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A VOIR A LA TELEVISION : CRITIQUES DE FILMS - Page 42

  • Critique de BLACK SWAN de Darren Aronofsky, ce dimanche 15 septembre 2013, sur France 2

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    Demain soir, sur France 2, à 20H45, ne manquez pas ce vrai choc cinématographique, un tourbillon fiévreux dont vous ne ressortirez pas indemnes.

     

    Nina (Natalie Portman) est ballerine au sein du très prestigieux New York City Ballet. Elle (dé)voue sa vie à la danse et partage son existence entre la danse et sa vie avec sa mère Erica (Barbara Hershey), une ancienne danseuse. Lorsque Thomas Leroy (Vincent Cassel), le directeur artistique de la troupe, décide de remplacer la danseuse étoile Beth Mcintyre (Winona Ryder) pour leur nouveau spectacle « Le Lac des cygnes », Nina se bat pour obtenir le rôle. Le choix de Thomas s’oriente vers Nina même si une autre danseuse, Lily, l’impressionne également beaucoup, Nina aussi sur qui elle exerce à la fois répulsion et fascination.  Pour « Le Lac des cygnes », il faut  une danseuse qui puisse jouer le Cygne blanc, symbole d’innocence et de grâce, et le Cygne noir, qui symbolise la ruse et la sensualité. Nina en plus de l’incarner EST le cygne blanc mais le cygne noir va peu à peu déteindre sur elle et révéler sa face la plus sombre.

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     « Black swan » n’est pas forcément un film d’emblée aimable (ce qui, pour moi, est une grande qualité quand les synopsis des films ressemblent trop souvent à des arguments marketing) : il se confond ainsi avec son sujet, exerçant tout d’abord sur le spectateur un mélange de répulsion et de fascination, entrelaçant le noir et le blanc, la lumière (de la scène ou de la beauté du spectacle, celle du jour étant quasiment absente) et l’obscurité, le vice et l’innocence mais le talent de cinéaste d’Aronofsky, rusé comme un cygne noir, et de son interprète principale, sont tels que vous êtes peu à peu happés, le souffle suspendu comme devant un pas de danse époustouflant.

    « Black swan » à l’image de l’histoire qu’il conte (le verbe conter n’est d’ailleurs pas ici innocent puisqu’il s’agit ici d’un conte, certes funèbre) est un film gigogne, double et même multiple. Jeu de miroirs entre le ballet que Thomas met en scène et le ballet cinématographique d’Aronofsky. Entre le rôle de Nina dans le lac des cygnes et son existence personnelle. Les personnages sont ainsi à la fois doubles et duals : Nina que sa quête de perfection aliène mais aussi sa mère qui la pousse et la jalouse tout à la fois ou encore Thomas pour qui, tel un Machiavel de l’art, la fin justifie les moyens.

     Aronofsky ne nous « conte » donc pas une seule histoire mais plusieurs histoires dont le but est une quête d’un idéal de beauté et de perfection. La quête de perfection obsessionnelle pour laquelle Nina se donne corps et âme et se consume jusqu’à l’apothéose qui, là encore, se confond avec le film qui s’achève sur un final déchirant de beauté violente et vertigineuse, saisissant d’émotion.

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    Par une sorte de mise en abyme, le combat (qui rappelle celui de « The Wrestler ») de Nina est aussi celui du cinéaste qui nous embarque dans cette danse obscure et majestueuse, dans son art (cinématographique) qui dévore et illumine (certes de sa noirceur) l’écran comme la danse et son rôle dévorent Nina. L’art, du cinéma ou du ballet, qui nécessite l'un et l'autre des sacrifices. Le fond et la forme s’enlacent alors pour donner cette fin enivrante d’une force poignante à l’image du combat que se livrent la maîtrise et l’abandon, l’innocence et le vice.

    Quel talent fallait-il pour se montrer à la hauteur de la musique de Tchaïkovski (qui décidément inspire ces derniers temps les plus belles scènes du cinéma après « Des hommes et des dieux ») pour nous faire oublier que nous sommes au cinéma, dans une sorte de confusion fascinante entre les deux spectacles, entre le ballet cinématographique et celui dans lequel joue Nina. Confusion encore, cette fois d’une ironie cruelle, entre l'actrice Winona Ryder et son rôle de danseuse qui a fait son temps.  Tout comme, aussi, Nina confond sa réalité et la réalité, l’art sur scène et sur l’écran se confondent et brouillent brillamment nos repères. Cinéma et danse perdent leur identité pour en former une nouvelle. Tout comme aussi la musique de Clint Mansell se mêle à celle de Tchaïkovski pour forger une nouvelle identité musicale.

    La caméra à l’épaule nous propulse dans ce voyage intérieur au plus près de Nina et nous emporte dans son tourbillon. L’art va révéler une nouvelle Nina, la faire grandir, mais surtout réveiller ses (res)sentiments et transformer la petite fille vêtue de rose et de blanc en un vrai cygne noir incarné par une Natalie Portman absolument incroyable, successivement touchante et effrayante, innocente et sensuelle, qui réalise là non seulement une véritable prouesse physique (surtout sachant qu’elle a réalisé 90% des scènes dansées !) mais surtout la prouesse d’incarner deux personnes (au moins...) en une seule et qui mérite indéniablement un Oscar.

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     Un film aux multiples reflets et d’une beauté folle, au propre comme au figuré, grâce à la virtuosité de la mise en scène et de l’interprétation et d’un jeu de miroirs et mise(s) en abyme. Une expérience sensorielle, une danse funèbre et lyrique, un conte obscur redoutablement grisant et fascinant, sensuel et oppressant dont la beauté hypnotique nous fait perdre (à nous aussi) un instant le contact avec la réalité pour atteindre la grâce et le vertige.

    Plus qu’un film, une expérience à voir et à vivre impérativement (et qui en cela m’a fait penser à un film certes a priori très différent mais similaire dans ses effets : « L’Enfer » d’Henri-Georges Clouzot) et à côté duquel le « Somewhere » de Sofia Coppola qui lui a ravi le lion d’or à Venise apparaît pourtant bien fade et consensuel...

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  • Critique - OMAR M'A TUER de Roschdy Zem, ce soir, à 20H45, sur Ciné + Emotion

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    Adapter un fait divers aussi médiatique soit-il (ou justement parce qu’il est aussi médiatique) n’est jamais facile, d’abord parce qu’il faut respecter les droits des parties en cause, ensuite parce que réussir à susciter et maintenir l’intérêt du public avec des faits connus de tous nécessite une certaine maîtrise du récit.

    C’était ici d’autant plus difficile que le fait divers est relativement récent et toujours très présent dans les esprits puisqu’il remonte au 24 juin 1991 avec l’assassinat de Ghislaine Marchal retrouvée morte dans sa villa de Mougins. Des lettres tracées avec le sang de la victime accusent :    « Omar m’a tuer ».  Quelques jours plus tard, Omar Raddad (Sami Bouajila), son jardinier, est écroué à la prison de Grasse. Il parle peu et comprend mal le français. Dès lors, il est le coupable évident….et idéal.  Il n’en sortira que 7 ans plus tard, gracié, mais toujours coupable aux yeux de la justice. En 1994, révolté par le verdict, Pierre-Emmanuel Vaugrenard (Denis Podalydès), écrivain convaincu de l’innocence d’Omar Raddad ou du moins trouvant une belle opportunité dans la défense de son innocence, s’installe à Nice pour mener sa propre enquête et rédiger un ouvrage sur l’affaire…

    C’est Rachid Bouchareb qui devait initialement réaliser ce film consacré à « L’affaire Raddad ». Le succès d’« Indigènes » en a décidé autrement. Après s’être vu proposer le rôle d’Omar,  Roschdy Zem a finalement décidé de diriger lui-même le film, son second long-métrage après l’excellent « Mauvaise foi » en 2006.  Le scénario originel a ainsi été écrit par Rachid Bouchareb et Olivier Lorelle. Le scénario s'inspire de deux ouvrages : « Pourquoi moi ? »  dans lequel Omar Raddad livre son témoignage sur cette épreuve et  « Omar : la construction d'un coupable » du romancier Jean-Marie Rouard, un livre-enquête qui  dénonce les défaillances de la justice au moment de cette affaire criminelle et le lynchage médiatique dont a alors été victime Omar Raddad.

    Afin d’apporter du rythme à l’histoire, les scénaristes ont eu la bonne idée de montrer les destins croisés de l’accusé Omar Raddad et de l’écrivain dandy qui écrit un livre sur ce dernier, sans doute pas seulement pour de nobles raisons, épris au moins autant d’ambition que de justice, mais cela permet en tout cas de révéler les multiples zones d’ombre de l’enquête : aucune trace de sang détectée sur les vêtements qu'Omar Raddad portait au moment du crime, ses empreintes n'apparaissent nulle part sur les lieux du crime, les gendarmes se sont débarrassés de l'appareil photo qui contenait des clichés pris par la victime peu avant son décès, son corps a été incinéré moins d'une semaine après le meurtre, alors que de nouvelles autopsies auraient dû être effectuées…sans oublier les deux phrases "Omar m'a tuer" et "Omar m'a t" écrites de manière lisible, avec les lettres bien détachées alors que Mme Marchal était dans l’obscurité…et avec cette faute d’orthographe reprise dans le titre du film, d’autant plus étrange lorsqu’on sait que Ghislaine Marchal était férue de littérature et en particulier de Sagan, le nom de sa villa étant même inspiré de celui du roman « La Chamade » (que je vous recommande vivement par ailleurs).

