Message de Jafar Panahi adressé au Festival International de Berlin
Découvrez ci-dessous le (beau et poignant) message du cinéaste iranien Jafar Panahi adressé au Festival international de Berlin (et lu par Isabelle Rossellini) à l'ouverture duquel, comme au Festival de Cannes 2010, se trouvait une chaise vide sur laquelle figurait son nom, membre du jury "contraint au silence" et privé de liberté pour 20 ans. Vous pouvez également signer la pétition de soutien sur le site de la Cinémathèque Française.
"L’univers d’un cinéaste est à la croisée des rêves et de la réalité. Il puise son inspiration dans la réalité, qu’il pare des couleurs de son imagination, et crée un film qui est la projection de ses espoirs et de ses rêves.
La réalité est que je suis interdit de tournage depuis cinq ans et que je viens d’être officiellement condamné à 20 ans d’interdiction d’écriture et de réalisation. Mais je sais aussi que je vais continuer à transformer mes rêves en films dans mon imagination. Je reconnais qu’en tant que cinéaste socialement responsable, je ne vais pas pouvoir rendre compte des problèmes quotidiens ni des préoccupations de mes concitoyens, mais je ne vais pas me priver de rêver qu’au terme de ces vingt ans, tous les problèmes auront disparu et que je ferai des films parlant de paix et de prospérité dans mon pays, si j’ai de nouveau la chance d’en faire.
La réalité est que l’on m’interdit de penser et d’écrire pendant vingt ans mais que l’on ne peut m’empêcher de rêver que dans vingt ans, l’inquisition et l’intimidation auront laissé place à la liberté d’action et de pensée.
On m’empêche de voir le monde pendant vingt ans. J’espère que lorsque je serai libre, je pourrai voyager dans un monde sans aucune frontière géographique, ethnique ni idéologique, où les hommes vivront librement ensemble, en paix, quelles que soient leurs croyances et convictions. J’ai été condamné à vingt ans de silence. Et pourtant dans mes rêves, je crie pour qu’un jour nous puissions nous tolérer, respecter nos points de vue respectifs et vivre les uns pour les autres.
En définitive, la réalité de ma sentence est que je dois passer six ans en prison. Je vais vivre pendant ces six prochaines années dans l’espoir de voir mes rêves devenir réalité. Je souhaite que mes confrères des quatre coins du monde réalisent de grands films de sorte que, lorsque je sortirai de prison, je sois inspiré pour continuer à vivre dans le monde qu’ils ont rêvé dans leurs films.
À partir d’aujourd’hui, et pour les vingt années à venir, je suis contraint au silence. On m’oblige à ne pas voir, on m’oblige à ne pas penser, on m’oblige à ne pas faire de films.
Je me soumets à la réalité de la captivité et des geôliers. Je chercherai la manifestation de mes rêves dans vos films, espérant y trouver ce dont on m’a dépossédé."
Jafar Panahi