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Critique de AIMONS-NOUS VIVANTS de Jean-Pierre Améris (au cinéma le 16 avril)

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C’est la vie. Poids léger. Les émotifs anonymes. L’homme qui rit. Une famille à louer. Marie-Line et son juge. Autant de films parmi d’autres réalisés par Jean-Pierre Améris qui, à chaque fois, m’ont bouleversée, par leur sensibilité, la précision et la qualité de l’écriture, la justesse de l’interprétation, mais aussi une tendresse et une absence salutaire de cynisme. Autant de qualités communes à chacun de ses films qui font que je ne manque jamais aucun de ses longs-métrages. Le dernier, au cinéma ce 16 avril, ne déroge pas à la règle. Je vous recommande d’emblée ce film qui est un enchantement.

Jean-Pierre Améris nous embarque cette fois dans le train pour Genève dans lequel Victoire (Valérie Lemercier), une passagère envahissante, croise Antoine Toussaint (Gérard Darmon), son idole, une grande vedette de la chanson française. L’une est en permission sans autorisation de quitter le territoire, et l’autre part pour un suicide assisté.  L’une a rendez-vous pour marier sa fille (enfin, pas vraiment rendez-vous puisque personne ne l’attend réellement) et l’autre a rendez-vous avec la mort. L’une est solaire et enthousiaste, et l’autre est sombre et bougon.  Deux êtres que tout oppose a priori  : voilà l’incontournable postulat de départ de toute (bonne) comédie.

Cela commence en musique, à l’Olympia où Antoine Toussaint interprète la chanson Mambo Italiano à laquelle il doit en grande partie son succès. Une chanson à laquelle on le ramène constamment comme si elle résumait toute sa carrière. C’est aussi en l’interprétant qu’il a un AVC sur la scène de l’Olympia, ce qui mettra fin à sa carrière et surtout lui donnera la conviction que sa vie est terminée, et que la célébrité est parfois le « deuil éclatant du bonheur ». Cette chanson provient d’un album de Gérard Darmon sorti dans les années 2000, à l’origine chantée par Dean Martin, qui d’emblée donne le ton du film.

Victoire et Antoine sont tous deux finalement enfermés, avant tout dans une forme de solitude. Comme souvent, les personnages de Jean-Pierre Améris sont des solitaires, des êtres fragilisés par la vie, toujours attachants, des personnages sur lesquels le réalisateur porte comme toujours un regard attendri et plein d’empathie. Souvent des « émotifs anonymes ». Victoire est d’une grande liberté, délurée, maladroite, et a pour hobby de transgresser les interdits. Antoine ne peut plus exercer sa passion, et n’a plus de raison de vivre, et Victoire est le caillou qu’il n’attendait pas qui vient enrayer la mécanique de son « projet ». Ils forment un couple irrésistible. Comme souvent chez Jean-Pierre Améris, le retour à la vie vient d’une rencontre inattendue, qui redonne le goût de l’avenir.

Les dialogues percutants et les situations fortes imaginées par Marion Michau et Jean-Pierre Améris font que le rythme ne faiblit jamais, que le temps passe trop vite, tant nous aurions aimé prolonger le voyage avec ces deux-là.

L'origine du merveilleux film Marie-Line et son juge se trouvait dans le roman de Murielle Magellan, Changer le sens des rivières, paru en 2019. C’était ce que racontait avec beaucoup de subtilité et de pudeur ce film et ce en quoi il nous donnait férocement envie de croire : la possibilité d’aller contre le déterminisme social, de changer le cours des rivières. Qu’une rencontre peut nous aider à voir la vie autrement, à saisir notre chance, à prendre notre envol. Qu’il faut rester ouverts aux surprises que nous réservent la vie, malgré les vicissitudes du destin, et ouverts aux rencontres, aussi improbables semblent-elles. Tout comme nous n’oublierons pas ce duo magnifique de Louane et Michel Blanc et leur improbable « symbiose », et ce film pétri d’humanité, profondément émouvant, tendre, sensible, optimiste, porté par l’amour des mots, des êtres, et du cinéma de son réalisateur, nous n’oublierons pas le duo magnifique formé par Valérie Lemercier et Gérard Darmon dont la rencontre change là aussi le sens de la rivière….

