Critique de « Fair game » de Doug Liman (compétition officielle du Festival de Cannes 2010)
Seul film américain de cette compétition officielle 2010, « Fair game » permet au réalisateur de « La mémoire dans la peau » de figurer pour la première fois dans la compétition cannoise et de changer de registre après des comédies (comme Mr and Mrs Smith) et des films d'actions. Déception pour le public cannois puisque Sean Penn a finalement annulé sa venue. Un autre grand acteur a néanmoins monté les marches hier soir (accessoirement juste devant moi) : « le meilleur acteur au monde » d'après le présentateur de la montée des marches : Gérard Depardieu. Après l'arrivée de l'équipe du film dans la salle (en général le rituel cannois veut que la salle se lève lorsque l'équipe arrive puis que le film commence aussitôt) il a fallu dompter l'impatience légendaire des festivaliers puisque le rideau devant l'écran de la grande salle du théâtre lumière refusait de s'ouvrir. Après une vingtaine de minutes, le capricieux a finalement cédé pour laisser place au cinéma.
Ce film est l'adaptation d'une histoire vraie : Joseph Wilson (Sean Penn) un ex-ambassadeur américain est envoyé au Niger pour enquêter sur la fabrication d'armes nucléaires destinées à l'Irak . Sur place il ne découvre rien. L'administration Bush va alors produire de faux documents pour faire croire qu'un danger imminent menace la sécurité nationale et mondiale et que l'enquête sur place l'a prouvé. Pour discréditer Wilson qui va dénoncer ce mensonge, le Pentagone va s'arranger pour que soient divulguées dans la presse les activités d'agent de la CIA de sa femme Valerie Plame-Wilson (Naomi Watts).
Deuxième film dans la même journée à évoquer la guerre en Irak (après le film de Ken Loach dont je vous parlerai ultérieurement, l'autre déception de ce festival), avec un sujet politique et historique à palme d'or, « Fair game » n'est malheureusement pas à la hauteur de l'attente suscitée. Si la réalisation nerveuse inspirée des « Jason Bourne » laisse augurer le meilleur, si Naomi Watts est particulièrement convaincante, force est de constater rapidement que ni le scénario ni la réalisation ne sont à la hauteur du sujet. La force indéniable de celui-ci n'a malheureusement pas inspiré la réalisation relativement impersonnelle et même le si talentueux Sean Penn semble parfois jouer de manière caricaturale. Les dialogues et les situations sont tout aussi caricaturaux, c'est d'autant plus dommage que cela fait perdre de la force et de la crédibilité au sujet (un comble et une maladresse qui d'une certaine manière et évidemment contre la volonté du réalisateur donnerait presque du crédit à la version du Pentagone). Les multiples sauts d'un lieu à l'autre apparaissent comme artificiels et dispersent l'attention au lieu de la retenir.
On songe avec regret à l'intense et percutant « Green zone » de Paul Greengrass sorti il y a un mois et traitant du même sujet (un film qui s'il avait figuré en compétition à Cannes aurait ainsi mérité la palme d'or).
Reste la valeur de témoignage historique nécessaire pour ce film malheureusement très loin d'être à la hauteur de la noble cause (celle de la triste et dérangeante vérité sur une administration qui l'a tellement malmenée et trahie) qu'il défend dont le meilleur moment reste la fin avec les images du véritable témoignage de Valerie Plame (d'ailleurs présente hier soir) . Peut-être aurait-il mieux valu réaliser un documentaire sur le sujet... L'émotion était néanmoins présente en raison de la vraie Valerie Plame (voir image ci-dessous).
Remarque et question aux initiés : A un moment Wilson parle de l'évocation de l'affaire sur les blogs, les blogs avaient-il réellement un impact en 2002 ? Ne s'agit-il pas d'un anachronisme ?
Réactions dans la salle (projection au Grand Théâtre Lumière en présence de l'équipe du film): Applaudissements là aussi polis. Cannes n'a pas encore connu cette année une effervescence comme celle suscitée par les lauréats de l'an passé. (peut-être à l'exception de "Biutiful" d'Inarritu que je n'ai pas encore vu)
Prix que je lui attribuerais (ou pas): aucun
Prix potentiels: Un prix récompenserait certainement davantage le sujet que le film en lui-même... mais je ne vois pas vraiment lequel!
La soirée s'est ensuite achevée pour moi dans le cadre très cosy du patio Canal + où de nombreux acteurs français se mêlaient aux présentateurs de la chaîne.
