« La piscine » de Jacques Deray : une plongée dans une eau savoureusement trouble et incandescente
Ce film date de 1968, c’est déjà tout un programme. Il réunit Maurice Ronet, Alain Delon, Romy Schneider, Jane Birkin dans un huis-clos sensuel et palpitant, ce quatuor est déjà une belle promesse.
Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon) passent en effet des vacances en amoureux dans la magnifique villa qui leur a été prêtée sur les hauteurs de Saint-Tropez. L’harmonie est rompue lorsqu’arrive Harry (Maurice Ronet), ami de Jean-Paul et de Marianne chez lequel ils se sont d’ailleurs rencontrés, cette dernière entretenant le trouble sur la nature de ses relations passées avec Harry. Il arrive accompagné de sa fille de 18 ans, la gracile et nonchalante Pénélope (Jane Birkin).
« La piscine » fait partie de ces films que l’on peut revoir un nombre incalculable de fois (du moins que je peux revoir un nombre incalculable de fois) avec le même plaisir pour de nombreuses raisons mais surtout pour son caractère intelligemment elliptique et son exceptionnelle distribution et direction d’acteurs.
Dès les premières secondes la sensualité trouble et la beauté magnétique qui émane du couple formé par Romy Schneider et Alain Delon, la langueur que chaque plan exhale plonge le spectateur dans une atmosphère particulière, captivante. La tension monte avec l’arrivée d’Harry et de sa fille, menaces insidieuses dans le ciel imperturbablement bleu de Saint-Tropez. Le malaise est palpable entre Jean-Paul et Harry qui rabaisse sans cesse le premier, par une parole cinglante ou un geste méprisant, s’impose comme si tout et tout le monde lui appartenait, comme si rien ni personne ne lui résistait.
Pour tromper le langoureux ennui de l’été, un jeu périlleusement jubilatoire de désirs et de jalousies va alors commencer, entretenu par chacun des personnages, au péril du fragile équilibre de cet été en apparence si parfait et de leur propre fragile équilibre, surtout celui de Jean-Paul, interprété par Alain Delon qui, comme rarement, incarne un personnage vulnérable à la sensualité non moins troublante. L’ambiguïté est distillée par touches subtiles : un regard fuyant ou trop insistant, une posture enjôleuse, une main effleurée, une allusion assassine. Tout semble pouvoir basculer dans le drame d’un instant à l’autre. La menace plane. L’atmosphère devient de plus en plus suffocante.
Dès le début tout tourne autour de la piscine : cette eau bleutée trompeusement limpide et cristalline autour de laquelle ils s’effleurent, se défient, s’ignorent, s’esquivent, se séduisent autour de laquelle la caméra virevolte, enserre, comme une menace constante, inéluctable, attirante et périlleuse comme les relations qui unissent ces 4 personnages. Harry alimente constamment la jalousie et la susceptibilité de Jean-Paul par son arrogance, par des allusions à sa relation passée avec Marianne que cette dernière a pourtant toujours niée devant Jean-Paul. Penelope va alors devenir l’instrument innocent de ce désir vengeur et ambigu puisqu’on ne sait jamais vraiment si Jean-Paul la désire réellement, s’il désire atteindre Harry par son biais, s’il désire attiser la jalousie de Marianne, probablement un peu tout à la fois, et probablement aussi se raccrochent-ils l’un à l’autre, victimes de l’arrogance, la misanthropie masquée et de la désinvolture de Harry. C’est d’ailleurs là que réside tout l’intérêt du film : tout insinuer et ne jamais rien proclamer, démontrer. Un dialogue en apparence anodin autour de la cuisine asiatique et de la cuisson du riz alors que Jean-Paul et Penelope reviennent d’un bain nocturne ne laissant guère planer de doutes sur la nature de ce bain, Penelope (dé)vêtue de la veste de Jean-Paul dans laquelle elle l’admirait de dos, enlacer Marianne, quelques jours auparavant, est particulièrement symptomatique de cet aspect du film, cette façon d’insinuer, cette sensualité trouble et troublante, ce jeu qui les dépasse. Cette scène entremêle savoureusement désirs et haines latents. Les regards de chacun : respectivement frondeurs, évasifs, provocants, dignes, déroutés… font que l’attention du spectateur est suspendue à chaque geste, chaque ton, chaque froncement de sourcil, accroissant l’impression de malaise et de fatalité inévitable.
