Ayant beaucoup apprécié le premier film de Fred Cavayé, le nerveux, efficace, rythmé et haletant « Pour elle » sorti en 2008 qui, par ailleurs, marquait la naissance d’un cinéaste français imprégné de cinéma américain initiant un film de genre et son genre de film bien à lui, j’étais impatiente de découvrir son deuxième film « A bout portant ».
Dans « A bout portant », tout va pour le mieux pour Nadia (Elena Anaya) et Samuel (Gilles Lellouche) : lui va bientôt passer les examens pour devenir infirmer, elle est enceinte de leur premier enfant et ils sont visiblement très amoureux. Tout bascule le jour où un truand recherché, un certain Hugo Sartet-Roschdy Zem- (un nom de famille qui rappellera quelqu’un aux cinéphiles) est hospitalisé dans le service de Samuel. Chez lui, Samuel est brutalement agressé. Sa femme est kidnappée. Samuel a alors trois heures pour sortir Sartet, alors sous surveillance policière, de l’hôpital…
Voilà un pitch plutôt alléchant qui nous en rappelle d’ailleurs un autre. Celui du premier film de Fred Cavayé. Même basculement brusque d’un quotidien joyeux et tranquille dans l’absurdité et dans l’horreur. Même principe hitchcockien d’un homme ordinaire plongé dans une situation horriblement extraordinaire. Scène similaire du début pour nous montrer un couple amoureux dans son quotidien. Même recours à un slogan, hier « Jusqu’où iriez-vous par amour ?», aujourd’hui « Il a trois heures pour sauver sa femme. » Chacun des deux slogans peuvent d’ailleurs s’appliquer pareillement aux deux films, de même que les titres également interchangeables, « A bout portant », aurait très bien pu s’intituler « Pour elle ». La comparaison s’arrête là.
D’abord, qu’on arrête de comparer le cinéma français au cinéma américain, toujours au profit du second. Le cinéma français est justement intéressant (oui, il l’est) quand il conserve sa spécificité et non quand il cherche, souvent vainement, à singer une caricature du cinéma américain. D’ailleurs, Fred Cavayé n’aime pas seulement le cinéma américain puisqu’il cite ouvertement Verneuil en nommant le personnage de Roschdy Zem Sartet (Alain Delon s’appelle Roger Sartet dans « Le Clan des Siciliens » d’Henri Verneuil). Sorte de personnage melvillien imperturbable, le Sartet de Fred Cavayé n’est guère plus loquace et expansif que celui de Verneuil. Là aussi, la comparaison s’arrête là.
Un pitch accrocheur. De brillantes références (qui s’avèreront présomptueuses). Une noble ambition. Et tout cela s’avère être finalement un décevant trompe l’œil. Comme si le film lui-même était la bande-annonce du long-métrage intéressant qu’il aurait pu être. Le film ne correspond d’ailleurs pas à son slogan puisque les trois heures fatidiques seront bien vite mises de côté au profit d’une course poursuite harassante qui nous hypnotise et nous ferait presque oublier la vacuité du scénario et l’enjeu initial qui n’a finalement plus aucun intérêt.
Premier problème : l’absence totale de vraisemblance. L’injection d’adrénaline que Sartet a reçue doit être bigrement efficace pour qu’il se rétablisse aussi vite, et passe du statut de presque mort à celui de champion olympique capable de braver les pires poursuivants. Sans parler de la facilité avec laquelle il entre dans l’antre des policiers alors que son portrait de truand recherché est absolument partout. Ni de celle avec laquelle une femme enceinte ( de 7 mois et demi pour corser l’affaire et ne devant absolument pas bouger de chez elle) résiste à la violence physique et morale puis se rebelle avec une même violence. Le summum est quand même atteint avec cette bande de flics ripoux à la tête desquels se trouve Gérard Lanvin tous sur le même moule psychologique ( corrompus, impitoyables, violents) et agissant au siège même de la police sans que personne ne s’en aperçoive ( !!). A part la corruption qui les anime entièrement, on ne saura jamais qui ils sont. D’ailleurs tout le film est à cette image. Comme si les personnages correspondaient à des prototypes pas vraiment incarnés. Il y a les flics ripoux impitoyables. L’homme ordinaire dans la situation extraordinaire. Le truand brutal et hiératique (pensez donc il ne bronche même pas en découvrant la mort de son frère). La femme enceinte terrifiée qui ne comprend rien et qui subitement comprend tout sans qu’on lui ait rien expliqué (le film est très avare de dialogues).
