"Normandes en tête" au CID de Deauville et avant-première de "Mon bébé de Lisa Azuelos à Deauville
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Comme chaque début d'année ont été remis les prix Lumières, prix annuels créés en 1995 à l’initiative de Daniel Toscan du Plantier et du journaliste anglais Edward Behr. Par ce prix, l'Académie des Lumières veut souligner le grand intérêt que porte au cinéma français la presse internationale largement représentée à Paris. L'Académie des Lumières réunit plus de 130 correspondants de la presse internationale qui représentent une vingtaine de pays. Ces journalistes sont appelés à voter sur les films français sortis en salles tout au long de l’année 2018. Au total, treize catégories sont mises en avant : film, réalisateur, scénario, actrice, acteur, révélation féminine, révélation masculine, premier long métrage, pays francophones, animation, documentaire, photographie et musique.
130 films sortis en salles en 2018 concouraient au départ pour les nominations aux Lumières de la presse internationale et 37 ont été soumis au vote final de 80 académiciens représentant plus de trente pays. Ces nommés sont candidats aux Flammes, les trophées conçus par Joaquín Jiménez et la Monnaie de Paris qui ont été remis le 4 février 2019, lors de la 24ème Cérémonie des Lumières qui a eu lieu à l'Institut du Monde Arabe.
L'an passé, 12O battements par minute s’était imposé dans les six catégories où il avait été nommé. Un hommage avait aussi été rendu à Monica Bellucci et Jean-Paul Belmondo pour leur contribution au rayonnement mondial du cinéma français.
Les films Les Frères Sisters (dont vous pouvez retrouver ma critique ci-dessous ), Jusqu’à la garde, Mademoiselle de Joncquières et Pupille arrivaient en tête des nominations pour les 24èmes Lumières de la presse internationale, Se détachent aussi Les Chatouilles, En Liberté !, Guy et Shéhérazade, ou encore Climax, Les Garçons sauvages, Marche ou crève, Première année, Sauvage et Un amour impossible.
Les réalisateurs Jacques Audiard, Jeanne Herry, Xavier Legrand, Gaspar Noé et Pierre Salvadori ; les actrices Elodie Bouchez, Cécile de France, Léa Drucker, Virginie Efira, Mélanie Thierry ; les acteurs Romain Duris, Vincent Lacoste, Vincent Lindon, Alex Lutz et Denis Ménochet ont également attiré l’attention des académiciens, qui mettent en avant, une année de plus, des noms confirmés, des talents émergents et des révélations éclatantes.
Les Frères Sisters a remporté trois prix - film, mise en scène, pour Jacques Audiard, et image, pour Benoît Debie - lors de cette 24ème cérémonie des Lumières de la presse internationale.
Alex Lutz a été récompensé comme acteur dans Guy, film primé aussi pour la musique signée Vincent Blanchard et Romain Greffe.
Élodie Bouchez comme actrice, pour Pupille ; Ophélie Bau, comme révélation féminine dans Mektoub My Love, et Félix Maritaud, comme révélation masculine pour Sauvage, ont été récompensés également au cours de la soirée animée par Eve Jackson et Pierre Zéni.
Les correspondants de la presse internationale ont distingué Pierre Salvadori, Benoît Graffin et Benjamin Charbit pour le scénario de En liberté !.
Le prix du documentaire est allé à Samouni Road, de Stefano Savona, tandis que Dilili à Paris, de Michel Ocelot, a reçu le prix de l’animation.
L'âpre, hitchcockien et poignant Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, a été primé dans la catégorie du premier long métrage, et Girl, de Lukas Dhont (Belgique), a remporté le prix réservé aux films des pays francophones.
L’Académie des Lumières, composée d’une centaine de correspondants représentant plus de vingt pays, a tenu à rendre un hommage spécial à l’actrice Jane Birkin et au film Un homme et une femme, en présence de Anouk Aimée et Claude Lelouch, pour leur contribution au rayonnement mondial du cinéma français, ce qui a donné lieu à de beaux moments d'émotion notamment lorsqu'a retenti la voix inénarrable de Jean-Louis Trintignant. Nous aurons ainsi bientôt le plaisir de retrouver Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans Les plus belles années de Claude Lelouch (suite de son chef-d'œuvre Un homme et une femme 50 ans après, tourné notamment à Deauville, dont la sortie aura probablement lieu en Mai, à suivre…).
La vidéothèque Cinando mise à disposition des membres actifs de l’Académie des Lumières a enregistré 1.489 visionnements, chiffre encore en nette augmentation par rapport à l’année précédente (949 visites). Au total, 72 votes ont été validés.
