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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
A moins d'être partis vivre sur une île déserte dénuée de tout moyen de communication, vous n'ignorez certainement pas qu'aujourd'hui sort en salles "OSS 117: Rio ne répond plus" de Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin.
Je vous rappelle que cette semaine sort également "Dans la brume électrique" de Bertrand Tavernier, Grand Prix du 1er Festival International du Film Policier de Beaune 2009 , dont vous pourrez lire la critique sur Inthemoodforcinema.com, avant la fin de la semaine.
Pour impressionner et reconquérir sa femme Marion (Audrey Dana), Simon (Vincent Lindon), maître nageur à la piscine de Calais (là où des centaines d’immigrés clandestins tentent de traverser pour rejoindre l’Angleterre, au péril de leur vie) prend le risque d’aider en secret un jeune réfugié kurde, Bilal (Firat Ayverdi) qui tente lui-même de traverser la Manche pour rejoindre la jeune fille dont il est amoureux, Mina (Dira Ayverdi).
Cela faisait un peu plus d’un an que j’attendais la sortie de ce film, depuis que Philippe Lioret l’avait évoqué avec un enthousiasme débordant lors du Salon du Cinéma 2008… Alors ? Alors…
La première demi-heure, intense, âpre, au style documentaire suit au plus près Bilal ( au plus près de son visage, de ses émotions, de sa douleur, de ses peurs) et nous embarque d’emblée dans son parcours périlleux. Il nous embarque et il conquiert dès les premières minutes notre empathie, notre révolte aussi contre une situation inhumaine, encore à ce jour insoluble, mais contre laquelle se battent des bénévoles comme Audrey tandis que d’autres préfèrent fermer les yeux comme Simon. La réalité sociale sert ensuite de toile de fond lorsqu’apparaît Simon, et avec son apparition c’est le documentaire qui cède le pas à la fiction.
Jusqu’où iriez-vous par amour ? Tel était le slogan du précèdent film dans lequel jouait Vincent Lindon : « Pour elle ». Tel pourrait aussi être celui de « Welcome ». Ce n’est, au début, pas vraiment par altruisme qu’agit Simon mais plutôt avec l’intention d’impressionner Marion, de lui prouver qu’il n’est pas comme eux, comme ceux qui baissent la tête au lieu d’agir, comme ceux qui font éclater ou renaître un racisme latent et peu glorieux qui rappelle de tristes heures, et qui rappelle aux étrangers qu’ils sont tout sauf « welcome ».
Peu à peu Bilal, son double, va ébranler les certitudes de Simon, Simon qui se réfugiait dans l’indifférence, voire l’hostilité, aux étrangers qu’il croisait pourtant tous les jours. L’un fait face à son destin. L’autre lui a tourné le dos. L’un a été champion de natation, mais n’a pas réalisé ses rêves. L’autre rêve de devenir champion de football. Mais l’un et l’autre sont prêts à tout pour reconquérir ou retrouver la femme qu’ils aiment. L’un et l’autre vont s’enrichir mutuellement: Simon va enseigner la natation à Bilal, et Bilal va lui à ouvrir les yeux sur ce qui se passe autour de lui.
Le film doit beaucoup à l’interprétation de Vincent Lindon (toujours aussi exceptionnel), tout en violence et sensibilité, en force et fragilité. Il manie et allie les contradictions et les ambiguïtés de son personnage avec un talent époustouflant, faisant rapidement oublier ces déstabilisantes minutes de changement de ton et de passage du style documentaire à la fiction (ce parti pris initial de documentaire aurait peut-être été plus intéressant, mais nous aurait certes privés de l’incroyable prestation de Vincent Lindon et aurait aussi privé le film d’un certain nombre de spectateurs). L’interprétation du jeune Firat Ayverdi et des autres acteurs, également non professionnels, est elle aussi troublante de justesse et contribue à la force du film.