Aucun des 4 personnages n’est délaissé, la richesse de leurs psychologies, de la direction d’acteurs font que chacune de leurs notes est indispensable à la partition. La musique discrète et subtile de Michel Legrand renforce encore cette atmosphère trouble. Chacun des 4 acteurs est parfait dans son rôle : Delon dans celui de l’amoureux jaloux, fragile, hanté par de vieux démons, d’une sensualité à fleur de peau, mal dans sa peau même, Romy Schneider dans celui de la femme sublime séductrice dévouée, forte, provocante et maternelle, Jane Birkin dont c’est le premier film français dans celui de la fausse ingénue et Maurice Ronet dans celui de l’ « ami » séduisant et détestable, transpirant de suffisance et d’arrogance…et la piscine, incandescente à souhait, véritable « acteur ». Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas lever le voile sur les mystères qui entourent ce film et son dénouement.
Deray retrouvera ensuite Delon à 8 reprises notamment dans « Borsalino », « Flic story », « Trois hommes à abattre »… mais « La piscine » reste un film à part dans la carrière du réalisateur qui mettra en scène surtout un cinéma de genre.
Neuf ans après « Plein soleil » de René Clément (que je vous recommande également), la piscine réunit donc de nouveau Ronet et Delon, les similitudes entres les personnages de ces deux films sont d’ailleurs nombreuses et le duel fonctionne de nouveau à merveille.
Un chef d’œuvre dont le « Swimming pool » de François Ozon apparaît comme une copie détournée, certes réussie mais moins que l’original. En lisant récemment « UV » de Serge Joncour je me dis que cette piscine-là n’a pas fini d’inspirer écrivains, scénaristes et réalisateurs mais qu’aucune encore n’a réussi à susciter la même incandescence trouble.
Un film sensuel porté par des acteurs magistraux, aussi fascinants que cette eau bleutée fatale, un film qui se termine par une des plus belles preuves d’amour que le cinéma ait inventé. A voir et à revoir. Plongez dans les eaux troubles de cette « piscine » sans attendre une seconde ! La période estivale est le moment rêvé…à vos risques et périls.
Heures et lieux de projection de « La piscine » de Jacques Deray à Paris Cinéma, au cinéma Le Champo dans le 5ème: le 2 juillet à 16H, le 5 à 18H, le 9 à 16H30, le 10 à 20H, le 12 à 20H.
Sandra.M
Commentaires
Je vous ai vu sur France 2 où l'on a parlé de votre blog à la suite du festival de Cannes. J'ai vu dernièrement sur France 4 Hero de Zhang Yimou avec Jet Li et Maggie Cheung. Je reviens de Chine récemment et je suis vietnamien. J'ai trouvé que les arts martiaux, la chorégraphie, la musique et la calligraphie sont des arts qui s'interpénetrent.
J'ai aimé aussi le film Les Citronniers : les relations entre une femme palestinienne propriétaire de citronniers et le ministre israélien de la défense. Cela pose le problème de la colonisation. J'ai aussi aimé la visite de la fanfare avec Ronit Elkabetz actrice, mais qui est aussi réalisatrice.
J'avais aussi aimé la fiancée syrienne.
J'ai bien aimé aussi Le Terminal avec Tom Hanks et Catherine Zeta Jones. Cela m'a arraché une petite larme. Celui qui ressort de la salle avec l'oeil sec, c'est un sans-coeur.
J'ai vu que vous couvrez beaucoup de festivals. Vous devez être un puits de science en cinéma. Félicitations.
