« Le Professeur » de Valerio Zurlini avec Alain Delon, Sonia Petrova, Lea Massari…
Connaissant mon addiction, assumée et revendiquée, aux films avec Alain Delon une amie blogueuse m'a parlé du « Professeur » de Zurlini et apprenant avec stupéfaction que je n'avais jamais vu ce film elle me l'a gentiment prêté pour que je puisse combler cette impardonnable lacune... Histoire d'aggraver mon cas : j'avoue, légèrement honteuse, qu'il s'agit également du premier film de Zurlini que je regarde. Je vais essayer de me faire pardonner tous ces délits en vous parlant de ce film méconnu.
Nous sommes en 1972, Alain Delon vient de tourner des chefs d'œuvre comme « La Piscine » ou « Le Cercle rouge » (mais également un excellent film comme « Borsalino » dont je vous rappelle qu'il est sorti hier en DVD). Marcello Mastroianni n'étant pas disponible, Zurlini fait appel à Alain Delon qui répond positivement et avec enthousiasme décidant même de coproduire le film. Il demandera ainsi à Zurlini d'amputer le film de 20 minutes et de changer le titre pour un titre plus « delonien ». Après Visconti et Antonioni, Zurlini s'ajoute donc à la liste des réalisateurs italiens à faire tourner Delon qui retrouve ici Lea Massari avec qui il avait tourné dans « l'Insoumis » en 1964.
Delon incarne ici un jeune professeur de littérature nommé Daniel Dominici qui remplace un professeur malade au lycée de Rimini, lycée de riches et oisifs élèves. Il mène une vie d'infidélités assumées avec sa femme (Léa Massari) avec laquelle il vit « par désespoir plus que par habitude », qui seule semble comprendre sa blessure secrète, et il passe son temps à jouer et perdre aux cartes, et à boire. C'est ce même sentiment de blessure qu'il décèle chez une de ses élèves de 19 ans, la mystérieuse et sombre Vanina (Sonia Petrova) dont il tombe amoureux.
Dès les premiers plans, ce film tranche avec les films habituels dans lesquels joue Alain Delon. D'abord par son atmosphère. Celle de la ville italienne de Rimini hors saison, déserte, brumeuse, maussade, oppressante au bord d'une mer plus glaçante que chaleureuse. Le désespoir se lit sur les visages et s'insinue dans les rues désertes et brumeuses, et la tragédie semble menacer de s'abattre à tout instant, à nouveau, là où chacun semble traîner ses blessures enfouies. Ensuite dans le rythme où se mêlent ennui, langueur, oisiveté, mélancolie. Enfin et surtout dans le personnage incarné par Alain Delon. Mal rasé, ombrageux, usé, vêtu d'un long manteau beige informe et sans âge qu'il traîne nonchalamment et ne quitte jamais comme son mal être, c'est un professeur peu soucieux des convenances qui propose des cigarettes à ses élèves en classe et leur demande de raconter leur vie en dissertation pendant qu'il s'absente de la classe. Et qui surtout leur parle de poésie, de littérature (de Pétrarque, de Goethe, de Manzoni, et de Stendhal auquel le prénom de Vanina fait évidemment penser) qu'il aime plus que son métier, plus que la vie aussi semble-t-il. Amoureux de poésie dans laquelle il noie ses chagrins, ses secrètes fêlures et sa mélancolie et dont le visage d'ange inquiet de Vanina lui semble être le reflet. Elle sera d'ailleurs la seule à traiter le sujet de Manzoni sur le vice et la vertu qu'elle pourrait lui avoir inspiré.
Dans cette ville grisâtre de Rimini, c'est aussi un portrait sans concession de la société italienne du début des années 1970 dépravée, cruelle, même perverse. Cette froideur et cette obscurité se retrouvent dans la réalisation qui reflète la face sombre et l'accablement des personnages.
