Bilan du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2010
Alors que dans l’actualité, dense et tumultueuse, ce 36ème Festival du Cinéma Américain de Deauville a déjà été éclipsé, je souhaitais revenir sur ces dix journées deauvillaises (et non deauvilloises comme je l’ai lu ici ou là). Une 36ème édition et pour moi une 17ème édition qui souffre de la comparaison avec les précédentes même si la compétition, initiée en 1995, était une nouvelle fois de qualité, avec huit premiers films sur les douze sélectionnés. Essor du Festival de Toronto, concurrence de la Mostra de Venise, partenariat d’Orange depuis trois ans (qui investit et s’investit moins que Canal+, précédent partenaire média du festival), volonté du CID de faire du festival avant tout une vitrine commerciale, mort de Jack Valenti et retrait de Mme d’Ornano, acteurs essentiels de la communication du festival : multiples sont les raisons invoquées à la morosité latente qui semble s’être emparée du festival.
Etonnante édition 2010 où la télévision a volé la vedette au cinéma que ce soit par ses acteurs (Chace Crawford, Kim Catrall, America Ferrera…) ou par le style finalement très politiquement correct et formaté des films présentés derrière des sujets ou styles a priori amers ou audacieux (« Cirus », « La famille Jones », « The kids are all right ») sans parler de Deauville saison 1, la nouvelle section consacrée aux séries télévisées dont j’ai trouvé l’initiative et les débats passionnants mais pas forcément propices à attirer le grand public.
Bien loin semble le temps où le CID résonnait de la clameur du public, où les projections étaient ponctuées d’applaudissements effrénés, où la racine du mot festival n’avait jamais été si bien justifiée. Cette année, il aura fallu la venue d’une « star » pour adolescents, Zac Efron (voir mes vidéos de l'hystérie Zac Efron ici), pour que Deauville retrouve son effervescence d’antan, pour que l’ambiance s’électrise.
Alors qu’il y a quelques années encore Deauville créait l’événement en programmant des films en avant-première parfois même avant leurs sorties américaines ou six mois /un an avant leurs sorties françaises, désormais les films sortent pour la plupart dans la semaine de leur projection deauvillaise (il faut dire que le piratage est passé par là et que les sorties sont désormais uniformisées) tandis que les films américains les plus attendus « Black swan » de Darren Aronofsky, « The Town » de Ben Affleck et « Somewhere » de Sofia Coppola étaient programmés à Venise. Le festival, privé des sorties événementielles, met donc désormais et plus que jamais l’accent sur le cinéma indépendant, confirmant sa réputation de Sundance à la Française.
Quant aux hommages qui ont longtemps consacré les plus grandes stars du cinéma américain (acteurs et réalisateurs) : Francis Ford Coppola, Clint Eastwood, James Coburn, Douglas (Michael et Kirk), Al Pacino, Robert Mitchum, Elisabeth Taylor, Burt Lancaster, Steven Spielberg et bien d’autres, ils s’adressent désormais davantage aux cinéphiles. Annette Bening, Terry Gilliam et Gregg Araki étaient ainsi célébrés cette année.
Côté avant-premières, quatre films sortaient du lot : tout d’abord « La dette » de John Madden projeté en avant-première mondiale, palpitante confrontation en huis-clos, thriller captivant, tragique histoire d’amour, réflexion sur les statuts de victime et bourreau et sur les indélébiles brûlures de l’Histoire, éloge de la vérité, qui souffre néanmoins d’un dénouement abracadabrantesque. Ensuite, « Fair game » de Doug Liman qui, à défaut d’être un grand film, est un témoignage historique passionnant (un film qui figurait néanmoins en compétition du dernier Festival de Cannes). J’ai également été portée, intriguée, envoûtée par la nonchalance captivante, la trompeuse lancinance, la lenteur poétique, la subtile utilisation de la lumière et du hors-champ de «3 Backyards » d’Eric Mendelsohn sur les histoires entrecroisées de trois habitants d’une ville de banlieue. Et enfin : « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu », néanmoins déjà projeté en avant-première à Cannes et dans le cadre de l’ouverture du Festival Paris Cinéma, un film dans lequel Woody Allen mêle habilement lucidité et tendresse, sur ses personnages et la vanité de l’existence. Les dialogues sont comme toujours savoureux, tendrement cyniques. Une sorte de paradoxe que lui seul sait aussi brillamment manier : un pessimisme joyeux. Une lucidité gaie.
La lucidité que reflétaient les films de la compétition était en revanche plutôt glaciale mais c’est pourtant là que résidait l’intérêt de ce 36ème Festival : la mise en relief d’un autre visage de l’Amérique, de l’envers du décor, du revers de l’American Dream. Pas l’Amérique des réussites clinquantes et ostentatoires, non, celle des laissés-pour-compte, celle d’un Missouri hostile peuplé de personnalités aux visages patibulaires (Winter’s bone), celle de la consommation érigée en mode de vie et en vitrine fallacieuse (La famille Jones), celle où des soldats sont enterrés vivants et font face à une administration absurde et inique, celle de la guerre et de ses séquelles indélébiles (The dry land), celle du deuil et de l’enfance meurtrie (Morning, Mother and child, Two gates of sleep, Welcome to the Rileys). Celle où le modèle américain (familial, économique) montre ses limites, où le vernis vole en éclats. Celle où la paternité et la maternité sont malmenées, sans doute aussi, symboliquement, la mère Patrie, l’Oncle Sam. Celle en quête d’espoir, du souffle d’un« Yes, we can ».
