Compte rendu et palmarès du Festival International du Film Policier de Beaune 2015
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A l’invitation de 13ème rue (la chaîne du thriller, canal 41 de Canal sat pour ceux qui l’ignoreraient encore et partenaire du festival), j’ai eu le plaisir de découvrir enfin le Festival International du Film de Beaune dont c’était cette année, déjà, la 7ème édition, une belle et grandissante réussite pour ce festival, successeur du Festival de Cognac qui s’est arrêté en 2007. Après avoir arpenté, parfois depuis deux décennies, les festivals de Deauville, Cannes, Cabourg, Dinard, Paris, La Baule, Annonay, Monaco, Saint-Jean-de-Luz…, voici le récit de mes nouvelles pérégrinations festivalières, cette fois en Bourgogne.
Pour que l’alchimie d’un festival de cinéma opère, il faut mêler les singularités de différents éléments, celles d’un lieu, d’une atmosphère, et évidemment des films. A Beaune, tous ces ingrédients sont réunis pour plonger le spectateur dans l’ambiance angoissante, haletante, intrigante, électrisante du film policier représenté et célébré dans toute sa diversité comme l’ont démontrée la compétition officielle (allant du polar social au thriller) et le palmarès de ce festival témoignant ainsi également de la richesse et de la vigueur du cinéma européen, un film danois, un film allemand, un film autrichien et un film espagnol figurant au palmarès. La ville de Beaune, plaisamment labyrinthique, qui nous enferme dans son cercle (rouge ?) et dans laquelle on se laisse perdre avec délice (pourvu que l’on finisse par accéder au lieu des séances à l’heure, au très agréable Cap cinéma), dédale de ruelles au charme intemporel, semble elle-même avoir été dessinée par le plus doué et inventif des décorateurs de films tant elle pourrait servir de cadre mystérieux, voire mystique, à une intrigue policière labyrinthique. Et, concernant la singularité des films, c’est un euphémisme que de dire que les bons films sont au rendez-vous puisque j’y ai vu le meilleur film de cette année 2015 qui m’a littéralement scotchée à l’écran (je me demande même si je n’y suis pas encore accrochée tant ce film m’a happée dans son univers).
A n’en pas douter, la ville de Beaune restera à jamais associée aux vignobles prestigieux (Pommard, Corton-Charlemagne, La Romanée-Conti…) au cœur desquels elle se situe, à son monument le plus emblématique (l’Hôtel Dieu -Hospices de Beaune-) avec son célèbre toit aux tuiles vernissées mais elle sera aussi désormais indissociable de son Festival du Film Policier.
Je vous disais dans ma présentation du festival et de son programme que mon film policier préféré était « Le Samouraï » de Melville. Le premier plan montre le Samouraï ( Costello/Alain Delon) à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil. La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei interprété par Bourvil dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis, mais c’est encore une autre histoire…). Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). La phrase d’exergue du « Samouraï » pourrait finalement être la phrase d’exergue de la majorité des 8 films en compétition de ce 7ème Festival International du Film Policier de Beaune que sont « Corruption 2 – le sang des braves d’Olaf » de Fleur Johannesson, « Hyena » de Gerard Johnson, « The Intruder » de Shariff Korver, « Jamais de la vie » de Pierre Jolivet, « Marshland » d’Alberto Rodriguez, « La résistance de l’air » de Fred Grivois, « Une seconde chance » de Susanne Bier et « Victoria » de Sebastian Schipper et qu’a eu à départager le jury longs-métrages présidé par Danièle Thompson, entourée de Emmanuelle Bercot, Stéphane de Groodt, Philippe Le Guay, Jean-François Stévenin et Elsa Zilberstein.
En effet, la plupart de ces films nous racontent les destins de personnages profondément seuls, prisonniers d’une réalité étouffante, assoiffés d’ailleurs, de liberté, ou tout simplement d’un quotidien moins médiocre, en quête d’une famille et d’eux-mêmes. Ces aspirations mais aussi la solitude, la crise, l’absence de (re)pères, vont leur faire franchir la ligne rouge et basculer, souvent dans l’illégalité. Certains vont y trouver la lumière, d’autres vont sombrer. Mais en tout cas, pour ces êtres désillusionnés, désenchantés, le salut ne viendra que de la fuite : en avant, vers un ailleurs, parfois même dans la mort comme si l’horizon, ici et maintenant, était définitivement obscurci et sans issue. Un triste constat pour des films non moins prenants, parfois même passionnants, voire exceptionnels.
