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CRITIQUES DE CLASSIQUES DU SEPTIEME ART - Page 4

  • Critique de « Les yeux noirs » de Nikita Mikhalkov (disponible en dvd )

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    Avec « Les yeux noirs » Nikita Mikhalkov tournait pour la première fois hors des frontières russes avec cette adaptation d’un auteur, russe néanmoins, puisqu’il s’agissait  de trois nouvelles de Tchekhov (dont toute l’œuvre de Mikhalkov est d’ailleurs imprégnée) : « La Dame au petit chien », « Ma Femme » et « L’Ordre d’Anna ».

    Dans la salle de restaurant d’un paquebot de croisière, Pavel, un négociant russe rencontre le mélancolique et fantasque Romano (Marcello Mastroianni) qui lui raconte alors ses souvenirs. En 1903, sept années plus tôt Romano, le jour de l’anniversaire de sa femme, apprend qu’il est ruiné et s’enfuit en cure dans une ville d’eau italienne. Là, il rencontre la timide et naïve Anna (Elena Safonova), une jeune Russe mariée dont il tombe éperdument amoureux.

    En sélection officielle du Festival de Cannes 1987, Mikhalkov se vit ravir la palme d’or par Pialat et « Sous le soleil de Satan », un ennemi du cinéaste figurant dans le jury (le réalisateur russe Elem Klimov). Le président du jury Yves Montand était pourtant tombé sous le charme du film de Mikhalkov mais Klimov ayant menacé de démissionner, la raison l’emporta, ce qui n’empêcha pas le film de recevoir les louanges du public et de la critique et Marcello Mastroianni de recevoir un prix d’interprétation et une nomination aux Oscars. Mikhalkov est d’ailleurs un habitué de la Croisette puisqu’il a notamment obtenu le Grand prix du Festival pour « Soleil trompeur » (par ailleurs Oscar du meilleur film étranger) en 1994,  et puisqu’il a présenté « Le Barbier de Sibérie » hors compétition en 1999.

    Le film est à l’image, contrastée et progressivement ensorcelante,  de son acteur principal qui le porte sur ses épaules : tendre, touchant, fantasque, léger, mélancolique, agaçant. Il n’est ainsi pas sympathique ou séduisant d’emblée non plus. Il faut s’habituer à son visage usé d’abord puis rajeuni (le film se déroule en flashback). Il faut aussi s’habituer à la lenteur puis à la folie, à sa beauté qui n’est pas forcément évidente et fracassante mais plus insidieuse et finalement touchante et profonde. Comme pour certains êtres, il y a des films qui se méritent, qui méritent qu’on aille à la rencontre de leur univers, pas forcément lisses mais riches au contraire de leurs acuités.

    « Les yeux noirs »  s’enrichit ainsi des saisissants contrastes de deux pays : l’Italie et la Russie. Pays de Tchekhov ou de Fellini à qui il emprunte aussi beaucoup. Etrange et envoûtante  (més)alliance qui donne au film cette saveur inimitable, cette couleur joliment contrastée, drôle et cruelle, tendre et amère.

    Les yeux noirs est à la fois une histoire d’amour amère, désespérée, cruelle, naïve, inattendue mais aussi une satire judicieuse : des cures grotesques ou de l’absurdité de la bureaucratie que Mikhalkov met en scène avec une folie insolente, réjouissante et absurde en hommage à Fellini et qui contrebalance la structure classique en flashback. Une structure là aussi néanmoins judicieuse pour imprégner le film d’une nostalgie douce et amère. Nostalgie d’un amour et d’un pays perdus. Nostalgie d’une époque puisque Mikhalkov dresse aussi le portrait d’une bourgeoise en déliquescence (sujet phare d’un autre  réalisateur italien).

    Et puis il y a Mastroianni, monstre sacré du cinéma ici dans toute sa splendeur et bien qu’incarnant un personnage lâche, faible, naïf, cruel, désinvolte, nostalgique (successivement ou en même temps) reste constamment attachant.

    « Les yeux noirs » est un film romanesque qui ressemble à ces rêves doux et tristes, absurdes et mélancoliques dont on émerge avec regret et avec le sentiment d’avoir fait un voyage beau et rare dont la poésie chantante et nostalgique d’un mot (em)porte toute la grâce :  Sabatchka dont je vous laisse découvrir la signification.

    Un dvd à vous procurer de toute urgence !

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  • Première d'Une journée ordinaire avec Anouchka et Alain Delon au théâtre des Bouffes Parisiens, le 21 janvier

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    journée.jpgDans le cadre du cycle consacré à Alain Delon sur ce blog (lequel, au passage, a déclaré récemment dans le Journal du Dimanche qu'il "ne trouve pas de scénario"... encore faudrait-il pouvoir lui envoyer directement, je connais quelqu'une que cela intéresserait, encore et toujours... à bon entendeur... ), voici toutes les informations concernant la pièce qu'il jouera au théâtre dans "Une journée ordinaire" à partir de janvier.

    La première aura lieu le 21, date à laquelle j'y serai. Vous pourrez donc retrouver ma critique, ici, au plus tard, le 22.

     Cette pièce écrite par Eric Assous à la demande d'Alain Delon se jouera donc à partir du 21 janvier au théâtre des Bouffes Parisiens. Alain Delon souhaitait en effet jouer au théâtre avec sa fille Anouchka avec laquelle il avait déjà joué dans le très beau téléfilm "Le lion" réalisé par José Pinheiro, en 2003 et dans lequel le talent de cette dernière était réellement bluffant.

     Eric Assous avait déjà écrit "Les Montagnes russes" qu'Alain Delon avait joué au théâtre Marigny (et dont vous pouvez retrouver ma critique en cliquant ici). En 2007, c'est dans "Sur la route de Madison" qu'il avait à nouveau foulé les planches (voir ma critique ici) puis en 2008 avec Anouk Aimée dans "Love letters" (voir ma critique ici) mais c'est sans aucun doute dans "Variations énigmatiques", une très belle pièce d'Eric Emmanuel Schmitt qu'il avait été le plus bouleversant, face à Francis Huster. Bien entendu, j'essaierai de ne pas manquer cette "journée ordinaire" dont vous pourrez retrouver ma critique ici.

