Critique de 16 LEVERS DE SOLEIL de Pierre-Emmanuel Le Goff
Sorti début octobre, présenté en clôture du doc corner du Festival de Cannes 2018 et, plus récemment, projeté dans le cadre du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, 16 levers de soleil de Pierre-Emmanuel Le Goff sera présenté au Cinéville de Laval, le jeudi 13 décembre à 19H30, pour une projection exceptionnelle en 4K, en présence du réalisateur. Cette projection dans ma ville natale est une excellente raison d’évoquer à nouveau ce film remarquable.
Précisons tout d'abord que si le documentaire s’intitule poétiquement 16 levers de soleil, c’est parce que la station spatiale fait le tour de la terre en 1H30, soit 16 levers de soleil en 24H.
S'envoler pour l'espace : le rêve de tant d’êtres humains. C'est ce rêve que Thomas Pesquet a pu réaliser en décollant depuis la base de Baïkonour pour séjourner à bord de l’ISS (Station Spatiale Internationale), entre novembre 2016 et juin 2017, à 450 kilomètres de la Terre. Alors que, sous la station spatiale, les continents défilent à 28000 kilomètres heure (!), durant ces six mois où le monde semble basculer dans l’inconnu sous cet angle singulier, le réalisateur a eu la judicieuse idée de tisser un dialogue entre l'astronaute et l’œuvre visionnaire de Saint Exupéry que ce dernier a emportée dans la station spatiale, comme un trait d'union à travers l'espace-temps.
« L'avenir, tu n'as pas à le prévoir mais à le permettre. » Citadelle. C’est par cette citation de Saint-Exupéry que débute ce documentaire qui, à l’image d’un livre du célèbre écrivain, aviateur et reporter (dont les mots accompagnent parfois les images comme une douce mélopée) nous emmène d’emblée dans son univers, nous emporte dans son fascinant voyage, dans cette aventure hors du commun. Un voyage poétique, onirique, intemporel et universel mais aussi très réaliste.
"Faire grandir les hommes par la force des rêves". Quel plus beau programme que celui-ci ? Pierre-Emmanuel Le Goff, Thomas Pesquet et le reste de l'équipe ont ainsi commencé à travailler avant le décollage, pendant l’entraînement, une phase importante de la vie d’un astronaute ( et non moins passionnante ! ) que nous avons rarement l'occasion de suivre. Après un entraînement intensif et près de cinquante heures passées à bord de l’habitacle exigu de la fusée Soyouz, Pesquet débute ainsi son séjour de plus de six mois au sein de la fameuse station internationale.
Ce film est d’abord une prouesse technique puisque c’est le premier long-métrage réalisé dans l’espace à partir de prises de vues en résolution 6K. Le réalisateur Pierre-Emmanuel Le Goff, déjà auteur de plusieurs reportages télévisés sur Thomas Pesquet lui a ainsi confié une caméra haute définition 6K. Il y avait par ailleurs plusieurs types de caméra à bord mais aussi une GoPro 4K spécialement préparée pour la sortie extravéhiculaire qui nécessitait une préparation particulière pour résister à des températures extrêmes (de – 100 à + 150 degrés Celsius !). Jamais des caméras d’une telle qualité n’avaient été utilisées que ce soit dans la station spatiale ou pour filmer des sorties extravéhiculaires. N’oublions pas non plus que, d'une part, la station spatiale tourne à 28 000 km/h et, d'autre part que l’intérieur était très sombre alors que la terre était très lumineuse et que le jeu sur les lumières était là aussi une prouesse.
C’est aussi une prouesse humaine au regard des journées chargées de Thomas Pesquet qui, en plus de ses expériences scientifiques, a réalisé ces prises de vue d’une beauté à couper le souffle, avec la volonté de partager au maximum et avec le plus grand nombre son expérience comme il l’a fait sur les réseaux sociaux pendant son extraordinaire périple.