Philippe Lioret a coécrit le scénario avec Emmanuel Courcol, Olivier Adam (avec lequel il avait déjà coécrit « Je vais bien, ne t’en fais pas »), un scénario d’ailleurs parfois un peu trop écrit donnant lieu à quelques invraisemblances (en contradiction avec l’aspect engagé du film et la réalité de sa toile de fond) qui tranche avec l’aspect documentaire du début ( histoire de la bague un peu téléphonée) mais permet aussi de souligner certaines réalités par des détails qu’un documentaire n’aurait pas forcément pu saisir (quoique) comme cette annonce d’une avalanche aux informations et de ses quelques victimes qui semblent alors disproportionnées face à cette autre réalité passée sous silence, comme ce marquage, s'il est réel, absolument insoutenable et intolérable.
La photographie aux teintes grisâtres et la mise en scène appliquée de Philippe Lioret s’efface devant son sujet, devant ses personnages surtout, toujours au centre de l’image, souvent en gros plan, ou du moins en donnant l’impression tant ils existent et accrochent notre regard.
Peut-être aurait-il été encore plus judicieux que cette réalisation soit empreinte de la même rage et de la même tension que ceux dont elle retrace l’histoire, et peut-être est-ce ce qui manque à ce film aux accents loachiens pour qu’il ait la saveur d'un film de Loach. Peut-être aussi est-ce la raison pour laquelle je suis finalement restée sur la rive. Sans doute est-ce lié à l’attente suscitée depuis plus d’un an par ce film mais plus certainement encore par le souvenir indélébile, forcément plus viscéral et plus âpre, plus marquant parce que réel, de centaines de clandestins, dans un autre port, dans un autre pays, mais si semblables, sans doute ce souvenir de la réalité d’une souffrance inouïe soudainement sous mes yeux et si tangible prise en pleine face m’a -t-il réellement et autrement fait prendre conscience de cette douloureuse et insoutenable réalité: chaque visage (souvent très très jeune) entrevu alors portant sur lui, à la fois si pareillement et si différemment, la trace d’une longue et inconcevable route, d’une histoire douloureuse, d’une détermination inébranlable, d’un pays pour lui inhospitalier, inique ou en guerre et à quel point la réalité du pays qu’ils ont quittée devait être violente et insupportable pour qu’ils aient le courage et/ou l’unique issue de prendre tous ces risques et de se confronter à la réalité de pays qui ne souhaitent ou du moins ne savent pas forcément davantage les accueillir et panser leurs plaies.
Philippe Lioret, par ce film indéniablement engagé, a le mérite de mettre en lumière une part d’ombre de la société française, et plus largement de violentes et flagrantes disparités mondiales. Le film en est à sa cinquième semaine d’exploitation et prouve ainsi que le public ne s’intéresse pas seulement aux comédies formatées que les diffuseurs s’acharnent à lui proposer et que l’âpreté d’un sujet, pourvu qu’il soit traité avec sensibilité et intelligence, pouvait aussi susciter son intérêt et le faire se déplacer en nombre. Alors à quand « Welcome » à 20H30 sur TF1 ? Il n’est pas interdit de rêver…
Claire Stenwick (Julia Roberts ) est officier de la CIA. A Dubaï (si, c’est important parce qu’ils changent de pays plus vite que leurs ombres), elle séduit l’agent du MI6, Ray Koval (Clive Owen) et lui subtilise ainsi des informations top secrètes. Ils se retrouvent à Rome, par un faux hasard, et décident en commun de quitter leurs fonctions gouvernementales pour le monde plus lucratif des affaires. Ils se font engager chacun dans une des deux multinationales se livrant une guerre sans merci, celle de Howard Tully (Tom Wilkinson) et celle de Dick Garsik (Paul Giamatti), Claire travaillant pour l’une et en réalité pour l’autre (si, vous verrez, c’est très clair), l’objectif étant d’obtenir le premier la formule d’un produit mystère tout en ne sachant jamais si l’un des deux ne trahira pas l’autre.
Après quelques jours loin des salles obscures, j’avais envie d’un film léger et ludique, j’ai choisi celui-ci parce que j’adore le cinéma d’espionnage, parce que Tony Gilroy est un scénariste particulièrement talentueux (« Duplicity » est son second long-métrage en tant que réalisateur après "Michael Clayton" mais il est aussi notamment scénariste de la saga des Jason Bourne) et parce qu’un petit voyage (Londres, les Bahamas, Dubaï, Rome) comme il sied toujours au genre, n’était pas pour me déplaire. Le genre, justement, celui du film d’espionnage qui culmina dans les années 70, Tony Gilroy en emprunte toutes les règles pour mieux les détourner au dénouement.