     Eric Assous dit ainsi de cette pièce : "J'espère que la pièce sera à la fois drôle et émouvante. Il y a des passages entiers où le personnage que joue Alain Delon se confond avec ce qu'il est réellement. Dur et fragile, autoritaire et attendrissant, qui collectionne tous les signes de la réussite mais qui reste pourtant profondément ébréché." 

    Résumé officiel de la pièce: "Entre un père et sa fille, la séparation est inéluctable. Un jour, elle part avec un autre, il faut l'accepter, faire bonne figure. Pas facile de donner à un inconnu ce qu'on a de plus précieux. Julie a 20 ans. Elle rêve de liberté et d'émancipation. Et en plus, elle est amoureuse. Seulement voilà, elle vit avec son père. Veuf depuis 12 ans, il n'a pas l'intention de voir Julie quitter la maison. Alors, elle lui propose un marché. Lui présenter son amoureux et faire la connaissance dans la même soirée de la femme que son père voit de temps à autre."

    Location ouverte du 21 janvier au 12 mars 2011. Du mardi au samedi à 20H30. Matinée le samedi à 17H. De 12€ à 70€. Réservations sur le site des Bouffes Parisiens: http://www.bouffesparisiens.com/ .

    Cliquez ici pour lire mes autres articles consacrés à Alain Delon.

     

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  • "Une journée ordinaire" avec Anouchka et Alain Delon au théâtre des Bouffes parisiens à partir du 21 janvier

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    journée.jpgDans le cadre du cycle consacré à Alain Delon sur ce blog (lequel au passage vient de dire dans le Journal du Dimanche qu'il "ne trouve pas de scénario"... encore faudrait-il pouvoir lui envoyer directement, je connais quelqu'une que cela intéresserait, encore et toujours... à bon entendeur... ), voici toutes les informations concernant la pièce qu'il jouera au théâtre dans "Une journée ordinaire" à partir de janvier.

     Cette pièce écrite par Eric Assous à la demande d'Alain Delon se jouera donc à partir du 21 janvier au théâtre des Bouffes Parisiens. Alain Delon souhaitait en effet jouer au théâtre avec sa fille Anouchka avec laquelle il avait déjà joué dans le très beau téléfilm "Le lion" réalisé par José Pinheiro, en 2003 et dans lequel le talent de cette dernière était réellement bluffant.

     Eric Assous avait déjà écrit "Les Montagnes russes" qu'Alain Delon avait joué au théâtre Marigny (et dont vous pouvez retrouver ma critique en cliquant ici). En 2007, c'est dans "Sur la route de Madison" qu'il avait à nouveau foulé les planches (voir ma critique ici) puis en 2008 avec Anouk Aimée dans "Love letters" (voir ma critique ici) mais c'est sans aucun doute dans "Variations énigmatiques", une très belle pièce d'Eric Emmanuel Schmitt qu'il avait été le plus bouleversant, face à Francis Huster. Bien entendu, j'essaierai de ne pas manquer cette "journée ordinaire" dont vous pourrez retrouver ma critique ici.

     Eric Assous dit ainsi de cette pièce : "J'espère que la pièce sera à la fois drôle et émouvante. Il y a des passages entiers où le personnage que joue Alain Delon se confond avec ce qu'il est réellement. Dur et fragile, autoritaire et attendrissant, qui collectionne tous les signes de la réussite mais qui reste pourtant profondément ébréché." 

    Résumé officiel de la pièce: "Entre un père et sa fille, la séparation est inéluctable. Un jour, elle part avec un autre, il faut l'accepter, faire bonne figure. Pas facile de donner à un inconnu ce qu'on a de plus précieux. Julie a 20 ans. Elle rêve de liberté et d'émancipation. Et en plus, elle est amoureuse. Seulement voilà, elle vit avec son père. Veuf depuis 12 ans, il n'a pas l'intention de voir Julie quitter la maison. Alors, elle lui propose un marché. Lui présenter son amoureux et faire la connaissance dans la même soirée de la femme que son père voit de temps à autre."

    Location ouverte du 21 janvier au 12 mars 2011. Du mardi au samedi à 20H30. Matinée le samedi à 17H. De 12€ à 70€. Réservations sur le site des Bouffes Parisiens: http://www.bouffesparisiens.com/ .

    Cliquez ici pour lire mes autres articles consacrés à Alain Delon.

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  • Dossier spécial et critique - "Le Guépard" de Luchino Visconti, la version restaurée disponible demain en DVD et Blu-ray

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    Vous ne pourrez pas dire que vous ne le saviez pas, je vous en informe donc une dernière fois: demain sortira en DVD/Blu-ray, la version restaurée du Guépard. A Paris, le film sera par ailleurs projeté...mais dans une seule salle : La Filmothèque du Quartier Latin, en copie 35mm neuve, à partir du 1er décembre.  2 copies tourneront dans plusieurs villes de province, notamment au Comoedia de Lyon. Le film sera par ailleurs projeté du 15 au 28 décembre à l'Omnia de Rouen.

     Si vous ne deviez voir qu'un film, si vous ne deviez en emporter qu'un seul sur une île déserte, si je ne devais en choisir et ne vous en recommander qu'un ... ce serait celui-là alors aucune excuse ne sera valable!

    J'espère que mon article ci-dessous (avec critique du film et vidéos pour revivre cet événement exceptionnel comme si vous y étiez) "Quand la réalité rejoint le cinéma" publié à l'occasion du dernier Festival de Cannes (et republié ci-dessous) suite la projection exceptionnelle de cette version restaurée en présence d'Alain Delon et Claudia Cardinale ainsi que de Martin Scorsese, achèvera de vous convaincre de le découvrir ou de le revoir.

