Cette fois ci, elle aura été déterminante.
Il y a une telle contemporanité dans son film que je recontinue de penser qu'avec de grands réalisateurs le cinéma peut également contribuer à faire évoluer les consciences.
C'est un film de lutte, Christopher n'a eu de cesse de lutter, cela n'a pas fait de lui un aigri, il avait l'air toujours animer par une flamme de beauté.
Merci Sandra de promouvoir ce combat contre la bêtise, à chaque fois que je suis sorti de la projection, j'ai entendu une jeune fille s'éclamer " : Qu'est ce que c'était niais ! " Elle devaient probablement toutes les deux sortir des soldes d'H&M.
C'est vrai que ce film est une rencontre, un voyage, qu'on ne peut en ressortir indemne à moins d'être totalement insensible. Rarement un film m'a autant chamboulée, donc je vous comprends. Eh oui, le cinéma a encore des pouvoir insoupçonnés. Par contre, je ne vois pas tellement ça comme un film de lutte, il suit plutôt sa liberté et ses désirs qu'il ne lutte vraiment (ou alors il lutte physiquement et non moralement). Merci de votre commentaire...Bon allez, je file. Chez Het M?:-)
Sandra,
" Happiness is real when shared ! " écrit dans la douleur extrême de l'agonie pré-mortelle de Christopher.
Traduction de Guaranteed d'Eddie Vedder. Dernière chanson sur la BO du film. Si tu doutes de la lutte qui anime Sean Penn...
"Garanti
A genoux on ne peux être libre
Levant une tasse vide je demande en silence
Que mes prochaines destinations m'acceptent comme je suis
Que je puisse respirer
Des cercles s'etendent et engloutissent tout le monde
La moitié de leur vie ils souhaitent bonne nuit à des épouses qu'ils ne connaitront jamais vraiment
J'ai la tête pleine de questions et un professeur dans mon âme
Et c'est ainsi
Ne te rapproche pas trop ou je vais devoir y aller
Certains endroits m'attirent comme la gravité
Si jamais quelqu'un pouvait me garder à la maison
Ca serait toi
Chaque personne dont je me rapproche dans les cages qu'ils s'achetent
Ils pensent à moi et mon errance mais je ne suis jamais celui qu'ils pensent
Je suis indigné mais chacune de mes pensée est pure
Je suis vivant
Le vent dans les cheveux je me sents appartenir à chaque chose.
Par delà mon existence est une route qui disparait
Tard la nuit j'entend les arbres ils chantent avec la mort
Au dessus de nos têtes
Considere moi comme un satellite continuellement en orbite
Je connaissais toutes les régles mais elles ne me connaissaient pas
Garanti"
Si cela t'intéresse tu peux également traduire les paroles de Society. Tu comprendras qu'il s'agit d'une oeuvre beaucoup moins légère qu'elle ne te semble. Sean Penn est un Monsieur dans la boite à rêves d'Hollywood. Son denier film ne doit surement pas être une quête qui touche les Africains, en revanche pour les occidentaux ou les individualistes ,il est une bouffée d'oxygene, un courage dont nous aimerions tous être capable un jour. J'aimerai te lire sur cette question de la lutte, parceque je crois que l'engagement politique de Sean Penn dans ce film est très puissant, j'aimerai savoir si tu y vois la même chose que moi.
Personne ne nait seul au milieu de l'Alaska, si l'on y va vivre, c'est à mon sens sur le chemin de la recherche de son attitude face à l'idée de liberté ( un des symboles de la démocratie ). Quant aux désirs, il s'agit d'une question de pouvoir ( pouvoir faire ou satisfaire, pouvoir réaliser ses désirs, ses besoins, ses envies) c'est une question qui reste politique pour moi.
Bien à toi Sandra. Que ta journée soit agréable.Je suis ravi que mon commentaire t'ai fait réagir. C'est la première fois que je laissais un commentaire sur internet.
Jean-Phy
Bonjour,
"Into the Wild" est un film magnifique très riche de sens et aux paysages somptueux.
Un film intelligent et brillant d'un Sean Penn qui démontre toute sa sensibilité et sa révérence face au parcours de cet être hors du commun.
J'avais peur que le film ait un côté "ma société elle a que des problèmes, ma société elle a mauvaise haleine", mais il n'en est rien et c'est une très bonne chose. J'ai vraiment été transporté par l'absurde destin de ce personnage incarné à merveille par Emile Hirsch...
Amicalement,
Shin.
J'ai visionné le film il y a 2 soirs, qu'une envie le revoir à nouveau ....
on en sort pas indemne !
paysage et musique sublimes ...