Le générique, granguignolesque, (un ralenti que je vous laisse découvrir) pouvait augurer du pire : il faut pas mal de talent et de maîtrise du genre pour manier humour et rythme trépidant, pour concilier le rythme et les règles de la comédie et du film d’arnaque et d’espionnage.
Tony manie habilement les flashbacks pour donner du rythme et instiller un suspense ( qui s’estompe néanmoins bien vite dès le troisième flash-back, et ralentit plus le rythme qu’il ne le maintient), et l’humour pour donner du piquant aux dialogues et aux joutes oratoires qu’il orchestre brillamment. Le montage nerveux et la réalisation, classique mais adapté au sujet (avec les split screens de rigueur), maintiennent constamment notre attention, même s’il use et abuse d’ellipses un peu faciles qui décrédibilisent l’ensemble.
L’idée de placer cette histoire d’espionnage et de duplicité dans des multinationales plutôt qu’entre des Etats est certes bien ancrée dans son époque où les multinationales mènent le jeu mais l’ensemble y perd peut-être en intérêt et le spectateur en empathie.
On s’amuse à reconstituer le puzzle et à suivre les tribulations menées par ces deux charmants acteurs, peut-être un peu trop lisses et même effacés. Dommage que leur histoire manque de piquant, et qu’y manque cette étincelle qui nous y ferait adhérer pleinement, le jeu l’emportant toujours sur les sentiments, Tony Gilroy étant du moins plus doué dans la mise en scène ludique que dans la mise en scène des sentiments ambigus.
Un divertissement, appliqué, ludique, léger, qui tient ses promesse mais ne renouvèlera pas le genre mais après tout est-ce ce qu’on demande à ce genre de film dont on cherche plutôt à ce qu’il soit fidèle aux règles qui le caractérisent et qu’il nous fasse appréhender l’existence comme un jeu et nous y embarque ? Dans ce cas, l’objectif est atteint.
Je vous rappelle également qu'Inthemoodforcinema.com, jusqu'au 8 avril prochain, vous permet de remporter 5 places pour 2 pour voir ce film en salles où que vous soyez.
Un film d’André Téchiné est pour moi toujours un rendez-vous incontournable, pourtant le sujet de son dernier film inspiré d’un fait divers (En juillet 2004, une jeune femme avait inventé avoir été victime d’une agression antisémite dans le RER. Son terrible mensonge avait provoqué un emballement médiatique et politique sans précèdent, avant même d’avoir été confirmé) m’avait laissée perplexe, d’abord parce qu’il s’agissait finalement d’un sujet assez mince pour en faire une fiction, ensuite parce que le sujet était plutôt sensible… C’était oublier l’immense talent de cinéaste et de « psychologue » d’André Téchiné, sa capacité à transcender et sublimer toute histoire, et à mettre en scène la confusion des âmes et des sentiments.
Jeanne (Emilie Dequenne), vit dans un pavillon de banlieue plutôt coquet bercé par le bruit de la circulation et du RER, avec sa mère, Louise (Catherine Deneuve). Les deux femmes sont inséparables et s’entendent bien. Louise garde des enfants et Jeanne cherche un emploi sans trop de conviction préférant passer et perdre son temps à déambuler en rollers. C’est lors de l’une de ces déambulations qu’elle rencontre Franck (Nicolas Duvauchelle), l’étrange et direct lutteur qui rêve de devenir champion olympique. Un jour, Louise tombe sur une annonce d’emploi d’un cabinet d’avocats, celui de Samuel Bleistein (Michel Blanc), qu’elle a connu dans sa jeunesse. Jeanne ne sera pas embauchée mais le terrible mensonge qu’elle va échafauder va la faire rencontrer de nouveau Bleistein, et sa famille : son fils Alex (Mathieu Demy), sa belle-fille Judith (Ronit Elkabetz), et son petit-fils Nathan (Jérémy Quaegebeur ).
Le film est une adaptation de la pièce de Jean-Marie Besset, « RER », lequel a également signé les dialogues du film de Téchiné. Le scénario, signé André Téchiné, a aussi été adapté par Odile Barski.