    En bonus, vous trouverez également en bas de cet article, mes critiques de "Ludwig ou le crépuscule des dieux" et "Rocco et ses frères", deux autres chefs d'oeuvre de Luchino Visconti.

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    Quand la réalité rejoint le cinéma (article déjà publié suite à la projection exceptionnelle du "Guépard"  en version restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2010)


    Parmi mes très nombreux souvenirs du Festival de Cannes, celui de ce soir restera sans aucun doute un des plus émouvants et inoubliables. Ce soir, dans le cadre de Cannes Classics était en effet projetée la version restaurée du chef d'œuvre de Luchino Visconti « Le Guépard », palme d'or du Festival 1963. Un des films à l'origine de ma passion pour le cinéma avec  l'acteur que j'admire le plus (et tant pis pour ceux qu'il horripile... qu'ils me trouvent juste un seul acteur ayant tourné autant de chefs d'œuvre de « Rocco et ses frères » à « Monsieur Klein » en passant par « Le Cercle rouge » , « La Piscine » et tant d'autres...).

     Alors que nous étions très peu nombreux dans la file presse et que, en face, dans la file Cannes cinéphiles on se bousculait tout le monde a finalement pu entrer. J'avais une place de choix puisque juste à côté de moi figurait un siège sur lequel était écrit  Martin Scorsese  et devant  Alain Delon et Claudia Cardinale! Tandis que les premiers invités commençaient à arriver (Benicio Del Toro, Kate Beckinsale, Aishwarya Rai puis Salma Hayek, Juliette Binoche...), la fébrilité était de plus en plus palpable dans la salle. Avec son humour et son enthousiasme légendaires, Thierry Frémaux est venu prévenir que Martin Scorsese était retenu dans les embouteillages en ajoutant qu'Alain Delon avait tenu à préciser que lui n'était pas en retard.

     Puis Martin Scorsese est enfin sorti des embouteillages pour monter sur scène ( réalisateur du plus grand film de cette année « Shutter island », à voir absolument) pour parler de ce film si important pour lui. Puis ce fut au tour d'Alain Delon et Claudia Cardinale de monter sur scène. Tous deux émus, Alain Delon aussi nostalgique que Claudia Cardinale semblait enjouée. Je vous laisse découvrir cet instant que j'ai intégralement filmé. Puis, ils se sont installés, juste devant moi et le film, ce film que j'ai vu tant de fois a commencé.

    Quelle étrange sensation de le découvrir enfin sur grand écran, tout en voyant ses acteurs au premier plan, juste devant moi, en chair et en os. Aussi fascinant et somptueux soit « Le Guépard » (et ce soir il m'a à nouveau et plus que jamais éblouie) mon regard ne pouvait s'empêcher de dévier vers Delon et Cardinale. Instant irréel où l'image de la réalité se superposait à celle de l'écran. Je ne pouvais m'empêcher d'essayer d'imaginer leurs pensées. Claudia Cardinale qui semblait littéralement transportée (mais avec gaieté) dans le film, tapant des mains, se tournant vers Alain Delon, lorsque des scènes, sans doute, lui rappelait des souvenirs particuliers, riant aussi souvent, son rire se superposant même sur la célèbre cavalcade de celui d'Angelica dans la scène du dîner. Et Alain Delon, qui regardait l'écran avec tant de solennité, de nostalgie, de tristesse peut-être comme ailleurs, dans le passé, comme  s'il voyait une ombre du passé ressurgie en pleine lumière, pensant, probablement,  comme il le dit souvent, à ceux qui ont disparu : Reggiani, Lancaster, Visconti....

    Delon et Cardnale plus humains sans doute que ces êtres d'une beauté irréelle sur l'écran et qu'ils ont incarnés mais aussi beaux et touchants. D'autant plus troublant que la scène de la réalité semblait faire étrangement écho à celle du film qui raconte  la déliquescence d'un monde, la nostalgie d'une époque. Comme si Delon était devenu le Prince Salina (incarné par Lancaster dans le film) qui regarde avec mélancolie une époque disparaître. J'avais l'impression de ressentir leur émotions, ce  qui, ajouté, à celle que me procure immanquablement ce film, a fait de cet instant un moment magique de vie et de cinéma entremêlés, bouleversant. 

     Je n'ai pas vu passer les trois heures que dure le film dont la beauté, la modernité, la richesse, la complexité mais aussi la vitalité, l'humour  (c'était étonnant d'entendre ainsi la salle rire) me sont apparus plus que jamais éclatants et surtout inégalés. 47 ans après, quel film a pu rivaliser ? Quel film contient des plans séquences aussi voluptueux ? Des plans aussi somptueux ? On comprend aisément pourquoi le jury lui a attribué la palme d'or à l'unanimité !

    Hypnotisée par ces images confuses de réalité et de cinéma superposées, de splendeur visuelle, de mélancolie, de nostalgie, je suis repartie avec dans ma poche la lettre destinée à Alain Delon parlant du scénario que j'aimerais lui soumettre, mais sans regrets : il aurait été maladroit, voire indécent de lui donner à cet instant si intense, particulier. Et encore maintenant il me semble entendre la valse qui a sublimé Angelica et Tancrède,  et d'en ressentir toute la somptuosité nostalgique...  Cette phrase prononcée par Burt Lancaster dans « Le Guépard » pourrait ainsi peut-être être désormais prononcée par ceux qui ont joué à ses côtés, il y a 47 ans déjà  : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

     Ma critique du « Guépard » de Luchino Visconti

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    En 1860, en Sicile, tandis que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent pour renverser la monarchie des Bourbons de Naples et l’ancien régime, le prince Don Fabrizio Salina (Burt Lancaster) ainsi que sa famille et son confesseur le Père Pirrone (Romolo Valli), quitte ses domaines pour son palais urbain de Donnafigata, tandis que son neveu Tancrède rejoint les troupes de Garibaldi. Tancrède s’éprend d’Angelica, (Claudia Cardinale), la fille du riche maire libéral  de Donnafugata : Don Calogero. Le Prince Salina s’arrange pour qu’ils puissent se marier. Après l’annexion de la Sicile au royaume d’Italie, Tancrède qui s’était engagé aux côtés des Garibaldiens les abandonne pour rejoindre l’armée régulière…

