Bande-annonce et critique : "Des hommes et des dieux" de Xavier Beauvois
Comme je vais vous abandonner un petit bout de temps, lecteurs adorés, je laisse ici quelques images d'avance à mettre sous votre regard insatiable avec une nouvelle bande-annonce, celle du très beau film de Xavier Beauvois "Des hommes et des dieux" qui a reçu le Grand Prix du dernier Festival de Cannes et dont je vous avais parlé à cette occasion (retrouvez à nouveau ma critique ci-dessous publée lors de la projection cannoise, en plus de la bande-annonce et de ma vidéo des réactions de l'équipe du film).
15 ans après « N'oublie pas que tu vas mourir » (pour lequel il avait obtenu le prix du jury) Xavier Beauvois est donc de retour dans la compétition cannoise. Cette fois il s'est attelé à un sujet particulièrement sensible dont il s'est librement inspiré : le massacre des moins de Tibéhirine en Algérie en 1996. Sept moines trappistes de Tibéhirine avaient ainsi été enlevés et retrouvés assassinés deux mois plus tard. Ce massacre fut d'abord attribué au Groupe Islamiste Armé avant de l'être à une bavure de l'armée algérienne (selon un militaire algérien, les moines auraient été mitraillés par l'armée croyant que leur monastère était un repère de membres du GIA). C'est Lambert Wilson qui incarne le responsable de la communauté. La terreur commence ainsi à s'installer quand une équipe de travailleurs étrangers est massacrée par un groupe islamiste. L'armée propose une protection aux moines, mais ceux-ci refusent, vivant en bonne harmonie avec leurs voisins musulmans pour qui ils sont une présence précieuse. Doivent-ils partir ? Malgré les menaces grandissantes qui les entourent, la décision des moines de rester coûte que coûte, se concrétise jour après jour...
Après « Le petit Lieutenant » et son immersion dans l'univers policier, c'est dans l'univers monastique, avec la même ferveur , que nous plonge Xavier Beauvois par le biais d'une mise en scène sobre , rigoureuse, modeste et lumineuse à l'image de l'impression qui émane de ces sept moines. Au lieu de nous tenir à distance la lenteur accompagne la montée en puissance jusqu'à une scène paroxystique sur la musique du lac des cygnes de Tchaïkovski d'une beauté redoutable. La caméra qui se resserre sur les visages, les expressions de chacun, leurs visages qui passent d'une expression de bonheur et de plénitude à celle de l'effroi à la résignation est celle, poignante, d'un grand metteur en scène. Mais il ne faudrait pas réduire ce film à cette scène qui, du début à la fin, fait preuve de ce même sens de la grâce et de l'épure.
Au-delà de l'aspect formel, c'est le message, universel et pacifiste, qui fait de ce film un sérieux prétendant à la palme d'or. C'est en effet un appel à la tolérance, à l'harmonie entre les peuples et les religions, une dénonciation de l'obscurantisme sous de fallacieux prétexte religieux, une ode au courage qui touche autant les croyants que les athées et les agnostiques. C'est aussi le portrait magnifique de 8 hommes avec leurs doutes et leurs convictions, qui donnent tout, y compris leur vie, pour les autres (sans que cela soit bien évidemment un appel au martyr, bien au contraire).
La phrase de Pascal cité par Michael Lonsdale (absolument remarquable et particulièrement ému hier soir) : : "Les hommes ne font jamais le mal si complètement et joyeusement que lorsqu'ils le font par conviction religieuse" est plus que jamais d'actualité et malheureusement universelle et intemporelle. Le lieu n'est d'ailleurs pas vraiment précisé. Le tournage a ainsi eu lieu au Maroc et non en Algérie, pour raisons de sécurités liées à la sensibilité du sujet. C'est Michel Barthélémy, le décorateur césarisé pour « Un Prophète » qui a reconstitué le Monastère. Plutôt que de désigner des responsables, Xavier Beauvois évoque ainsi implicitement les deux thèses sur leurs morts, sur leur belle sérénité ensanglantée, leur message de paix souillé, là n'étant pas finalement le sujet.
Des hommes et des dieux : un titre finalement très laïque qui met sur un pied d'égalité les uns et les autres et dénonce ce « mal » qu'ils font au nom de leurs convictions religieuses faisant ainsi écho à la citation d'exergue du film extraite de la bible : "Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez".
Impossible de ne pas parler des acteurs qui incarnent ces personnages, à la fois mystiques et si humains, humbles et grandioses , Michael Lonsdale et Lambert Wilson en tête, lequel Lambert Wilson était également le meilleur interprète et le personnage le plus intéressant de « La Princesse de Montpensier » de Bertrand Tavernier, autre film en compétition de ce Festival 2010. Tout juste remis de son opération de l'appendicite (à cause de laquelle il n'avait pu être présent pour la projection cannoise du film de Tavernier) il a assuré le spectacle hier entre baisers de cinéma à Sabrina Ouazani (qui pendant la montée des marches tenait la photo d'un comédien décédé après le tournage) et Xavier Beauvois lors du photo call, et fumant ostensiblement sur les marches .
Après le mystique « sous le Soleil de Satan », palme d'or 1987, ces hommes et ces dieux sous le soleil du Maghreb pourraient bien subir le même sort. C'est tout le mal que l'on peut souhaiter à cet hommage à ces hommes de bien, un hommage pétri de grâce. Des humains avant tout. Bref, les vrais dieux ce sont eux.
Commentaires
En réaction à la phrase de Pascal "Les hommes ne font jamais le mal si complètement et joyeusement que lorsqu'ils le font par conviction religieuse" que je complèterais par "lorsqu'ils le font par conviction religieuse et/ou politique" et Dieu sait si, pour des questions de pouvoirs spirituels et matériels (hiérarchiques) certains s'octroient des droits au dessus des autres au point de "tuer pour la bonne cause et le soi-disant salut des autres !". On impute ici à la religion ce que des politiques appliquent en d'autres temps, d'autres lieux. Les génocides perpétrés par les nazis, les khmers rouges, nos bons américains vis-à-vis du génocide indien, et les quartels face aux amérindiens font tout autant que ceux qui ont assassiné ces pauvres moines. Cela dit si l'Homme une bonne fois pour toute pouvait s'élever l'esprit et considérer que nous sommes tous liés, frères et soeurs dans la souffrance comme dans le bonheur quelles que soient la couleur de peau, la religion, ou les coutumes qui nous enferment dans nos égocentrismes et individualismes outranciers. Quand donc cesseront nous de faire des martyrs pour éveiller nos consciences ?
@Stéphane Barloy: Rien à ajouter si ce n'est que c'est d'une implacable évidence, mais ne l'est malheureusement pas pour tout le monde...