    Plutôt que de s’attaquer aux médias et à la justice et à leur violence aveugle (traiter de l’implacable machine médiatique et judiciaire aurait d’ailleurs été un autre point de vue intéressant), Roschdy Zem a préféré réaliser un film à hauteur d’homme et dresser le portrait d’un homme simple démuni face à l’implacable machine judiciaire sans nier qu’il dépensait beaucoup  au jeu (on l’a aussi accusé de dépenser pour des prostituées…mais personne n’est jamais parvenu à le prouver). Démuni parce que ne possédant pas la maîtrise du langage et son premier interrogatoire par des gendarmes montre de manière flagrante l’incompréhension, l’angoisse qui le saisissent, dans toute son humanité désarmée.  Ce film est aussi un plaidoyer pour les mots, la maîtrise du langage, véritable arme (celle dont se sert l’écrivain et celle dont Omar est démuni) et instrument de pouvoir. Les mots qui l’accuseront, aussi.

    Comme souvent dans les films réalisés par des acteurs, l’interprétation est remarquable pas seulement grâce à la direction d’acteurs de Roschdy Zem mais évidemment aussi grâce à l’interprétation de Sami Bouajila qui interprète Omar Raddad avec sobriété, sans jamais en faire trop,  mais interprétant l’homme dans toute  sa dignité bafouée, sa fragilité, presque sa candeur. Dans un regard ou un silence, il parvient ainsi à exprimer toute la détresse d’un homme, sans parler évidemment de la performance physique (perte de poids, apprentissage du marocain).

    Roschdy Zem a eu l’intelligence de mettre en avant le coupable (devenu la seconde victime de cette histoire) plutôt que sa réalisation qui se contente de poser sa caméra sur pied ou sur des rails pour les scènes de l’écrivain qui « maîtrise » (sa situation, le langage)  et de porter la caméra à l’épaule pour filmer les scènes plus fébriles liées à Omar Raddad (désarmé, perdu).  Il n’oublie pas non plus la victime initiale en en dressant le portrait d’une femme libre, plutôt iconoclaste dont on ne souhaitait visiblement pas voir le passé révélé au grand jour !

    Un film de compassion, d’humanité poignante qui témoigne autant de celle de celui dont il raconte l’histoire que de celle de celui qui se trouve derrière la caméra, comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans son premier film « Mauvaise foi ».

    Denis Podalydès est juste dans le rôle de cet écrivain parisien à mille lieux de l’univers de celui qu’il prétend défendre  et Maurice Bénichou dans celui de l’avocat Vergès qui trouvera en Omar son « premier innocent ».

    En attendant, le mystère demeure : les deux ADN masculins retrouvés sur les lieux du crime et qui ne correspondent ni l'un ni l'autre à celui d'Omar Raddad demeurent non identifiés. La Cour de révision, en charge du dossier a malgré cela décidé en 2002 de ne pas rejuger l'homme, qui reste toujours coupable aux yeux de la justice tout en ayant bénéficié de la grâce présidentielle de Jacques Chirac.  Et surtout demeure l’honneur bafoué d’Omar Raddad, un homme physiquement libre et mentalement emprisonné. A défaut de plaider ouvertement pour son innocence, le film plaide, avec compassion, pudeur et sobriété, pour une réouverture de l’enquête et une réhabilitation d’un homme privé du pouvoir des mots, que le pouvoir de quatre mots à a jamais enfermé et à qui le pouvoir d’un seul mot pourrait rendre la liberté.

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  • Critique - LES EMOTIFS ANONYMES de Jean-Pierre-Améris, ce soir, sur France 3, à 20H45

    Ce soir, sur France 3, à 20H45, je vous recommande "Les Emotifs anonymes" de Jean-Pierre Améris, l'occasion aussi de vous inciter à (re)voir le dernier film du cinéaste, "L'homme qui rit" dont vous pourrez également retrouver ma critique, ci-dessous.

    Critique - "Les émotifs anonymes" de Jean-Pierre Améris

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    La comédie française se porte bien : après le réjouissant « Tout ce qui brille », le pétillant « De vrais mensonges », le romantique « L’Arnacoeur », le décalé « La reine des pommes », le sucré acide « Potiche » cette année 2010 s’achève par une comédie qui n’est pas la plus clinquante ni la plus formatée mais sans aucun doute la plus attachante à des années lumière d’une « comédie » désolante, démagogique et opportuniste comme « Fatal ».

    Le gérant d’une chocolaterie au prénom aussi improbable que ses costumes démodés est un grand émotif. Jean-René (Benoît Poelvoorde) donc, puisque tel est ce fameux prénom suranné, cherche à employer une nouvelle commerciale. Angélique (Isabelle Carré) est la première à se présenter. Chocolatière de talent, elle est au moins aussi émotive que Jean-René, participant même à des séances des «Emotifs anonymes ». Entre eux le charme opère immédiatement, malgré leurs maladresses, leurs hésitations, leurs regards fuyants. Seulement leur timidité maladive tend à les éloigner…

    Quant la mode est aux cyniques célèbres, un film qui s’intitule « Les Emotifs anonymes » est déjà en soi rafraîchissant et j’avoue avoir d’emblée beaucoup plus de tendresse pour les seconds. Cela tombe bien : de la tendresse, le film de Jean-Pierre Améris en regorge. Pas de la tendresse mièvre, non. Celle qui, comme l’humour qu’il a préféré judicieusement employer ici, est la politesse du désespoir. Jean-Pierre Améris connaît bien son sujet puisqu’il est lui-même hyper émotif. J’en connais aussi un rayon en émotivité et évidemment à l’entendre je comprends pourquoi son film (me) touche en plein cœur et pourquoi il est un petit bijou de délicatesse.

    La première grande idée est d’avoir choisi pour couple de cinéma Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré déjà réunis dans « Entre ses mains », le très beau film d’Anne Fontaine. Poelvoorde donne ici brillamment corps (mal à l’aise, transpirant, maladroit), vie (prévoyante et tétanisée par l’imprévu) et âme (torturée et tendre) à cet émotif avec le mélange de rudesse involontaire et de personnalité à fleur de peau caractéristiques des émotifs et Isabelle Carré, elle aussi à la fois drôle et touchante, sait aussi nous faire rire sans que jamais cela soit aux dépends de son personnage. L’un et l’autre sont pour moi parmi les plus grands acteurs actuels, capables de tout jouer et de nous émouvoir autant que de nous faire rire. Ici ils font les deux, parfois en même temps. Poelvoorde en devient même beau à force d’être touchant et bouleversant, notamment lorsqu’il chante, dans une scène magnifique que je vous laisse découvrir. Le film de Jean-Pierre Améris est ainsi à l’image de l’entreprise de chocolaterie vacillante de son personnage principal : artisanal mais soigné, à taille humaine, et terriblement touchant.

    La (première) scène du restaurant est un exemple de comédie et symptomatique du ton du film, de ce savant mélange de sucreries, douces et amères, de drôlerie et de tendresse. Cette scène doit (aussi) beaucoup au jeu des acteurs. Leur maladresse dans leurs gestes et leurs paroles (leurs silences aussi), leurs mots hésitants, leurs phrases inachevées, leurs regards craintifs nous font ressentir leur angoisse, l’étirement du temps autant que cela nous enchante, nous amuse et nous séduit.

    Le deuxième est le caractère joliment désuet, intemporel du film qui ne cherche pas à faire à la mode mais qui emprunte ses références à Demy ou à des pépites de la comédie comme « The shop around the Corner » de Lubitsch avec ses personnages simples en apparence, plus compliqués, complexes et intéressants qu’il n’y paraît sans doute à ceux qui préfèrent les cyniques célèbres précités.

    Avec son univers tendrement burlesque, avec ses couleurs rouges et vertes, Jean-Pierre Améris nous embarque dans ce conte de noël qui se déguste comme un bon chocolat à l’apparence démodée mais qui se révèle joliment intemporel. Un film tout simplement délicieux, craquant à l’extérieur et doux et fondant à l’intérieur qui vous reste en mémoire...comme un bon chocolat à la saveur inimitable.

    Jean-Pierre Améris m’avait déjà bouleversée avec « C’est la vie » et « Poids léger », maintenant en plus il nous fait rire. Vivement le prochain film du cinéaste et vivement le prochain film avec Isabelle Carré ET Benoît Poelvoorde ! Si vous n’avez pas encore vu ce film allez-y de préférence le 25 décembre, vous ferez en plus une bonne action. Un film qui fait du bien comme celui-ci, c'est vraiment l'idéal un jour de noël et vous auriez tort de vous en priver.

    En bonus, regardez le clip de "Big jet lane" d'Angus et Julia Stone, très belle bo qui prolonge le film.

     

     

    Critique de "L'homme qui rit" de Jean-Pierre Améris

    cinéma, film, avant-première, Gérard Depardieu, livre, Victor Hugo, L'homme qui rit, marc-André Grondin, Gwynplaine, Christa Théret, Emmanuelle Seigner

    Comme étais-je passée à côté de ce roman de Victor Hugo ? Mystère… La sortie du film a pour moi été l’occasion de cette magnifique découverte, d’un texte ardu mais passionnant, riche de multiples digressions, d’une langue admirable (évidemment), et surtout d’un personnage monstrueusement séduisant auquel tous ceux qui se sont un jour sentis différents pourront s’identifier : Gwynplaine sur lequel Jean-Pierre Améris a eu la bonne idée de centrer son film.