    Les premiers plans nous montrent une allée qui mène à une demeure, belle et triste à la fois. Les allées du pouvoir. Un pouvoir beau et triste, lui aussi. Triste car sur le déclin, celui de l’aristocratie que symbolise le Prince Salina. Beau car fascinant comme l’est le prince Salina et l’aristocratie digne qu’il représente. Ce plan fait écho à celui de la fin : le prince Salina avance seul, de dos, dans des ruelles sombres et menaçantes puis il s’y engouffre comme s’il entrait dans son propre tombeau. Ces deux plans pourraient résumer l’histoire, l’Histoire, celles d’un monde qui se meurt. Les plans suivants nous emmènent à l’intérieur du domaine, nous offrant une vision spectrale et non moins sublime de cette famille. Seuls des rideaux blancs dans lesquels le vent s’engouffre apportent une respiration, une clarté dans cet univers somptueusement sombre. Ce vent de nouveauté annonce l’arrivée de Tancrède, Tancrède qui apparaît dans le miroir dans lequel Salina se mire.  Son nouveau visage. Le nouveau visage du pouvoir. Le film est à peine commencé et déjà son image est vouée à disparaître. Déjà la fin est annoncée. Le renouveau aussi.

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    Fidèle adaptation d’un roman écrit en 1957 par Tomasi di Lampedusa, Le Guépard témoigne d’une époque représentée par cette famille aristocrate pendant le Risorgimento, « Résurrection » qui désigne le mouvement nationaliste idéologique et politique qui aboutit à la formation de l’unité nationale entre 1859 et 1870. Le Guépard est avant tout l’histoire du déclin de l’aristocratie et de l’avènement de la bourgeoisie, sous le regard et la présence félins, impétueux, dominateurs du Guépard, le prince Salina. Face à lui, Tancrède est un être audacieux, vorace, cynique, l’image de cette nouvelle ère qui s’annonce.

    medium_guepard4.JPGLa scène du fastueux bal qui occupe un tiers du film est aussi la plus célèbre, la plus significative, la plus fascinante. Elle marque d'abord par sa magnificence et sa somptuosité :  somptuosité des décors, soin du détail du Maestro Visconti qui tourna cette scène en huit nuits parmi 300 figurants. Magnificence du couple formé par Tancrède et Angelica, impériale et rayonnante dans sa robe blanche. Rayonnement du couple qu’elle forme en dansant avec Salina, aussi.  La fin du monde de Salina est proche mais le temps de cette valse, dans ce décor somptueux, le temps se fige. Ils nous font penser à cette réplique de Salina à propos de la Sicile : "cette ombre venait de cette lumière". Tancrède regarde avec admiration, jalousie presque, ce couple qui représente pourtant la déchéance de l’aristocratie et l’avènement de la bourgeoisie. Un suicide de l'aristocratie même puisque c’est Salina qui scelle l’union de Tancrède et Angelica, la fille du maire libéral, un mariage d’amour mais aussi et avant tout de raison entre deux univers, entre l'aristocratie et la bourgeoisie. Ces deux mondes se rencontrent et s’épousent donc aussi le temps de la valse d’Angelica et Salina. Là, dans le tumulte des passions, un monde disparaît et un autre naît. Ce bal est donc aussi remarquable par ce qu’il symbolise : Tancrède, autrefois révolutionnaire, se rallie à la prudence des nouveaux bourgeois tandis que Salina, est dans une pièce à côté, face à sa solitude, songeur,  devant un tableau de Greuze, la Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme lui dira ensuite magnifiquement Tancrède.

    Angelica, Tancrède et Salina se retrouvent ensuite dans cette même pièce face à ce tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse et presque insultante du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein. Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge sur sa propre mort. Cette scène est pour moi une des plus intenses de ce film qui en comptent pourtant tant qui pourraient rivaliser avec elle. Les regards lourds de signification qui s’échangent entre eux trois, la sueur qui perle sur les trois visages, ce mouchoir qu’ils s’échangent pour s’éponger en font une scène d’une profonde cruauté et sensualité où entre deux regards et deux silences, devant ce tableau terriblement prémonitoire de la mort d’un monde et d’un homme, illuminé par deux bougies que Salina a lui-même allumées comme s’il admirait, appelait, attendait sa propre mort, devant ces deux êtres resplendissants de jeunesse, de gaieté, de vigueur, devant Salina las mais toujours aussi majestueux, plus que jamais peut-être, rien n’est dit et tout est compris.

    medium_guepard3.JPG Les décors minutieusement reconstitués d’ une beauté visuelle sidérante, la sublime photo de Giuseppe Rotunno, font de ce Guépard une véritable fresque tragique, une composition sur la décomposition d’un monde, dont chaque plan se regarde comme un tableau, un film mythique à la réputation duquel ses voluptueux plans séquences (notamment la scène du dîner pendant laquelle résonne le rire interminable et strident d’Angelica comme une insulte à l’aristocratie décadente, au cour duquel se superposent des propos, parfois à peine audibles, faussement anodins, d’autres vulgaires, une scène autour de laquelle la caméra virevolte avec virtuosité, qui, comme celle du bal, symbolise la fin d’une époque), son admirable travail sur le son donc, son travail sur les couleurs (la séquence dans l’Eglise où les personnages sont auréolés d’une significative lumière grise et poussiéreuse ) ses personnages stendhaliens, ses seconds rôles judicieusement choisis (notamment Serge Reggiani en chasseur et organiste), le charisme de ses trois interprètes principaux, la noblesse féline de Burt Lancaster, la majesté du couple Delon-Cardinale, la volubilité, la gaieté et le cynisme de Tancrède formidablement interprété par Alain Delon, la grâce de Claudia Cardinale, la musique lyrique, mélancolique et ensorcelante de Nino Rota ont également contribué à faire de cette fresque romantique, engagée, moderne, un chef d’œuvre du septième Art. Le Guépard a ainsi obtenu la Palme d’or 1963… à l’unanimité.

