46ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : critique du Prix d’Ornano-Valenti 2020 et palmarès
Chaque année depuis sa création en 1998, le Prix d’Ornano-Valenti est la promesse d’un film fort et marquant. Ce fut ainsi le cas avec les prédécesseurs de « Slalom », le lauréat de cette édition 2020 (qui a également le label « Cannes 2020 » et qui faisait donc partie des 10 films de la sélection Cannes 2020 projetés à Deauville cette année), parmi lesquels, depuis 1998 : « Le Bleu des villes » de Stéphane Brizé, « Les Jolies Choses » de Gilles Paquet-Brenner, « Depuis qu’Otar est parti » de Julie Bertucelli, « La Petite Jérusalem » de Karin Albou, « Les Garçons et Guillaume, à table ! » de Guillaume Gallienne, « Les Chatouilles » d’Andréa Bescond et Éric Métayer, « Les Misérables » de Ladj Ly...
SYNOPSIS de SLALOM de Charlène Favier :
Lyz, 15 ans, vient d'intégrer une prestigieuse section ski-études du lycée de Bourg-Saint-Maurice. Fred, ex-champion et désormais entraîneur, décide de tout miser sur sa nouvelle recrue. Galvanisée par son soutien, Lyz s'investit à corps perdu, physiquement et émotionnellement. Elle enchaîne les succès mais bascule rapidement sous l'emprise absolue de Fred...
La réalisatrice, Charlène Favier, est partie de sa propre histoire pour raconter celle de Lyz et pour disséquer le phénomène d’emprise et son caractère insidieux qui altère progressivement la vision du monde. Le cadre de la compétition sportive la favorise d’autant plus que le corps est un outil de performance. Lyz en perd peu à peu la propriété jusqu’à ce qu’il devienne, malgré elle, objet de désir. Entre son père absent et une mère qui quitte la région et ne cesse de la culpabiliser, elle se retrouve livrée à elle-même, la proie idéale pour un entraîneur qui la fascine et ne manque pourtant jamais une occasion de la rabaisser. Avec grande intelligence, Charlène Favier filme le corps de manière quasiment clinique, sans jamais l’érotiser, au contraire du regard de l’entraîneur qui va à peu évoluer, et de professionnel devenir celui d’un homme qui désire et pour qui l'objet de ce désir devient une proie, un être à façonner et posséder. Jérémie Rénier incarne parfaitement cette ambivalence.
Les scènes d'agression sont glaciales et glaçantes. La réalisation se met du côté des émotions et des peurs de Lyz et nous les fait ressentir, jusqu’au malaise. Charlène Favier ne tombe jamais dans l’écueil du manichéisme, montrant Fred dans son humanité et ses contradictions, ce qui rend son acte encore plus effrayant.
L’intensité, grâce au montage, à la réalisation mais aussi au jeu habité de Noée Abita (déjà remarquable dans « Ava », ici, elle est à la fois volontaire, sauvage, fragile) et de Jérémie Rénier ne faiblit jamais. Même les scènes de ski sont admirablement filmés procurant une sensation de vertige et d'enfermement comme celle qu’éprouve Lyz, au bord du gouffre, physique et émotionnel, laquelle, malgré cela, finira par trouver la force et le courage de dire non, un non bouleversant avec lequel vous quitterez la salle de cinéma, sans jamais l'oublier... Ne pas oublier, ne jamais fermer les yeux, voilà ce à quoi nous invite et incite aussi ce film remarquable qui méritait amplement ce prix.
PALMARES
Dans la soirée, le jury présidé par Vanessa Paradis a délivré son palmarès, de même que le jury Révélation présidé par Rebecca Zlotowski. Vanessa Paradis a également reçu une distinction numérique de l'INA comme Catherine Deneuve avant elle, l'an passé.
Grand prix: The Nest de Sean Durkin, salué par la présidente du jury Vanessa Paradis par ces mots : « un thriller oppressant, une fable hantée sur le délitement d’une famille portée par l’élégance de sa mise en scène et deux acteurs d’exception." Retrouvez ma critique détaillée, ici.
Prix du jury : (ex-æquo) First Cow de Kelly Reichardt et Lorelei de Sabrina Doyle « parce que ce film raconte comment on se relève d’une crise qu’elle soit personnelle, économique ou familiale, parce que ce film raconte la résilience, la possibilité d’une deuxième chance, le refus de renoncer à des rêves anciens et parce que les sirènes n’existent pas que dans les contes de fées. » selon les mots de Delphine Horvilleur membre du jury. Un film dont je vous parlerai longuement ultérieurement et qui, là aussi, méritait de figurer au palmarès.
Prix de la mise en scène : The Assistant de Kitty Green. Retrouvez ma critique détaillée, ici.
Prix de la critique internationale : The Nest de Sean Durkin
Prix de Fondation Louis Roederer de la Révélation : The Nest de Sean Durkin
Prix du public : Uncle Frank d'Alan Ball
Prix d'Ornano-Valenti : Slalom de Charlène Favier