Bonjour alexkim,
Merci pour votre message. Mon blog est passé dans divers médias pendant le Festival de Cannes mais j'ignorais totalement qu'il était passé sur France 2. Pourriez-vous m'en direz un peu plus? Etes-vous certain qu'il s'agissait de France 2? En effet le cinéma asiatique sait magnifiquement chorégraphier les arts martiaux. Oh la la non, je ne me considère pas comme un puits de science!:-) Le cinéma est tellement vaste qu'il me reste encore beaucoup à apprendre, mais c'est vrai que les festivals permettent d'avoir une vue d'ensemble, de découvrir des films vers lesquels je n'aurais peut-être pas eu la curiosité d'aller. Je n'ai pas encore vu "Les Citronniers" dont j'ai eu beaucoup d'échos positifs...et c'est en effet dans un festival que j'ai vu "Le Terminal". Je me souviens de sa conférence de presse particulièrement sélective et outrancièrement sécurisée. Ce fut néanmoins un sympathique moment de festival...en revanche je suis loin d'être une sans-coeur (enfin j'espère:-)) mais je n'ai pas le souvenir d'avoir versé ma petite larme.:-)
Bon je ne me rappelle plus sur quelle télé vous êtes passée. Sur France 3 ou Canal+, car Canal retransmet le festival de Cannes. Oui c'est Canal je crois. Vous avez dû parler 30 secondes.
Je reparle du film le Terminal. Peut-être n'avez vous jamais eu de problème pour entrer dans un pays. Je suis un vietnamien biologique qui est né en France. Je pense à mon frère qui s'est marié avec une chinoise en Chine. Nous sommes allés d'abord au Vietnam pour faire un repas avec la famille. Puis le visa pour aller en Chine de mon frère n'était plus bon. Il a dû remuer ciel et terre pour aller à l'ambassade de Chine au Vietnam pour avoir un visa en deux jours.On a dans notre famille des gens qui connaissent des personnalités haut placées au Vietnam. Et à l'ambassade il y avait des piles de 100 passeports de gens du monde entier qui veulent un visa pour la Chine à cause des J.O. Bref il a pu se marier à temps et revenir après à Paris pour bosser. Tout ça pour dire qu' être bloquer à une frontière c'est pas rigolo. Bizarrement, j'ai garder l'oeil sec à la libération d'Ingrid Bettancourt.
Quand je dis verser une larme, c'est avoir un peu l'oeil rouge et la poitrine pleine, et halletante au point de tousser d'émotion. Quand Tom Hanks arrive dans le club de jazz à New York. C'est une montée en flêche dans le scénario. Tout les jours il demande son papier, il l'a pas. Il trouve le temps de draguer la caissière pour son copain. Il a un horizon un peu découvert c'est Catherine Zeta-Jones. On lui refuse d'avoir de l'argent avec les caddies. C'est l'adversité qui forge le respect.
J'ai aussi eu l'oeil rouge, dans le film à la recherche du bonheur avec Will Smith. Il lui arrive toutes les misères du monde, et tout d'un coup il va à l'église où la communauté chante un negro spiritual. J'ai vu le film en V.O où le chant était traduit. Je suis croyant. J'ai fondu.
Je ne vais pas au cinéma pour pleurer, et ça m'arrive rarement. J'ai eu une larme pour le film la déchirure. Un vietnamien essaie de partir avec un faux passeport américain et les autorités lui déchire son passeport. C'est un acte d'une violence inouï. Bon le film est très dur aussi.
A part ça , j'ai vu il y a longtemps que je t'aime. Kristin Scott-Thomas est éblouissante. J'ai toujours aimé cette actrice qui est d'habitude très glamour. Et là elle est brut de décoffrage. Elle a fait un acte d'amour incroyable.
J'ai vu aussi mes amis, mes amours. Cela nous renvoie à nos propres peurs, à notre rapport à autrui, à nos amis. Sous couvert d'être un film un peu drôle, il soulève des questions de fonds.
Merci d'écrire tout ces articles, avant d'aller au ciné, je viendrais vous consulter.
Bonjour, je suis fan des classiques du cinéma qui sont beaucoup plus enrichissant que certain blockbuster actuel, et je vois que vous aimez les critiquer, merci beaucoup. J'ai trouvé un site qui pourrait vous intéressez c'est www.orpheane.com il y a plein de classiques américains gratuits, bon ils sont en version originale mais c'est quand même sympa à voir. Et très belle critique de "la piscine".
Bonne journée.
@ alexkim: merci pour ce long commentaire. La perception d'un film est souvent lié à notre vécu. Je n'ai effectivement jamais eu de problèmes de ce type aux frontières et je peux comprendre que ce sujet vous tienne à coeur et vous émeuve. Je vous avoue en revanche avoir été totalement insensible à "mes amis, mes amours" que j'ai trouvé tellement peu crédible (même si c'est souvent le cas dans une comédie romantique, il faut quand même un minimum) que je n'ai pas réussi à accrocher, et encore moins à le trouver drôle.