    Alors que la tempête de neige fait rage, Ursus (Gérard Depardieu), le forain  en apparence revêche mais généreux, recueille deux orphelins dans sa roulotte. Le premier de ces deux orphelins, c’est Gwynplaine, un jeune garçon dont une cicatrice qui ressemble à un rire insolemment triste barre le visage, l’œuvre des Comprachicos (un mot qui est une invention de Victor Hugo provenant de l'espagnol comprar -qui signifie acheter- et chicos -qui signifie enfant- signifiant donc «acheteurs d’enfants»), spécialisés dans le commerce d'enfants, qu'ils achètent ou volent et revendent après les avoir mutilés. L’autre enfant, c’est Déa une petite fille aveugle que ce dernier a trouvée sur son chemin. Quelques années plus tard, ils sillonnent toujours les routes et présentent un spectacle dont Gwynplaine (Marc-André Grondin) alors adulte, est devenu la vedette, accompagné de Déa (Christa Théret), également sur scène. Partout, on souhaite voir « L’homme qui rit » celui qui fait rire et émeut les foules mais un autre théâtre, bien plus redoutable, celui de l’aristocratie, va l’éloigner de ceux qu’il aime et qui l’aiment…

    Hugo a écrit « L’homme qui rit » entre 1866 et 1869 durant son exil politique dans les îles Anglo-Normandes. Adapter les 750 pages de ce roman était un véritable défi tant le roman est foisonnant, allégorique aussi, et tant l’auteur digresse sur la politique, la philosophie et même l’architecture. Jean-Pierre Améris et Guillaume Laurant (notamment scénariste de films de Jean-Pierre Jeunet dont « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ») ont réalisé un incroyable travail d’adaptation et ont eu l’excellente idée de transposer le roman qui se déroule dans l’Angleterre du XVIIème sicèle dans un lieu et une époque imprécis (le film a été tourné en studios à Prague) et surtout d’en faire un conte sombre, et ainsi fascinant. Pour rendre l’histoire plus moderne et accessible, Jean-Pierre Améris a volontairement utilisé des éléments plus contemporains, pour les dialogues mais aussi pour les costumes, comme l'avaient fait Baz Luhrmann pour "Roméo et Juliette" ou Sofia Coppola pour "Marie-Antoinette".

    Dès les premiers plans dans la neige et la tempête, la poésie lugubre et la féérie sombre des images captivent. Du roman baroque d’Hugo Jean-Pierre Améris a fait une fable intemporelle d’une beauté triste mais ensorcelante. C’est un magnifique roman (et film) sur la différence, la dualité, entre blancheur et noirceur, entre beauté et laideur, entre théâtre et réalité, entre aveuglement et clairvoyance, des contrastes que l’esthétique du film souligne magnifiquement et dont elle souligne aussi les paradoxes. « Qu’est-ce que ça veut dire être laid ? Laid c’est faire le mal ! Toi tu me fais du bien », résume si bien l’aveugle et sensible Déa. 

    La vie est à la fois sublimée et plus réelle sur les planches comme elle peut l’être dans « Le Carrosse d’or », « Les enfants du paradis », « Le dernier métro » et c’est là que l’amour impossible de Déa (la jeune aveugle qui voit la beauté de l’âme, allégorie simple et tellement magnifique) et Gwynplaine est le plus éclatant. La monstruosité, le théâtre, la noirceur se situent finalement dans la réalité et du côté de l’aristocratie comme dans le « Ridicule » de Patrice Leconte. « Ne quitte jamais les planches. Ici les gens t’aimeront, mais dans la vie réelle, ils te feront souffrir » le prévient pourtant Ursus mais pour son plus grand malheur, Gwynplaine ne l’écoutera pas…

    Jean-Pierre Améris (dont j’ai découvert le cinéma avec « C’est la vie » et « Poids léger » que je vous recommande vivement et dont le dernier film « Les Emotifs anonymes » était une comédie très réussie), pour son 12ème film, est une nouvelle fois attiré par une histoire de marginaux qu’il sait si bien comprendre et pour lesquels il sait si bien susciter de l’empathie. Il a ainsi fait de Gwynplaine un personnage éminemment séduisant : innocent, révolté, libre, d’une laideur attrayante.  Gwynplaine est moins connu que Quasimodo et pourtant sa belle monstruosité a énormément inspiré les artistes, à commencer par Tim Burton pour « Edward aux mains d’argent ». Le film de Jean-Pierre Améris, sans jamais le singer, m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à l’univers du cinéaste américain par sa beauté baroque, entre rêve et cauchemar, par ses personnages d’une beauté étrange et fascinante (très felliniens, aussi), par sa mise en scène inspirée. Tim Burton n’était d’ailleurs pas le seul à avoir été inspiré par Gwynplaine. Les dessinateurs Jerry Robinson et Bob Kane reconnaissaient ainsi volontiers s’être inspirés de Gwynplaine pour le personnage du Joker, dans les comics Batman. Et le roman d’Hugo est longuement évoqué dans  « Le Dahlia noir » de James Ellroy, présent également dans l'adaptation cinématographique de Brian De Palma.

    C’est aussi un très bel hymne à la différence,  et à ceux qui se battent pour les autres (Hugo était un écrivain engagé, Jean-Pierre Améris, l’est aussi à sa manière dans chacun de ses films ou même teléfilms comme « Maman est folle »). Magnifique scène de la tirade au Parlement ! Il s’agit d’un discours exalté dans lequel Marc-André Grondin met beaucoup d’éloquence et de conviction : « Ce qu’on fait à ma bouche, c’est ce qu’on fait au peuple. On le mutile » dit-il notamment (le texte, magnifique, est là repris de Hugo). Marc-André Grondin apporte toute sa beauté, sa fraîcheur à ce homme bouleversant caché derrière ce masque tragiquement rieur, se mettant ainsi à nu, dévoilant son visage mais surtout sa belle âme, face à la vraie monstruosité.

     Le film bénéficie aussi d’un casting impeccable : outre Marc-André Grondin, Gérard Depardieu impose sa force tranquille et sa générosité (au passage, que les pseudo-politiquement corrects laissent tranquille cet homme terriblement libre, vivant, cet immense artiste, plutôt que d’utiliser sa vie personnelle pour, probablement, exprimer une certaine rancœur, voire jalousie, et qu’ils s’engagent et mettent leur énergie vindicative au service de causes qui en sont vraiment). J’espère que cela permettra aussi à certains de découvrir Swann Arlaud que j’avais découvert au Festival de Cabourg dans le court-métrage   « Alexis Ivanovich vous êtes mon héros » de Guillaume Gouix dans lequel il incarne admirablement un personnage radieux et joyeusement désinvolte qui, en une fraction seconde, blessé dans son orgueil, va tout remettre en question, découvrant ne pas être le héros qu’il aurait aimé être aux yeux de son amoureuse.  Emmanuelle Seigner est une incarnation sublime de la tentation diabolique et finalement, malgré tout, touchante (comme chez Hugo, même ou car monstrueux, ses personnages restent humains),  et comme elle le dit elle-même, le visage de Gwynplaine est le reflet de son âme sombre. Enfin, Christa Théret dont le visage est si expressif (à voir aussi absolument dans « Renoir », dans un rôle très différent dans lequel elle excelle également) est la tentation angélique, incarnation du mélange de force et de fragilité, d’aveuglement et de clairvoyance.

    Mon seul reproche concerne le montage, et la durée, l’impression que la fin est un peu brusque…et que sans digresser autant que le fait Hugo dans son livre, le film aurait encore gagné en densité en gagnant un peu en longueur.

    Ce film est néanmoins vraiment un enchantement, un enchantement mélancolique, la forme reflétant ainsi le fond et toutes les sublimes dualités que l’histoire recèle. C’est aussi un opéra moderne ( la musique a été enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens et elle apporte une force lyrique au film) . C’est également une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle (elles sont trop rares au cinéma pour s’en priver). C’est enfin un film universel au dénouement bouleversant. N’ayez pas peur de l’humour grinçant, la noirceur, la tragédie, ils sont sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (pour peu que nous nous sentions un tout petit peu différents) et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant. La très belle surprise de cette fin d’année.

    Quelques citations extraites du livre « L’homme qui rit » de Victor Hugo, pour terminer :

    « Les aristocrates ont pour orgueil ce que les femmes ont pour humiliation, vieillir. »
    « De telles innocences dans de telles ténèbres, une telle pureté dans un tel embrassement, ces anticipations sur le ciel ne sont possibles qu'à l'enfance, et aucune immensité n'approche de cette grandeur des petits. »
    « Ca doit se fourrer dans des trous, le bonheur. Faites-vous encore plus petits que vous n'êtes, si vous pouvez. Dieu mesure la grandeur du bonheur à la petitesse des heureux. Les gens contents doivent se cacher comme des malfaiteurs. »
    « Deux coeurs qui s'aiment, n'allez pas chercher plus loin la poésie; et deux baisers qui dialoguent, n'allez pas chercher plus loin la musique. »

    L’homme qui rit a été présenté en clôture de la 69ème Mostra de Venise.

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  • Critique de J'AIME REGARDER LES FILLES de Frédéric Louf avec Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge ..., à 20H45, sur Ciné plus Emotion

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    L’été est désormais l’occasion pour les majors de sortir certaines de leurs grosses productions …mais c’est aussi et  heureusement l’occasion pour des films aux budgets et à la promotion moins conséquents d’émerger. Ce fut le cas pour « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon en 2008 et j’aurais vraiment aimé que ce fut le cas l'été 2011 pour « J’aime regarder les filles », premier long-métrage de Frédéric Louf, un film que j’avais découvert dans le cadre du  Festival du Film de Cabourg où il était présenté, dans la section Panorama. Mon coup de cœur du festival. Un coup de foudre même. Une belle évidence. Pas de budget ni de promotion pharaoniques mais un film écrit et réalisé avec sincérité, et brillamment interprété.  Et indéniablement le film le plus romantique de ce festival : celui qui évoquait le mieux les tourments de l’âme et du cœur, et qui fait preuve  de sensibilité (agréablement) exacerbée. Et vous faire découvrir et partager mon enthousiasme pour des films comme celui-ci est sans doute la plus belle raison d’être de ce blog.

