Première – Critique – « Une journée ordinaire » avec Anouchka Delon et Alain Delon au théâtre des Bouffes Parisiens
Ce soir, au théâtre des Bouffes Parisiens (ce n’est pas un hasard, ce théâtre appartenait à Jean-Claude Brialy, grand ami d’Alain Delon) a eu lieu la première de la pièce « Une journée ordinaire ». Une pièce qui met en scène Alain Delon n’a de toute façon rien d’ordinaire et le titre, déjà, est d’une délicate dérision. Cela n’a rien d’ordinaire parce que Tancrède, Roch Siffredi, Jeff Costello, Corey, Robert Klein, Roger Sartet, Gino…, tout un pan de l’histoire du cinéma accompagne celui qui les a immortalisés. Cela n’a rien d’ordinaire parce que Delon est seulement pour la septième fois au théâtre. Cela n’a rien d’ordinaire parce que cette pièce a été écrite par Eric Assous à la demande de Delon pour sa fille Anouchka.
Emportée par le doux tourbillon de la vie parisienne, je réalise que la dernière pièce de théâtre à laquelle j’ai assisté c’était aussi une pièce avec Alain Delon, "Love letters" et auparavant « Sur la route de Madison », pourtant les premières années à Paris, j’allais très souvent au théâtre pour voir des pièces classiques, plus avant-gardistes ou populaires, ou les trois. Et pourtant j’ai toujours tant aimé ce frémissement, ce murmure, ce frisson avant le lever de rideau, avant cette rencontre palpitante qui nous plonge à la fois hors de la réalité et pleinement dans l’instant présent qui se joue face à nous. J’ai toujours aimé, aussi, observer le spectacle qui se joue dans la salle, intemporel ballet de la vie parisienne, réminiscence de mes lectures balzaciennes favorites et qui fait que lors d’une première comme celle-ci se croisent un chanteur aux allures de poète d’un autre temps, un écrivain aux allures de chanteur lui aussi –décidément, le décalage était à la mode- d’un autre temps, un présentateur de jeux télévisés, un mythe du cinéma, une actrice qui aurait aimé l’être, sans doute, ce mythe, et tant d’autres qui se croisent, s’observent et souvent feignent de s’ignorer ou s’adorer avec la même application. Fascinant ballet dont chacun est à la fois danseur, chorégraphe et spectateur. Mais là n’était pas l’essentiel, juste ce qui permettait de se distraire en l’attendant.
L’essentiel a eu lieu quand le rideau s’est levé et que j’ai oublié tout le reste, alors insignifiant. Quand le rideau s’est levé sur Anoucka Delon/Julie allongée dans un canapé et Alain Delon/Julien de dos. De dos pour que les premiers regards, sans doute, ne soient pas dirigés vers lui mais vers celle que cette pièce est destinée à mettre en lumière. Ce qui m’a marquée d’abord, c’est la justesse éclatante d’Anouchka Delon (tout comme cela m’avait déjà marquée dans « Le Lion »). Sa voix parfaitement posée. Sa prestance. Son assurance (pas une seule fois elle ne trébuchera). Et puis Delon, dans ce costume trop petit pour lui.
« Une journée ordinaire », c’est l’histoire d’une fille de vingt ans qui n’ose pas annoncer à son père avec qui elle vit seule qu’elle va le quitter pour vivre avec son amoureux mais Une journée ordinaire c’est surtout l’histoire d’un homme qui aime profondément, follement sa fille, qui s’éclipse pour la laisser vivre sa vie. Un duo, presque un couple comme en témoigne la gémellité de leurs prénoms (qui n’est pas sans rappeler celle de ceux des interprètes). Un homme fier, nostalgique, mélancolique, d’une malice parfois enfantine, d’une dureté fugace et finalement attendrissante. Un personnage qui se confond avec son interprète. Certains diront que Delon devrait plutôt jouer de grands textes d’auteurs classiques mais quand on est soi-même un « personnage shakespearien » pour reprendre les termes de Pascal Jardin, quand on promène avec soi une telle mythologie, nul besoin de jouer Shakespeare pour toucher ou émouvoir.
Alors bien sûr n’importe quel costume serait trop petit pour Delon qui a eu les plus beaux rôles qu’un acteur puisse désirer (pour ceux qui douteraient –si, il paraît qu’il y en a- de la diversité et de la -dé-mesure de son talent, regardez -notamment- « Monsieur Klein », « Le Professeur », « Le Guépard », « Plein soleil », « Le cercle rouge », "La Piscine", et dîtes-moi quel acteur pourrait interpréter avec la même apparente facilité des rôles si différents et si magistraux ) si bien qu’au début de la pièce il m’est apparu presque effacé mais au fur et à mesure que la pièce avançait le costume gagnait en élégance, en taille (au propre comme au figuré) pour finalement nous le laisser voir presque à nu, à vif, pour que la fiction rejoigne le mythe et la réalité.