Le duo fonctionne tellement bien qu’il est impossible d’imaginer d’autres acteurs pour incarner Victoire et Antoine tout comme était impossible d’imaginer quels autres acteurs que Louane Emera et Michel Blanc auraient pu incarner Marie-Line et son juge. Michel Blanc se glissait à la perfection dans la peau de ce juge, bougon (déjà, lui aussi !) au cœur meurtri et tendre, qui laisse sa fragilité apparaître, derrière la carapace du juge qui pourrait pourtant encore pleurer en voyant défiler toute la misère du monde. Louane Emera avait également toujours le ton juste, avec sa gaieté et sa force communicatives, une énergie et une bonté rares derrière la dégaine improbable de son personnage cartoonesque.

Valérie Lemercier et Gérard Darmon (dans son meilleur rôle, d’une justesse de ton vraiment admirable) sont tout aussi convaincants dans leurs rôles sans jamais forcer le trait comme auraient pu les y inciter ces deux personnages pourtant chacun excessifs à leur manière, l’une dans l’excentricité, l’autre dans le désespoir (domaine dans lequel la première est également experte, malgré les apparences). Comme chez Capra ou Wilder, le sujet est empreint de noirceur (il est tout de même question de dépression, de suicide assisté etc), mais comme souvent ce fond de tragédie donne lieu aux meilleures comédies. A l’heure à laquelle la santé mentale est enfin mise sur le devant de la scène (un documentaire sur ce sujet dont je vous parlerai sera prochainement diffusé sur M6), il est important que le cinéma s’en empare aussi, a fortiori sur le ton de la comédie.

Comme toujours, là aussi, dans le cinéma de Jean-Pierre Améris, les seconds rôles sont tout aussi formidables. De l’agent d’Antoine Toussaint interprété par Patrick Timisit, qui a consacré sa vie à son artiste et ami, et qui exhale la gentillesse, la sincérité et la bienveillance à Alice de Lencquesaing qui incarne la fille de Victoire, aussi « normale », sérieuse et classique que sa mère est déjantée.

Les costumes (de Judith de Luze), la photographie (de Pierre Milon) et les décors (d’Audric Kaloustian) sont judicieusement gais, lumineux et colorés, irradiant de soleil, en contraste avec les idées sombres qui envahissent le personnage d’Antoine, pour lui signifier que la vie est là, partout, éclatante.

Je ne peux m’empêcher de faire une digression pour vous dire de (re)voir les films précédents du réalisateur cités au début de cette chronique, et en particulier Les émotifs anonymes dans lequel Poelvoorde donne brillamment corps (mal à l’aise, transpirant, maladroit), vie (prévoyante et tétanisée par l’imprévu) et âme (torturée et tendre) à cet émotif avec le mélange de rudesse involontaire et de personnalité à fleur de peau caractéristiques des émotifs et Isabelle Carré, à la fois drôle et touchante, qui sait aussi nous faire rire sans que jamais cela soit aux dépends de son personnage.  La (première) scène du restaurant est un exemple de comédie ! Et voyez L’homme qui rit, sublime adaptation de Victor Hugo, un enchantement mélancolique, un opéra moderne ( musique enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens qui apporte une force lyrique au film), une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle, un film universel au dénouement bouleversant, un humour grinçant, de la noirceur et de la tragédie sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant.)

Dans chacun des films de Jean-Pierre Améris, on retrouve avant tout cela : la tendresse, celle qui émaille ses films, celle qu’il éprouve pour ses personnages, celle qu’il suscite pour ces derniers et pour ses longs-métrages.

Le film s’achève par la chanson de François Valéry qui donne son titre au film, Aimons-nous vivants. Elle nous laisse, comme la dernière scène, avec des envies d’ailleurs, de dévorer l’existence, d’embrasser la vie, de croire en la magie de ses rencontres, de danser même sous la pluie. N’est-ce pas là un des plus fabuleux pouvoirs du cinéma lorsque le film est réussi ? Nous faire ressortir de la salle, le cœur en joie, ou illuminé d’un espoir nouveau, quelle que fût la couleur de notre ciel en entrant ? Un film qui nous rappelle de ne pas « attendre que la mort nous trouve du talent » pour profiter de chaque seconde de l’existence, ou croire en des jours meilleurs et en l’imagination de l’existence quand l’horizon semble obstinément sombre.

Un film d’un romantisme tendre mais pas mièvre avec des personnages excessifs mais pas surjoués, mais interprétés avec nuance par deux comédiens au sommet de leur art. Un petit bijou de fantaisie, d’une profonde humanité. La comédie romantique de cette année, comme son  actrice principale, pétillante de vie et rayonnante d’audace. Une fable jubilatoire, à ne pas manquer.

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