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    L’action du film  débute la veille du 10 mai 1981, en plein bouillonnement électoral. C’est ce jour-là que Primo (Pierre Niney) et Gabrielle (Lou de Laâge) se rencontrent, suite à la belle audace et inconscience de Primo qui s’immisce dans une fête à laquelle il n’était pas invité. Ils ont 18 ans. L’âge de tous les possibles. Tous les excès. Toutes les audaces. Primo va bientôt passer le bac. Gabrielle fait partie de la bourgeoisie parisienne. Lui est fils de petits commerçants de province. Primo est ébloui par le charme de Gabrielle. Il va s’inventer une vie qui n’est pas la sienne… Et puis, dans l’ombre, il y a Delphine, amie de Gabrielle (Audrey Bastien)…

    Frédéric Louf arrive à transcrire la fébrilité et la fougue de la jeunesse, cet âge où tout est possible, à la fois infiniment grave et profondément léger, où tout peut basculer d’un instant à l’autre dans un bonheur ou un malheur pareillement excessifs, où les sentiments peuvent éclore, évoluer ou mourir d’un instant à l’autre, où tout est brûlant et incandescent. De son film et de ses interprètes se dégagent toute la candeur, la fraîcheur mais aussi parfois la violence et l’intransigeance de cet âge décisif.

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    La littérature cristallise magnifiquement les sentiments avec notamment les références à une des œuvres les plus marquantes du romantisme « On ne badine pas avec l’amour » de Musset, judicieux parallèle pour cette histoire qui , dans une certaine mesure, peut rappeler celle de Camille et Perdican, mais aussi pour la présence de la violence sociale, présente dans l’œuvre de Musset et ici également en arrière-plan avec l’éveil de Primo à la politique grâce au personnage de Malik (là encore un choix judicieux : Ali Marhyar). C’est donc l’histoire (avant tout) d’une « éducation sentimentale » mais aussi d’une éducation politique, l’un et l’autre symbolisant un bel et fol espoir. Celui du 10 mai 1981. Et celui de cet amour naissant.

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    Au sommet de la distribution, Pierre Niney (que vous avez pu notamment voir dans « les Emotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris et « L’autre monde » de Gilles Marchand, plus jeune pensionnaire de la comédie française mais pas seulement, cf interview ci-dessous) qui incarne Pierre, personnage éminemment romantique capable notamment de se jeter par la fenêtre, d’une touchante maladresse et d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient…mais aussi Audrey Bastien (que vous avez déjà pu voir dans « Simon Werner a disparu ») qui incarne une Delphine à la fois forte et fragile, mystérieuse et déterminée.

     A eux deux, ils incarnent toutes les nuances, les excès, les passions, la vulnérabilité et la force de la jeunesse avec un naturel confondant et avec ce petit quelque chose en plus, si rare et précieux, qui se nomme la grâce. N’oublions pas non plus Lou de Lâage,  dont le personnage, à l’image de ceux précités, évite intelligemment l’écueil du manichéisme.  Michel Vuillermoz, Johan Libéreau, Ali Maryhar notamment complètent cette épatante distribution !

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    Le caractère de Primo (inconscient, follement romantique, maladroit, déterminé) rappelle Antoine Doinel et en particulier le Doinel de « Baisers volés ». La vitalité qui se dégage du film, les références à la littérature, cette apparente légèreté doublée d’une réelle profondeur procurent à ce film un bel air truffaldien.

    Le tout est  servi par des dialogues particulièrement bien écrits. Agnès Jaoui qui a écrit ce qui est à mon sens un des films avec les meilleurs dialogues qui soient (« Le goût des autres », chef d’œuvre du genre à voir absolument si ce n’est déjà fait) ne s’y est pas trompé: elle est la marraine du film.  Le film a par ailleurs reçu le label « Cinéaste de demain » décerné par Canal +, UGC et un collectif de cinéastes.

    Un film simple, touchant, drôle (je ne l’ai pas assez dit, mais oui, vraiment aussi drôle) qui a la grâce des 18 ans de ses personnages, à la fois fragiles et résolus, audacieux, d’une émouvante maladresse, insouciants et tourmentés et qui incarnent à merveille les héros romantiques intemporels même si le film est volontairement très ancré dans les années 80 à l’image du tube de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles » qui a donné son titre au film.

    Un film au romantisme assumé, imprégné de littérature, avec un arrière-plan politique, avec un air truffaldien, voilà qui avait tout pour me plaire, sans oublier ce petit plus indicible, le charme peut-être, la sincérité sans doute, et le talent évidemment, ingrédients d’un coup de foudre cinématographique comme celui-ci.

    Je crois que vous l’aurez compris : c’est LE film de cet été à ne pas manquer… Et quand ses jeunes interprètes seront nommés comme meilleurs jeunes espoirs aux prochains César et/ou le film comme meilleur premier film (je ne vois pas comment il pourrait en être autrement) vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus!

    Et juste pour le plaisir de la beauté et clairvoyance redoutables des mots de Musset :

    « Adieu Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'on empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois : mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » On ne badine pas avec l'amour (acte 2 scène V)- Alfred de Musset (1810-1857)

    INTERVIEWS DE PIERRE NINEY ET FREDERIC LOUF

     

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    Ci-dessus: Audrey Bastien, Pierre Niney et Frédéric Louf lors de la présentation du film en avant-première, au Festival du Film de Cabourg.

     Pour achever de vous convaincre, je vous propose ci-dessous de retrouver mes interviews du réalisateur Frédéric Louf et de l’acteur principal Pierre Niney. Je les remercie encore une fois  d’avoir pris le temps de me donner ces réponses précises et enthousiastes, qui, je pense, devront vous donner une idée du ton du film, à leur image…

    martineden.jpgUne petite parenthèse à propos de la référence à « Martin Eden » de Jack London (que vous pourrez lire dans l’interview de Pierre Niney), un chef d’œuvre parfois méconnu, un des trois romans que je relis le plus souvent et que je vous conseille vraiment de découvrir . Dès l’instant où mes yeux se sont posés sur ce roman, le ténébreux « Martin Eden », je n’ai pu les en détacher, le dévorant littéralement jusqu’à la dernière ligne. Pour ne pas en gâcher le plaisir de la découverte, je ne vous en résumerai pas l’histoire. C’est à la fois une brillante histoire romanesque et une peinture de la société, de son hypocrisie, de la superficialité de la réussite, des bas-fonds de San Francisco aux salons de la bourgeoisie. C’est l’itinéraire d’un être passionné et idéaliste qui sombrera dans le désappointement. C’est un roman d’un romantisme désenchanté empreint de passion puis de désillusions. C’est aussi et avant tout un roman sur la fièvre créatrice et amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent à la fois. Le roman le plus autobiographique de Jack London publié en 1909 et réédité aux Editions Phébus (collection Libretto). Je vous le recommande vivement.

     

     

    INTERVIEW DE PIERRE NINEY (Primo dans le film)

    niney3.jpgBiographie (source : Wikipédia et Allociné et interview/photo ci-contre: extraite du film "J'aime regarder les filles") Pierre Niney a débuté le théâtre à l'âge de onze ans en suivant  une formation avec la Compagnie Pandora et travaille sur des mises en scène avec Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault. Admis aux auditions de la Classe Libre des Cours Florent où il y étudie pendant deux ans, puis au Conservatoire National d'Art Dramatique (CNSAD). Il est engagé dans la troupe de la Comédie-Française en octobre 2010.

    Au théâtre : il joue sous la direction de Julie Brochen à la Cartoucherie de Vincennes, Vladimir Pankov au Théâtre Meyerhold à Moscou, et Emmanuel Demarcy-Mota. Après avoir travaillé pour des téléfilms et courts-métrages diffusés à la télévision (Nicolas Klotz...) il décroche plusieurs rôles au cinéma, il joue dans le long-métrage "LOL" de Lisa Azuelos et il tourne entre autres, dans l’excellent film de Robert Guédiguian intitulé "L'Armée du Crime", sélectionné au Festival de Cannes 2009 mais également dans « L’Autre monde » de Gilles Marchand (ma critique, ici) (sélectionné au Festival de Cannes 2010) puis dans "Les Émotifs anonymes" (ma critique, ici) avec Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré. Ces trois derniers films témoignent du caractère judicieux de ses choix.

    Pierre Niney rejoint la troupe de la Comédie-Française le 16 octobre 2010 en devenant le plus jeune pensionnaire actuel du lieu. Il créé actuellement un festival de court-métrage à Vanves pour 2012/2013 (je vous en reparlerai). Il jouera, début juin 2012, au théâtre de Vanves, une pièce qu’il a écrite et mise en scène « Si près de Ceuta ». Vous le retrouverez dans « Les neiges du Kilimandjaro » de Robert Guédiguian qui sort en salles le 16 novembre prochain. Et cet été, il tournera un long-métrage intitulé "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin avec également Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et Mélanie Thierry dans la distribution.

     1. Inthemoodforcinema.com : « J’aime regarder les filles » a été présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, dédié au cinéma romantique. Pour moi, c’était  le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de cinéma romantique (synonyme d’une grande sensibilité et des tourments de l’âme et du cœur). En quoi votre personnage, pour vous, l’est-il ? Cette caractéristique de votre personnage a-t-elle beaucoup orientée votre manière de l’interpréter ?

     Pierre Niney: Primo est un grand romantique. Mais pas dans sa forme la plus classique. C'est ce qui m'a beaucoup séduit dans le scénario de Fréderic Louf. Il aime de tout son cœur et il est capable de beaucoup quand il est dans cet état. Une porte fermée ne l'arrêtera pas tant qu'il pourra escalader la face de l'immeuble, peu importe l'étage.