Comme souvent chez Téchiné, il y a cette troublante lumière d’été (magnifique photographie de Julien Hirsch) qui inquiète plus qu’elle ne rassure, qui intrigue autant qu’elle fascine. Ici, elle reflète le mystère de l’insaisissable Jeanne. Sa fragilité aussi. Téchiné ne justifie pas son acte mais chaque seconde du film, tout en douceur, sans gros plans didactiques ou tapageurs, esquisse le portrait de cette jeune femme et les circonstances qui vont la conduire à un terrible mensonge dont les conséquences vont dépasser tout ce qu’elle aurait pu imaginer. D’ailleurs elle n’a probablement rien imaginé ou vraiment planifié. Jeanne ment comme elle respire. Souvent sur ce qu’elle est. Pour qu’on la regarde, pour qu’on la considère, pour se sentir exister. Dans le regard de cet avocat et sa belle-fille qui la regardent avec un certain dédain. Dans le regard de sa mère qui désapprouve sa liaison avec Franck et voudrait qu’elle trouve un travail digne de ce nom. Dans le regard de Franck qui va violemment se détourner d’elle. Et puis Jeanne agit aussi sur un coup de folie, réagissant à la violence de ce désamour, sans vraiment réfléchir, comme lorsqu’elle déambule à rollers, et glisse sur le temps qui passe, et ses mensonges qui défilent. La caméra fébrile d’André Téchiné accompagne judicieusement son glissement et son chaos intérieurs, portés par une bande originale aussi envoûtante qu’inquiétante (musique originale de Philippe Sarde, musique de Bob Dylan –voir extrait ci-dessous-).
Et puis ce fait divers n’est finalement qu’un prétexte. Un prétexte pour de nouveau évoquer des rendez-vous manqués, des êtres égarés dans ces "temps qui changent", aussi socialement installés semblent-ils (comme Samuel) ou aussi libres semblent-ils (Catherine Deneuve, de nouveau étonnante, et parfaitement crédible, magnifique scène où elle observe Samuel sans oser le rejoindre). Des êtres en quête d’amour et d’identité (parallèle entre Nathan qui refuse une identité juive que Jeanne a endossée et s’est inventée). Des êtres en quête de repères dans une société où on communique sur msn, où la vie va aussi vite qu’une déambulation à rollers, où on voit sans regarder.
Dans le regard, tellement sensible et empathique de Téchiné, Jeanne est une victime de l’emballement médiatique, de la politique qui cherche des justifications, même fallacieuses, à son action, d’une société intransigeante et impatiente qui broie les êtres égarés et plus fragiles. Reste ce terrible mensonge qui risque de banaliser les actes similaires qui, malheureusement, continuent d’exister. En témoigne la triste et périlleuse banalisation des propos d’un « homme politique » qui, il y a quelques jours encore, dans la consternante quasi indifférence générale assimilait à un « détail » l’horreur absolue du 20ème siècle. Cela témoigne aussi de cette société que Téchiné montre ici et qui qui zappe d’une information à une autre, sans forcément prendre le temps de s’arrêter, voire de s’indigner.
En cinquante jours, André Téchiné a signé un film, à nouveau, d’une étonnante modernité portée par des acteurs dont il souligne une nouvelle fois le talent : Emilie Dequenne absolument sidérante qui nous emmène dans sa folie ordinaire et d’autant plus troublante, Nicolas Duvauchelle, qui excelle toujours dans ces rôles à vif, Michel Blanc qui retrouve Téchiné après son admirable dernier film « Les Témoins », et l’impériale Catherine Deneuve, qui retrouve le cinéaste pour la sixième fois, aussi crédible en mère aimante et libre vivant dans un pavillon de banlieue que dans n’importe quel rôle. (Voir ici mon article consacré à la rencontre avec Catherine Deneuve à SciencesPo).
Un film vivement recommandé par Inthemoodforcinema.com .
Je vous rappelle que demain, 25 mars, sortira en salles le très beau film de John Woo "Les Trois Royaumes" dont la critique est en ligne depuis plusieurs semaines sur "In the mood for cinema". Un film qu' "In the mood for cinema" vous recommande vivement!