VICTORIA de Sebastian Schipper (compétition)
C’est le cas du film que j’évoquais ci-dessus, celui qui m’a scotchée à l’écran, qui a reçu le grand prix du festival et une mention spéciale du jury de la critique: le film allemand « Victoria » de Sebastian Schipper. C’est aussi le film qui a divisé les festivaliers, les uns le trouvant ennuyeux et invraisemblable, les autres (dont je suis) le jugeant palpitant et passant outre les quelques invraisemblances (d’ailleurs justifiables puisque l’action est vue à travers le regard de l’héroïne, forcément biaisé, par l’adrénaline, la peur, et les différentes substances qu’elle a ingurgitées, de gré ou de force). Le réalisateur a suivi des cours d’art dramatique et a été comédien notamment dans des films deTom Tykwer et Anthony Minghella avant de réaliser son premier long « Les Bouffons » qui remporta le prix du meilleur Film en Allemagne en 1999. « Victoria » est son 4ème film. Il fut présenté en compétition à la 65ème Berlinale où il n’était d’ailleurs pas passé inaperçu.
A Berlin, à la sortie d’une boîte de nuit, Victoria, une jeune Madrilène (Laia Costa), fait la rencontre de Sonne et de ses trois amis. Les quatre hommes se sont visiblement attirés des ennuis et ils demandent à Victoria de les accompagner dans leur virée nocturne en leur servant de chauffeur. Mais la folle aventure tourne rapidement au cauchemar quand l’un des quatre hommes doit rendre un service à un homme qui lui a assuré protection en prison…
Le film débute par les lumières aveuglantes, stroboscopiques et dangereusement grisantes d’une boîte de nuit, rythmées par l’insidieuse violence de la musique techno nous plongeant d’emblée dans la même atmosphère, hypnotique et électrisante, que le personnage principal, Victoria, à qui les lumières, se dissipant, laissent ensuite place à l’écran, et que nous ne quitterons plus une seule seconde en 2H20 de film. Rien n’est laissé au hasard : ni le fait qu’elle soit en intérieur (le film s’achèvera en extérieur, symbole de son cheminement, de l’enfermement vers la liberté, de l’obscurité vers la lumière), ni l’envie de liberté qui semble être la sienne : elle se déchaîne sur la piste, veut offrir un verre au barman. Nous sommes prévenus : Victoria est libre ou du moins veut se sentir comme telle, n’a pas froid aux yeux, a envie de se sentir vivante. L’impression de vitalité est immédiate et fascinante. Je le répète souvent ici mais Truffaut disait de Sautet à propos de son cinéma « c’est la vitalité » et sans doute est-ce une des raisons pour lesquelles j’ai été autant fascinée par ce film comme je le suis par les films de Sautet. Ce film est en effet imprégné d’une vitalité, rare, dès la première seconde…jusqu’à l’ultime. Tout est dit déjà dans ces premières secondes : l’envie de liberté, de transgression, d’évasion, d’enivrement, l’aveuglement, la solitude, la brutalité.
On refuse l’entrée du club à quatre hommes que Victoria a entrevus quelques minutes plus tôt. La frontière est fragile entre la joie et la mélancolie, la sérénité et la violence. Tout semble pouvoir basculer d’un instant à l’autre. Ce sont de « vrais berlinois » heureux de rencontrer une petite madrilène, et réciproquement, heureux de ce vertige de la rencontre, de l’inconnu(e). Ils font connaissance sous nos yeux. C’est à la fois anodin et palpitant, singulier et universel. Parce que la caméra à l’épaule est là et se fait pourtant bel et bien oublier comme si la scène existait vraiment sous nos yeux, comme si nous en étions le complice, le sixième participant. Le réalisateur évoque son film « non pas comme un film de braquage mais un braquage ». Et c’est exactement ça. Nous oublions le dispositif, la salle, les autres, nous participons au braquage, sommes prisonniers volontaires de l’action, grisés comme Victoria par l’attrait du danger, par ce rythme échevelé qui fait battre les cœurs plus vite, plus intensément.