Une compétition passionnante, peut-être davantage d’un point de vue sociologique que cinématographique même si des cinéastes avec des univers forts ont émergé : Alistair Banks Griffin avec son radical, contemplatif, épuré, abrupte, onirique « Two gates of sleep » très imprégné de ses pairs que ce soit Gus Van Sant, Bresson, Tarkovsky ou Ozu, dans lequel sa caméra caresse la nature à la fois rugueuse et consolatrice, silencieuse et vibrante ; Rodrigo Cortes avec son métaphorique « Buried » qui a reçu le prix de la critique internationale (même si je ne partage pas forcément l’ébahissement général pour ce film, reposant certes sur un procédé original, mais pas entièrement abouti, et parfois artificiel qui réussit néanmoins à nous captiver avec un personnage et un lieu uniques mais finalement en nous intéressant davantage à ce qui pourrait arriver qu’à ce qui arrive réellement), et surtout le tendre, burlesque, poignant « Abel » de Diego Luna, le grand oublié du palmarès qui révèle autant un réalisateur qu’un jeune acteur, un film produit par John Malkovich qui, décidément, se trompe rarement.
A ce film le jury a préféré l’austère et caricatural « Winter’s bone » de Debra Granik (déjà primé à Sundance), et l’insipide « The myth of the American sleepover » qui, sous prétexte de dessiner l’heure et l’âge de tous les possibles, aligne un record de clichés sur l’adolescence et dont l’annonce du prix a été accueilli par les huées du public. Ces deux films ont ainsi reçu le prix du jury ex-aequo après des heures de débat n’ayant apparemment pas permis d’obtenir un consensus, la présidente du jury, Emmanuelle Béart, n’ayant pas souhaité l’annoncer et visiblement embarrassée par ce palmarès (voir mes vidéos de l'étrange clôture, ici).
C’est le larmoyant et néanmoins très maîtrisé « Mother and child » de Rodrigo Garcia qui a obtenu le grand prix, un film choral sur la maternité qui était néanmoins le seul de la compétition à présenter réellement un scénario construit et habile et qui doit beaucoup à ses deux actrices principales : Annette Bening et Naomi Watts ( d’ailleurs présente dans trois films projetés à Deauville cette année, mais absente). Contrairement au grand prix 2009 « The Messenger » sorti directement en DVD, vous pourrez découvrir « Mother and child » en salles le 27 octobre (je vous en reparlerai à cette occasion).
Quant au jury Révélation Cartier présidé par Manuel Pradal, il a choisi de récompenser « Holy rollers » de Kevin Asch, sur le trafic de pilules d’ecstasy acheminées d’Amsterdam à New York par des Juifs orthodoxes. Le jury a sans doute voulu récompenser une réalisation maîtrisée malgré un scénario parfois bancal. Dommage d’ailleurs qu’aucun des deux jurys ne se soit expliqué sur les raisons de ses choix. La présidente Emmanuelle Béart s’est seulement félicitée d’avoir effectué, « un voyage au cœur d’une Amérique pas fardée et sans super héros », mais « peuplée d’hommes et de femmes qui se battent pour vivre et qui sont en recherche de vérité et d’humanité ».
Si cette édition 2010 n’a pas révélé de chefs d’œuvre, elle a en revanche constitué une radiographie instructive d’une Amérique, familiale et sociale, en crise (« The company men » était à ce titre très révélateur et là encore instructif à défaut d’être cinématographiquement novateur ), en quête de (re)pères. De l’avis général, la section « Docs de l’Oncle Sam » était ainsi et symptomatiquement la plus intéressante cette année mais comme il fallait bien faire des choix je me suis concentrée sur la compétition et les avant-premières.
Alors pourquoi, malgré tout, malgré cela, malgré la tentation vénitienne suis-je revenue enthousiaste et reviendrai-je, sans doute, l’an prochain ? Le poids léger des souvenirs, certainement. Ce qu’Annette Bening a si bien qualifié de « sens de l’émerveillement », inaltéré et inaltérable, aussi. Parce que, enfin, je suis persuadée que Deauville retrouvera son second souffle, et saura tirer le meilleur de l’éclectisme de sa programmation. Ce festival reste pour moi un rendez-vous incontournable même si j’ai entendu de nombreux habitués dire, venant parfois depuis plus longtemps que moi, qu’ils ne reviendront pas l’an prochain et qui, certainement, comme moi, en septembre prochain, ne résisteront pas à la vivacité des souvenirs et de la curiosité.
Enfin, je voulais terminer par remercier ceux qui ont quotidiennement suivi mes mésaventures. Vous avez été très nombreux à suivre mes pérégrinations deauvillaises et j’ai été ravie de pouvoir échanger en direct avec certains d’entre vous.
Je vous donne d’ores et déjà rendez-vous à Deauville, en mars 2011 (pour le Festival du Film Asiatique) et septembre (pour le Festival du Cinéma Américain) et en attendant vous pourrez continuer à être informés de l’actualité deauvillaise sur « In the mood for Deauville » et sur la page Facebook du festival que j’ai créée qui continuera d’être alimentée et sur laquelle je serais ravie de continuer à débattre avec vous de ce festival.
Prochain rendez-vous festivalier : le Festival du Film Britannique de Dinard que je vous relaterai comme chaque année et qui, fort de son succès croissant, sera prolongé d’une journée. Rendez-vous donc sur la côte d’Emeraude du 6 au 10 octobre en attendant de plonger à nouveau « in the mood for Deauville ».