    Il est aussi profondément sensible à la littérature et capable de retenir des vers entier d'Alfred de Musset qui parlent d'amour, cependant c'est aussi un personnage capable d'une vraie violence dans ses rapports aux autres, et d'un réel égoïsme, qu'il parvient a combattre au fur et a mesure du film et des différentes rencontres qu'il fait. Evidemment tout cela a influencé ma manière de jouer Primo car ces aspects du personnage le définissent en grande partie.

    2. Inthemoodforcinema.com: Même si votre jeu est très différent de celui de Jean-Pierre Léaud, j’ai beaucoup songé au cinéma de Truffaut de par le caractère de votre personnage, la présence de la littérature, la vitalité qui se dégage du film. Est-ce une référence pour vous en général et en était-ce une à la lecture du scénario ?

    Pierre Niney: Le lien entre l'univers de Truffaut et le film de Fréderic Louf me plait bien (évidemment!) et me parait justifié à certains niveaux.  Le ton de "J'aime Regarder Les Filles" ainsi que le personnage de Primo peut,  je pense, faire penser aux aventures du très "vivant" Antoine Doinel.

    L'image d'un Jean Pierre Léaud fougueux et maladroit m'a traversé l'esprit plus d'une fois à la lecture du scénario. Primo, le personnage que j'incarne dans le film, partage certains traits de caractère avec lui. Une certaine naïveté mêlée à une réelle détermination capable de surprendre le public mais aussi le personnage lui même, voilà ce qui pour moi faisait un écho possible entre les deux univers et les deux "héros" que sont Primo et Antoine Doinel.

    Au delà de ça, une fois sur le plateau je me suis beaucoup éloigné de cette référence (et des autres) et je n'ai jamais eu en tête les films de Truffaut quand il s'agissait de jouer les scènes. Le plus évident sur le tournage et dans le travail avec Frederic, était de se lancer dans les scènes avec pour seul but de réagir au présent, en lien direct avec la situation et les différents caractères des personnages. Rester vif et toujours dans une optique d'extrême, d'absolu qui est propre à la jeunesse.

    3. Inthemoodforcinema.com:  Votre personnage est assez complexe, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire. On a l’impression que votre jeu est très « fluide », évident. Quelles difficultés, s’il y en a eu, cela présentait-il ? Y a-t-il une manière de se préparer à un rôle comme celui-ci ?

    Pierre Niney: Primo ne m'est pas totalement inconnu. Son énergie, son goût pour " l'escalade d'immeubles en plein Paris", son obstination à obtenir quelque chose qui lui parait important, son indécision aussi parfois, sont autant d’aspects du personnage que je partage avec lui . Et ce fut la bonne surprise du scénario. Pour toutes les scènes qui faisaient appel à ces traits du personnage, je me suis donc rapidement amusé, dès les répétitions, à jouer avec, à les exagérer ou les cacher aux autres personnages.

    Lee Strasberg écrit une phrase que j'aime bien (au risque de me la péter un peu) :  "Il faut partir de soi...mais il faut partir." De cette même façon, mon travail s'est ensuite porté sur ce qui m'était plus étranger chez Primo (et ce qui est souvent captivant pour un acteur). J'ai posé des questions à Fréderic sur sa façon de voir la maladresse de Primo, je lui demandais "comment est ce qu'il pourrait marcher?", "Est ce qu'à table il est du genre à tripoter ses couverts ou sa serviette?" et nous avons avancé de cette manière, parfois à travers ce genre de détails qui nous plaisaient à tout les deux et capables de raconter le mal-être de Primo ou son réel romantisme...

    4. Inthemoodforcinema.com : J’ai été très impressionnée par la justesse de l’interprétation de toute la distribution, paradoxalement par la maturité nécessaire pour incarner des personnages parfois immatures mais qui reflètent aussi la fougue, la fébrilité, l’exaltation, les excès et les passions de la jeunesse. Au-delà du talent de chacun, la direction de Frédéric Louf n’y est sans doute pas étrangère. En quoi est-elle particulière ? Vous laissait-il improviser ? Ou tout était-il au contraire très écrit ?

    Pierre Niney: Fréderic a souhaité travailler de nombreuses scènes avec nous avant le début du tournage. Ce qui a permis de créer une réelle atmosphère de travail et de bienveillance entre Lou, Audrey, Ali, Victor et moi, avant même d'arriver le jour J sur le plateau du film.

    Cela a été une très bonne idée et nous avons pu explorer différentes pistes sur les scènes les plus riches du scénario et choisir ce qui plaisait le plus a Fred.

    Sur le plateau, au moment du tournage, Fred laisse une grande liberté de jeu car c'est un grand fan de comédie et un fin observateur d'acteurs en général. L'instant présent du jeu, de la situation et de l'échange entre les comédiens est très précieux pour lui. Il nous laissait donc parfois poursuivre la scène en impro, voir jusqu'ou nous pouvions amener la séquence : ainsi la scène de la bouteille à "1800 francs" est une prise où Ali et moi improvisons toute la fin de la scène : la dégustation du vin…etc.

    Fred a toujours une idée précise de ce qu'il veut raconter avec telle scène ou tel plan du film, il sait ce qu'il veut raconter mais il laisse l'instrument de l'acteur lui proposer des notes auxquelles il n'aurait pas forcément pensé, et c'est aussi là sa grande force. Il est réellement ouvert aux propositions tout en sachant où il veut aller.

    5. Inthemoodforcinema.com : La littérature est très présente, surtout Musset qui est une sorte de catalyseur ou d’élément cristallisateur notamment dans une scène entre Audrey Bastien et vous, pour moi une des plus belles du film. Frédéric Louf se référait-il à la littérature dans sa direction d’acteurs, en amont ou peut-être dans la façon de diriger votre jeu sur le tournage ? Et vous, cela a-t-il influé sur votre jeu d’une manière ou d’une autre? Aviez-vous des références littéraires en tête en incarnant votre personnage ?

    Pierre Niney: Le rapport de Fréderic à la littérature m'a beaucoup touché. Dès la lecture du scénario j'ai trouvé que c'était un point fort du film et de son personnage principal : Primo. Je suis un fan inconditionnel de Musset et de cette tirade, d'une lucidité et d'une beauté absolument parfaite, qui apparait dans le film : "Tout les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches..."

    Fred a évoqué le personnage de Martin Eden tiré du roman autobiographique de Jack London, a plusieurs reprises. Dans une première version du scénario je devais d'ailleurs offrir ce livre à la fin du film lorsque Primo reviens chez Delphine pour leur scène finale.

    Les personnages de "J'aime Regarder Les Filles" flirtent avec quelque chose d'éternel, d'intemporel grâce a cet aspect du scénario et, par exemple, à ce rapprochement avec un couple romantique comme celui de Camille et Perdican dans "On ne badine pas avec l'amour" de Alfred de Musset.

    6. Inthemoodforcinema.com : Le film débute la veille du 10 mai 1981 et est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Est- ce que cet ancrage temporel changeait quelque chose pour vous, dans votre manière d’interpréter Primo ?

    Pierre Niney: A vrai dire, pas vraiment. Bien que "J'aime Regarder Les Filles" soit un film dont la trame de fond est politique et où certaines scènes ancrent très bien l'histoire dans l'ambiance et dans le renouveau politique que représente cette période, il s'agit d'un film entre jeunes gens, qui parle de leurs désirs (souvent contradictoires). En cela les enjeux sont accessibles pour un acteur sans prendre particulièrement en compte l'époque. Apres je me suis évidemment replongé dans Cindy Lauper, Jean Jacques Goldman, les vrais-faux meetings politiques de Coluche et les expressions des jeunes acteurs de La Boum pour me nourrir à fond de ces " vibes eighties! "

    7. Jean-Pierre Améris et Robert Guédiguian : vous avez notamment, tourné avec deux autres excellents directeurs d’acteurs (en plus d’être aussi de grands cinéastes). J’imagine que chacun d’entre eux vous a apporté quelque chose ? Que vous ont-ils appris, peut-être plus ou moins inconsciemment ? Et que vous a apporté cette expérience avec Frédéric Louf et en quoi changera-t-elle (peut-être) votre manière de jouer ou d’envisager les rôles à l’avenir ?

    Tourner avec Robert Guédiguian est toujours un réel plaisir et la sensation certaine de faire partie de quelque chose de "grand". Il y a sur son plateau l'idée d'une solidarité entre tout le monde, d'une famille presque, et souvent l'envie de défendre un scénario, une histoire entière et non pas une partition isolée.

    Dans "Les Emotifs Anonymes" avec Benoit Poelvoorde et Isabelle Carré, je pense avoir appris sur la façon de diriger un plateau de cinéma quand on est réalisateur. Jean-Pierre Améris est quelqu'un de relativement timide (d'où son film!) or il gérait son équipe avec une main de maître, et arrivait toujours à donner la dynamique qu'il voulait sur le plateau par le biais de l'humour ou autre…

    Je suis content d'avoir pu observer cela car j'aimerais vraiment passer à la réalisation dès que j'aurais un peu plus de temps pour m'occuper de mes projets sérieusement. Et je suis justement entrain de créer un Festival de court-métrage au Théâtre/Cinéma de Vanves pour 2012-2013, où je compte bien passer derrière la caméra, accompagné d'autres invités à moi : Guillaume Gouix, Grégoire Leprince Ringuet, Melvil Poupaud…(suite du "casting" a venir)…

    Sans changer foncièrement ma façon d'aborder un rôle et ma méthode de travail je peux dire que le tournage de "J'aime regarder les filles" m'a définitivement décidé à faire ce métier toute ma vie. Avec Fréderic je me suis senti dans une relation de confiance totale et donc dans le seul souci de raconter au mieux l'histoire de Primo. J'ai aussi réaliser qu' un rôle principal est un réel luxe pour un acteur : travailler son personnage dans le détail, gagner la confiance d'une équipe de tournage, d'un réalisateur…et c'est pourquoi je respecte encore plus qu'avant les performances des seconds rôles dans les films, qui est un défi toujours très délicat et superbe à voir quand il est réussi.