One girl. One city. One night. One take. Tel est le slogan sur l’affiche du film. Certes. Certes, on vous parlera avant tout de la virtuosité (réellement remarquable) de ce plan-séquence de 2H20 mais ce film n’est pas qu’un vain exercice de style. Il nous raconte vraiment une histoire, un parcours, des désirs : de vie, de palpitations, de liberté, d’ailleurs, d’amour que chaque plan du film exhale.
Il y a là quatre amis d’enfance, en somme une petite famille dont Victoria devient le cinquième membre avec Sonne le gentil du groupe, le moins déjanté, le plus malin, finalement peut-être le plus perdu (Frederick Lau), Blinker (Burak Yigit), Boxer, l’ancien taulard qui dit n’être pas vraiment méchant, et insiste tellement sur ce point qu’on se dit que quelque chose de pas très honnête doit se tramer (Franz Rogowski) et Fuß, qui fête son anniversaire, et déjà bien alcoolisé (Max Mauff). Les dialogues et les mouvements fusent pour ne laisser aucun répit, aucun repos, aucun temps mort, pour ne pas nous et leur laisser le temps de souffler, pour nous épuiser, nous faire redouter et espérer la seconde d’après qui forcément leur fera franchir un cran supplémentaire dans la violence jusqu’au point de non-retour, celui inscrit dans les premières secondes, ces lumières stroboscopiques, infernales et fascinantes, comme le danger, comme la mort. La vi(ll)e leur appartient. Nous sommes dans ce présent, palpitant et périlleux, avec eux. Et comme Victoria, nous les suivons, conscients du danger, et attirés par lui.
Victoria vole de l’alcool chez un épicier endormi puis ils vont sur le toit d’un immeuble, en murmurant comme ses nouveaux amis le lui ordonnent gentiment pour ne pas déranger les voisins. Le danger semble pouvoir surgir à tout instant. On chuchote pour ne pas le réveiller. Les rires ne semblent être que le masque de la peur, et de la violence, latente. Victoria frôle le vide, attirée par son vertige, pour l’éprouver, s’éprouver, et nous éprouver par la même occasion.
La caméra se contorsionne, vole, d’extérieurs en intérieurs, de boîtes de nuits aux voitures, braque les visages et les coeurs. Une scène dans le café où travaille Victoria et où se révèlent les personnalités et de Victoria et Sonne est un moment d’anthologie, de magie, tendre et émouvant, un vrai court métrage, une pause dans cette course folle dont la puissance est encore exacerbée par ce qui précède et par la suite qu’on redoute sans la deviner tout à fait. Nous sommes presque mal à l’aise d’assister à leurs échanges tant ils semblent réels, tant leurs sentiments respectifs semblent éclore sous nos yeux, tant l’alchimie crève l’écran, tant ils sont touchants. Vivants. Vibrants. J’ai du mal à croire que les dialogues aient été improvisés (et cela rend ce film d’autant plus réussi et impressionnant) tant tout cela semble ciselé, parfait… Alors que Victoria aurait pu rester tranquillement dans le café où elle travaille, elle va les suivre dans cette course « à bout de souffle », qu’elle attendait finalement, terrifiée par le vide de sa vie, l’ennui, happée par l’adrénaline, comme le spectateur. Les notes sublimes et violentes de « la valse de Méphisto » qu’elle joue, magistralement, au piano, sont comme un avertissement. Nous voilà prévenus. Ces deux-là aiment le diable, et le revendiquent…
En une nuit, dans ce Berlin cosmopolite, contrasté entre ses rues étrangement désertes et ses nuits enfiévrées, Victoria aura côtoyé le danger, l’amour, la mort, l’ivresse, au bord du vide (littéralement, ce vide qui l’attire dès le début)…et elle s’y jettera à corps perdu. Non, « Victoria » n’est pas qu’un vain exercice de style et qu’un plan-séquence ébouriffant, vertigineux, mais un récit d’apprentissage énergique, vivace, intense, une expérience initiatique pour son héroïne comme pour le spectateur, une rencontre avec des personnages furieusement vivants, épris de liberté et au bord du gouffre. Le portrait sublime et saisissant d’une jeune femme que nous suivons jusqu’au bout de la nuit, une jeune femme qui tombe, s’étourdit, dérive et se relève jusqu’au plan final qui nous laisse, enfin, reprendre notre souffle, suspendu pendant ces 2 heures 20 enivrantes, étourdissantes. Exténués. Eblouis. Et en attente, déjà, du prochain tour de manège…
« Je voudrais dire à cette merveilleuse comédienne que ce prix est aussi en grande partie le sien » a déclaré Danièle Thompson en décernant le grand prix. Evidemment, ce film ne serait pas ce qu’il est sans la justesse, sidérante, de ses comédiens, au premier plan desquels son incroyable actrice principale dont le jeu et l’intensité jamais ne fléchissent et qui sont pour beaucoup dans notre envie de la suivre, de la croire, et de passer outre tout ce qui, dans un autre film, aurait perturbé cette croyance aveuglée.