Walt Kowalski ( oui, Kowalski comme Marlon Brando dans « Un tramway nommé désir » ), Walt Kowalski (Clint Eastwood) donc, ancien vétéran de la guerre de Corée et retraité de l’usine Ford de Détroit, a tout pour plaire : misanthrope, raciste, aigri, violent, cynique, irascible, intolérant. Et très seul. D’autant plus que lorsque débute l’intrigue, il enterre sa femme méprisant autant ses enfants et petits-enfants que ceux-ci le dédaignent. Enfin, seul… ou presque : il est toujours accompagné de la fidèle Daisy, son labrador, de son fusil, de sa voiture de collection, une splendide Gran Torino qu’il ne se lasse pas d’admirer depuis la terrasse de son pavillon de Détroit, de ses bières et ses douloureux souvenirs indicibles. La dernière volonté de sa femme était qu’il aille se confesser mais Walt ne fait confiance à personne ni à un prêtre (Christopher Carley) qui va le poursuivra inlassablement pour réveiller sa bonne (ou mauvaise) conscience pour susciter sa confession, ni à sa famille et encore moins ses voisins, des immigrants asiatiques qu’il méprise et qui lui rappellent de cruelles blessures. Jusqu’au jour où, sous la pression d’un gang, un adolescent Hmong, le fils de ses voisins, le jeune, timide -et lui aussi solitaire et incompris- Thao (Bee Vang), tente de lui voler sa voiture, ce à quoi il tient le plus au monde. Et lorsque le gang s’attaque à Thao, Walt s’attaque au gang non pas pour le défendre mais pour les chasser de son jardin. Sur ce malentendu, ayant ainsi défendu Thao, malgré lui, il devient ainsi le héros du quartier. Sue (Ahney Her), la sœur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Ce dernier va alors lui confier des travaux d’intérêt général. Et peu à peu, en apprenant à se comprendre, le timide adolescent aux prémisses de son existence, et le misanthrope, aux dernières lueurs de la sienne, vont révéler un nouveau visage, et emprunter une nouvelle route…
« Gran Torino » est un film multiple et fait partie de ces films, rares, qui ne cherchent pas l’esbroufe et à vous en mettre plein la vue mais de ces films qui vous enserrent subrepticement dans leur univers pour vous asséner le coup de grâce au moment où vous y attendiez le moins, ou plutôt alors que vous vous y attendiez. Mais pas de cette manière. Oui la grâce. Coup de grâce dans tous les sens du terme.
Multiple parce qu’il est aussi drôle que touchant, passant parfois de l’humour à l’émotion, du comique au tragique en un quart de seconde, dans une même scène. La scène où son fils et sa belle-fille viennent fêter son anniversaire est à la fois redoutablement triste et drôle.
Multiple parce qu’il réunit tous les clichés du film manichéen pour subtilement et mieux s’en départir. Et après le justement très manichéen et excessivement mélodramatique « L’Echange » on pouvait redouter le pire, surtout que ce sujet pouvait donner lieu aux pires excès.
Multiple parce que derrière cette histoire de vétéran de la guerre de Corée c’est aussi celle d’un mythe du cinéma américain qui fait preuve d’autodérision, répondant à ses détracteurs, exagérant toutes les tares qui lui ont été attribuées et les faisant une à une voler en éclats mais créant aussi un personnage, sorte de condensé de tous ceux qu’il a précédemment interprétés. Souvent des hommes en marge, solitaires, sortes de cowboys intemporels. Et ce Kowalski ressemble un peu à l’entraîneur de « Million Dollar Baby », lui aussi fâché avec sa famille et la religion. Mais aussi à l’inspecteur Harry. Ou même au Robert Kincaid de « Sur la route de Madison » dont il semble pourtant être aux antipodes.
Multiple parce que c’est à la fois un film réaliste (les acteurs Hmong sont non professionnels, « Gran Torino » est ainsi le premier scénario de Nick Schenk –coécrit avec Dave Johannson- qui a travaillé longtemps dans des usines au milieu d’ouvriers Hmong, peuple d’Asie répartie dans plusieurs pays avec sa propre culture, religion, langue) et utopique dans son sublime dénouement. C’est aussi à la fois un thriller, une comédie, un film intimiste, un drame, un portrait social, et même un western.
