Dimanche 22 Mai 2005 : Palme d’or et dernières impressions du festival de Cannes 2005
Un air de nostalgie rythme les pas désorientés des derniers festivaliers titubant qui errent sur la Croisette, encore grisés par ces jours de fête et revenant néanmoins peu à peu à la réalité de laquelle le festival les avaient momentanément éloignés. Ce n’est pourtant pas terminé, pas encore tout à fait. Depuis deux ans, le festival a inauguré une nouvelle formule pour le dimanche, repassant tous les films de la sélection la journée et la palme d’or le soir. Ne possédant pas le don d’ubiquité qui serait si salutaire au festivalier cannois, il m’est impossible de revoir les 4 films de la compétition que j’ai manqués et dont les horaires se chevauchent. Je décide donc de privilégier Jim Jarmusch et Wim Wenders délaissant à regret Cronenberg me souvenant des méandres tourmentés du cerveau de son «Spider » dans lesquels j’avais eu plaisir à m’égarer.
Je commence par « Broken Flowers » de Jarmusch, ma curiosité aiguisée par le grand prix que le jury lui a attribué. Dès les premiers plans un Bill Murray chaplinesque capte notre attention par l’irrésistibilité de son jeu. Il incarne ici un ancien Don Juan (d’ailleurs prénommé Don) qui reçoit une mystérieuse lettre anonyme lui apprenant soudain qu’il a un fils de 19 ans. Il va alors partir à la recherche des 4 mères potentielles. Chaque rencontre est un prétexte à des saynètes ironiques elles-mêmes prétextes aux facéties de Bill Murray, là encore « lost in translation » face à ces témoins incongrus de son passé. La transition entre chaque saynète est signalée par des plans d’avion et de trajets en voiture dont la réitération les rend caduques et ennuyeux. Restent un film léger et une belle performance d’acteur qui, à défaut de laisser une trace indélébile dans les mémoires des festivaliers, leur permirent au moins de passer un bon moment.
J’en attends davantage de Wim Wenders et de son « Don’t come knocking » malgré son absence au palmarès. Encore un road movie. Encore un film sur la paternité. Deux thèmes dont cette édition 2005 a été friande. Paternité ici incarnée par Howard Spence (Sam Shepard), ex-gloire du septième art qui ne décroche plus que des rôles secondaires et noie son dégoût de lui-même dans l’alcool jusqu’à ce que sa mère lui apprenne qu’il a peut-être un enfant. Il part alors « à la recherche du temps perdu. » Malheureusement Wim Wenders n’est pas ici à la hauteur des espoirs suscités et de sa réputation ni de « Paris-Texas » qu’il singe quelque peu, vingt et un ans après sa palme d’or, se perdant dans des digressions et alignant les clichés et les invraisemblances : le rachat d’une vie de débauche en découvrant sa double ( !) paternité et la seconde par hasard( !) à une rapidité déconcertante. De toute façon l’intérêt ne réside pas ici dans le scénario mais plutôt dans le cadre de l’errance du héros dans une Amérique fantomatique sublimement photographiée et judicieusement mise en scène. Il en fallait néanmoins davantage pour créer la surprise et l’engouement pour un cinéaste dont le talent de metteur en scène n’est plus à prouver.
A peine le temps de me remémorer les deux films de la journée que je me retrouve une ultime fois sur le mythique tapis rouge surplombant la Croisette et la foule, néanmoins moins nombreuse que d’habitude. Les cris impitoyablement stridents des photographes me sortent de mes songes : pas le temps de s’attarder et de regarder en arrière pour effectuer un flash-back et un travelling arrière empreints de nostalgie, le jury arrive en bas des marches pour accueillir les frère Dardenne. C’est donc de la salle que je les verrai ensuite les attendre, en haut des marches cette fois. La rumeur selon laquelle l’entente entre certains membres du jury n’aurait pas été si cordiale semble confirmée, leur malaise est presque palpable à moins que ce ne soit leur vie harassante de ces 12 jours qui n’ait eu raison de leur sourire et de toute velléité de conversation. Après avoir été salués et félicités par le jury, les frères Dardenne entrent, radieux, dans le grand théâtre Lumière. Je revois avec plaisir « L’enfant » dont l’âpreté me paraît néanmoins encore plus prégnante que la première fois. Le film s’achève sur une scène rédemptrice bouleversante. Le générique, un générique, encore, pour la dernière fois. Générique de fin du festival aussi. Je m’apprête à applaudir à un rythme effréné. Quelle n’est pas ma déception… Rien, ou presque. Le public est groggy, déçu, perplexe, blasé, aseptisé, consensuel et surtout silencieux. Silence pesant. Clap de fin abrupte sans rappel.
Cannes va ranger son tapis rouge, éteindre ses projecteurs. Les nombreuses affiches qui ornent ou défigurent la Croisette (c’est selon) vont être décrochées, les plateaux de télévision vont déserter la plage et les festivaliers vont s’éclipser avec plus de célérité que les 24 images par seconde qui ont rythmé ces 12 jours. Une multitude de souvenirs afflue entremêlant images cinématographiques et de la réalité, ma réalité si irréelle parfois pourtant, et entraînant la mélancolie inhérente à toute fin de festival, un de ces moments hors du temps que l’on aimerait éternel et dont on se demande toujours si sa magie intransmissible pourra se renouveler. Pour évincer la vague à l’âme inéluctable qui menace de submerger mes neurones endoloris, je songe déjà à Cabourg où je serai très bientôt et où je ne suis pas retournée depuis ma participation à son jury de courts-métrages en 2002, jury alors présidé par Marie Trintignant…mais là encore c’est une autre (belle) histoire.
En attendant retrouvez ci-dessous mon récit intégral jour après jour du festival de Cannes 2005.
Merci pour vos très nombreux mails d’encouragement et n’hésitez pas à continuer à me faire part de vos commentaires et réactions.
Vous pourrez donc bientôt retrouver mon récit des Journées Romantiques de Cabourg qui se dérouleront du 16 au 19 juin 2005 puis en septembre mon récit du festival du film américain de Deauville (du 2 au 11 septembre 2005) où je serai également et cela pour la 12ème année consécutive.
Pour ceux qui désireraient partir au festival de Cannes 2006, si vous avez entre 18 et 25 ans, vous pouvez tenter votre chance avec le prix de la jeunesse organisé par le Ministère de la jeunesse et des sports (critique de film+CV+ lettre sur le cinéma à partir d’un thème différent chaque année, en 2005 c’était « le regard »), prix de la jeunesse grâce auquel je suis allée au festival de Cannes pour la première fois en 2001.
Sandra.M