Thomas Pesquet ne filme pas seulement la terre vue du ciel mais aussi les scènes de la vie quotidienne qui n’ont, dans cet habitacle, plus rien de banal et en deviennent palpitantes. Tout à bord semble être devenu aventure ! Nous assistons ainsi aux repas de Thomas Pesquet et de ses co-équipiers (avec lesquels la complicité traverse l'écran), l’Américaine Peggy Whitson et le Russe Oleg Novitskiy. Nous le voyons aussi jouer au saxophone sous la coupole de la Station. Le compositeur de l'ensorcelante musique du documentaire Guillaume Perret a ainsi imaginé un morceau que l’astronaute a interprété à bord de l’ISS avec son propre saxophone (son instrument fétiche) amené par un cargo spatial. Le temps d'une chanson ou d'échanges avec la terre, l'expression "le temps suspend son vol" n'a jamais été aussi parlante.
Le travail sur le son est également impressionnant. Parfois la bande sonore rappelle l'actualité (la montée de la tension entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ou le non-respect de l'accord sur le climat) et la vitesse carnassière à laquelle ce monde-là tourne alors que, paradoxalement, de là-haut, la terre, majestueuse, irréelle, semble trompeusement paisible. Inoffensive face à la folie des hommes. Fragile aussi et surtout face à tous ces périls qui la menacent. Les sons parfois inquétants semblent être la complainte de cette terre qui crie, en vain, sa souffrance dans le silence. Le montage a duré sept mois. Les repères temporels sont peu nombreux, donnés parfois par l'actualité qui résonne si étrangement vue de là-haut, ce qui rend le film encore plus intemporel et universel, et nous procure la sensation de pénètrer dans un univers parallèle. Même les déambulations en apesanteur dans la station spatiale sont fascinantes, comme une danse aérienne dans un dédale exigu.
Ce documentaire (qui est d'ailleurs plus que cela : une expérience) est souvent contemplatif et enchanteur, parfois oppressant tant nous avons l'impression d'y être lors de scènes absolument incroyables qu'aucune fiction ne pourrait rendre aussi captivantes (puisque par définition nous savons qu'elles appartiennent à la fiction) comme lorsque Thomas Pesquet sort en scaphandre et filme ses pieds avec notre planète 450 kilomètres plus bas (la sensation de vide, d'infini, est vertigineuse et éblouissante) sans oublier le décollage et l’atterrissage du Soyouz au retour filmés de l’intérieur (le calme et la maîtrise de chaque geste de Pesquet et son confrère sont particulièrement impressionnants). Nous retenons littéralement notre souffle. J'ai d'ailleurs eu l'impression de retenir mon souffle du début à la fin du film, comme hypnotisée par un éblouissement perpétuel.
Plus qu'un documentaire, 16 levers de soleil est en effet une véritable expérience cinématographique à voir et vivre absolument. Je vous invite à suivre Thomas Pesquet dans son voyage (spatial et intérieur) six mois à bord de la Station Spatiale Internationale au rythme envoûtant des pensées de Saint-Exupéry et du saxophone de Guillaume Perret. Un instant hors du temps, dans une autre dimension, là où s'observent et se vivent 16 levers du soleil par jour (sidérants de beauté), là où le temps semble arrêter sa course folle. Après 1H58, vous en ressortirez comme en apesanteur, avec un étrange sentiment de plénitude et aussi l'envie exacerbée de protéger cette planète, somptueusement fragile. C'est mieux encore que Gravity ou Interstellar (lequel n'en est pas moins un voyage inoubliable aux confins de la galaxie, de la mort et de l’imaginaire que je vous recommande vivement et dont vous pouvez retrouver ma critique, ici), sans doute parce que la réalité confère à ce que nous voyons une dimension supplémentaire, un supplément d’âme. (Au passage, vous découvrirez aussi une belle référence au monolithe de 2001, Odyssée de l'espace).
"Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve" écrivait aussi Saint-Exupéry. Encore une phrase qu'aurait pu prononcer Thomas Pesquet. Un rêve que ce documentaire captivant, sensoriel et intime, nous permet de partager pendant 2h. C'est inestimable alors ne vous en privez pas ! Prenez votre ticket pour le rêve et pour l'espace : vous ne le regretterez pas !