Eric Assous (sur une mise en scène de Jean-Luc Moreau) joue intelligemment du parallèle entre ce personnage dont la fille est "l’ambition", qui porte son "deuil comme une légion d’honneur" et Delon, l’homme qui se définit comme nostalgique, passéiste et dont l’ambition est de faire des Delon une « dynastie d’acteurs ». Je n’ai pu m’empêcher de repenser à cet instant à la fois magique et mélancolique, en mai dernier, au Festival de Cannes, lorsque devant moi Claudia Cardinale et Alain Delon se voyaient sur l’écran dans « Le Guépard », cet écran qui racontait la déliquescence d’un monde et le renouveau d’un autre tandis qu’eux-mêmes revoyaient une époque révolue sans doute avec douleur et bonheur. Ce soir le prince de Salina, le « Guépard » c’était Delon et Tancrède c’était Anouchka.
On rit beaucoup, aussi, du décalage entre cette fille et ce père qui refuse de la voir grandir. De la crainte qu’il inspire. La crainte qu’inspire le personnage du père comme le mythe Delon mais l’un comme l’autre laissent affleurer par instants leurs failles, et même un soupçon d’enfance dont le surgissement, soudain, n’en est que plus bouleversant. Cette pièce qui se qualifie de « comédie moderne » vaut pour moi davantage pour les moments d’émotions qui la traversent même si certains qui l’ignorent encore seront sans doute étonnés que Delon les fasse rire autant (et la salle riait, beaucoup, moi la première, à tel point qu'il était parfois impossible d'entendre certaines répliques) comme ce fut le cas dans « Les montagnes russes » (une pièce également signée Eric Assous) où il déployait déjà sa force comique. Et puis lui qui aimait tant Gabin célèbre pour ses scènes de colère est aussi tellement impressionnant quand il se met en colère, mais aussi quand sa voix se fait plus posée, fragile. La virtuosité avec laquelle il fait passer le public du rire aux larmes est sidérante, de même que celle avec laquelle il passe de la tristesse à la colère en passant par la dérision.
Ce que j’ai préféré ce sont néanmoins ces trop rares instants où Delon s’exprime face à la salle où, en un quart de seconde, il parvient à nous bouleverser, où la solitude de ce père face à nous fait écho à celle de l’acteur. Delon dit que « le comédien joue, l’acteur vit » et c’était aussi sans doute ce qui était si bouleversant cette impression qu’il donnait la sensation de vivre devant nous. C’était ce qui était beau, troublant et qui suspendait le souffle de la salle. Une salle debout à la fin de cette pièce trop courte qui se confondait étrangement avec la réalité quand Delon, l’acteur, le père enlaçait sa fille et la poussait au devant de la scène pour qu’elle récolte les applaudissements. Amplement mérités. Quel bonheur pour lui sans doute qui rêvait de jouer avec sa fille de voir son nom sur l’affiche, à côté du sien, tout en haut. Quel bonheur de voir qu’au milieu de la pièce c’était son apparition à elle qui était applaudie. A signaler également la présence d’Elisa Servier (dans le rôle de l’amie de Julien, juste et émouvante) et Christophe de Choisy (très drôle en petit ami terrorisé): deux rôles trop courts mais dans lesquels l'un et l'autre excellent.
Cette fin de journée a été pour moi tout sauf ordinaire. Un beau moment. L’émotion d’un acteur extraordinaire. L'émotion d'une salle debout. L’éclosion d’une actrice. La complicité d’un père et sa fille. Un troublant écho entre la réalité et la fiction. Entre l’homme et le mythe. Il m’a fallu pas mal de temps après pour retrouver le chemin de la réalité, pour faire retomber l’émotion de cette dernière « image », poignante, et puis je me suis mise à rêver que cette lettre transmise à la fin de la pièce dans laquelle j’évoquais mon scénario arrive à son destinataire et qu’un jour il incarne ce rôle écrit pour lui et que cette journée décidément soit extraordinaire.