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Palmarès
Film
Les Frères Sisters, de Jacques Audiard
Réalisateur
Jacques Audiard – Les Frères Sisters
Actrice
Elodie Bouchez – Pupille
Acteur
Alex Lutz – Guy
Scénario
Pierre Salvadori, Benoît Graffin et Benjamin Charbit – En liberté !
Image
Benoît Debie – Les Frères Sisters
Musique
Vincent Blanchard et Romain Greffe – Guy
Révélation féminine
Ophélie Bau – Mektoub My Love
Révélation masculine
Félix Maritaud – Sauvage
Premier film
Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand
Pays francophones
Girl, de Lukas Dhont (Belgique)
Documentaire
Samouni Road, de Stefano Savona
Animation
Dilili à Paris, de Michel Ocelot
Critique - Les Frères Sisters de Jacques Audiard (et conférence de presse lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville)
Jacques Audiard, Joaquin Phoenix, John C.Reilly, Alexandre Desplat et Thomas Bidegain ont en effet reçu pour ce film le Prix du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, un prix décerné à ce film « pour les qualités de sa mise en scène, pour la force de l’interprétation de quatre acteurs majeurs du cinéma américain contemporain - John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, et Riz Ahmed - pour saluer les producteurs, grâce à qui un projet si noble a pu naître. Pour, enfin, célébrer une œuvre qui porte l’espoir d’un monde meilleur, d’une résipiscence possible. Pour toutes ces raisons, il nous a paru naturel qu’un tel travail soit récompensé d’une manière inhabituelle, originale et exceptionnelle » a déclaré Bruno Barde, le Directeur du Festival. Les Frères Sisters est le premier film tourné intégralement en langue anglaise (et avec des acteurs majoritairement américains) de Jacques Audiard. Ce sont John C. Reilly et Alison Dickey ( productrice et épouse du comédien) qui ont demandé au réalisateur de lire le roman de Patrick deWitt dont ils détenaient les droits.
Synopsis : Les Sisters, ce sont Charlie et Elie. Deux frères qui évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d'innocents... Ils n'éprouvent aucun état d'âme à tuer. C'est leur métier. Charlie, le cadet ( Joaquin Phoenix), est né pour ça. Elie (John C.Reilly), lui, ne rêve que d'une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l'Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?
Après sa palme d'or à Cannes en 2015 pour Dheepan, le cinéaste français n’a pourtant pas «choisi » la Croisette pour présenter son nouveau film. Lui qui a déjà exploré différents genres avec talent s’attaque cette fois à un style de film auquel il ne s’était pas encore attelé: le western. Un western qui, fort probablement, aurait figuré au palmarès cannois s’il avait été en lice. Lors de la conférence de presse du film dans le cadre du festival, Jacques Audiard a expliqué qu’il n’avait pas forcément le fantasme du western mais qu’il avait surtout envie de travailler avec des acteurs américains car « ils ont constitué un savoir du jeu cinématographique et ils ont une très grande conscience d'eux-mêmes quand ils jouent » a-t-il précisé. Ce film l’a également intéressé en raison de son « thème de la fraternité » et « l’héritage de la sauvagerie » qu’il dépeint.
Les ingrédients du western sont pourtant là, en apparence du moins : les grandes étendues, les chevauchées fantastiques, le Far West, les personnages aux physiques patibulaires, la violence fulgurante, la menace latente. Et pourtant Les frères Sisters, à l’image de ce titre, est un film constitué de contrastes et de dualités qui détournent les codes du western. « La nuit du chasseur a été une vraie référence pour ce film» a ainsi expliqué Thomas Bidegain lors de la conférence de presse. Alors, en effet, certes il y a ici les grandes étendues et le Far West mais le film a été tourné en Espagne et en Roumanie et l’atmosphère ne ressemble ainsi à celle d’aucun autre western. Certes, il y a là les personnages aux physiques patibulaires mais ici pas de héros qui chevauchent fièrement leurs montures mais des méchants qui vont évoluer après ce parcours initiatique parsemé de violence. Alors, certes la violence justement est là, parfois suffocante, mais elle laissera finalement place à une douceur et une paix inattendues.
Les premières images nous éblouissent d’emblée par leur beauté macabre: des coups de feu et des flammes qui luisent dans la nuit. Des granges brûlées. Des innocents et criminels tués froidement et impitoyablement. L’œuvre de deux tueurs à gages. Les frères Sisters.