La sortie est prévue le 1er juillet 2015. Courrez-y. J’y retournerai.
THE INTRUDER de Shariff Korver (compétition)
« The Intruder » (Infiltrant) de Shariff Korver est un premier film néerlandais qui raconte là aussi le parcours d’un personnage en mal de repères familiaux, avec pour seule compagnie sa mère, gravement malade.
Né aux Pays-Bas d’un père marocain et d’une mère hollandaise, et fraîchement diplômé de l’école de Police, Samir souhaite faire bonne impression auprès de ses supérieurs. Après une légère bavure qui démontre autant son courage que sa volonté de défendre la veuve et l’orphelin et alors qu’il est suspendu, on lui propose d’infiltrer une famille marocaine mêlée au trafic de drogue, l’occasion pour lui de faire ses preuves. Accueilli et rapidement accepté par le clan, Samir y trouve ce qui lui a finalement toujours manqué : la sensation d’appartenir à une vraie famille. Le policier se sent alors déchiré entre cette nouvelle famille plus vertueuse qu’il aurait pu penser, et ses confrères de la police, moins irréprochables qu’il aurait pu lui sembler.
Là aussi le rythme soutenu, le péril qui plane constamment, le doute quant au basculement du héros d’un côté ou de l’autre, créent un suspense haletant. L’intrigue policière n’est finalement qu’un prétexte pour dresser le portrait psychologique de cet homme qui, chez ceux qu’il doit dénoncer, va trouver la famille qu’il n’a pas eue. Plus que d’éviter l’écueil du manichéisme, le film est la parfaite illustration de la complexité des êtres et n’oppose pas flics et voyous mais les réunit finalement dans un pareil besoin de se trouver une famille dans un clan, comme le montrent les différents plans de dos de « The Intruder » placé aux côtés de ceux qu’il doit démasquer et faire tomber, comme un frère, celui qu’il devient pour eux. Le dilemme psychologique, moral, est passionnant et porté par un acteur remarquable qui semble en arborer le douloureux poids sur son visage : Nasrdin Dchar.
LA RESISTANCE DE L’AIR de Fred Grivois (compétition)
Champion de tir au fusil, Vincent (Reda Kateb) mène une vie tranquille entre sa femme et sa fille. Jusqu’au jour où des problèmes d’argent menacent l’équilibre de sa famille et l’obligent à remettre en cause ses projets. Quand, au stand de tir, il rencontre Renaud, un personnage aussi séduisant qu’énigmatique qui lui propose alors un contrat un peu particulier, Vincent met le doigt dans un engrenage des plus dangereux…
Le contexte est certes différent mais ce film met là aussi en scène un personnage enfermé dans ses problèmes et la solitude malgré (ou à cause de) un père mourant et irascible qu’il doit héberger (Tcheky Karyo), une femme qui ne supporte plus cette présence pesante et leurs vies absentes. Un homme ordinaire qui va basculer dans une vie « extraordinaire », dangereuse, et semble-t-il autant pour s’en sortir que pour se sentir vivant, l’être aux yeux des autres, retrouver sa famille, et son rôle, éprouvé par la perte de son père, d’une partie de lui-même, se réinventant, basculant dans la noirceur, avec des réactions presque animales, instinctives. La fin certes immorale mais joliment ouverte fait écho à celle de « Victoria ». Le film porté par des tons froids bleutés et grisâtres, doit beaucoup à son joli scénario mais surtout à la présence charismatique de Reda Ketab (César du Meilleur second rôle pour Hippocrate), touchant et inquiétant, intense, fascinant, qui dévore littéralement l’écran. Un premier film prometteur qui sortira en salles le 17 juin 2015. Fred Grivois fut assistant réalisateur sur « Un Prophète » (dans lequel Reda Kateb était d’ailleurs déjà remarquable) et le scénario a été co-écrit par Thomas Bidegain, co-auteur de « De rouille et d’os » d’Audiard. On retrouve ici d’ailleurs ce qui fait une des marques du cinéma d’Audiard : l’intérêt pour des personnages écorchés vifs et une écriture précise, de la noirceur vers la lumière.
