Avant-première- Critique de « L’art d’aimer» de Emmanuel Mouret
« Un baiser s’il vous plait » du même Emmanuel Mouret m’avait particulièrement enthousiasmée de par son ton théâtralisé, ludique et burlesque qui nous donnait envie de saisir chaque seconde et désirer la vie. « L’art d’aimer » était un titre aussi alléchant et intrigant que celui précédemment cité, évidemment en référence à l’œuvre d’Ovide avec lequel il a en commun une certaine ironie et des digressions (apparentes).
« Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus… » Tel est le pitch officiel qui, à l’image du titre, nous trompe un peu sur ce à quoi nous assistons, ce qui n’enlève rien aux qualités du film. D’art d’aimer ou de sublimer l’amour, il n’est pas vraiment question mais plutôt de l’art de désirer dans lequel la morale est bien souvent un obstacle et qui se résume finalement davantage à l’art d’esquiver qu’à celui d’aimer
A la lecture du titre, j’avais imaginé que le film serait une illustration de la célèbre phrase de La Rochefoucauld : « Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour » mais Mouret nous fait suivre plusieurs saynètes mettant en scène les tergiversations de ses personnages sur leur désir et non sur leur manière de sublimer l’amour. Ainsi, une femme mûre mariée qui ne peut s’empêcher de regarder et désirer tous les hommes. Une autre amoureuse de son compagnon mais qui désire son collègue de travail. Un compositeur en quête de musique de l’amour (à mon sens la plus intéressante mais qui ne sera pas vraiment traitée, ce qui nous prive en plus de Stanislas Merhar, déjà trop rare). Une femme en couple désirée par un de ses amis qui va suggérer à une amie célibataire de prendre sa place. Volontairement Emmanuel Mouret a réduit ses histoires à l’essentiel, les comparant d’ailleurs lui-même à des nouvelles sauf que toute nouvelle se caractérise par une chute, ce qui n’est pas forcément le cas ici pour toutes les histoires à l’exception notamment de la plus ludique qui clôture le film.
Malgré cela, on retrouve ce mélange d’inspirations : Truffaut, Rohmer et Allen (lorgnant plus vers les deux derniers cette fois et notamment des dialogues et même une manière de parler qui m’ont beaucoup rappelé le célèbre cinéaste américain) mais aussi cette légèreté mélancolique, cette gravité légère et fantaisiste. Emmanuel Mouret possède incontestablement un ton bien à lui qui peut agacer autant que charmer, frôlant parfois la caricature d’un cinéma d’auteur français. Je fais partie des charmés davantage que des agacés. Les différentes saynètes sont séparées par des intertitres ( et se recoupent parfois) qui illustrent ce ton décalé : « Il n’y a pas d’amour sans musique », « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre », « Le désir est inconstant », « Sans danger, le plaisir est moins vif »…
Ce film est à l’image de ses personnages : séduisant. Car c’est là indéniablement l’autre atout du film, son casting impeccable. Chacun interprète sa variation sur l’art de désirer, et non d’aimer donc, avec beaucoup de justesse: Stanislas Merhar, François Cluzet, Gaspard Ulliel, Pascale Arbillot, Julie Depardieu, Judith Godrèche sans oublier la belle et grave voix off de Philippe Torreton.
Une fantaisie ludique d’une ironie savoureuse qui laisse parfois affleurer une douce gravité qui a autant de charme maladroit que ses personnages mais qui, malgré le sentiment d’inachevé qu’elle nous laisse, témoigne d’une liberté de ton de plus en plus rare, salutaire et rafraîchissante, et réellement réjouissante dans son dernier quart d’heure.
Sortie en salles : le 23 novembre
Commentaires
J'aime la qualification "fantaisie ludique d'une ironie savoureuse". J'ai presque envie de la reprendre :)