    8. Inthemoodforcinema.com :   Les émotifs anonymes, L’autre monde, L’armée du crime, nos 18 ans, LOL etc . Vous avez déjà tourné dans des films aux styles très divers et avez incarné des personnages très différents. Y a-t-il un type de rôle que vous reverriez d’incarner ou un cinéaste (ou plusieurs) avec qui vous rêveriez de tourner ?

    Pierre Niney: J'aime bien faire le caméléon et participer a un maximum de projets artistiques, tant qu'ils me plaisent et cela peut être pour des raisons très diverses.

    Pas de type de rôle particulier, mais des réalisateurs, oulaaa!…Beaucoup : Audiard, Inarritu (21 grammes est un pur chef d'oeuvre), Terry Gilliam, Michel Gondry (dans sa période "Eternal Sunshine"), et j'ai très envie de me frotter un jour a un gros projet type blockbuster américain! Voir l'ampleur de la machine et la place d'un acteur la dedans, ca doit être assez intéressant.

    9. Inthemoodforcinema.com : J’ai lu que vous aviez  écrit et mis en scène la pièce « Si près de Ceuta » que vous jouerez au Théâtre de Vanves en 2012. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?

    Pierre Niney: "Si près De Ceuta" est une pièce que j'ai écrite il y a 3 ans et que je continue d'écrire, d'agrémenter et que je veux encore construire quand je vais travailler avec les acteurs sur le plateau. Je la jouerai en effet début juin 2012 au Théâtre de Vanves. La pièce raconte la nuit de deux soldats qui surveillent une frontière et son mur de barbelés. Et de deux hommes qui vont tenter à tout prix de passer cette frontière.

     10. Inthemoodforcinema.com : Vous avez déjà eu pas mal de rôles au cinéma  et encore plus au théâtre. Vous êtes ainsi pensionnaire de la Comédie Française. Pourriez-vous envisager d’abandonner le théâtre pour vous consacrer uniquement au cinéma, ou inversement, ou les deux vous sont-ils aussi nécessaires ?

    Pierre Niney: Pour moi, le théâtre et le cinéma sont totalement complémentaires. Le rapport au travail, les valeurs et la technique demandée au théâtre sont des bonnes choses à apporter sur un plateau de cinéma je pense. Il faudrait, comme en Angleterre, que ces deux mondes soient moins hermétiques. Ian McKellen joue un jour du Beckett dans un petit théâtre et le lendemain Gandalf dans « Le seigneur des anneaux »…ça me parait être une bonne philosophie.

    11.Inthemoodforcinema.com :  Quels sont vos projets cinématographiques ?

    Pierre Niney: Je tourne cet été un long-métrage qui s'appelle "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin.  C'est un projet très excitant. Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et moi jouons trois amis qui se lancent dans un road trip après le décès de leur meilleure amie commune (Mélanie Thierry). Le film raconte l'histoire de ses trois potes et la raison de cette amitié improbable entre un étudiant de 20 ans, un scénariste télé de 30, et un businessman de 40.

    Et la sortie du prochain film de Robert Guédiguian "Les Neiges Du Kilimandjaro" le 16 novembre prochain. dans lequel il m'a confié une très jolie séquence avec Ariane Ascaride.

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du  « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner aux spectateurs envie d’aller voir le film ?

    Pierre Niney: Que c'est un film très original car il a à la fois la poésie d'un film d'auteur, le rythme d'un vrai divertissement, l'humour d'une bonne comédie qui séduit aussi par le détail, de vrais dialogues bien écrits (Agnès Jaoui, experte en la matière, qui est marraine du film ne s'y est donc pas trompée!) et l'occasion de voir de jeunes et nouveaux acteurs du cinéma français, le tout en écoutant cette chanson de fou "J'aime regarder les filles" tube des années 80' ! (ca va , c'est suffisant…?)

    13. Inthemoodforcinema.com : Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

    Pierre Niney: "Sailor et Lula" de David Lynch et "Eternal Sunshine of a Spotless Mind", qui pour moi est profondément romantique.

    INTERVIEW DE FREDERIC LOUF (réalisateur de « J’aime regarder les filles »)

     Biographie: (Source: programme du Festival du Film de Cabourg 2011) Frédéric Louf a été chroniqueur cinéma au Matin de Paris en 1986, après des études de droit et de commerce. En 1992, il commence à écrire pour la télévision. En 2000, il réalise son premier court-métrage « Les petits oiseaux » présenté en 2001 dans de nombreux festivals y compris le Festival de Cannes. En 2003, Didier Brunner lui confie l’écriture puis la réalisation des 26 épisodes de « GIFT », une série d’animation 3D pour France 2.  « J’aime regarder les filles » est son premier long-métrage dont il a commencé l’écriture en 2006 et qu’il a réalisé durant l’été 2010.

    1. Inthemoodforcinema.com : Votre premier long-métrage « J’aime regarder les filles » était présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, un festival dédié au cinéma romantique. Selon moi, c’était le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de film romantique (synonyme souvent d’une grande sensibilité et mettant en scène les tourments de l’âme et du cœur). Etait-ce un parti pris délibéré dès le début d’écrire un film romantique ? Et si oui, dans quelle mesure vouliez-vous que ce film soit romantique ?

     Frédéric Louf: Je voulais parler dʼimmaturité. Lʼimmaturité est romantique en ce qu’elle pousse à idéaliser, à radicaliser, et à exagérer les sentiments… Lʼamour inconditionnel que Primo porte à Gabrielle est donc fondamentalement romantique et immature. Je ne pouvais donc éviter de faire un film romantique comme je ne pouvais éviter de citer Musset!

    2. Inthemoodforcinema.com : Aucun des personnages n’est manichéen. Delphine est à la fois forte et fragile, Primo grave et léger etc. Comment avez-vous dirigé les acteurs pour parvenir à cette complexité particulièrement crédible ?

    Frédéric Louf: Je ne les ai pas dirigés: je les ai choisis. Sans rire. Lʼexemple le plus clair est Victor Bessière qui joue Paul. Il a la stature de Paul, il en a lʼélégance et la carrure, mais dans la vie il nʼa rien à voir avec un fils à papa: La composition quʼil donne est donc un mélange volontairement bancal entre son physique aristocratique que nous avons évidemment appuyé, et ce quʼil est fondamentalement. Et je crois que cʼest grâce à cela quʼil parvient à être touchant et intéressant malgré la partition un peu rude quʼil a à jouer.

    3. Inthemoodforcinema.com :  L’action du film débute la veille du 10 mai 1981. Le film est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Cette époque s’est-elle imposée dès le début et pourquoi ? Avez-vous songé à placer l’intrigue en 2011 ?

    Frédéric Louf : Oui lʼépoque était importante pour moi car elle étaye la conscience politique naissante de Primo: il me fallait pour cela un événement fort et lʼélection de François Mitterrand est évidemment lʼévénement politique français le plus fort de ces 50 dernières années. Choisir 2011 nʼaurait pas eu le même sens et jʼaurais dû faire un film tout à fait différent, notamment en ce qui concerne lʼapproche sensuelle. Je crois en effet quʼon ne se pense pas sexuellement de la même façon en 2011 quʼen 1981, tout simplement parce quʼon nʼa pas les mêmes images en tête. En 2011, mon Primo nʼaurait pas pu être celui dont je rêvais. Ou alors il nʼaurait pas été aussi vrai…

    4. Inthemoodforcinema.com : La littérature est aussi très présente, notamment Musset qui joue un rôle essentiel ? Etait-ce uniquement un procédé scénaristique parce que nous pouvons voir un lien entre l’histoire de votre film et « On ne badine pas avec l’amour » ou cette oeuvre avait-elle une réelle importance, peut-être plus personnelle, pour vous ? L’idée de la littérature, très présente, et qui joue un rôle essentiel et même un rôle de cristallisation, dans une des plus belles scènes du film, entre Delphine et Primo, s’est-elle imposée dès le début de l’écriture ?

     Frédéric Louf: Le texte de Musset est tellement génial que, quand on lʼa lu une fois, on ne peut lʼoublier. Ça a été mon cas, et oui il a une réelle importance sentimentale pour moi. La scène en elle même mʼa causé du souci car je la trouvais «too much» et elle a fait pas mal dʼallers retours avant que je ne lʼassume complètement. Mais je ne pouvais continuer à montrer lʼimportance que Primo attache aux livres (qui sont son principal facteur dʼémancipation), sans faire jouer un vrai rôle dynamique à un de ces livres!

    5. Inthemoodforcinema.com : Comme dans l’œuvre de Musset, la violence sociale est présente dans votre film, mais seulement en arrière-plan, avez-vous songé à en faire un film politique ? Ou aimeriez-vous écrire un film politique ? Peut-être votre prochain projet, s’il est déjà en cours ? Avez-vous commencé l’écriture de votre prochain projet ? Pouvez-vous nous en parler ?

    Frédéric Louf : Jʼadorerais faire un film politique à la Elio Petri, mais je ne pouvais risquer de mettre toutes mes envies dans le même projet… Simplement je ne peux me résoudre à écrire des sujets univoques: il me faut de la complexité, des pistes, et des digressions. Je crois que ça permet aux films en général de continuer leur route dans la tête des gens; dʼavoir des «demi vies» plus longues!

