Critique de « Joueuse » de Caroline Bottaro (avec Sandrine Bonnaire, Kevin Kline…)
Cette année, parmi mes lectures de vacances figuraient de nombreux romans récemment adaptés au cinéma : « Le liseur» de Bernhard Schlink, « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery, « La Joueuse d’échecs » de Bertina Henrichs… Malheureusement, les deux premiers ne sont plus à l’affiche là où je me trouve actuellement. J’ai donc évidemment opté pour le troisième adapté au cinéma par Caroline Bottaro sous le titre « Joueuse », un premier film ( premier en tant que réalisatrice car Caroline Bottaro est scénariste de plusieurs films de Jean-Pierre Améris et notamment du très beau "C'est la vie" déjà avec Sandrine Bonnaire) très prometteur qui aura mis cinq ans à se monter.
Dans le premier plan, Hélène (Sandrine Bonnaire) se tient devant le miroir, attache ses cheveux sans même songer à se regarder. Hélène qui vit machinalement. Les jours se suivent et se ressemblent. Son mari (Francis Renaud) la voit sans la regarder et sa fille la méprise. Femme de ménage dans un hôtel, dans un petit village corse, son existence routinière bascule le jour où, en faisant le ménage dans une chambre, elle est fascinée par un couple d’Américains jouant aux échecs sur la terrasse. Son regard s’attarde sur la sensualité de leurs gestes et leurs regards. Et la femme de ménage discrète et effacée va se prendre de passion pour ce jeu et l’apprendre avec une inébranlable détermination, au point même d’insister auprès du mystérieux docteur Kröger (Kevin Kline), chez qui elle fait également le ménage, pour qu’il joue avec elle et lui apprenne les échecs qui vont alors devenir bien plus qu’un jeu. Une raison de vivre. Un moyen de s’émanciper. Et peut-être beaucoup plus encore…
A la luminosité envoûtante de l’île grecque de Naxos où se déroule le roman, Caroline Bottaro (aussi certainement pour des raisons pratiques) a préféré la beauté triste d’un petit village corse. Eleni devient Hélène. Mais, en Corse ou dans une île perdue des Cyclades, c’est le même sentiment d’enfermement, de solitude, de soumission. Au mari. Au destin. Au regard des autres.
Comment ne pas commencer en parlant de Sandrine Bonnaire. De dos, courbée puis droite et résolue, de face, dans son regard, dur ou conquis, dans son sourire, rare et ravageur, ses gestes, ses intonations, ses traits tirés puis illuminés, elle EST Hélène avec une justesse admirable sans en faire des tonnes, sans non plus donner l’impression de réaliser une performance. C’est d’abord grâce à elle si cette histoire est si attachante, si on la suit, captivés, sans décrocher une seule seconde. C’est ensuite grâce au choix judicieux de Kevin Kline et à leur troublante relation. Lui, d’abord, fier, imposant, blasé, misanthrope. Elle, d'abord courbée, frêle, fragile, puis réapprenant le désir et le goût d’exister par et pour soi-même. Alors que lui va peu à peu s’affaiblir et s’humaniser, il va peu à peu l’aider à se redresser, à transgresser les règles, des échecs et de la vie, l'ordre établi.
Et puis il y a les échecs dont la caméra caresse la sensualité des pièces, des gestes de ceux qui les manipulent, des regards qui s’affrontent avec une douce fièvre. Les échecs dont les règles même représentent pour Hélène une métaphore rassurante de la vie, les échecs dont la reine est la pièce la plus forte.
Sans emphase, juste appuyée de temps à autre par la musique de Nicola Piovani, la caméra accompagne avec sensibilité et sensualité le cheminement d’Hélène vers la liberté et vers la confiance en elle.
Et puis un film qui évoque « Martin Eden » de Jack London ne pouvait que me conquérir ( Si vous ne l’avez pas lu, achetez-le sur le champ ! C’est un roman d’un romantisme désenchanté empreint de passion puis de désillusions. C’est aussi et avant tout un roman sur la fièvre créatrice et la fièvre amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent à la fois. Le roman le plus autobiographique de Jack London publié en 1909). La fièvre créatrice qui emprisonne, aveugle et libère. Comme les échecs libèreront Hélène qui, comme Martin, être a priori taciturne, voire frustre, avec la lecture et l’écriture, va se révéler et s’émanciper avec les échecs.
S’il fallait émettre une réserve sur cette « Joueuse », ce serait de regretter une fin un peu expéditive et peut-être un plan de trop… mais l’ensemble est suffisamment séduisant, subtile, convaincant pour nous le faire oublier et pour que je vous le recommande. Vivement.
Commentaires
Je transmets à Jean-Pierre et Caroline, ravis qu'on aime ce film.
Je cours acheter Martin Eden... je suis dans une phase de découvertes littéraires absolument fabuleuse.
Dommage pour "The reader", renversant... par contre le hérisson est raté et irritant (sauf Josiane, admirable).
Je termine "La route" de Cormac Mac Carthy : j'adore.
C'est adorable de transmettre à Jean-Pierre et Caroline.:-) C'est mon premier film au ciné depuis un mois et j'ai vraiment bien choisi!Demain ce sera "Partir" mais je crains le pire car je n'ai pas du tout aimé les précédents films de Corsini.
Hein! Comment! Que lis-je! Tu n'as pas lu "Martin Eden"! Sors d'ici tout de suite, mécréante! Tu vas adorer ou alors je n'y comprends plus rien!
J'ai moyennement aimé "L'élégance du hérisson" et "Le liseur", version roman, m'a mise très mal à l'aise, c'est pour ça que j'aurais été curieuse de voir le film!
Si tu n'aimes pas "Partir" alors là...
c'est MOI qui n'y comprends plus rien.
J'avais adoré l'élégance mais en voyant le film je me dis que j'ai dû un peu surestimer le roman.
Le liseur n'est pas très confortable effectivement.
Bon, je reviendrai quand j'aurai fini Martin...
Bonjour,
Quel est le plan de trop de "joueuse" selon vous ?
@ Jennifer: le plan où Hélène crie (pour montrer son sentiment de liberté) et celui où Hélène et Kröger se disent adieu sur le perron de la maison qui contraste (mais peut-être délibérément) avec l'intensité de la scène précédente.
Merci pour cette critique qui confirme mon envie d'aller voir ce film!
Je veux aussi trouver le temps d'aller découvrir "The reader" même si le sujet peut créer un malaise. J'aime beaucoup Kate Winslet et j'admire le travail de Stephen Daldry (Billy Elliot, The hours)!
@ Julien: Mais de rien.:-). J'ai aussi très envie de voir "The Reader" qui n'est malheureusement plus à l'affiche là où je me trouve actuellement, je vais donc devoir patienter un peu.
Pas lu le roman, ni encore vu le film, mais je tiens à confirmer que Martin Eden est un merveilleux roman sur la fièvre amoureuse et créatrice, et leurs conséquences sur la vie de ce marin qui a des rêves d'écriture.
Du coup, c'est un argument supplémentaire pour aller voir Joueuse !
@ Yohan: Si vous aimez "Martin Eden", vous aimerez "Joueuse"! J'ai beau l'avoir relu de nombreuses fois, "Martin Eden" me bouleverse toujours autant...
Oui, un très joli film (Et "C'est la vie" c'était magnifique) ... Mais je ne trouve pas que la beauté des lieux soit triste, plutôt d'une luminosité qui contraste avec la mentalité un peu triste étroite de la plupart des habitants.