Critique - LES ETERNELS de Jia Zhang-Ke (compétition officielle)
Deuxième coup de cœur de cette édition 2018 après "Cold war". Comme dans "Cold War" (les titres des deux films pourraient d'ailleurs s'intervertir) l'histoire ( d'amour et de trahison) s'étend sur plusieurs années matérialisées par de judicieuses ellipses.
La construction dichotomique du film -monde rural et monde industrialisé, homme et femme (dont les rôles s'inversent), univers lumineux et grisâtre sublimés par la photo d'Eric Gautier- permet de dresser le portrait d'une Chine en pleine mutation et qui a connu une croissance fulgurante broyant parfois les lieux et les êtres. Comme ce pistolet qui tombe de la poche et interrompt une danse endiablée comme pour signifier que cette insouciance n'est qu'un leurre, que la menace plane.
On retrouve les thèmes chers à Jia Zhang-Ke et le fameux barrage des 3 gorges, fil conducteur de son cinéma. C’est aussi, comme "Still Life", un film sur le temps qui passe (qui ici, malgré les 2h30, s'écoule invisiblement). Là aussi, c'est un film sur deux mondes. Celui de la Chine d’hier et celui de la Chine d’aujourd’hui. Ce n’est pas pour rien que Jia Zhang Ke a étudié les Beaux-Arts et la peinture classique. Il dit lui-même avoir choisi le cinéma « parce qu’il permet de saisir et de montrer le temps qui passe ».
Ce film captivant qui mêle polar et amour inconditionnel -ou fou diront certains esprits prosaïques -et condamné par ce destin inexorable et désenchanté, ce magnifique portrait de femme combattante dans ce film d'une noirceur poétique, pourrait valoir à son interprète féminine Zhao Tao un Prix d'interprétation voire au film une palme d'or tant tout (de la mise en scène au scénario) y est parfaitement maîtrisé.