Loin des héros ou antihéros mutiques des westerns, les deux frères Sisters (les si bien et malicieusement nommés) débattent de leurs rêves et de leurs états d’âme, comme deux grands enfants. «Ce sang, c'est grâce à lui qu'on est bons dans ce qu'on fait » selon l’un des deux frères. Ce sang, c’est celui de leur père, violent et alcoolique. Leur vie n’a jamais été constituée que de violence. Ce duo improbable est constitué d’un tireur fou, le cadet, et de l’aîné, plus sage, plus raisonnable, plus émotif et même sentimental, ce qui donne parfois lieu à des scènes humoristiques tant le contraste est saisissant entre les tueurs sanglants qu’ils sont aussi et l’émotion qui étreint parfois le cadet, qui par exemple pleure lorsqu'il perd son cheval.
A ce duo improbable s’oppose un autre duo (que je vous laisse découvrir car il fait prendre une autre tournure à l’histoire qui ne cesse d’ailleurs de nous emmener là où on ne l’attend pas, là où le western ne nous a pas habitués à aller) notamment constitué d’ un prospecteur qui détient une mystérieuse formule chimique qui permet de trouver de l’or. Incarné par Riz Ahmed, cet homme rêve d’utopies socialistes, une société de justice dans lequel l’homme serait libre, vraiment libre. Audiard détourne aussi les codes du western en ce que son film présente plusieurs degrés de lecture. La violence héritée de leur père que manifestent les deux frères, c’est aussi celle de cette Amérique héritée des pères fondateurs. Pour trouver de l’or et donc s’enrichir, les compères vont polluer la rivière sans souci des conséquences sur l’environnement et sur leur propre vie. Des drames vont pourtant découler de cet acte métaphorique d’un capitalisme carnassier et impitoyable.
Mais les frères Sisters est aussi un conte à la fois cruel et doux. Lr dénouement est ainsi aussi paisible que le début du film était brutal. Comme la plupart des films de cette sélection, il s’achève sur une note d’espoir. L’espoir d’une Amérique qui ouvre enfin les yeux, se montre apaisée et fraternelle. Si les frères Sisters, ces tueurs à gages sans états d’âme ont changé, qui ne le pourrait pas ? Tout est possible…Ajoutez à cela la photographie sublime de Benoît Debie, la musique d’Alexandre Desplat et vous obtiendrez un western à la fois sombre et flamboyant. Et d’une originalité incontestable.
GRAND PRIX :
« Théorème » de Pier Paolo Pasolini
PRIX D’INTERPRÉTATION :
« Faces » de John Cassavetes pour l’interprétation globale et mythique de chacun des acteurs
PRIX DE LA MEILLEURE MUSIQUE :
« If… » de Lindsay Anderson avec la Bande Originale composée par Marc Wilkinson
PRIX DU PUBLIC ALLOCINÉ :
« Il Etait une Fois dans l’Ouest » de Sergio Leone
LES REGARDS D’HENRI :
« Un Amour Impossible » de Catherine Corsini
LES REGARDS D'HENRI (MEILLEUR FILM ÉTRANGER 2018) :
« L'Île aux chiens » de Wes Anderson
LES REGARDS D'HENRI (MEILLEUR SÉRIE 2018) :
« Hippocrate » de Thomas Lilti
PRIX LONG MÉTRAGE COMÉDIEN.ENNE RÉALISATEUR.TRICE :
« Le Grand Bain » de Gilles Lellouche
PRIX D’HONNEUR HENRI LANGLOIS :
Festival International du Film de Venise Remise à Alberto Barbera pour la Mostra de Venise, à l’occasion de son 75ème anniversaire
MENTION JEUNE FESTIVAL :
Les Arcs Films Festival Remise à Pierre-Emmanuel Fleurantin, directeur général, et Guillaume Calop, délégué général à l'occasion du 10ème anniversaire du festival.
MENTION SPÉCIALE LONG MÉTRAGE :
« Mon Tissu Préféré » de Gaya Jiji Remise par l’association Henri Langlois
Lors de la conférence de presse cannoise du film Le grand bain, à laquelle j’avais eu le plaisir d’assister en mai dernier, régnait une indéniable fébrilité, celle-ci succédant à la projection presse (le film était hors compétition) qui avait suscité émotions et enthousiasme (ce qui est rare en projection presse, a fortiori à Cannes, a fortiori pour une comédie française même si cette définition est un peu étriquée pour ce film aux multiples facettes).