JAMAIS DE LA VIE de Pierre Jolivet (compétiton)
Franck, 52 ans, est gardien de nuit dans un centre commercial de banlieue. Il y a dix ans, il était ouvrier spécialisé et délégué syndical, toujours sur le pont, toujours prêt au combat. Aujourd’hui, il est le spectateur résigné de sa vie, et il s’ennuie. Un soir tard, il voit un 4×4 qui rôde sur le parking, et il sent que quelque chose se prépare. La curiosité le sort de son indifférence… Il décide d’intervenir. Une occasion pour lui d’enfin reprendre sa vie en main…
Décidément… La crise semble inspirer les cinéastes. Les personnages de « La résistance de l’air » et « Jamais de la vie » ont en commun d’étouffer dans une vie précaire, sans perspectives, prisonniers d’un avenir sans horizon. Les deux mêlent drame social et thriller. Ma préférence va indéniablement à « La Résistance de l’air » qui prend le parti de la fiction, du thriller, le drame social n’étant que le déclencheur, là où Jolivet en fait l’élément essentiel, au risque d’écrire des dialogues qui sonnent faux, trop écrits, comme si la crise n’était qu’une donnée statistique vue que par le prisme de l’écran de télévision.
Il dépeint ainsi un personnage principal, Franck, gardien, ancien syndicaliste, au passé trouble, qui aime un peu trop l’alcool mais particulièrement bienveillant avec les autres qu’il s’agisse de ses collègues, de sa sœur ou des squatteurs de son quartier. Englué dans son quotidien dont la seule perspective pas très folichonne est un CDI et des années de travail pour une retraite minable, l’issue semble être inéluctable. De sa seule soirée dans le monde (des plus riches, des vivants, des accompagnés, de ceux qui ont une perspective autre qu’un CDI et des années de travail pour une minable retraite donc) ne résulte plus lui qu’une sensation nauséeuse, celle d’une vie sans éclaircie, sans espoir d’un lendemain meilleur.
Plus intéressante est sa relation avec sa conseillère de pôle-emploi (touchante et juste Valérie Bonneton). Plutôt que le polar, Jolivet a opté pour le film noir, social, et la dénonciation d’une société inique qui marginalise, aliène, annihile tout rêve. Pierre Jolivet qui à chaque film ou presque tente un style différent, tente ici, avec maladresse, le mélange des genres entre comédie, polar, drame.
L’intérêt du film est avant tout son personnage principal, brisé et debout parce qu’il le faut, dont la vie ne semble plus être qu’un long tunnel ennuyeux sans sortie vers la lumière, un personnage à travers le regard duquel le film peine à avancer. Nous sommes enfermés avec lui dans sa solitude, sa vie sans issue. A défaut d’un grand film, sans doute un des meilleurs rôles d’Olivier Gourmet avec ceux qu’il a interprétés dans le films des frères Dardenne (dont Jolivet n’a malheureusement pas la justesse, l’acuité, la finesse psychologique) et avec un rôle aux antipodes de celui de « L’Exercice de l’Etat » dans lequel il avait également excellé. A noter : la belle présence de Marc Zinga (formidable dans « Qu’Allah bénisse la France »). A voir pour Olivier Gourmet et uniquement pour lui.
MARSHLAND (La isla minima) de Roberto Rodriguez
Le film d’ouverture, le film espagnol Marshland repart avec deux récompenses, celui du prix du jury « Spécial police » et le prix de la critique, remis par Philippe Rouyer, président du jury de la critique et critique à Positif. Le film débute par vues aériennes d’une Espagne dont les paysages s’apparentent, à l’image des ruelles de Beaune (ou comment franchir allègrement la frontière si étanche, a fortiori en festivals, entre cinéma et réalité), à un dédale inextricable à la fois fascinant et d’une beauté mystérieusement inquiétante.
