Critique de L'ATTENTE de Julien Piero Messina
C'est dans le cadre du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule dont vous pouvez retrouver mon compte rendu complet, ici, que j'ai eu le plaisir de découvrir ce film.
Un film avec Juliette Binoche dont les choix cinématographiques sont toujours judicieux, est déjà en soi une promesse de bon film. « Copie conforme » de Kiarostami reste pour moi une des plus exceptionnelles performances d’actrices à laquelle il m’ait été donné d’assister. Malgré sa jeune carrière, Lou de Lâage se distingue par l’intelligence de ses choix et par son immense talent qui crève l’écran de « J’aime regarder les filles » de Frédéric Louf à « Respire » de Mélanie Laurent. J’étais donc impatiente de voir les deux réunies pour ce film réalisé par un ex assistant de Paolo Sorrentino et produit par les producteurs de « Youth » et « La Grande Bellezza ». Lors du débat d’après film, dans le cadre du festival, le producteur nous a expliqué qu’il ne fut pas évident de trouver une « jeune femme qui puisse faire face à Juliette Binoche ». Et je ne vois pas quel meilleur choix il y aurait pu avoir que celui de Lou de Lâage.
Synopsis : Dans les grands salons d’une ancienne villa marquée par le temps, Anna (Juliette Binoche), touchée par un deuil soudain, passe ses journées dans la solitude. La campagne sicilienne, sauvage et d’une grande beauté, entoure la maison et l’isole tandis que le brouillard se lève lentement sur les flancs de l’Etna. Seuls les pas de Pietro, l’homme à tout faire, rompent le silence. A l’improviste arrive Jeanne (Lou de Lâage), la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna, qu’il a invitée à venir passer quelques jours en Sicile. Anna ignorait l’existence de Jeanne et Giuseppe est absent. Il va revenir bientôt, très bientôt…c’est ce que dit Anna à Jeanne. Les jours passent, les deux femmes apprennent lentement à se connaître et attendent ensemble le jour de Pâques, où Giuseppe rentrera pour la procession.
La sonnerie du téléphone qui retentit dans cette villa glacialement vide, sombre et silencieuse dans laquelle déambule Anna, livide, fantomatique, annonce le surgissement de la vie, de l’imprévu, impression renforcée par l’arrivée de Jeanne avec, en fond sonore, une musique pop qui contraste avec l’atmosphère recueillie de la scène qui précède. Dans cette villa déserte où ne déambule que l’homme à tout faire et sur laquelle semble peser un chagrin ineffable, va s’instaurer une relation trouble entre les deux femmes et la vie s’y immiscer à nouveau. Jeanne va apporter sa fougue, sa jeunesse, sa fraîcheur, son aveuglement, sa gaieté et la vie dans cette maison qui en a soudainement été dénuée. Sans doute a-t-elle tous les éléments pour comprendre, mais sans doute plus sidérée et incapable d’affronter la réalité que réellement aveugle à celle-ci, elle se jette à corps perdu dans le mensonge d’Anna. Le véritable mensonge étant finalement celui que les deux femmes se font à elles-mêmes. Les scènes lors desquelles cette dernière semble sur le point de lui avouer la vérité sont d’une rare justesse et se prêtent à ces diverses interprétations. Ces deux femmes en apparence si différentes se ressemblent finalement beaucoup. Le film est d’ailleurs baigné de contrastes, entre le soleil et la noirceur, les rires et les silences, le deuil et la vie éclatante que représente Jeanne. Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle comme lorsque les rayons du soleil se réverbèrent sur l’eau du lac dans lequel se baigne Jeanne. Le deuil renforce la beauté douloureuse de ce qui entoure les deux femmes qui le vivent.
Parmi les très belles scènes de ce film qui n’en est pas avare, la danse envoûtante de Jeanne sur une chanson de Leonard Cohen (au titre à propos :« Waiting for miracle ») suspend le vol du temps et est à l’image de ce film : sensuel, sombre et solaire, ensorcelant et âpre comme un village de Sicile et, surtout, ce film est porté par deux splendides et talentueuses actrices qui apportent toute leur sensibilité à ces personnages exhalant la vie et la bienveillance et à ce beau film empreint de vie et de mélancolie, belle variation sur l’indicible attente et absence.
Sortie en salles: le 16 décembre 2015