Dans le cadre de cette conférence, Gilles Lellouche déclara que c’était sa « plus belle expérience professionnelle ». Elle l’est sans doute d’autant plus avec le box-office qui vient de dépasser les 4 millions d’entrées (et la perspective, qui sait, du César du public, décerné au film français de l’année ayant remporté le plus d’entrées que certains voyaient déjà à nouveau remporté par Dany Boon). Si les spectateurs sont au rendez-vous, c’est d’abord parce que Le grand bain n’est pas seulement drôle. « J'aimais l'idée qu'on puisse être léger, drôle et dramatique dans le même film. J'aimais l'idée de mixité de talents et de tons », avait ainsi également déclaré Gilles Lellouche à Cannes. C’est aussi sans doute parce que si nous rions, ce n’est pas des personnages mais AVEC eux et parce que ces personnages suscitent notre empathie, que les spectateurs sont si nombreux à voir et même à retourner voir Le grand bain, mais pas seulement…
Ces personnages, ce sont : Bertrand (Mathieu Amalric), Marcus (Benoît Poelvoorde), Simon (Jean-Hugues Anglade), Laurent (Guillaume Canet), Thierry (Philippe Katerine), Basile (Alban Ivanov), Avanish (Balasingham Tamilchelvan), John (Félix Moati). Ils s’entraînent sous l’autorité toute relative de Delphine (Virginie Effira), ancienne gloire des bassins qui a dû abandonner, suite à une blessure de sa coéquipière Amanda (Leïla Bekhti). Ensemble, ils se sentent libres et utiles. Ils vont mettre toute leur énergie dans une discipline jusque-là propriété de la gent féminine : la natation synchronisée. Alors, oui c’est une idée plutôt bizarre, mais ce défi leur permettra de trouver un sens à leur vie...
Après Narco qu'il avait co-réalisé avec Tristan Aurouet en 2004 et dans lequel il dirigeait déjà Guillaume Canet, et après le sketch de la comédie Les Infidèles avec Guillaume Canet en 2012, Gilles Lellouche revient à la réalisation avec Le grand bain qui est d’une certaine manière son premier « vrai » film puisque Narco était un film de commande coréalisé.
En premier lieu, si le spectateur rit avec les personnages, c’est parce qu’il peut facilement s’identifier. Les personnages ne sont pas de jeunes super-héros bodybuildés qui franchissent tous les obstacles et les vicissitudes de l’existence avec une facilité déconcertante et un sourire extatique. Non. Ce sont des hommes dans la force de l’âge, pétris de doutes et d’inquiétudes qui, dans les vestiaires, dévoilent leurs fêlures et leurs bleus à l’âme. Bertrand est ainsi en pleine dépression. Simon est un rockeur démodé qui ne connaîtra jamais le succès attendu et dont la fille a honte. Marcus est au bord de sa énième faillite. Laurent dissimule ses problèmes (séparation et mère psychologiquement malade) derrière sa colère et son sectarisme. Le lunaire Thierry est tellement seul qu’il rit aux blagues des tables avoisinantes lorsqu’il déjeune (seul). Les femmes ne sont pas en reste puisque Delphine lutte contre l’alcoolisme et se noie dans un amour imaginaire après s’être noyé dans l’alcool. Finalement la moins « handicapée » par l’existence est peut-être celle qui est en chaise roulante et qui ne sait parler autrement qu’en aboyant ses ordres, ses insultes et en entraînant son équipe telle une tortionnaire. Et puis il y a Claire (Marina Foïs), l’épouse de Bertrand, compréhensive, d’une patience admirable, loin du cliché de la femme qui s’en va au premier accident de parcours. « J'avais envie de féminiser les hommes, de les fragiliser », avait ainsi déclaré Gilles Lellouche lors de la conférence de presse cannoise. Ou peut-être simplement les montrer dans toute leur humanité… Dans cet univers cloisonné qui n’appartient qu’à eux, ils peuvent se livrer tels qu’ils sont.
Le film débute par une réflexion métaphysique sur la vanité et l’absurdité de l’existence dont la fin du film sera l’optimiste contraire. Une ouverture aussi désenchantée que poétique et originale, une « politesse du désespoir » qui, d’emblée, nous embarque dans le ton du film. Le ton, justement, est donné par le personnage de Bertrand, Amalric particulièrement touchant et juste en homme dépressif qui a perdu le goût des choses et des rêves qu’il va retrouver grâce à son improbable équipe de natation synchronisée et leur objectif un peu fou : participer aux championnats du monde.
