Critique de MINUIT A PARIS de Woody Allen à 20H55 ce soir sur Chérie 25
Dès les premières images de « Minuit à Paris » on songe à celles de « Manhattan », Woody Allen sublimant ici Paris comme il l'avait fait pour New York dans son chef d'œuvre précité. Cela commence comme un défilé de cartes postales en formes de clichés sur Paris, en réalité un trompe l’œil.
Il est alors aisé de comprendre pourquoi Woody Allen voulait que, avant sa première projection, rien ne soit dévoilé sur son film dont le synopsis officiel ne laissait rien soupçonner : un jeune couple d’Américains (incarné par Owen Wilson et Rachel McAdams) dont le mariage est prévu à l’automne se rend pour quelques jours à Paris. La magie de la capitale ne tarde pas à opérer, tout particulièrement sur le jeune homme amoureux de la Ville-lumière et qui aspire à une autre vie que la sienne.
Après quelques minutes (certes très drôles, grâce à des dialogues caustiques dans lesquels on retrouve le style inimitable de Woody Allen), l’espace d’une seconde j’ai senti poindre la déception. J’ai cru un instant que Woody Allen nous faisant une autre version de « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » avec ce couple mal assorti dont l’homme est un scénariste hollywoodien qui se rêve romancier sans y parvenir.
Une seconde seulement. C’était oublier que Woody Allen est un génie, et un génie très malin, ce qu’il prouve ici une nouvelle fois magistralement. C’était oublier qu’à Minuit, à Paris, tout est possible. Il nous embarque là où on ne l’attendait pas à l’image de son personnage principal qui se retrouve plongé dans les années 20, son âge d’or. A partir de là, chaque seconde est un régal. Empruntant au cinéaste les traits et mimiques du personnage lunaire que ce dernier incarne habituellement, Owen Wilson, chaque soir à minuit, se retrouve plongé dans les années 20 et confronté à Hemingway, Gertrud Stein (Kathy Bates), Fitzgerald, ( Francis Scott et Zelda), Pablo Picasso… Chaque rencontre est surprenante et absolument irrésistible. Woody Allen s’amuse de leurs images, mais leur rend hommage, à eux aussi, peintres et écrivains. La vie, la passion qui les animent contrastent avec la future fiancée matérialiste du jeune écrivain. Lui qui vit une expérience surréaliste les rencontre justement les Surréalistes, ce qui donne lieu à un dialogue absurde là aussi réjouissant, ces derniers trouvant son expérience surréaliste forcément parfaitement logique.
Woody Allen, plus inventif et juvénile que jamais, joue et se joue des fantasmes d’une ville qu’il revendique ici d’idéaliser, ce Paris qui, à l’image du titre du roman d’Hemingway « est une fête », ce Paris où un écrivain ne peut écrire qu’au Café de Flore, ce Paris où passé et présent, rêve et réalité, littérature et peinture vous étourdissent.
Je ne veux pas trop vous en dire pour vous réserver l’effet de surprise. Un mot quand même sur la prestation de Carla Bruni-Sarkozy qui joue juste mais dont le rôle, se réduisant à quelques plans, ne méritait pas tout ce battage médiatique. Marion Cotillard, quant à elle, est lumineuse et mystérieuse, comme ce Paris qu’elle incarne pour le cinéaste.
Une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination, à la magie de Paris et du cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et s’étreindre, le cinéma évasion salutaire « dans une époque bruyante et compliquée ».
Pour obtenir la formule magique, prenez une pincée de « Manhattan », une autre de « La rose pourpre du Caire », un zeste de Cendrillon, beaucoup de l’humour caustique de Woody Allen, vous obtiendrez ce petit joyau d’intelligence au scénario certes moins abouti que dans d’autres films du cinéaste, mais que la vitalité de l’écriture, sa malice et son regard enamouré (sur Paris avant tout ), et la beauté des images nous font oublier et pardonner.
Woody Allen réenchante Paris, ville Lumière et ville magique où tout est possible surtout donner corps à ses rêves (dont Marion Cotillard est l’incarnation). Un film ludique, jubilatoire, au charme ensorcelant, d’une nostalgie joyeuse. Au passage, Woody Allen s’adresse à ceux pour qui c’était mieux avant et montre qu’on peut s’enrichir du passé pour glorifier la beauté du présent. Cette fois, fataliste, malicieux, plutôt que de s’interroger sur sa propre mort, il a préféré donner vie à ceux qui le sont, semblant nous dire : hé bien, rions et amusons-nous après tout.