     La lenteur envoûtante dont est empreinte le film métaphorise la déliquescence du monde qu’il dépeint. Certains assimileront à de l’ennui ce qui est au contraire une magistrale immersion  dont on peinera ensuite à émerger hypnotisés par l’âpreté lumineuse de la campagne sicilienne, par l’écho du pesant silence, par la beauté et la splendeur stupéfiantes de chaque plan. Par cette symphonie visuelle cruelle, nostalgique et sensuelle l’admirateur de Proust qu’était Visconti nous invite à l’introspection et à la recherche du temps perdu.

    La personnalité du Prince Salina devait beaucoup à celle de Visconti, lui aussi aristocrate, qui songea même à l’interpréter lui-même, lui que cette aristocratie révulsait et fascinait à la fois et qui, comme Salina, aurait pu dire : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».

    Que vous fassiez partie des guépards, lion, chacals ou brebis, ce film est un éblouissement inégalé par lequel je vous engage vivement à vous laisser hypnotiser...

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    A lire également, dans le cadre du cycle Alain Delon sur inthemoodforcinema.com, mes critiques de :  La Piscine », « Borsalino », « Le Guépard », « Monsieur Klein »,  « Le Cercle rouge », "Le Professeur", "Plein soleil"

    L'interview d'Alain Delon par Allociné à propos du "Guépard":

     

     

    Bonus: ma critique d'un autre chef d'oeuvre de Luchino Visconti: "Ludwig ou le crépuscule des dieux": un opéra funèbre d'une vertigineuse beauté

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    A l’occasion de l’hommage à Visconti rendu prochainement par le Festival Lumière de Lyon et suite à mon dossier sur « Le Guépard », je vous propose aujourd’hui la critique d’un autre chef d’œuvre de Luchino Visconti, son dernier (même s’il réalisa encore deux films ensuite) datant de 1972 : « Ludwig ou le Crépuscule des dieux ». Coproduction italienne, française et allemande, il s’agit du dernier volet de sa trilogie allemande également composée des « Damnés » (1969) et de « Mort à Venise » (1971). Visconti voulait initialement réaliser l’adaptation de « A la recherche du temps perdu » de Proust mais, faute de financements, en attendant que ce projet puisse voir le jour, il décide de tourner « Ludwig ». D’une durée initiale de 3H40 le film sort en France avec une durée de 3H, encore davantage malmené, contre les vœux de Visconti, pour la sortie en Allemagne. Après la mort de Visconti, le film est vendu aux enchères par les producteurs en faillite et est adjugé pour 68 millions de lires à des proches du cinéaste qui se cotisent, avec le soutien de la RAI, afin de récupérer l’intégralité des bobines. Après la mort de Visconti, Ruggero Mastroianni et Suso Cecchi d’Amico remonteront une version approchant des quatre heures et dix minutes d’origine.

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     Ludwig (Helmut Berger) c’est le portrait tragique du roi Louis II, devenu, à 19 ans, en 1864, roi de Bavière, royaume allemand encore autonome, entre la Prusse  et l'empire austro-hongrois. Sa rencontre avec Wagner (Trevor Howard),  la même année, va bouleverser l’existence de l’un et de l’autre. Le roi y trouvant une amitié et un sujet d’admiration, le compositeur un riche et puissant mécène contribuant à son succès. Epris de sa cousine l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Romy Schneider) qui, comme Wagner, le décevra, il se fiance avec sa sœur Sophie (Sonia Petriva) avant de rompre les fiançailles puis de sombrer dans la solitude et la démence.

     Comment parler d’un film dont chaque plan est un tableau somptueux et dont chaque seconde est un hymne à la beauté qui imposent le silence ? Comment rendre hommage à ce chef d’œuvre fascinant ? Aucun mot sans doute ne pourra transcrire ce que les images de Visconti célèbrent magnifiquement, visuellement et musicalement. Dès les premiers plans, cela vous heurte et vous subjugue tout à la fois, et vous coupe le souffle : une magnificence visuelle tragique et ensorcelante. Le visage du roi, d’une beauté d’abord jeune mais grave et mélancolique déjà. Des scènes entrecoupées de plans fixes de témoins de l’Histoire et de son histoire qui s’expriment face à nous, le visage à demi dans la pénombre, voilé à l’image de la vérité que, sans doute, ils trahissent. Ils nous prennent alors à témoin de la folie de ce roi ou en tout cas de ce que eux appellent folie et ne pourront, de leur médiocrité, sans doute jamais comprendre : son goût des arts, de la beauté, de la liberté. Comment pourraient-ils comprendre ce roi épris de liberté et prisonnier des conventions de son rang ? Comment pourraient-ils comprendre ce roi si différent d’eux : homosexuel, esthète, amoureux de la liberté et des arts ?

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     Tandis que tout se décompose : son visage, son pays, son entourage, ses dernières illusions reste cette beauté inaltérable de l’art mais une beauté hantée déjà par la fatalité et la mort, une beauté douloureuse soulignée par la somptuosité des décors et des costumes. Des salons byzantins de  Neuschwanstein à la grotte de Linderhof aux galeries de miroirs de Herrenchiemsee, la caméra de Visconti, accompagnée de la musique de Wagner (Tannhäuser ; Tristan und Isolde) ou de Schumann (Kinderscenen), en caresse les lignes baroques, admirables, raffinées et extravagantes,  la beauté démesurée et tragique, nous émouvant aux larmes comme Ludwig l’est par la musique de Wagner.