    6. Inthemoodforcinema.com : Notamment en raison de la présence de la littérature mais aussi du caractère du personnage de Primo et de la vitalité qui se dégage de votre film, il m’a parfois fait penser au cinéma de Truffaut, est-ce une de vos références ?

    Frédéric Louf: Il y a une élégance dans le cinéma de Truffaut que jʼenvie beaucoup. Une façon de ne pas acheter le spectateur avec de la verroterie, mais de lui donner lʼimpression quʼil a tout compris par lui même. Cʼest un ciména généreux et respectueux…

    7. Inthemoodforcinema.com : Aviez-vous d'ailleurs des références littéraires (outre Musset) et/ou cinématographiques en tête en mettant le film en scène. Et pour votre direction d'acteurs, leur avez-vous donné des références littéraires ou cinématographiques particulières?

    Frédéric Louf : Aux comédiens, jʼai surtout expliqué le contexte politique du film qui nʼétait pas évident pour des gens aussi jeunes. Bien sûr jʼai suggéré certains films à voir, notamment à Lou et à Audrey… Mais des références précises, cʼest compliqué à dire: la culture, cʼest du sédiment, de la vase: ce qui y pousse provient dʼun tout… Et puis citer des gens, cʼest prendre le risque dʼavoir à supporter la comparaison!

    8. Inthemoodforcinema.com : J’ai été réellement impressionnée par la qualité de la jeune distribution, que ce soit par Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge, Ali Marhyar, Victor Bessière. Il me semble qu’il faut beaucoup de maturité pour exprimer ainsi la fougue, la fébrilité, l'exaltation, les excès et les passions de la jeunesse mais aussi paradoxalement l’immaturité de ces personnages. Comment avez-vous procédé pour les choisir ? Par casting ? Ou les avezvous choisis à partir de leurs précédents rôles ?

     Frééric Louf : A part Pierre, aucun dʼentre eux nʼavait joué au cinéma quand je les ai rencontrés. Et Pierre nʼavait eu que de petits rôles. Découvrir des gens talentueux fait partie du plaisir et pour moi cʼétait inhérent au projet; cʼest comme ouvrir un livre sans rien en savoir à lʼavance. Peu importe comment la rencontre se fait, il faut savoir regarder…

    9. Inthemoodforcinema.com : Le titre fait référence au tube de l’année 1981 de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles ». Pourquoi ce choix ?

     Frédéric Louf :  «Pour faire parler les bavards» aurait dit ma grand mère. Et surtout parce que pour moi cʼest la chanson hyper romantique dʼun type qui attend la femme de sa vie en hurlant de désespoir sur la plage!

    10. Inthemoodforcinema.com :  Le scénario est très construit mais en même temps se dégage du film une certaine liberté, une fraîcheur, une certaine naïveté mais dans le bon sens du terme. Tout était-il très écrit ou avez-vous laissé une part à l’improvisation ?

    Frédéric Louf : Les deux. Tout était très écrit, mais quand on a affaire à des comédiens comme Pierre Niney et Ali Marhyar, il faut être gravement psychorigide pour ne pas les laisser sʼexprimer!

    11.  Inthemoodforcinema.com : C’est votre premier long-métrage. Comment s’est passée la production ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

    Frédéric Louf : Hélas les difficultés que jʼai rencontrées ne sont pas particulières! Mais jʼai peut-être poussé le bouchon un peu loin en ayant la prétention de faire un film sans stars alors que je suis moi même inconnu. Il y a des gens pour qui on sent bien que découvrir de nouveaux talents nʼest pas une priorité!

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film a reçu un excellent accueil au Festival de Cabourg. Sera-t-il projeté dans d’autres festivals prochainement ?

    Frédéric Louf: Je ne suis pas dans la confidence.

    13. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner envie aux spectateurs d’aller voir le film ?

     Frédéric Louf: Quʼils vont y voir des comédiens inconnus et fabuleux et quʼils en auront pour leur argent parce que lʼhistoire leur trottera encore dans la tête le lendemain! (on ne pense pas assez à lʼamortissement de son ticket, au cinéma!).

    14. Inthemoodforcinema.com :  Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

     Frédéric Louf : «The Ghost and Mrs Muir», de J. L. Mankievicz, est un chef d’œuvre du genre.

     

  • "The Look : Charlotte Rampling" d'Angelina Morricone, à 22H15, sur Arte, ce soir

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    Après le pseudo-documentaire de Casey Affleck "I'm still here" qui mettait à « l’honneur » Joaquin Phoenix, le festival Paris Cinéma 2011 avait présenté un documentaire consacré à Charlotte Rampling, signé Angelina Maccarone et intitulé « The look, un autoportrait à travers les autres » où, d’ailleurs, la comédienne joue également beaucoup avec son image et construit là aussi, d’une certaine manière (certes très différente), son personnage.  Un documentaire également présenté dans le cadre de la section Cannes Classics du Festival de Cannes. A ne surtout pas manquer, ce soir, sur Arte.

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     Entre Paris, Londres et New York se dessine ainsi un portrait de la comédienne à travers ses discussions et ses rencontres avec des artistes et des proches comme Paul Auster, Peter Lindbergh ou Juergen Teller qui en révèlent d’ailleurs peut-être plus sur ceux avec qui elle converse que sur elle-même comme lors de cette rencontre avec Peter Lindbergh où les rôles s’inversent, le modèle devenant photographe.  Le film débute sur son regard, ce célèbre regard qui peut-être mélancolique, perçant, malicieux, mystérieux,  redoutablement beau, envoûtant, dur même parfois. Il  est divisé en huit thématiques (mise à nu, démons, la mort, le désir, l’âge…) qu’elle aborde à chaque fois avec une personne différente et qui dévoile une facette de sa personnalité tout autant que cela épaissit le mystère.  Les conversations sont entrecoupées d’extraits de films (de Visconti, Allen, Chéreau, Ozon etc) témoignant de l’audace de ses choix cinématographiques, extraits judicieusement choisis, par exemple « Max mon amour », quand il est question de tabous, « Sous le sable » quand il est question de la mort etc.

    Au fil du documentaire, Charlotte Rampling apparait comme une femme libre que le cinéma de divertissement n’intéresse pas, qui préfère être « un monstre » plutôt qu’une actrice « sympa » (encore une manière, sans doute, de se draper dans un mystère finalement plus tranquillisant), iconoclaste, exigeante, mystérieuse donc…plus que jamais, et c’est tant mieux car si ce documentaire révèle quelque chose c’est finalement son profond mystère mais aussi sa lucidité et l’intelligence de ses choix.

    Une actrice éclatante dont le si célèbre et ensorcelant regard s’obscurcit certes parfois mais qui parait néanmoins loin de l’image figée dans laquelle on l’enferme ou derrière laquelle elle se dissimule et une passionnante réflexion sur le cinéma et sur la vie.

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  • Critique de J.EDGAR de Clint Eastwood, ce soir, sur OCS NOVO, à 20H40

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    Clint Eastwood fait partie de ces réalisateurs dont j’essaie de ne manquer aucun film (il faut dire que, depuis 2005, il est particulièrement prolifique), en particulier depuis « Sur la route de Madison »,  sans aucun doute un des plus beaux films d’amour de l’histoire du cinéma (auquel je suis beaucoup plus sensible qu’à « Million dollar baby », trop larmoyant à mon goût). En 2010, avec « Au-delà » il avait déçu beaucoup de spectateurs (une déception que je ne partageais pas) alors que, pourtant,  ce film était aussi, à l’image de « Sur la route de Madison », un hymne à ces instants fugaces et intenses qui modifient le cours du destin, mais aussi le message d’un homme hanté par la mort comme en témoignait aussi déjà « Gran Torino ».

     «Au-delà » n’est certes certainement pas le film trépidant que certains attendaient mais au contraire un film à hauteur d’hommes qui tisse peu à peu sa toile d’émotions en même temps que les destins de ses personnages et qui laisse une trace d’autant plus profonde et aboutit à un final d’autant plus bouleversant que le cheminement pour l’atteindre a été subtil et délicat et que tout le justifiait. Une réflexion sur la mort mais surtout un hymne à la vie (au-delà de la douleur, au-delà de la perte), à l’espoir retrouvé (qui n’est pas dans l’au-delà mais dans le dépassement de son appréhension et donc bel et bien là), à la beauté troublante et surprenante du destin.

    D’une certaine manière, dans « J.Edgar », Clint Eastwood réunit les thématiques des trois films évoqués ci-dessus : Gran Torino (la hantise de la mort et de la trace laissée après celle-ci), «  Sur la route de Madison » (une histoire d’amour condamnée à l’ombre) et « Au-delà » (les rouages du destin).

    « J.Edgar » (Leonardo DiCaprio), c’est Hoover, cet homme complexe qui fut directeur du FBI de 1924 à sa mort, en 1972, soit pendant 48 ans. 48 années pendant lesquelles il a vu se succéder pas moins de 8 présidents. L’action du film débute ainsi dans les années 70. Pour préserver son héritage. Hoover dicte alors ses mémoires et se replonge dans ses souvenirs qui le ramènent en 1919. Il n’avait alors que 20 ans, était déjà ambitieux, orgueilleux et autoritaire et on ne le nommait pas encore J.Edgar.

    Dès les premiers plans, trois éléments qui ne se démentiront pas tout au long du film, sautent aux yeux du spectateur (aux miens, du moins) : la beauté sombre de la photographie de Tom Stern (fidèle chef opérateur de Clint Eastwood), l’art avec lequel Clint Eastwood s’empare du scénario de Dustin Lance Black pour entremêler passer et présent, et pour nous raconter brillamment une histoire et enfin le jeu stupéfiant et remarquable de Leonardo Di Caprio qui, bien au-delà du maquillage, devient Hoover. Au moins trois éléments qui font de ce film un bonheur cinématographique…même s’il n’est pas exempt de défauts comme certaines longueurs ou certaines scènes trop appuyées et mélodramatiques.

