Critique de "La dette" (the debt) de John Madden: première mondiale du Festival de Deauville
Avant-hier soir, était projeté en première mondiale le dernier film de John Madden (« Shakespeare in love », « Capitaine Corelli »…) : « La dette » (the debt ).
En 1966, David (Sam Worthington), Rachel (Jessica Chastain) et Stefan (Marton Csokas), agents du Mossad, rentrent en héros d’Allemagne de l’Est pour avoir trouvé et abattu un criminel de guerre nazi, le médecin de Birkenau, Vogel (Jesper Christensen). Alors que, trente ans plus tard, la fille de Rachel (Helen Mirren) et Stefan (Tom Wilkinson) a écrit un livre sur cet épisode, le passé refait surface.
Remake d’un film israélien éponyme sorti en 2007, « la dette » est la première bonne surprise de cette édition 2010 du Festival de Deauville qui, malgré une absence inédite de stars américaines, continue à proposer des premières mondiales et à être, avant tout et plus que jamais, une vitrine du cinéma indépendant américain (je vous parlerai plus tard des deux premiers films en compétition vus hier).
« La dette » transcende ainsi le film d’espionnage classique (malgré une structure en flashback et une réalisation, elles, en revanche, très classiques même si ce flashback est aussi un judicieux élément de manipulation du spectateur) pour en faire une histoire d’amour, et même historique qui mêle habilement intimité et donc Histoire. L’intimité à plus d’un titre. L’intimité, fatale et poignante, de ce triangle amoureux contraint de vivre dans un espace réduit avec le bourreau de Birkenau, de se confronter au visage de l’horreur quotidiennement. L’intimité de Rachel qui, pour l’approcher, doit se laisser ausculter par les mains de Vogel, devenu gynécologue, des mains tâchées du sang de ses atrocités.
Les scènes de huis-clos sont ainsi captivantes. Les trois agents du Mossad sont contraints de cohabiter avec l’être qu’ils exècrent. C’est sans doute la partie la plus intéressante du film. A travers eux (David a perdu toute sa famille, Rachel sa mère), ce sont les victimes de l’holocauste qui affrontent le passé. Le bourreau se retrouve alors à la merci de ses victimes qui devront résister à l’envie de faire justice eux-mêmes malgré le dégoût qu’il leur inspire et malgré les horreurs qu’il profère. L’ineffable dégoût se lit alors dans les regards échangés, dans les larmes retenues, dans les pesants silences. Comment juger l'incompréhensible? Comment regarder en face l’horreur absolue ? Comment donner un visage à l’inhumanité ? Notamment en ne trouvant pas l’excuse de la folie à l’indicible, l’impensable, l’inconcevable. Ainsi lorsque Vogel dit avec un rire sardonique et cynique « nous étions tous fous alors? », David lui répond que la folie serait une explication trop facile à ce qui reste une horrifiante énigme.
La dette c’est bien sûr celle de Vogel qui ne pourra jamais être rachetée mais aussi celle des trois agents du Mossad liés par un terrible secret. Ils portent le poids du mensonge mais aussi le poids de l’Histoire, du passé, de celui de leurs parents. Le poids est donc double, celui de l’Histoire et de leur histoire. De l’Histoire aussi trop lourde pour laisser le présent respirer.
Palpitante confrontation en huis-clos, thriller captivant, tragique histoire d’amour, réflexion sur les statuts de victime et bourreau et sur les indélébiles brûlures de l’Histoire, éloge de la vérité, « La dette » était tout cela jusqu’au dénouement totalement abracadabrantesque, voire granguignolesque, et surtout pas à la hauteur de l’Histoire et des (trop) nombreux et lourds sujets brassés ni à la hauteur de ce qui le précède, néanmoins pas suffisamment pour que je ne vous recommande pas ce film qui a notamment le mérite de porter un regard intime sur une tragédie universelle, de faire du face-à-face entre quatre individus (les trois agents du Mossad face à Vogel) dans un espace restreint, la métaphore habile de cette dernière.
Sortie en salles : le 29 décembre