C’était la cinquième fois que je voyais Delon au théâtre après « Variations énigmatiques », « Les Montagnes russes », « Sur la route de Madison », « Love letters » et je n’espère vraiment pas la dernière. En tout cas pas la dernière fois qu’un(e) Delon montait sur scène. La dynastie des acteurs Delon n’est pas prête de s’éteindre. Une nouvelle étoile est née, lors d’une journée faussement ordinaire. Un moment de théâtre mais surtout de vie extraordinaire et à ne pas manquer mais dépêchez-vous car ne sont (pour l'instant) prévues que 100 représentations exceptionnelles, jusqu'au 12 mars 2011.
Il est (très) tard. Ce sont mes premières réactions, un peu désordonnées et imprécises, encore sous le coup de l’émotion de la pièce et de l’instant mais j’y reviendrai. En tout cas, je crois que vous l’aurez compris, je vous recommande cette pièce qui vous fera passer du rire aux larmes, du mythe à la réalité (et inversement) et un excellent moment, je vous le garantis.
En attendant, cliquez ici pour retrouver tous mes articles du cycle Delon publié sur ce blog.
Renseignements: Théâtre des Bouffes Parisiens/ 4 rue Monsigny/75002 Paris.
Commentaires
Je rentre également du théatre.
Delon, pour moi, c'est un mythe, mon amoureux platonique éternel depuis mes 10 ans (j'en ai 34 de plus).
Je l'ai vu ce soir, pour la première fois au théâtre.
Je suis subjuguée, que d'émotions.
Aujourd'hui, était mon plus bel anniversaire.
Merci pour votre sincérité, votre mauvaise fois, votre charme, votre humour, votre sensibilité, votre beauté.
Merci pour votre Aura, et votre justesse.
Je vous souhaite beaucoup de bonheur et une longue vie heureuse...
Quatre acteurs magnifiques, une comédie juste et sincère.
Emotion et rires garantis.
Quatre acteurs magnifiques, une comédie juste et sincère.
Emotion et rires garantis.
Fragile Delon,rendons lui grâce de ce lever de rideau
Je constate avec plaisir que cette pièce fait l'unanimité. C'est amplement mérité!
Je ne connais pas cet Alain Delon mais vous me donnez envie de le découvrir.
Bien à vous,
b
@Bernard Blancan: C'est un petit acteur qui débute. Je crois qu'il a une grande carrière devant lui. Encore félicitations pour la jolie revanche des Oscars!
Ah je reconnais là la "fan", celle qui cherchait à l'apercevoir à Cognac il y a quelques années (et qui y arrivait)...
Mais je suis d'accord avec toi... C'est un grand acteur...
Mais n'étant pas à Paris ; je vis la pièce juste par ton texte... Et c'est comme toujours hyper précis et soigné... Merci.
Merci Manu pour ce petit message, ça faisait longtemps!:-) Si je me souviens bien je n'étais pas la seule "fan". Malheureusement à l'époque je n'avais pas écrit de scénario pour lui, cela aurait été sans doute l'occasion rêvée pour le lui transmettre.
Magnifique. Emouvant. Profond et tragicomique. M.Delon est impressionnant de réalisme. Beau scenario, beaux acteurs. Belle pièce.
Wow ca donne franchement envie de voir la piéce ( moi Delon je l"ai vu dans les deux premières pièces et même la première je l'ai vue 3 fois ) .
Bonne chance pour ton scenario !!! :)
David-B: Entièrement d'accord... et plus encore...
@Mc: Merci pour le scénario.:-) (si seulement...) Et ravie que cela donne envie de la voir. Il FAUT que tu y ailles! Tu l'avais vu dans"Variations énigmatiques" alors? (le rôle qui lui allait le mieux à mon avis.)
Savez-vous si l'on peut retrouver les pièces de théatre d'Alain Delon en DVD??? Je ne trouve rien malheureusement.
Le 4 février 2011.
Merci à Eric Assous de cette pièce qui dépeint en quelque sorte, en filigranne, la vie et les sentiments que l'acteur Alain Delon peut ressentir dans SA VIE vis-à-vis de sa fille Anouchka qui a grandi ....
Alain Delon, jeune premier de cinéma, dont je suis fan depuis mon enfance (58 ans) a laissé la place à un acteur de théâtre, mûr, tout-à-fait à son aise sur une scène....qu'il ne devrait plus quitter !
75 ans ! C'est jeune pour le théâtre, de beaux jours vous attendent et de beaux rôles devraient encore vous être proposés !
Votre passage du cinéma au théâtre s'est parfaitement opéré. Continuez à nous enchanter et à nous émouvoir comme vous avez su le faire dans "Une journée ordinaire".
Anouchka, votre fierté est très belle, son avenir est devant elle, elle ne peut que progresser !
Bravo pour cette pièce et cette magnifique soirée que nous avons passée en votre compagnie.