Passons encore sur l’invraisemblance, la vraisemblance n’était pas la condition sine qua non d’un bon film. Après tout sans doute l’amour, la vengeance donnent-ils des ailes à notre infirmier/superman en devenir. Seulement 1H24 de courses-poursuites, pour nous dire que l’homme ordinaire plongé dans une situation extraordinaire peut se surpasser perdant toute notion de morale ou de bien ou de mal, suffisent-elles à faire un film ?
Et 1H24 peut être très longue avec presque pas de dialogues ou alors eux aussi absurdes « Ma femme est enceinte » ( dit par un Gilles Lellouche affolé, yeux globuleux de rigueur, comme si à 7 mois et demi personne ne s’en était aperçu) ou « Qu’est-ce que vous faîtes », (un automobiliste parterre affolé venant de se faire voler sa voiture). Melville a pourtant montré qu’on peut très bien se passer de dialogues (cf la longue et palpitante scène du casse dans « Le Cercle rouge ») seulement n’est pas Meville ou Verneuil qui veut. Jamais la tension ne retombe si bien qu’à être constamment sur la même note, il n’y a plus de crescendo ou de decrescendo, la note en question perd toute force et sa répétition finit par ennuyer. Un comble pour un film d’action qui n’aspire justement qu’à divertir. Fred Cavayé et ses mouvements de caméra frénétiques ne ménage pourtant pas ses efforts pour que nous aussi nous sentions « à bout portant », suffoqués, prisonniers de ce qui aurait dû être ou en tant ou cas était initialement annoncé comme un inéluctable compte à rebours.
Heureusement : Roschdy Zem, comme toujours excellent, est là pour essayer de tenter de sauver le film. Il met toute l’intensité qu’il peut dans son rôle stéréotypé et silencieux. La relation qui le lie à Samuel lié à lui par la force des choses aurait pu être passionnante, mais ils semblent coexister sans que rien ne se passe. Les seconds rôles ont visiblement été négligés au profit de l’action tant là encore les interprétations manquent de nuances (mais comment faire exister des personnages qui ne parlent pas et ne sont que des stéréotypes ?).
Je me suis même demandée s’il ne s’agissait pas d’une parodie tant ce film est une caricature de blockbusters américains : absence de dialogues ou alors dialogues ineptes, absence de psychologie, musique omniprésente, pitch en forme de slogan sans réel rapport avec le film, scènes violentes finalement ridicules, fin morale et rassurante etc. Non, pourtant, ce film est dramatiquement sérieux.
En bref, une injection d’adrénaline pour nous en mettre plein la vue et nous anesthésier, nous garder, nous aussi, artificiellement éveillés. Un écran de fumée pour masquer une absence totale de scénario, de psychologie, de dialogues, d’enjeu. Je ne pense pas que le cinéma français consiste à « parler dans une cuisine » (boutade introductive à la projection de Fred Cavayé, et quand bien même, une conversation dans une cuisine peut s’avérer plus palpitante qu’une course-poursuites), pas plus que le cinéma américain consiste à des courses-poursuites sans dialogues et des personnages sans consistance. Ma déception a été à la hauteur de mon attente et de l’enthousiasme que j’avais éprouvé en voyant « Pour elle », espérons que le troisième film de Fred Cavayé saura prendre le meilleur de l’un et de l’autre, et de son premier film pour nous faire oublier le second!
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