Le succès s’explique sans doute aussi par la valorisation de l’amitié qui permet d’échapper à la solitude (dont le sentiment est sans doute exacerbé par une époque d’individualisme forcené), à l’inquiétude face au temps qui passe et à la mélancolie. « Je voulais parler de cette dépression latente qu'on a un certain âge avec un manque d'envie. Je voulais parler de gens qui ne vont pas bien », avait ainsi expliqué Gilles Lellouche à Cannes. Gilles Lellouche filme (de manière d’ailleurs soignée et inspirée) ses personnages avec beaucoup de tendresse. Chacun met son corps et son âme à nu, les deux meurtris, imparfaits, ayant vécu, pas des gravures de mode figés et insipides. Evidemment l’équipe sportive locale (bodybuildée, elle) se moque allègrement de cette équipe de bras cassés. Evidemment ils auront leur revanche, jubilatoire pour eux…et pour nous.
Les acteurs sont pour beaucoup dans cette réussite avec, en tête de file, Amalric mais chacun trouve la note juste pour interpréter sa partition et les dialogues, d’ailleurs ciselés et savoureux : Katerine est parfait en grand enfant décalé et lunaire, Anglade -remarquable- dans son rôle de père chanteur démodé rempli de bonne volonté et d’amour pour sa fille, Canet dans ses colères à la Gabin… Seul léger regret, qu’existent un peu moins Alban Ivanov et Balasingham Thamilchelvan dont c’est le premier rôle au cinéma, avec un gag récurrent (parler dans sa langue seulement comprise de ses acolytes, galimatias pour le téléspectateur, mais langue universelle de la gentillesse). Malgré tout, ce qui est toujours une gageure dans un film choral, chacun des personnages existe réellement, chacun exprime les raisons de sa ravageuse solitude.
La fin est un vrai modèle de feel good movie, du genre à vous donner envie de rire et de pleurer en même temps, de battre la mesure, de danser avec les personnages (j’allais oublier de souligner la judicieuse bande originale indissociable de tout feel good movie), d’empoigner la vie, votre destin et vos rêves. Du genre à vous faire penser qu’on peut affronter des accidents de la vie, accepter d’en être brisé, blessé, de s’en relever sans que ce soit un challenge, ou une obligation, du genre à vous rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour plonger dans le grand bain, pour penser qu’un nouveau départ ensoleillé est toujours possible, quels que soient votre âge, vos rêves déchus et vos blessures. Du genre à vous dire que le pouvoir du cinéma est sacrément magique quand il parvient à cela, que Gilles Lellouche est un cinéaste avec lequel il va falloir compter (dont je suis vraiment curieuse de voir la suite du parcours après cette success-story sur l’écran et dans les salles, méritée).
Et puis, rien que pour me donner l’envie de relire ce chef-d’œuvre de Rilke qu’est Lettres à un jeune poète, Le grand bain valait la peine de se déplacer. Alors terminons avec cet extrait que Delphine lit à ses élèves nageurs, et acceptons encore, comme des enfants que nous sommes toujours au fond un peu, d’être tristes et heureux :
« Les enfants sont toujours comme l'enfant que vous fûtes : tristes et heureux ; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien. »
Quelques clichés complémentaires de la conférence de presse :
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Ce lundi, à la Monnaie de Paris étaient annoncées les nominations pour les 24èmes Lumières de la Presse internationale, les prix annuels créés en 1995 à l’initiative de Daniel Toscan du Plantier et du journaliste anglais Edward Behr. Par ce prix, l'Académie des Lumières veut souligner le grand intérêt que porte au cinéma français la presse internationale largement représentée à Paris. L'Académie des Lumières réunit plus de 130 correspondants de la presse internationale qui représentent une vingtaine de pays. Ces journalistes sont appelés à voter sur les films français sortis en salles tout au long de l’année 2018. Au total, treize catégories sont mises en avant : film, réalisateur, scénario, actrice, acteur, révélation féminine, révélation masculine, premier long métrage, pays francophones, animation, documentaire, photographie et musique.
130 films sortis en salles en 2018 concouraient au départ pour les nominations aux Lumières de la presse internationale et 37 seront soumis maintenant au vote final de 80 académiciens représentant plus de trente pays. Ces nommés sont candidats aux Flammes, les trophées conçus par Joaquín Jiménez et la Monnaie de Paris qui seront remis le 4 février 2019, lors de la 25ème Cérémonie des Lumières qui aura lieu à l'Institut du Monde Arabe.
L'an passé, 12O battements par minute s’était imposé dans les six catégories où il avait été nommé. Un hommage avait aussi été rendu à Monica Bellucci et Jean-Paul Belmondo pour leur contribution au rayonnement mondial du cinéma français.