    Derrière ce que certains nommeront peut-être classicisme,  Clint Eastwood démontre une nouvelle fois son habileté à tisser la toile du récit pour dresser le portrait complexe d’un homme dont la vie était basée sur le secret (ceux qu’il dissimulait et ceux des autres qu’il utilisait notamment ceux qu’il détenait sur les hommes du pouvoir qu’il manipulait  sans scrupules, ce qui explique ici sa longévité à la tête du FBI) qui aspirait à être dans la lumière mais dont l’existence était une zone d’ombre, deux contrastes que la photographie de Tom Stern reflète magnifiquement. En un plan de Hoover sur son balcon, regardant les cortèges d’investiture de Roosevelt puis de Nixon, à plusieurs années de distance, il  nous montre un homme dans l’ombre qui semble n’aspirer qu’au feu des projecteurs mais qui, aussi, de son piédestal, semble néanmoins être le démiurge de la scène qui se déroule en contrebas. Tout un symbole. Celui de ses contradictions.

    Si les agents du FBI aimaient se présenter comme les « gentils », la personnalité de Hoover était beaucoup plus complexe que l’image qu’il souhaitait donner de l’organisation qu’il dirigeait et de lui-même : avide de notoriété, recherchant l’admiration et l’amour de sa mère, dissimulant son homosexualité, manipulant les politiques. Pour lui « l’information, c’est le pouvoir ».

    Cette personnalité complexe (et ce qui conduisit Hoover à devenir J.Edgar) nous est expliquée à travers ses relations avec trois personnes : sa mère, Annie Hoover ( Judi Dench) qui lui voyait un destin et voulait qu’il compense les échecs de son père et dont il recherchera toujours l’admiration, sa secrétaire Helen Gandy (Naomi Watts) qui lui restera toujours fidèle depuis ses débuts et même après sa mort, et son directeur adjoint Clyde Tolson (Armie Hammer) avec qui il entretint vraisemblablement une liaison.

    Si l’histoire de Hoover nous permet de traverser l’Histoire  des Etats-Unis, la seconde est bien en arrière-plan et c’est bien à la première que s’attache Eastwood, de son rôle dans l’instigation des méthodes modernes d’expertises médico-légales mais aussi à ses tentatives (vaines) pour faire tomber Martin Lurther King, son combat obstiné et même obsessionnel contre le communisme et évidemment la création du FBI et l’enlèvement du fils de Lindbergh, deux évènements qui témoignent de l’ambition de Hoover et de ses méthodes parfois contestables pour la satisfaire.

    Le film de Clint Eastwood épouse finalement les contradictions de son personnage principal, sa complexité, et a l’intelligence de ne pas faire de Hoover un héros, prétexte à un film à la gloire des Etats-Unis mais au contraire un personnage qui en symbolise l’ombre et la lumière et surtout ce désir d’être dans la lumière (manipulation des médias mais aussi propagande avec des albums de bd consacrés au FBI et des vignettes ornant les paquets de corn-flakes) comme le revers de la médaille d’un American dream dont l’image se voudrait lisse et irréprochable.

    La réussite du film doit évidemment beaucoup à celui qui incarne Hoover et qui tourne pour la première fois pour Eastwood : Di Caprio dont le maquillage n’est pour rien dans l’étonnante nouvelle métamorphose qui le fait devenir Hoover, avec sa complexité, son autorité, son orgueil, ses doutes qui passent dans son regard l’espace d’un instant, lorsque ses mots trahissent subitement son trouble et le font alors redevenir l’enfant en quête de l’amour de sa mère qu’il n’a finalement jamais cessé d’être derrière ce masque d’intransigeance et d’orgueil (très belle scène avec Noami Watts dans la bibliothèque du Congrès ou dans la suite avec Clyde, scènes au cours desquelles il passe d’une expression ou une émotion à une autre, avec une rapidité fascinante). Une nouvelle composition magistrale. Déjà dans « Shutter island », il était  habité par son rôle qui, en un regard, nous plongeait dans un abîme où alternaient et se mêlaient même parfois, angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi (interprétation tellement différente de celle des "Noces rebelles" mais tout aussi magistrale qui témoigne de la diversité de son jeu). Il n’avait pourtant obtenu l’Oscar du meilleur acteur pour aucun de ces deux films, il ne l’a d’ailleurs jamais obtenu. Est-ce possible que celui qui est sans doute le plus grand acteur actuel passe une nouvelle fois à côté ? J’avoue que mon cœur balance sachant que Jean Dujardin sera sans doute nommé face à lui pour « The Artist ». Vous pourrez aussi le retrouver bientôt dans une nouvelle adaptation du chef d’œuvre de Fitzgerald « Gatsby le magnifique » même si je vous recommande surtout la version de Jack Clayton.

    En nous racontant avec une maîtrise incontestable des codes du récit l’histoire d’un homme soucieux du secret, de la trace qu’il laissera, de sa et ses mémoire(s) (et de sa subjectivité), de ses zones d’ombre, Clint Eastwood, par-delà la personnalité complexe et passionnante de Hoover traite d’un sujet particulièrement personnel (un homme qui se penche sur son passé, pétri de contradictions entre le culte du secret et l’envie d’être dans la lumière ) et universel et actuel (la manipulation des médias, le désir avide de notoriété). La marque d’un grand cinéaste. Et enfin, il permet à celui qui est le meilleur acteur actuel d’explorer une nouvelle facette de son immense talent et de trouver là un nouveau rôle, complexe et passionnant, à sa démesure et qui le mènera peut-être, enfin, à l’Oscar tant mérité.

    Retrouvez également cet article sur mon blog "In the mood - Le Magazine": http://inthemoodlemag.com/2012/01/06/cinema-critique-de-j...

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  • Critique de A SINGLE MAN de Tom Ford, ce soir, à 20H50, sur Arte

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    Los Angeles, en 1962. Depuis qu'il a perdu son compagnon Jim (Matthew Goode) dans un accident, George Falconer (Colin Firth), professeur d'université Britannique, se sent incapable d'envisager l'avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie Charley (Julianne Moore), George essaie en vain de « vivre comme avant ». Une série d'évènements et de rencontres vont l'amener à décider s'il peut y avoir une vie après Jim.

    J'ai abordé ce film sans en avoir vu la bande annonce, sans en connaître le sujet. Tout juste savais-je que le styliste Tom Ford en était le réalisateur, scénariste et producteur. En quelques secondes, en quelques plans, j'étais dans l'ailleurs universel de cet homme singulier, porté par le charme ensorcelant de l'univers visuel de Tom Ford. Un univers d'une rare élégance, tantôt sombre, tantôt lumineux à l'image des variations de couleurs sur lesquelles influe l'humeur de George (et par lesquelles Tom Ford a eu la judicieuse idée de remplacer le monologue intérieur du roman de Christopher Iserwood « Un homme au singulier » dont il s'est inspiré pour ce film ).

    L'intrigue se déroule en une journée, une journée à l'issue de laquelle George a décidé de se suicider. Le compte à rebours est lancé. Quelques heures pendant lesquelles chaque minute compte plus que toute autre. Ou le présent prend toute sa douloureuse et belle signification. Ou la beauté des choses simples de la vie prend une toute autre dimension. La beauté des visages et des corps. La beauté des fleurs. La beauté des objets. La beauté des regards. Ceux des autres ou celui apposé sur le monde qui les et nous entoure.

    Les ralentis langoureux, la musique languissante (de Shigeru Umebayashi  mais aussi de  Abel Korzeniowski) nimbent ce single man, ce et ceux qui l'entourent d'une sensualité et d'une poésie envoûtantes qui rappellent celles de Wong Kar Wai (référence assumée puisque Shigeru Umebayashi est son compositeur). La solitude de George (mais aussi celle de Charley), la menace d'une guerre nucléaire en pleine crise des missiles de Cuba, la destinée de cette journée fatale renforcent la beauté fugace de chaque instant et de chaque rencontre. A l'image des personnages, nous sommes immergés dans la beauté sensuelle de l'instant.  Chaque rencontre évoque la beauté évanescente du possible, d'un désir.

    A single man est le film d'un artiste, et cela saute aux yeux dès les premiers plans. Un artiste, qu'il soit styliste ou cinéaste, est en effet quelqu'un qui vous embarque dans son univers qui lui ressemble et le singularise tout en apportant à cette histoire singulière des accents d'universalité. Le deuil, la solitude, le temps qui passe, autant de sujets universels en plus de la beauté plastique pleinement assumée qui rend caduque toute critique de superficialité puisque cette beauté devient argument artistique. Que ce soit celle de Julianne Moore, désespérément glamour ou des jeunes hommes à la beauté fatale ou trompeusement lisse (à l'image du film) que croise George. Que ce soit celle d'un plan de regards, ceux que George croise ou celui de l'affiche de « Psychose ».

     Tom Ford y apporte son style, de la classe, une incontestable élégance  pour nous faire appréhender la beauté du monde, un monde entre la ravageuse sensualité de Gucci et la sobre élégance de Saint-Laurent pour lesquels Tom Ford a travaillé. La sublime photographie  d'Eduard Grau, la musique et les costumes évidemment soignés complètent le tableau et la reconstitution subtile et magnifiée d'une époque.

    Un (premier) film incontestablement personnel d'une touchante et rare naïveté, un voyage sensoriel et sensuel d'un pessimisme lumineux et d'une beauté sombre, élégante, troublante avec comme guide l'excellent Colin Firth (qui a reçu pour ce film la Coupe Volpi de l'interprétation masculine au dernier Festival de Venise). Laissez-vous (em)porter... vous ne le regretterez pas !

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