Evidemment nous sommes dans un film de Clint Eastwood. Dans un film américain. Evidemment nous nous doutons que cet homme antipathique va racheter ses fautes, que la Gran Torino en sera l’emblème, qu'il ne pourra rester insensible à cet enfant, à la fois son double et son opposé, sa mauvaise conscience (lui rappelant ses mauvais souvenirs et ses pires forfaits) et sa bonne conscience (lui permettant de se racheter, et réciproquement d'ailleurs), que la morale sera sauve et qu’il finira par nous séduire. Malgré tout. Mais c’est là tout l’immense talent de Clint Eastwood : nous surprendre, saisir, bouleverser avec ce qui est attendu et prévisible, faire un film d’une richesse inouïe et polysémique à partir d’une histoire qui aurait pu se révéler mince, univoque et classique, voire simpliste. D’abord, par une scène de confession qui aurait pu être celle d’un homme face à un prêtre dans une Eglise, scène qui aurait alors été convenue et moralisatrice. Une scène qui n’est qu’un leurre pour que lui succède la véritable scène de confession, derrière d’autres grilles. A un jeune garçon qui pourrait être le fantôme de son passé et sera aussi le symbole de sa rédemption. Scène déchirante, à la fois attendue et surprenante. Ensuite et surtout, avec cette fin qui, en quelques plans, nous parle de transmission, de remords, de vie et de mort, de filiation, de rédemption, de non violence, du sens de la vie. Cette fin sublimée par la photographie crépusculaire de Tom Stern (dont c’est la septième collaboration avec Clint Eastwood, cette photographie incomparable qui, en un plan, vous fait entrevoir la beauté évanescente d'un instant ou la terreur d'un autre) qui illumine tout le film, ou l’obscurcit majestueusement aussi, et par la musique de Kyle Eastwood d’une douceur envoûtante nous assénant le coup fatal.
Deux bémols : la VF que j’ai malheureusement dû subir est assez catastrophique et le grognement de chien enragé qu’émet inlassablement Walt, probablement excessif dans la VO devient totalement ridicule dans la VF. Et cette scène inutilement explicative face au miroir dans laquelle Walt dit qu’il se sent plus proche de ses voisins asiatiques que de sa famille. Les scènes précédant celle-ci avaient suffi à nous le faire comprendre. Dommage d’avoir ici dérogé à l’implicite et l’économie de dialogue que Clint Eastwood sait aussi bien manier.
Mais ces deux "défauts" sont bien vite oubliés tant vous quittez ce film encore éblouis par sa drôlerie désenchantée, à la fois terrassés et portés par sa sagesse, sa beauté douloureuse, sa lucidité, sa mélancolie crépusculaire, entre ombre et lumière, noirceur et espoir, mal et rédemption, vie et mort, premières et dernières lueurs de l'existence. Le tout servi par une réalisation irréprochable et par un acteur au sommet de son art qui réconciliera les amateurs de l’inspecteur Harry et les inconditionnels de « Sur la route de Madison » et même ceux qui, comme moi, avaient trouvé « Million dollar baby » et « L’Echange » démesurément grandiloquents et mélodramatiques. Si, les premières minutes ou même la première heure vous laissent, comme moi, parfois sceptiques, attendez…attendez que ce film ait joué sa dernière note, dévoilé sa dernière carte qui éclaireront l’ensemble et qui font de ce film un hymne à la tolérance, la non violence (oui, finalement) et à la vie qui peut rebondir et prendre un autre sens (et même prendre sens!) à chaque instant. Même l'ultime. Même pour un homme seul, irascible, cynique et condamné à mort et a priori à la solitude. Même pour un enfant seul, timide, a priori condamné à une vie terne et violente.
Un film qui confirme le talent d’un immense artiste capable de tout jouer et réaliser et d’un homme capable de livrer une confession, de faire se répondre et confondre subtilement cinéma et réalité, son personnage et sa vérité, pour nous livrer un visage à nu et déchirant. Une démonstration implacable. Un film irrésistible et poignant. Une belle leçon d’espoir, de vie, d’humilité. Et de cinéma…