Les films Les Frères Sisters (dont vous pouvez retrouver ma critique ci-dessous ainsi que celle de Capharnaüm nommé pour le prix des pays francophones), Jusqu’à la garde, Mademoiselle de Joncquières et Pupille arrivent en tête des nominations pour les 24èmes Lumières de la presse internationale, Se détachent aussi Les Chatouilles, En Liberté !, Guy et Shéhérazade, ou encore Climax, Les Garçons sauvages, Marche ou crève, Première année, Sauvage et Un amour impossible.
Les réalisateurs Jacques Audiard, Jeanne Herry, Xavier Legrand, Gaspar Noé et Pierre Salvadori ; les actrices Elodie Bouchez, Cécile de France, Léa Drucker, Virginie Efira, Mélanie Thierry ; les acteurs Romain Duris, Vincent Lacoste, Vincent Lindon, Alex Lutz et Denis Ménochet ont également attiré l’attention des académiciens, qui mettent en avant, une année de plus, des noms confirmés, des talents émergents et des révélations éclatantes. Retrouvez les nominations complètes ci-dessous et rendez-vous le 4 février en direct de l'Institut du Monde Arabe pour connaître les lauréats. Vous pourrez bien entendu retrouver mon compte rendu de la cérémonie ici.
Les nominations 2019
Film
Amanda, de Mikhaël Hers
Les Frères Sisters, de Jacques Audiard
Guy, de Alex Lutz
Mademoiselle de Joncquières, de Emmanuel Mouret
Pupille, de Jeanne Herry
Réalisateur
Jacques Audiard - Les Frères Sisters
Jeanne Herry – Pupille
Xavier Legrand – Jusqu’à la garde
Gaspar Noé – Climax
Pierre Salvadori – En Liberté !
Actrice
Elodie Bouchez – Pupille
Cécile de France – Mademoiselle de Joncquières
Léa Drucker – Jusqu’à la garde
Virginie Efira – Un amour impossible
Mélanie Thierry – La Douleur
Acteur
Romain Duris – Nos batailles
Vincent Lacoste – Amanda
Vincent Lindon – En guerre
Alex Lutz – Guy
Denis Ménochet – Jusqu’à la garde
Scénario
Andréa Bescond et Eric Métayer – Les Chatouilles
Jeanne Herry – Pupille
Thomas Lilti – Première année
Emmanuel Mouret – Mademoiselle de Joncquières
Pierre Salvadori, Benoît Graffin et Benjamin Charbit – En liberté !
Image
Benoît Debie – Climax
Benoît Debie – Les Frères Sisters
Laurent Desmet – Mademoiselle de Joncquières
Julien Hirsch – Un peuple et son roi
David Ungaro – Les Confins du monde
Révélation masculine
Anthony Bajon – La Prière
William Lebghil – Première année
Andranic Manet – Mes provinciales
Félix Maritaud – Sauvage
Dylan Robert – Shéhérazade
Révélation féminine
Ophélie Bau – Mektoub My Love
Galatéa Bellugi – L’Apparition
Andréa Bescond – Les Chatouilles
Jeanne Cohendy – Marche ou crève
Kenza Fortas – Shéhérazade
Premier film
Les Chatouilles, de Andréa Bescond et Eric Métayer
Les Garçons sauvages, de Bertrand Mandico
Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand
Sauvage, de Camille Vidal-Naquet
Shéhérazade, de Jean-Bernard Marlin
Pays francophones
Capharnaüm, de Nadine Labaki
Chris the Swiss, de Anja Kofmel
Girl, de Lukas Dhont
L’Insulte, de Ziad Doueiri
Nos batailles, de Guillaume Senez
Film d'animation
Astérix - Le Secret de la potion magique, de Louis Clichy et Alexandre Astier
Dilili à Paris, de Michel Ocelot
Mutafukaz, de Shojiro Nishimi et Run
Pachamama, de Juan Antín
Documentaire
Cassandro, the Exotico !, de Marie Losier
De chaque instant, de Nicolas Philibert
Nul homme n’est une île, de Dominique Marchais
Premières solitudes, de Claire Simon
Samouni Road, de Stefano Savona
Musique
Camille Bazbaz – En liberté !
Vincent Blanchard et Romain Greffe – Guy
Alexandre Desplat – Les Frères Sisters
Pierre Desprats – Les Garçons sauvages
Grégoire Hetzel – Un amour impossible
Critique de Capharnaüm de Nadine Labaki
En mai dernier, en plus du Prix du Jury du Festival de Cannes, Capharnaüm, troisième long métrage de Nadine Labaki, recevait le Prix de la Citoyenneté.