En préambule de la projection, Roberto Rodriguez a expliqué que le film a été un réel succès en Espagne (plus d’un million de spectateurs et plus de six mois à l’affiche). Il arrive ainsi auréolé de ses 10 récompenses à la cérémonie des Goyas (l’équivalent de nos César): meilleur film et réalisateur, meilleur scénario, meilleur interprète masculin, meilleure photographie…
L’histoire se déroule dans le cadre de l’Espagne post-franquiste des années 1980. Une Espagne qui porte encore les stigmates de son Histoire récente dont elle n’a pas encore pansé les plaies, toujours à vif. Deux policiers que tout oppose sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie, une Andalousie méconnaissable avec ses marais du Guadalquivir qui semblent dissimuler des secrets inavouables et qui semblent avoir emprunté à la Louisiane sa beauté sauvage et angoissante. C’est là qu’ils vont devoir enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales.
Dans cette région marécageuse où le temps semble s’être arrêté, où la loi du silence semble être de rigueur, ils vont devoir dépasser leurs différences pour démasquer le tueur. Et ce sont ces différences qui représentent le premier intérêt du film. L’un est un flic apparemment intègre, obstiné à découvrir la vérité tandis que son collègue, plus rustre, fait preuve de la même détermination mais parait aussi dissimuler un passé trouble et le rôle peu reluisant qu’il aurait tenu sous le régime franquiste. Le silence est aussi celui auquel sont réduites les femmes. C’est de leur parole que surgira aussi la vérité, du moins une partie… Le film nous happe d’abord par sa beauté formelle, parfois aux frontières de l’abstraction, nous immergeant immédiatement dans une atmosphère trouble, fascinante. Pour paraphraser Arletty, avec la gouaille de rigueur, ce film a en effet une « gueule d’atmosphère » avec ses personnages pittoresques aux visages marqués sur lesquels se dessinent des traits tout aussi labyrinthiques et inquiétants que ceux du paysage qui sert de décor au film. Des visages marqués par l’âpreté de la vie, le silence, de douloureux secrets. Judicieusement froid et rugueux, à l’image des caractères de ses personnages, la part d’ombre et d’animalité qu’ils recèlent (excellent Javier Gutierrez à qui ce rôle a valu un Goya pour son interprétation), ce film est prenant, du début à son dénouement, moins par la résolution de son enquête (ou plutôt la résolution partielle) que par l’époque et le décor qu’il met en scène. La musique, parcimonieuse mais qui exacerbe cette atmosphère où la menace, constamment, plane, souligne et parachève cette atmosphère. Le tableau, d’une beauté âpre, d’un lieu et d’une époque, pas si lointaine qui, à l’image des deux flics, portent en eux de terribles zones d’ombre qui, plus que leur potentiel éclaircissement, constituent la force de ce film réellement captivant et qu’il ne serait pas étonnant de retrouver au palmarès.
Le prix spécial du jury a été accordé ex-aequo à « Une seconde chance » de Susanne Bier dont Danièle Thompson a souligné la réussite du scénario, ainsi qu’à « Hyena », thriller anglais de Gerard Johnson dont la sortie est annoncée pour le 6 mai.
