« Tous critiques ? » un documentaire de Julien Sauvadon et Jean-Jacques Bernard
L’an passé, je vous avais parlé de l’excellent documentaire de Julien Sauvadon et Jean-Jacques Bernard intitulé « Les Eblouis du cinéma » et consacré à la cinéphilie. Jean-Jacques Bernard président du syndicat des critiques de cinéma, chroniqueur sur France inter, anime également des émissions sur Ciné Cinéma Classic depuis 1991 et désormais « Boulevard du Classic ». Julien Sauvadon, quant à lui, est journaliste à France 3 Rhône-Alpes, vous pouvez d’ailleurs retrouver ses reportages consacrés au Festival de Cannes, ici.
Jean-Jacques Bernard fait partie de ces critiques qui ne parlent jamais du cinéma avec aigreur, cynisme, ou esprit de revanche mais toujours avec un amour communicatif du cinéma. La critique, c’est justement le thème de ce documentaire réalisé à l’occasion des 50 ans de la Semaine de la Critique. Si « En France, tout le monde a deux métiers, le sien et critique de cinéma » comme disait Truffaut, l’émergence des forums et blogs a accentué ce phénomène, chacun pouvant aujourd’hui exprimer publiquement son avis. Julien Sauvadon et Jean-Jacques Bernard s’interrogent ainsi sur ce qu’est la critique aujourd’hui, avec ce qu’implique cette nouvelle donne, en en faisant un état des lieux à partir de témoignages de distributeurs, critiques, cinéastes, agences de communication …ou même blogueurs dont une blogueuse que vous connaissez.
Les nombreux jurys auxquels j’ai participé depuis 1998 (souvent organisés par des journaux de cinéma) et ma participation au « Cercle » (unique mais non moins mémorable pour moi) et aujourd’hui la fréquentation assidue des projections presse m’ont permis de côtoyer les critiques depuis de nombreuses années et à diverses occasions de constater la diversité de comportements, de visions du cinéma et de points de vue : de ceux qui aiment passionnément le cinéma à ceux qui méprisent ceux qui le font ( bien souvent car envient ceux qui le font s’en sachant incapable, tant pis pour le cliché) , de ceux qui sont consciencieux à ceux qui arrivent en retard aux projections presse ou repartent avant la fin d’un film, de ceux qui en ont une connaissance encyclopédique à ceux qui en ont une connaissance plus que parcellaire, de ceux qui se vantent de s’endormir aux projections presse cannoises à ceux qui retournent consciencieusement voir un film, de ceux pour qui c’est un gagne pain comme un autre à ceux pour qui c’est une réelle passion. J’ai aussi vu leur regard sur les blogs évoluer de l’indifférence au mépris à un intérêt grandissant doublé tout de même toujours de méfiance, il n’empêche qu’ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à créer leurs blogs conscients qu’internet est aujourd’hui un média incontournable.
Pour ma part, je me considère (surtout ) pas comme une critique (et souhaite encore moins être considérée comme telle, d’ailleurs qui rêve de faire critique quand il sera grand ?) mais avant tout comme une cinéphile, une « éblouie » du cinéma, une passionnée qui souhaite transmettre son enthousiasme et sa passion viscérale d’où le choix d’évoquer prioritairement les films pour lesquels j’ai eu des coups de cœur (et donc de ne pas parler de tous les films que je vais voir), d’où le choix de vulgariser, d’essayer de convaincre, de partager des émotions en me référant souvent aussi à l’histoire du cinéma... C’est aussi la raison pour laquelle je me refuse à mettre des notes : quel que soit le film, il y a toujours quelque chose à sauver et une note me semble réductrice et ne pouvoir résumer toute la complexité d’un film. Il m’arrive en revanche, plus rarement, quand l’agacement l’emporte d’évoquer des films que je n’ai pas du tout aimés ou pour lesquels je n’ai pas compris l’engouement général. Quant à la question de la légitimité également posée dans le documentaire, je pense y répondre ( là) et que, tout comme pour les critiques professionnels, il existe autant de parcours singuliers que de blogueurs, autant d’opportunistes, d’ignorants que de vrais passionnés et cinéphiles à la différence près qu’un blogueur n’est pas payé ni soumis à une rédaction, que le lecteur ne paie pas non plus pour le lire et donc que finalement cela ne porte préjudice à personne si la qualité n’est pas au rendez-vous.