     Si, malgré la décomposition du monde de ces dieux au crépuscule (le Crépuscule des dieux est le nom d'un drame musical de Wagner) qui l’entourait, la beauté était la dernière lueur  de l’espoir chez le Prince de Salina dans « Le Guépard », elle est ici désespérée mais non moins éblouissante, signe d’une immortalité impossible, ce à quoi les châteaux plus spectaculaires les uns que les autres que fit construire le roi ne changeront rien.  

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     Ludwig c’est donc Helmut Berger à la fois fragile et hautain, solitaire et exalté, puissant et perdu, en force et en retenue. Au fur et à mesure que les années s’écoulent, que les désillusions s’accumulent, que son idéalisme choit, le visage et le regard de l’acteur s’imprègnent de plus en plus de gravité, de déchéance, de noirceur mais il gagne aussi notre sympathie, nous, juges impuissants pris à témoin. Face à lui Romy Schneider prend sa revanche sur les Sissi, ce personnage candide et frivole dont elle a si longtemps voulu se détacher qu’elle incarne ici à nouveau mais tout en mystère, ambigüité. Impériale impératrice qui semble voler plus qu’elle ne marche tel un cygne noir, élégant, gracieux, sauvage qui ressemble tant (trop) au Ludwig des premières années.

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     Visconti, trois ans avant sa mort, comme un  écho testamentaire, nous livre une subtile mise en abyme qui interroge et illustre la beauté de l’art, une symphonie visuelle et sonore, un chant de désespoir, un film d’une flamboyance crépusculaire, une réflexion ardente et vertigineuse sur l’art, la solitude, la folie enchaînés douloureusement et sublimement sur la musique de Wagner, comme en une fatale étreinte. Un hymne à la beauté des corps et des âmes, fussent-elles (ou surtout car) torturées.  Un hommage à l’art. Au sien. A celui dont la beauté transcende ou isole. A celui qui perdra un roi, héros romantique, trop sensible, trop exalté, trop différent.  Le portrait d’un roi à son image, un opéra funèbre à la beauté inégalée, sombre et éblouissante, et qui lui procure ce qu’il a tant et mortellement désiré : des accents d’éternité.

    Critique de "Rocco et ses frères" : le crépuscule des Parondi

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    Avec « Rocco et ses frères », je poursuis aujourd’hui le cycle consacré à Luchino Visconti sur inthemoodforcinema, à l’occasion de l’hommage que lui rendra prochainement le Festival Lumière de Lyon et je vous rappelle que vous pouvez retrouver mon dossier sur « Le Guépard » en cliquant ici et ma critique de « Ludwig ou le Crépuscule des dieux » en cliquant là.

    Voir successivement « Ludwig ou le crépuscule  des dieux » et « Rocco et ses frères » ne peut que vous confirmer dans l’idée (ou vous le faire découvrir si vous ne le saviez déjà ) de la diversité du cinéma viscontien et en conséquence de l’étendue admirable du talent de Visconti.

    Synopsis : Après le décès de son mari, Rosaria Parondi (Katina Paxinou), mère de cinq fils, arrive à Milan accompagnée de quatre de ses garçons : Rocco (Alain Delon) Simone, (Renato Salvatori), Ciro (Max Cartier) et Luca (Rocco Vidolazzi), le benjamin.  C’est chez les beaux-parents de son cinquième fils, Vincenzo (Spyros Fokas) qu’ils débarquent. Ce dernier est ainsi fiancé à Ginetta (Claudia Cardinale). Une dispute éclate. Les Parondi se réfugient dans un logement social. C’est là que Simone fait la connaissance de Nadia (Annie Girardot), une prostituée rejetée par sa famille. Simone, devenu boxeur, tombe amoureux de Nadia. Puis, alors qu’elle est séparée de ce dernier depuis presque deux ans, elle rencontre Rocco par hasard. Une idylle va naitre entre eux. Simone ne va pas le supporter…

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    Ce qui frappe d’abord, ce sont, au-delà de la diversité des styles (mêlant habilement Nouvelle Vague et néo-réalisme ici, un mouvement à l’origine duquel Visconti se trouve –« Ossessione » en 1942 est ainsi considéré comme le premier film néo-réaliste bien que les néoréalistes aient estimé avoir été trahis par ses films postérieurs qu’ils jugèrent très et trop classiques),  les thématiques communes aux différents films de Visconti. Que ce soit à la cour de Bavière avec Ludwig, ou au palais Donnafigata avec le Prince Salina, c’est toujours d’un monde qui périclite et de solitude dont il est question mais aussi de grandes familles qui se désagrègent, d’être promis à des avenirs lugubres qui, de palais dorés en  logements insalubres, sont sans lumière et sans espoir.

    Ce monde où les Parondi, famille de paysans, émigre est ici celui de l’Italie d’après-guerre, en pleine reconstruction et industrialisation, où règnent les inégalités sociales. Milan c’est ainsi la ville de Visconti et le titre a ainsi été choisi en hommage à un écrivain réaliste de l'Italie du Sud, Rocco Scotellaro.

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    Avant d’être le portrait successif de cinq frères, « Rocco et ses frères » est donc celui de l’Italie d’après-guerre, une sombre peinture sociale avec pour cadre des logements aux formes carcérales et sans âme. Les cinq frères sont d’ailleurs chacun une illustration de cette peinture : entre ceux qui s’intègrent à la société (Vincenzo, Luca, Ciro) et ceux qu’elle étouffe et broie (Simone et Rocco). Une société injuste puisqu’elle va désagréger cette famille et puisque c’est le plus honnête et naïf qui en sera le martyr. Dans la dernière scène, Ciro fait ainsi l’éloge de Simone (pour qui Rocco se sacrifiera et qui n’en récoltera pourtant que reproches et malheurs) auprès de Luca, finalement d’une certaine manière désigné comme coupable à cause de sa « pitié dangereuse ».