HYENA de Gerard Johnson
L’officier de police Michael Logan est doté d’une personnalité complexe où se mélangent alcoolisme et corruption. L’univers sinistre dans lequel il évolue est en pleine mutation, en raison de l’arrivée massive à Londres de gangsters albanais sans scrupules qui menacent de bouleverser la scène locale du crime. Jusqu’ici son instinct lui a toujours donné une longueur d’avance sur les autres. Mais son comportement de plus en plus autodestructeur et la brutalité des nouveaux chefs de gangs vont peu à peu entraîner Michael vers le bas d’une dangereuse spirale de peurs et de doutes…
Stéphane De Groodt, membre du jury, a ainsi résumé le film, d’après Danièle Thompson lors de la clôture : « De tous les films noirs, c’est le plus coloré ». Finalement une expression qui aurait pu aussi s’appliquer à « Marshland » dont la fin fait d’ailleurs écho à celle du film précédemment évoqué qui, également comme celle de « La Résistance de l’air » laisse au spectateur le soin d’imaginer le devenir des personnages. Comme si le seul avenir possible, pour tous, était une page blanche. Un nouveau départ. Ici, selon votre vision de l’humanité, vous aurez à choisir entre la lâcheté d’un personnage alors irrécupérable, ou sa bravoure suicidaire rachetant ses fautes passées, pour le moins nombreuses… Et c’est ce qui a freiné mon empathie. Difficile de suivre un personnage aussi corrompu, violent. Le film s’inscrit ainsi pleinement dans l’histoire du cinéma britannique qui aime à refléter l’âpreté de sa réalité sociale, avec un regard sans concessions, fut-elle particulièrement sombre. Ce polar nerveux, glacial, sanglant fait gicler la réalité aux yeux du spectateur qui, en fonction de son état d’esprit, en fermera les yeux, les plissera de rire ou d’ennui. A voir pour son acteur principal, la vision underground d’une ville de Londres alors glauque, obscure et telle qu’on la voit rarement et pour la fin, intelligemment ouverte.
Enfin, le Prix Sang neuf est revenu à « Life Eternal » de l’Autrichien Wolfgang Murnberger, déjà primé du Grand Prix au Festival de Cognac en 2004 avec « Silentium ».
LES ENQUÊTES DU DÉPARTEMENT V : PROFANATION de Mikkel Nørgaard – Film de clôture
En 1994, un double meurtre défraie la chronique. Malgré les soupçons qui pèsent sur un groupe de pensionnaires d’un internat, la police classe l’affaire, faute de preuve. Jusqu’à l’intervention, plus de vingt ans après, du Département V, celui de l’inspecteur Carl Mørck et d’Assad, son assistant d’origine syrienne, spécialisés dans les crimes non résolus. Ensemble, ils rouvrent alors l’affaire qui les amène à enquêter sur l’un des notables les plus puissants du Danemark.
Ce film, projeté lors de la soirée du palmarès, plus gros succès au box-office danois, adaptation d’un roman de Jussi Adler-Olsen, et sur lequel je reviendrai, est servi par une mise en scène particulièrement élégante et sophistiquée qui, à l’image du vernis qui entoure ses riches personnages principaux, masque les pires dérives et névroses, et nous emporte dans les tréfonds de l’âme tourmentée, aussi bien des policiers que des victimes et des coupables. Une noirceur éblouissante et captivante.
PRIX CLAUDE CHABROL
Mathieu Amalric a remporté le prix Claude Chabrol pour son film «La Chambre Bleue» adapté d’un roman de George Simenon que le comédien avait mis en scène l’an passé. Cécile Maistre, belle-fille de Claude Chabrol, n’a pu lui remettre la «grande carafe», Amalric étant retenu par un tournage, mais n’a pas manquer de faire réagir les festivaliers par son excellent discours. Le brio avec lequel Amalric adapte Simenon et autopsie un drame mais surtout la vie de province et ses âmes faussement sereines, le tout sublimé par une justesse exceptionnelle dans la direction d’acteurs et par conséquent dans le jeu de ces derniers, justifiaient incontestablement ce prix. Il y avait « La Veuve Couderc », « En cas de malheur », « Le chat » et tant d’autres. Il faudra désormais compter avec « La chambre bleue ».
HOMMAGES
«Ça sent le sapin et le cercueil est en train d’être fait. Mais rassurez-vous, j’ai gardé la même passion et la même énergie qu’à mes débuts. » a déclaré Bertrand Tavernier, confirmant qu’il avait toujours l’enthousiasme et la passion nécessaires pour « réaliser 3 ou 4 films ». Le réalisateur, scénariste, producteur et président de l’Institut Lumière de Lyon a ainsi reçu un hommage pour l’ensemble de sa carrière, visiblement ravi de revenir à Beaune six ans après avoir obtenu le Grand Prix du jury pour «Dans la brume électrique», son film avec Tommy Lee Jones. «J’ai dû racheter les droits de ce film pour pouvoir le distribuer avec ma société de production parce que TF1 ne voulait pas le payer. Je dois d’ailleurs toujours une partie de cet argent. Mais le plus important c’est que mon film m’appartient.» a-t-il également raconté.