Avec ce septième long-métrage, Paul Greengrass retrouve pour la troisième fois Matt Damon et s'attèle également pour la troisième fois au film « historique » après « Bloody Sunday » et « Vol 93 ». Mais qu'allait donc donner cette collaboration entre le réalisateur et l'acteur qui, sous la direction de Paul Greengrass, pour la première fois n'incarne plus Jason Bourne mais l'adjudant-chef Roy Miller dans cette adaptation du livre d'enquête de Rajiv Chandrasekaran?
Pendant l'occupation américaine de Bagdad en 2003, ce dernier et ses hommes ont ainsi pour mission de trouver des armes de destruction massive censées être stockées dans le désert iraquien mais, d'un site à un autre où il ne trouve jamais rien, Roy Miller commence à s'interroger sur le véritable objectif de leur mission. C'est dans la Green zone (quartier fortifié du gouvernement provisoire irakien, des ministères et des ambassades) que se joue le sort du pays entre les mains de ceux pour qui il est un capital enjeu...
Le premier grand atout de cette nouvelle collaboration Damon/Greengrass (et disons-le tout de suite, de cette vraie réussite) c'est d'expliquer intelligemment et avec simplicité tous les ressorts d'une situation aussi explosive que complexe. Ainsi, chaque personnage incarne un point de vue sur la situation irakienne : le militaire américain qui remet en cause la position du Pentagone, l'Irakien (blessé lors de la guerre Iran/Irak et victime de ce conflit qui à la fois le concerne directement et l'ignore) qui souhaite avant tout que son pays aille de l'avant et le débarrasser des anciens acolytes de Saddam Hussein (les fameuses cartes comme si cette désolante et tragique mascarade n'était qu'un jeu), les militaires qui obéissent aveuglement au mépris des vies sacrifiées et au prétexte de l'objectif fallacieux dicté par la Maison Blanche (et pour couvrir cet objectif fallacieux), les journalistes manipulés et par voie de conséquence manipulateurs de l'opinion, le nouveau gouvernement incompétent choisi par l'administration américaine... et au milieu de tout ça, une population qui subit les conséquences désastreuses qui, aujourd'hui encore, n'a pas trouvé d'heureux dénouement.
Le film de guerre se transforme alors en explication géopolitique imagée mais n'allez pas croire qu'il s'agit là d'un film soporifique comme son sujet aurait pu laisser le craindre. Caméra à l'épaule, réalisation nerveuse, saccadée, contribuant à renforcer le sentiment d'urgence, immersion dès le premier plan qui nous plonge en plein chaos... Paul Greengrass, avec son style documentaire et réaliste (il a même fait tourner de nombreux vétérans de la guerre en Irak), n'a pas son pareil pour créer une tension qui nous emporte dans le début et ne nous quitte plus jusqu'à la fin. Côté réalisation le film lorgne donc du côté des Jason Bourne surtout que Roy Miller, tout comme Jason Bourne est aussi en quête de vérité, pas celle qui le concerne mais qui implique l'Etat dont il est censé défendre les valeurs. Matt Damon avec son physique d'une force déterminée et rassurante confirme une nouvelle fois la pertinence de ses choix.
En signant le premier film à aborder frontalement le thème de l'absence des armes de destruction massive, Paul Greengrass n'épargne personne, ni l'administration Bush ( un dernier plan sur des installations pétrolières est particulièrement significatif quant aux vraies et accablantes raisons du conflit) ni certains militaires ni les médias ne sont épargnés. Enfin des images sur une piètre vérité pour un film aussi explosif que la situation qu'il relate.
Entre thriller et film de guerre, un film prenant en forme de brûlot politique qui n'oublie jamais, ni de nous distraire, ni de vulgariser une situation complexe, ni son objectif de mettre en lumière la sombre vérité. Courageux et nécessaire. A voir absolument !
Commentaires
Merci pour cet avis sur ce seul film américain du festival. Dommage qu'il semble si peu réussi, habituellement j'aime bien les films qui effectuent une analyse de leur histoire très récente (tel que Green Zone justement, dans le style action permanente).
En ce qui concerne les blogs, l'année 2002 est celle qui a vécu cette explosion du nombre de blogs, et aux Etats-Unis la guerre d'Iraq a effectivement entraîné la création de beaucoup de blogs pour s'exprimer sur le sujet.
Sur Wikipedia on peut lire :
"Since 2002, blogs have gained increasing notice and coverage for their role in breaking, shaping, and spinning news stories. For the first time in the history of modern journalism, the financial and political goals of U.S.-Israeli relations are being analyzed in depth.[13] The Iraq war saw bloggers taking measured and passionate points[14] of view that go beyond the traditional left-right divide of the political spectrum."
Sinon félicitations pour votre petite interview sur M6 :), j'espère que cela vous aidera par rapport à vos scénarios.