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     Nadia ; elle, porte la trace indélébile de son passé. Son rire si triste résonne sans cesse comme un vibrant cri de désespoir. Elle est une sorte de double de « Rocco », n’ayant d’autre choix que de vendre son corps, Rocco qui est sa seule raison de vivre. L’un et l’autre, martyrs, devront se sacrifier. Rocco en boxant, en martyrisant son corps. Elle en vendant son corps (et le martyrisant déjà), puis, dans une scène aussi terrible que splendide, en le laissant poignarder, les bras en croix puis enserrant son meurtrier en une ultime et fatale étreinte.

     Annie Girardot apporte toute sa candeur, sa lucidité, sa folie, son désespoir à cette Nadia, personnage à la fois fort et brisé qu’elle rend inoubliable par l’intensité et la subtilité de son jeu.

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    Face à elle, Alain Delon illumine ce film sombre de sa beauté tragique et juvénile et montre ici toute la palette de son jeu, du jeune homme timide, fragile et naïf, aux attitudes et aux craintes d’enfant encore, à l’homme déterminé. Une palette d’autant plus impressionnante quand on sait que la même année (1960) sortait « Plein soleil » de René Clément, avec un rôle et un jeu si différents.

    La réalisation de Visconti reprend le meilleur du néoréalisme et le meilleur de la Nouvelle Vague avec une utilisation particulièrement judicieuse des ellipses, du hors-champ, des transitions, créant ainsi des parallèles et des contrastes brillants et intenses.

    Il ne faudrait pas non plus oublier la musique de Nino Rota qui résonne comme une complainte à la fois douce, cruelle et mélodieuse.

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    « Rocco et ses frères » : encore un chef d’œuvre de Visconti qui prend le meilleur du pessimisme et d’une paradoxale légèreté de la Nouvelle Vague, mais aussi du néoréalisme qu’il a initié et qui porte déjà les jalons de ses grandes fresques futures. Un film d’une beauté et d’une lucidité poignantes, sombres et tragiques porté par de jeunes acteurs (Delon, Girardot, Salvatori…), un compositeur et un réalisateur déjà au sommet de leur art.

     « Rocco et ses frères » a obtenu le lion d’argent à la Mostra de Venise 1960.

  • Critique- "Monsieur Klein" de Joseph Losey avec Alain Delon, demain, sur TV5

    Je ne pouvais pas ne pas vous parler du chef d'oeuvre de Losey à l'occasion de sa diffusion, demain soir, sur TV5 à 21H (et mercredi 24 à 14H) et vous inciter à nouveau à le (re)voir. Vous trouverez ma critique ci-dessous.

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    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment. Ce fut à nouveau le cas hier soir. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein-là, interprété par Alain Delon,  voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal « Informations juives » adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect... Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître...

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

    Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là,  l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et  ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Raflé du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier...

  • Ouverture du Cycle Melville à la Cinémathèque avec Michel Piccoli et projection du « Cercle rouge »

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    (Une autre vidéo de cette soirée- sa présentation par Costa-Gavras- sera bientôt mise en ligne)

    Jean-Pierre Melville. Alfred Hitchcock. Claude Sautet. Luchino Visconti.  Jean Renoir. Tels sont les cinq (s’il fallait n’en choisir que cinq, sinon la liste serait évidemment très longue) principaux  cinéastes à l’origine de ma passion pour le cinéma. Je vous avais déjà dit quel événement ce fut pour moi de voir « Le Guépard » de Luchino Visconti sur grand écran lors du dernier Festival de Cannes (je vous en reparlerai d’ailleurs puisque la sortie du DVD le 1er décembre sera pour moi l’occasion de le voir une deuxième fois sur grand écran cette année), en présence de deux de ses protagonistes et non des moindres. Vous imaginez donc quel pouvait être mon enthousiasme à l’idée de voir « Le Cercle rouge » dans la salle Langlois de la Cinémathèque, en présence d’Alain Delon comme cela était initialement annoncé. Celui-ci a annulé sa venue trois jours avant pour un déplacement à l’étranger (vous verrez la réaction agacée de Costa-Gavras sur la vidéo mise en ligne ci-dessus) et passée la déception de cet énième rendez-vous manqué avec un Delon éternelle étoile filante (dont je ne désespère toujours pas en incorrigible utopiste -ou inconsciente?- de pouvoir lui transmettre directement mon scénario), déception de ne pas l’entendre parler de celui qu’il cite constamment parmi ses maîtres et dont il parle toujours avec passion et émotion;   le plaisir communicatif d’entendre notamment Costa-Gavras, Serge Toubiana, Michel Piccoli (qui a remplacé Alain Delon-voir vidéo ci-dessus-, et qui tourna avec Melville dans une scène  du « Doulos » et à qui la Cinémathèque consacrera bientôt une rétrospective) ou encore le compositeur de la musique du film Eric Demarsan parler de Melville, l’a emporté.

     En véritable temple du cinéma à la (prestigieuese) réputation non usurpée, la Cinémathèque résonnait hier des voix passionnées des amoureux du cinéma et de celui de Melville. De Piccoli qui nous a parlé de ce « passionnel fou émerveillé du cinéma » au caractère certes difficile à Eric De Marsans (photo ci-dessus), compositeur de la musique du « Cercle rouge » et de « L’armée des ombres » en passant par Rémi Grumbach et Laurent Gousset, les deux neveux de Melville mais aussi Jean-François Delon (assistant de Melville sur un flic) chaque intervention a permis de dresser le portrait de ce génie du cinéma.

