Critique – « Tête de turc » de Pascal Elbé avec Roschdy Zem, Pascal Elbé, Ronit Elkabetz…
Il y a quelques semaines, dans les locaux de la Warner, en partenariat avec Allociné, était organisée une projection en avant première de « Tête de turc » suivie d'une Master class avec Pascal Elbé et Roschdy Zem (voir toutes mes vidéos de la master class en cliquant ici).
Pour cette première réalisation, Pascal Elbé s'est confronté à un genre particulièrement délicat : le film choral. S'y côtoient un adolescent de 14 ans, Bora ( Samir Makhlouf), un médecin urgentiste, Simon (Pascal Elbé), un flic en quête de vengeance, Atom (Roscdhy Zem), une mère qui se bat pour les siens, Sibel qui est aussi la mère de Bora (Ronit Elkabetz), un homme anéanti par la mort de sa femme (Simon Abkarian).
Pascal Elbé est parti d'un fait divers tragique qui avait marqué les esprits : Mama Galledou, passagère d'un bus, brûlée vive à Marseille, en 2006. Ici, ce n'est pas la passagère d'un bus mais Simon, médecin urgentiste qui est grièvement blessé suite à un jet de cocktail molotov sur sa voiture. Le jeune qui le sauve, Bora, est aussi un de ceux responsables de « l'accident ». Emmené aux urgences, Simon ne peut donner suite à l'appel qu'il venait de recevoir ; celui d'un homme dont la femme vient d'avoir un grave malaise et qui décèdera faute d'intervention. Le veuf n'a ensuite plus qu'une idée en tête : se venger, de même que le frère de Simon, flic dont le passé n'est pas non plus exempt de zones d'ombres et qui veut retrouver ceux par qui sont frère a été agressé...
Par un tragique engrenage de la fatalité, ces destins vont être liés les uns aux autres et dépendre les uns des autres. Derrière les masques de chacun; Pascal Elbé laisse entrevoir les fêlures et parvient à rendre ses personnages particulièrement attachants, aidé en cela par un choix d'interprètes particulièrement soigné : de Simon Abkarian (dont le talent qui n'est plus à prouver nous fait regretter que son rôle ne soit pas plus étoffé), en mari vengeur aveuglé par le chagrin, à Ronit Elkabetz, en mère fière et digne, prête à tout pour que ses fils changent de condition en passant par Florence Thomassin qui interprète une amie de Sibel, mère découragée.
Si le début nous laisse espérer un vrai thriller, le film s'oriente progressivement davantage vers le thriller social. Pascal Elbé a d'ailleurs rencontré des travailleurs sociaux, des urgentistes, des policiers pour donner à sa vision une couleur aussi juste possible même si l'objectif n'était pas le naturalisme. Que ce soit par la musique (signée Bruno Coulais) ou la photographie, son film révèle une vraie atmosphère visuelle et sonore. Même si, visuellement, « Tête de Turc » n'atteint pas le niveau de James Gray qu'il cite en brillante référence, on retrouve ici les thèmes qui lui sont chers : la famille, le pardon, la trahison, le sentiment de culpabilité. Des hommes face à leur conscience.
Pascal Elbé ne prend pas vraiment parti, délibérément, il dresse un constat dont une scène de dialogue dans une voiture entre les deux frères est particulièrement révélatrice mais aussi emblématique de l'image nuancée que Pascal Elbé donne de la société contemporaine (il égratigne au passage l'emballement médiatique). C'est à la fois la force et la faiblesse de son film. La force de donner la parole à chacun, de ne pas émettre un avis tranché, voire caricatural. La faiblesse de ne pas être allé plus loin, de ne pas oser davantage d'ailleurs à l'image du dénouement qui n'est pas à la hauteur d'une première partie pleine d'intensité et de promesses (que Pascal Elbé avait d'ailleurs su tenir jusqu'au bout dans ses scénarii précédents comme « Mauvaise foi » coécrit avec Roscdhy Zem ou « Père et fils »). Peut-être n'a-t-il pas eu l'audace (mais aussi tout simplement l'envie) d'achever son film dans la noirceur. Avec un zeste d'audace et d'expérience supplémentaires, et avec la même bonne foi et conviction, son prochain film devra être suivi de très près. Avec d'aussi brillantes influences revendiquées (Gray, Inarritu, Haggis), il ne lui reste qu'à approfondir son propre univers pour confirmer l'essai imparfait (mais à l'image de ses personnages, c'est aussi ce qui le rend attachant) et non moins prometteur.
« Tête de Turc » a reçu le prix du cinéma 2010 de la Fondation Diane et Lucien Barrière.
Le reste de l'actualité, c'est sur "In the mood for Cannes", "In the mood for Deauville", "In the mood for luxe".
Commentaires
Dès que je vois Roschdy Zem j'ai envie de me jeter sur lui.
C'est normal tu crois ?