En tant que blogueuse, je suis d’autant plus libre de m’exprimer et de choisir l’angle que la critique n’est pour moi surtout pas une vocation, mais un moyen d’exprimer, défendre et partager ma passion pour le cinéma et d’autant plus qu’aucun rédacteur en chef ne viendra me dire ce dont je dois parler ou non. Je comprends néanmoins l’agacement de certains critiques professionnels de voir chacun s’exprimer, parfois sans connaissance du cinéma (comme dans l’exemple du documentaire sur les forums Allociné écrits avec un vocabulaire et orthographe d’enfant de 6 ans dans l’exemple lu, il aurait peut-être été plus judicieux de la part d’Allociné de choisir des blogs Allociné sur lesquels subsistent de vrais cinéphiles passionnés). Et je comprends Michel Ciment quand il se dit perdu dans l’océan des blogs, sorte de magma indifférencié dans lequel j’admets que parfois le souci de visibilité et d’audience prime sur la qualité, où l’opportunisme l’emporte parfois sur le véritable amour et la connaissance du cinéma.
La critique, pour être constructive et instructive, doit selon moi s’accompagner d’une vraie connaissance du cinéma et de son histoire, d’un recul, quand pour beaucoup aujourd’hui elle relève de réactions épidermiques, quand pour beaucoup le cinéma commence en 1980. C’est sans doute le défaut d’internet, l’immédiateté, et plus encore de twitter qui résume, réduit, exagère et bien souvent déforme la pensée dans un but racoleur d’accroche.
A titre personnel, je regrette qu’internet s’aligne de plus en plus sur la critique professionnelle et que le côté bon enfant des débuts auxquels j’ai assisté et participé laisse aujourd’hui place à une concurrence absurde (c’est très loin d’être une généralité, des soirées comme How I met your blogger montrent que les blogs restent un lieu d’échange cordial voire amical entre passionnés pour la majorité avec laquelle j’ai d’ailleurs plaisir à débattre…mais surtout pas sur twitter où je déplore que cela tourne trop souvent au règlement de compte personnel, avec des attaques in-dignes de la cour d’école).
Quoiqu’il en soit, j’aurai de toute façon toujours plus d’admiration pour le plus mauvais des cinéastes qui d’une certaine manière se met à nu que pour le « meilleur » des critiques qui ne se livre pas mais livre simplement un avis sur le travail des autres confortablement installé devant son écran, pour moi « meilleur critique » ne s’entend par ailleurs pas du plus virulent, de celui qui parle le plus fort, mais de celui qui sait le mieux partager et vulgariser son amour du cinéma et ne l’utilise pas comme prétexte à « une affirmation de soi », ou à l’expression d’une plume vengeresse (d’ailleurs, je reste persuadée que rien n’est plus facile que de détruire ou critiquer négativement un film, le comble de la facilité voire de la lâcheté étant de détruire deux ans -voire beaucoup plus- de travail, d’engagement, d’abnégation par quelques phrases lapidaires, sans doute très jouissives pour son auteur).
Comme le dit une des journalistes du Cercle dans le documentaire, la critique remplit pleinement son rôle quand une concordance de critiques positives permet à un film d’émerger. Benoit Jacquot souligne ainsi qu’il doit « sa survie et sa pérennité à la critique »… et rien que cela en justifie la nécessité et l’utilité.
Ce documentaire dresse un tableau juste, un regard empathique et non moins réfléchi, un état des lieux critique et complet, sur ce qu’est la critique cinématographique aujourd’hui. Il vous emmènera dans les coulisses de la rédaction de Studio Ciné Live, vous fera rencontrer notamment Michel Ciment de « Positif », vous emmènera dans les coulisses du "Masque et la plume » ou du « Cercle » et vous montrera qu’il reste encore pas mal de chemin à parcourir pour que la critique sur internet acquiert ses lettres de noblesse auprès des autres médias que je soupçonne pour certains de n’être néanmoins pas toujours de bonne foi ne voyant sans doute pas d’un très bon œil cette « concurrence » impalpable et croissante. Il n’e demeure pas moins que la prise en compte des avis des blogueurs ( et ne nous leurrons pas, surtout de la visibilité qu’ils peuvent donner aux films) est aujourd’hui croissante et une donnée incontournable, chaque société de distribution ou presque ayant aujourd’hui son « community manager » chargé des relations blogueurs ou des sociétés se consacrant même entièrement à ces échanges (Way to blue, Cinéfriends, Ulike…).
Si vous voulez vous faire un avis et en savoir plus sur ce vaste sujet, les dernières diffusions auront lieu dimanche 5 juin à 14H30 et samedi 11 juin à 19H45 et, là, sur internet. En attendant avec impatience le troisième documentaire de Julien Sauvadon et Jean-Jacques Bernard qui en deux documentaires ont dressé un tableau relativement exhaustif et en tout cas passionnant de la critique et la cinéphilie aujourd’hui, et ont imposé un ton bien à eux à la fois didactique et enthousiaste. Retrouvez, ci-dessous, l'interview de Julien Sauvadon et Jean-Jacques Bernard à ce sujet, en direct de Cannes.
Quant à mes propres critiques qui se sont un peu raréfiées depuis Cannes sur mes différents blogs, elles vont reprendre et je vous annonce même un festival qui n’était pas prévu à mon programme que je vous commenterai très prochainement en direct…