Ci-dessus, le discours de Nadine Labaki au CNC la semaine dernière.
Créé cette année et attribué par un jury de professionnels (présidé par Abderrahmane Sissako pour l’édition 2018), ce prix sera chaque année décerné à un des films de la compétition officielle du Festival de Cannes. Le jury du Prix de la Citoyenneté visionne ainsi l’ensemble des films de la compétition officielle avant de choisir celui qui, parmi ceux-ci, se verra décerner cette noble récompense.
Si, comme tous les ans, plusieurs films évoquaient l’âpreté du monde contemporain, le film de Nadine Labaki était sans aucun doute celui qui correspondait le mieux aux valeurs humanistes, laïques et universalistes défendues par ce prix.
À l'intérieur d'un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. À la question : « Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? », Zain lui répond : « Pour m'avoir donné la vie ! ». Capharnaüm retrace l'incroyable parcours de cet enfant en quête d'identité et qui se rebelle contre la vie qu'on cherche à lui imposer.
Zain vit ainsi avec ses parents, frères et sœurs dans un appartement insalubre et spartiate qui appartient à un marchand du quartier pour lequel travaillent les enfants pour pouvoir payer le loyer. Ils transforment aussi des médicaments en stupéfiants avant de les revendre quand ils ne sont pas contraints de mendier dans la rue. Dans leur vie ne subsiste ainsi aucune lueur, ni d’enfance, ni de joie, ni d’espoir, comme dans le regard de Zain qui, à lui seul, semble exprimer toute la colère et la détresse de ses frères et sœurs face à ce quotidien misérable. Il ne s’adoucit qu’en présence de sa sœur Sahar dont il comprend rapidement qu’elle va être vendue au boutiquier. Après avoir tenté en vain et avec opiniâtreté de la sauver de cette terrible destinée, il s’enfuit…
Dès les premiers plans, le regard buté, boudeur, déterminé, et d’une tristesse insondable du petit Zain accroche notre attention et notre empathie pour ne plus les lâcher jusqu’à la respiration finale. Avant cela, constamment en mouvement, la caméra épouse sa fébrilité, et son énergie portée par sa rage contre les adultes, contre son destin, contre le malheur et la violence qui constamment s’abattent sur lui et qui le contraignent à en devenir un bien avant l’heure.
Nous suivons Zain dans le chaos poussiéreux, ce dédale tentaculaire qu’est le bidonville de Beyrouth, ce capharnaüm gigantesque et oppressant. Téméraire, il tente de survivre malgré la dureté révoltante de son quotidien. Sur son chemin, il rencontre Cafardman, personnage burlesque, lunaire, drôle et tragique, qui semble là pour nous rappeler que « l’humour est la politesse du désespoir ». Ainsi, dans ce capharnaüm, même les héros de l’enfance ont le cafard. Zain dort d’abord dans un parc d’attractions, celui où travaille Cafardman. Plans sublimement tristes de Zain qui erre dans ce lieu censé être de jeu et de joie devenu fantomatique et sinistre, comme un vestige de son enfance à jamais inaccessible et révolue. Il y rencontre une immigrée éthiopienne qui a quitté son travail d’employée de maison après être tombée enceinte. Elle élève seule Yonas, son bébé qu’elle entoure et grise d’amour, qu’elle cache aux autorités de crainte qu’ils ne soient expulsés. A la tendresse dont elle entoure son bébé, s’opposent l’indifférence glaciale et même la violence et les coups que Zain a subis de la part de ses parents. Quand elle disparait, il s’occupe pourtant du bébé, le nourrit, le trimballe partout avec lui, et déploie une force admirable pour celui-ci. Leur duo improbable est poignant, d’autant plus que le bébé est d’une rare expressivité et que la réalisatrice en fait un personnage à part entière. Malgré tout ce qu’il a affronté et subi, ce petit homme qu’est Zain, malgré ce regard duquel semble avoir disparu toute candeur, conserve en lui une humanité salvatrice qu’il déploie pour s’occuper de Yonas comme un pied-de-nez à ce cercle vicieux de la violence et de l’indifférence et de l’absence de tendresse.