Si cette atmosphère est essentiellement suffocante, (une atmosphère exacerbée par une musique qui résonne comme un cri angoissé) les dernières minutes au cour desquelles la vérité des visages et des sentiments (de ses origines aristocrates aussi qu'il avait dissimulées) de Dominici éclatent , au cour desquelles Daniel trouve dans la mort "La prima notte di quiete" (vers de Goethe qu'il cite et qui fait référence à la première nuit de quiétude parce qu'elle est sans rêve) sont d'une force poignante
Avec ce rôle intériorisé, Delon, une nouvelle fois bluffant, joue un personnage désespéré, loin de ses personnages plus habituels à la beauté arrogante et à l'arrogance désinvolte, dans une société elle-même sans espoir, une prestation saisissante d'une impressionnante justesse et crédibilité qui rend bouleversant ce film aussi douloureux qu'imparfait qui nous accompagne néanmoins longtemps après le générique comme un air pesant et mélancolique.
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Commentaires
Belle critique d'un film où tu as vraiment capté beaucoup de choses pour une première vision! C'est vrai que c'est un film imparfait et je crois que Zurlini le savait car on le considère comme quasiment inachevé, par exemple, les relations entre le professeur et sa femme ne sont pas assez développées d'après certains. AD cassait son image avec ce film, moi, il me touche vraiment dans ce rôle, l'impression qu'il peut être cet homme aussi... @ bientôt!
Moi Vanina, ça me fait penser à Dave, mais bon, passons...
J'adore ce film et ça m'a donné envie de le revoir. Tancrède tout frileux, tout malheureux, j'aiaiaiaiame !
Viera, tu me le prêtes ?
@vierasouto: Merci et pour le commentaire et pour le prêt du dvd! C'est vrai que c'est dommage que le personnage de sa femme et ses relations avec celle-ci ne soient pas davantage développés, son grand amour finalement non? C'est vrai que les fêlures du personnage de Dominici font certainement écho à une part de celles de Delon, c'est sûrement la raison pour laquelle c'est si juste et troublant. A très bientôt pour en parler de vive voix!:-)
@ Pascale: Dis donc c'est pas une dvdthèque ici! Quoique ça pourrait être une idée! Je comptais bien sur toi pour la faire cette "blague"!
Quelle blague ???
Je VEUX vraiment qu'on me prête ce DVD !!!
Coucou! On va arranger le prêt du dvd en "interne" genre poster une petite enveloppe plate sans la jaquette, on note...
Alain Delon doit être très content que cette lacune ait enfin été comblée ! J'l'avions vu lors de sa sortie, j'étais toute petite et je me demandais bien pourquoi mes profs à moi ils n'étaient pas romantiques et peu hygiéniques et tout et tout... on m'a fait aimablement remarqué que je n'avais rien d'une héroïne de Goethe et que pour ressembler à la Petrova ça serait dans une autre vie merci...
Depuis, je n'ai pas envie de revoir ce film (Rimini, j'connais par coeur les tours et détours... et l'atmosphère poissée... et les vieux palais qui pourrissent sur place... bref, c'est fou ce que la mémoire peut emmagasiner de détails dont on pourrait se passer pour vivre heureux) ! j'me drapouille dans ma dignité blessée (et j'écoute pas Dave ouf !)
A part ces âneries, chère Sandra, il faut (re)voir les Zurlini !! Je m'étonne que tu ais raté la ressortie d'Eté violent avec le jeune (si jeune aaaargh Pascale ne lit pas) Trintignant...
@ Pascale et vierasouto: ne vous dérangez pas pour moi, faîtes comme si je n'étais pas là!:-) @Fred: C'est vrai que les profs comme ceux du film, je n'ai jamais vu mais ça doit bien exister... Une enquête s'impose... Ce n'est pas Trintignant qui va m'inciter à voir des films de Zurlini (fais comme si tu n'avais pas lu Pascale...).
euh... et Jacques ? le p'tit Perrin ? il est très bien... c'est un ami d'Alain Delon...
:D
Super description !! merci !!