@ Charlotte: Merci pour votre commentaire. J'irai jeter un coup d'oeil sur ce site.
Hello Sandra,
Je dis "hello" pour la simple et bonne raison que nous nous connaissons déjà...même si il se peut que ta mémoire te joue des tours...En effet, cela date de presque dix années. Dix années où je constate que tu as fais du chemin, c'est un réèl plaisir de te lire!Bon, fin du mystère, on s'est rencontré à Paris, nous étions membre du jury ISC (cette année là, nous rencontrions Aure Atika et Martin Lamotte mais surtout cela se passait au Studio Harcourt et ça c'est resté ancré dans ma mémoire!).En fait pour tout te dire, je suis tombée sur un de tes blogs par hasard et j'ai bloqué sur ta photo (car tu n'as pas beaucoup changé malgré ces dix ans!)et comme je possède quelques photos de cette journée, je t'ai retrouvée.Pour ma part, je ne sais pas si tu parviendras à me resituer. En tout cas, je tenais à te féliciter, je suis d'autant plus touchée, car nous avons il me semble plusieurs points communs notre passion immodérée pour le septième art (j'ai également assisté à toutes les représentations théâtrales de Delon que j'ai à chaque fois rencontré et à chaque fois des grands moments dont une fois avec sa fille Anouchka, un grand monsieur), j'ai suivit quelques années l'Ecole Florent et après une maitrise Art du Spectacle en cinéma et surtout face au peu de débouchés, j'ai passé un CAP (et oui!)comme opératrice-projectionniste que j'ai exercé deux années durant (cinéma Gaumont) et aujourd'hui, en reconversion professionnelle je recherche (un peu comme toi, je crois!) un boulot dans la presse écrite comme critique cinéma...A ce titre, je viens de débuter un blog consacré aux critiques filmiques avec certainement moins de talent que toi mais beaucoup de passion toujours. Voilà pour tout te dire, j'admire le chemin parcouru et encore Bravo!!!
PS:l'adresse de mon blog est la suivante:
http://lorrainelambinet.blogs.allocine.fr
Lorraine
Bonjour Lorraine,
Merci pour ce sympathique message! Ah, oui, le jury ISC, que cela me semnle loin déjà. J'avais même oublié la présence d'Aure Atika et Martin Lamotte, je me souviens désormais que ce dernier était pourtant particulièrement jovial. Et évidemment je me souviens du beau moment au Studio Harcourt. Je n'ai aucune photo, je crois, du prix ISC, cela serait amusant de les voir. Ne m'en veux donc pas si je ne me souviens pas de toi...mais peut-être en revoyant les photos. C'est amusant pour Delon! As-tu vu ou vas-tu voir "Love letters" (j'ai mis ma critique en ligne hier). Pour la critique disons que j'ai y vraiment pris goût en écrivant sur ce blog (un goût immodéré désormais) qui a aussi l'avantage de me laisser entière liberté quant au contenu, c'est un formidable moyen de partager sa passion et un autre moyen, outre le scénario, de laisser libre cours à ma soif d'écriture. J'ai eu quelques proposisitions de journaux ou sites web mais sans intérêt pour le moment, ou du moins qui ne m'apportent rien de plus que le blog. La priorité pour moi est de garder cette liberté de ton et ce blog m'apporte beaucoup, surtout en ce moment, mais c'est vrai aussi que quelques petites expériences comme au Cercle sur Canal plus m'ont donnée envie de renouveler l'exercice ailleurs. (mais je te raconterai plutôt ça par email, tu peux m'écrire à inthemoodforcinema@gmail.com ). N'hésite pas non plus à laisser des commentaires sur le blog. Mes lecteurs, pourtant nombreux, sont souvent très timides quand il s'agit de laisser des commentaires et le but de ce blog est aussi le débat. Je vais évidemment aller voir ton blog. Où as-tu fait ta maîtrise arts du spectacle? Enfin...tu me raconteras tout ça par email. A très bientôt.
Bonjour j'ai mentionné votre excellent article ici: http://uzine.posterous.com/sunshine-376