Vous avez su nous faire sourire, même rire ! mais surtout nous émouvoir jusqu'aux larmes !
Encore merci pour votre talent !
Bonne continuation et bonne chance !
Soizik.
Le 4 février 2011.
Merci à Eric Assous de cette pièce qui dépeint en quelque sorte, en filigranne, la vie et les sentiments que l'acteur Alain Delon peut ressentir dans SA VIE vis-à-vis de sa fille Anouchka qui a grandi ....
Alain Delon, jeune premier de cinéma, dont je suis fan depuis mon enfance (58 ans) a laissé la place à un acteur de théâtre, mûr, tout-à-fait à son aise sur une scène....qu'il ne devrait plus quitter !
75 ans ! C'est jeune pour le théâtre, de beaux jours vous attendent et de beaux rôles devraient encore vous être proposés !
Votre passage du cinéma au théâtre s'est parfaitement opéré. Continuez à nous enchanter et à nous émouvoir comme vous avez su le faire dans "Une journée ordinaire".
Anouchka, votre fierté est très belle, son avenir est devant elle, elle ne peut que progresser !
Bravo pour cette pièce et cette magnifique soirée que nous avons passée en votre compagnie.
Vous avez su nous faire sourire, même rire ! mais surtout nous émouvoir jusqu'aux larmes !
Encore merci pour votre talent !
Bonne continuation et bonne chance !
Soizik.
Une soirée géniale, avec un géant du cinéma. Merci Mr DELON, pour votre talent, et votre fille en prend le chemin. Bravo également à Elisa qui comme toujours joue merveilleusement et Christophe que nous ne connaissons pas encore.
Belle pièce, belle histoire téellement vrai
Merci à vous tous pour nous avoir fait passer une agréable soirée avec fou rire, émotion, soirée trop vite passée.
On est évidemment charmés par la relation réellement tendre et complice entre Alain Delon, père magnifique et sa ravissante fille. Le ton de la pièce est enjoué, le sujet simple est amené avec légèreté et humour.On se retrouve dans l'un où l'autre des personnages, soit en jeune adulte qui m'émancipe soit en parent inquiet et vieillissant et on s'en amuse assez bien... Hélas, la pièce perd son rythme,le ton change, place à la sensiblerie, aux pleurs... Alain Delon en père soumis et pétri de chagrin.... cela ne sonne pas juste voir et cela devient même"insupportable".
Les deux autres acteurs semblent s'être égarés dans une pièce où ils n'ont pas de légitimité.
La pièce se termine sur cette impression bizarre d'un travail un peu décousu voir un peu baclé.
La fille de Delon ne joue pas, elle récite. La pièce démarre avec des longueurs pas possible. Il faut 1/2 heure pour expliquer une mise en situation qui demande 5 minutes. Les seuls moments de la pièce ayant du rythme ou des traits d'humour sont le tête à tête "Julien/Carine", puis le repas. Ensuite, on retombe dans une sensiblerie exarcerbée. Et même la fin donne un goût d'inachevé.
La performance d'acteur d'Alain Delon est excellente, mais il aurait été dommage qu'il en soit autrement. Franchement, je suis ressorti très déçu de ce théâtre où, en plus, on est trop étroitement installé.
A réserver aux fans inconditionnels de Delon !
Phé-no-mé-nal !!!
J'y suis allé 3 fois + ... ce soir pour la dernière.
Delon (Alain), fantastic...comme tjs. Le + grand.
Delon (fille) bravo bravo bravo , excellente sans fausse note.
Elisa Servier: grande, très grande dame de théâtre.
Les Bouffes ? Endroit sublimissime.
Cette pièce ? Magistralement jouée & excellente ècriture de son auteur.
Hélas, tout à une fin, ...en souhaitant une prolongation ...!!!
Je n'aurais malheureusement pas pu voir cette pièce . Est-ce que vous savez pourquoi la pièce c'est arrêtée une bonne semaine avant la fin ? Merci par avance .
Hier soir j'ai vu la Pièce à Cannes. Je suis une contemporaine de Delon, pas une fan et j'ai profité de l'occasion de le revoir sur scène après l'avoir admiré dans ses meilleurs films. Je me trouvais parmi un publique variant de l'âge entre 40 et 100 ans. Delon n'a pas l'aura d'un acteur avec une réputation de longue date. Assise au quatrième rang j'avais du mal à l'entendre et l'articulation de tous les autres trois sur scène était mauvaise. l'Emotion était superficielle, peut-être pas pour les autres, car c'est Delon. j'étais très déçue.Je donne 5sur 10 pour cette soirée.