     Douzième film de Melville qui en réalisé seulement 13, à l’instar d’autres grands maîtres du cinéma, comme Bresson Demy, Becker (comme l’a signalé hier Serge Toubiana); « Le Cercle rouge » est avec « Le Samouraï » et « L’armée des ombres » (cliquez ici pour lire mon analyse de "L'armée des ombres") le meilleur film de Melville et            accessoirement un de mes films préférés que je regardais à l’âge où d’autres se gavent de  dessins animés (vous connaissez maintenant l’origine de mon délicieux mal cinématographique, heureusement incurable ).  Et bien que je le connaisse par cœur, dès les premiers plans, je me suis une nouvelle fois et plus que jamais laissée emporter dans ce cercle fatal et sombre et par la qualité de la mise en scène et des silences (pourrait-on aujourd’hui produire un film avec 25 minutes sans dialogues, aussi magistrales soient-elles ?), les visages à demi plongés dans la pénombre magistralement filmés évoquant cette part d’ombre de ces hommes « tous coupables », le jeu de Montand (ex-flic rongé par l’alcool qui recouvre la confiance), Bourvil,( bouleversant commissaire Mattei qui va perdre son dernier espoir sur l’humanité), Delon (en Corey, gangster hiératique), François Perrier (en traitre) y étant plus flagrants et captivants sur grand écran. De ces rares films qu’on ne se lasse jamais de revoir, aussi sombre, désespéré que brillant et jubilatoire, de ces films  que des cinéastes ne cessent de citer ou imiter sans jamais les égaler (on se souvient de l’assez déplorable remake du « Samouraï » par Johnny To, et récemment encore, comme l’a souligné Costa-Gavras de « The American » dans lequel le personnage de Clooney fait évidemment penser à celui de Delon dans le Samouraï).

    Après le Festival Premiers Plans d’Angers qui avait donc fait une rétrospective en janvier, c’est donc au tour de la Cinémathèque de proposer une rétrospective, notamment à l’occasion de la sortie du livre collectif « Riffs pour Melville ».

    Ne manquait à cette passionnante ouverture que la présence de Delon qui, comme dans « Le Cercle rouge » a  illuminé la soirée de son silence mais peut-être finalement la plus belle manière d’être présent, comme l’est l’inoubliable Corey qu’il a immortalisé comme tant d’autres personnages cultes : Tancrède, Roch Siffredi, Jeff Costello,  Robert Klein, Roger Sartet, Gino.

    Vous pourrez revoir « Le Cercle rouge », à la Cinémathèque, le 7 novembre à 20H, et « L’armée des ombres »  le 6 novembre à 21H et le 13 novembre à 21h. Pour en savoir plus sur le programme, cliquez ici.

    Je vous rappelle enfin qu'un concours exceptionnel et exclusif vous permet actuellement de remporter un coffret Melville sur inthemoodforcinema. Règlement du concours en cliquant ici.

    Cliquez ici pour lire ma critique complète du « Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville ».

    Autres articles consacrés à Alain Delon sur inthemoodforcinema.com :

    Projection du "Guépard" dans le cadre du Festival de Cannes: critique du film, vidéos de l'événement, et reportage.

    Retrouvez également les critiques des films suivants:

      La Piscine », « Borsalino », « Le Guépard », « Monsieur Klein »,  « Le Cercle rouge », "Le Professeur", "Plein soleil"

    Critique de pièces de théâtre avec Alain Delon:

    "Lovers letters"

    "Sur la route de Madison"

    Autre:

    Mireille Darc met en scène Alain Delon pour l'opération "plus de vie"

    Lien permanent Imprimer Catégories : CYCLE ALAIN DELON, EVENEMENTS CINEMATOGRAPHIQUES DIVERS Pin it! 2 commentaires
  • Ouverture du cycle Jean-Pierre Melville à la Cinémathèque Française avec "Le cercle rouge" en présence d'Alain Delon

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    melville.jpgLe mercredi 3 novembre, à 20H, débutera le cycle Jean-Pierre Melville à la Cinémathèque Française (dont vous pouvez retrouver le programme complet en cliquant ici) avec la projection du "Cercle rouge" de Jean-Pierre Melville, en présence d'Alain Delon.

    Si vous suivez régulièrement ce blog, vous connaissez mon intérêt pour la carrière de l'acteur (sinon, je vous renvoie à mes -nombreux- précédents articles à ce sujet en bas de cette note) et mon projet cinématographique (un scénario de long-métrage dont le rôle principal a été écrit pour l'acteur en question) que je ne désespère toujours pas d'avoir l'opportunité de lui transmettre un jour (à bons entendeurs, encore et toujours) et il m'était d'autant plus impossible de ne pas vous en parler que Jean-Pierre Melville fait partie de mes cinéastes de prédilection, et "Le Cercle rouge" de mes films préférés.

    Je vous propose ainsi de retrouver ma critique du "Cercle rouge" ci-dessous et celle de "L'armée des ombres" (un autre chef d'oeuvre à voir absolument), en cliquant ici.

    Je serai  à la Cinémathèque le 3 novembre et vous ferai bien entendu un compte rendu détaillé de cette soirée.

    Enfin, pour l'occasion j'inaugure sur ce blog une rubrique "Cycle Alain Delon" dans laquelle seront progressivement regroupés tous les articles de ce blog concernant l'acteur.

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    Synopsis : Le commissaire Matteï (André Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s'enfuir et demeure introuvable malgré l'importance des moyens déployés. A même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit la visite d'un gardien  dans sa cellule venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l'affaire proposée par le gardien : le cambriolage d'une bijouterie place Vendôme. Ils s'adjoignent ensuite les services d'un tireur d'élite : Janson, un ancien policier, rongé par l'alcool.

    Dès la phrase d'exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur etde  la fatalité : " Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".

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    C'est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policier et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu'à l'inspecteur général pour qui les hommes sont « tous coupables ». Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l'un est policier et l'autre un prévenu. Il n'y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu'ils traquent sont des hommes seuls. A deux reprises il nous est montré avec ses chats qu'il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l'alcool lui fait imaginer.

    Tous sont prisonniers. Prisonniers d'une vie de solitude. Prisonniers d'intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l'appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l'extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d'une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu'elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).

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    Avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu'un mot soit échangé), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe un polar d'une noirceur, d'une intensité, d'une sobriété rarement égalées.

     Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c'est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l'alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s'il tourna ensuite « Le mur de l'Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d'autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour « Le commissaire Matteï », Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.

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    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu'il est l'auteur du scénario original et de cette idée qu'il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu' j'ai tournés, parce que j'en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l'écrivant. »

    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu'inoubliable.

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