Le festival a également rendu hommage au comédien à la voix inimitable, Claude, Brasseur, césar du meilleur acteur pour « La guerre des polices » en 1979 ainsi qu’au cinéaste John McTiernan.
CINEMA COREEN
Comme chaque année, le festival mettait à l’honneur une ville, cette année Séoul. Le cinéma coréen était également à l’honneur, avec la projection du film « Sea fog – Les clandestins » produit et co-écrit par Bong Joon-ho.
SEA FOG – LES CLANDESTINS de Shim Sung-bo
Capitaine d’un bateau de pêche menacé d’être vendu par son propriétaire, Kang décide de racheter lui-même le navire pour sauvegarder son poste et son équipage. Mais la pêche est insuffisante, et l’argent vient à manquer. En désespoir de cause, il accepte de transporter des clandestins venus de Chine. Lors d’une nuit de tempête, tout va basculer et la traversée se transformer en véritable cauchemar…
Je vous parlerai ultérieurement plus longuement de ce film qui sort en salles demain qui pratique le mélange des genres avec dextérité, commençant presque comme une bluette, flirtant avec la comédie romantique, nous plongeant aussi brutalement dans l’horreur avec une brusquerie déconcertante et non moins efficace. Sa maîtrise formelle, sa vision de la société coréenne, sans concessions, corrompue, inique et violente, ne permettent pas d’éluder le caractère manichéen du film dans lequel on retrouve la marque de son co-auteur producteur avec lequel Shim Sung-bo dont c’est le premier film en tant que réalisateur et qui avait coécrit le fameux « Memories of murder ». Un cinéaste à suivre néanmoins…
Le festival s’est achevé par un cocktail dans les futurs ateliers du cinéma de Claude Lelouch (à qui le Maire de Beaune a remis les clefs de ce lieu qui devrait accueillir les plus grands cinéastes du monde pour des master classes retransmises à la télévision), ouverts spécialement pour l’occasion.
Merci à 13ème rue, au Public Système Cinéma, à La ville de Beaune, à l’hôtel Le Cep, pour l’accueil chaleureux et remarquable, ainsi qu’à tous les chauffeurs qui nous ont véhiculés du premier au dernier jour.
Et comme ce festival fut certes très cinématographique mais aussi très gastronomique et jalonné de repas tantôt pantagruéliques, tantôt raffinés, parfois les deux, vous pourrez retrouver très prochainement sur mon site Inthemoodforhotelsdeluxe.com, mon article sur le mythique hôtel Le Cep où j’ai eu le plaisir de séjourner et sur mes bonnes adresses beaunoises.
Et pour paraphraser à nouveau un film de Melville, « Le Cercle rouge » dont le début est également placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité avec la phrase suivante : « Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : » Quand des hommes, même sils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna) », forcément au jour dit je me retrouverai dans le cercle (rouge, définitivement) de Beaune alors…à l’année prochaine, Beaune !
PALMARES COMPLET DU 7ème FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM POLICIER DE BEAUNE
GRAND PRIX 2015
VICTORIA de Sebastian Schipper (Allemagne)
PRIX DU JURY EX-AEQUO
UNE SECONDE CHANCE (A Second Chance – En chance til) de Susanne Bier (Danemark)
HYENA de Gerard Johnson (Royaume-Uni)
Le Jury SPÉCIAL POLICE présidé par Danielle Thiery, entourée de Eric Berot, Luis Moisés, Jean-Marie Salanova et Marc Thoraval a décerné son prix :
PRIX SPÉCIAL POLICE 2015
MARSHLAND (La Isla mínima) d’Alberto Rodriguez (Espagne)
Le Jury de LA CRITIQUE composé de journalistes a décerné les prix suivants :
PRIX DE LA CRITIQUE
MARSHLAND (La Isla mínima) d’Alberto Rodriguez (Espagne)
Le Jury SANG NEUF présidé par Santiago Amigorena , entouré de Anne Berest, Didier le Pêcheur, Philippe Lelièvre et Nina Meurisse , a décerné son prix :
PRIX SANG NEUF 2015
LIFE ETERNAL (Das ewige Leben) de Wolfgang Murnberger (Autriche & Allemagne)