Les acteurs sont des non professionnels dont l'existence tragique ressemble à celle des personnages, et l’émotion qui se dégage du film en est décuplée. La réalisatrice s’est ainsi véritablement imprégnée du réel. Elle a effectué trois années de recherche et le tournage a duré six mois avec plus de 520 heures de rushes. Au premier rang des acteurs, Zain, qui porte le même prénom que son personnage, et qui se nomme Zain Al Rafeea, un petit Syrien de 14 ans, réfugié au Liban avec sa famille et découvert par une directrice de casting à Beyrouth. Avec son naturel déconcertant, son énergie phénomènale, sa force, son regard noir et déterminé, il crève littéralement l’écran et nous emporte avec lui dans sa course folle contre le destin et contre cette roue du malheur qui semble tout emporter et broyer sur son passage, a fortiori l’humanité.
Si dans la première version projetée à Cannes en mai dernier, la musique était parfois trop emphatique, en particulier au dénouement, cette nouvelle version resserrée présentée au CNC est absolument parfaite et quand enfin ce capharnaüm s’apaise, la lueur d’espoir qu’il laisse entrevoir est sidérante d’émotion. Comme une démonstration et une plaidoirie implacables du petit Zain et de tous les enfants qu’il représente. Le regard final face caméra, face au monde, face à nous et le sourire esquissé sont parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Une respiration, enfin, après cette étouffante descente aux Enfers sans répit, malheureusement celle que vivent tant d’enfants comme le petit Zain. Ce n’est pas pour rien que Nadine Labaki joue l’avocate qui défend Zain dans le procès qui l’oppose à ses parents. Rarement l’enfance maltraitée aura connu telle plaidoirie. Ajoutez à cela un souffle romanesque, une réalisation vive et inspirée et vous obtiendrez un film bouleversant d’une rare intensité et d’une force incontestable. Oui, un film humaniste et universel, et citoyen : indéniablement.
Critique - Les Frères Sisters de Jacques Audiard (et conférence de presse lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville)
Jacques Audiard, Joaquin Phoenix, John C.Reilly, Alexandre Desplat et Thomas Bidegain ont en effet reçu pour ce film le Prix du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, un prix décerné à ce film « pour les qualités de sa mise en scène, pour la force de l’interprétation de quatre acteurs majeurs du cinéma américain contemporain - John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, et Riz Ahmed - pour saluer les producteurs, grâce à qui un projet si noble a pu naître. Pour, enfin, célébrer une œuvre qui porte l’espoir d’un monde meilleur, d’une résipiscence possible. Pour toutes ces raisons, il nous a paru naturel qu’un tel travail soit récompensé d’une manière inhabituelle, originale et exceptionnelle » a déclaré Bruno Barde, le Directeur du Festival. Les Frères Sisters est le premier film tourné intégralement en langue anglaise (et avec des acteurs majoritairement américains) de Jacques Audiard. Ce sont John C. Reilly et Alison Dickey ( productrice et épouse du comédien) qui ont demandé au réalisateur de lire le roman de Patrick deWitt dont ils détenaient les droits.
Synopsis : Les Sisters, ce sont Charlie et Elie. Deux frères qui évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d'innocents... Ils n'éprouvent aucun état d'âme à tuer. C'est leur métier. Charlie, le cadet ( Joaquin Phoenix), est né pour ça. Elie (John C.Reilly), lui, ne rêve que d'une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l'Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?
Après sa palme d'or à Cannes en 2015 pour Dheepan, le cinéaste français n’a pourtant pas «choisi » la Croisette pour présenter son nouveau film. Lui qui a déjà exploré différents genres avec talent s’attaque cette fois à un style de film auquel il ne s’était pas encore attelé: le western. Un western qui, fort probablement, aurait figuré au palmarès cannois s’il avait été en lice. Lors de la conférence de presse du film dans le cadre du festival, Jacques Audiard a expliqué qu’il n’avait pas forcément le fantasme du western mais qu’il avait surtout envie de travailler avec des acteurs américains car « ils ont constitué un savoir du jeu cinématographique et ils ont une très grande conscience d'eux-mêmes quand ils jouent » a-t-il précisé. Ce film l’a également intéressé en raison de son « thème de la fraternité » et « l’héritage de la sauvagerie » qu’il dépeint.
Les ingrédients du western sont pourtant là, en apparence du moins : les grandes étendues, les chevauchées fantastiques, le Far West, les personnages aux physiques patibulaires, la violence fulgurante, la menace latente. Et pourtant Les frères Sisters, à l’image de ce titre, est un film constitué de contrastes et de dualités qui détournent les codes du western. « La nuit du chasseur a été une vraie référence pour ce film» a ainsi expliqué Thomas Bidegain lors de la conférence de presse. Alors, en effet, certes il y a ici les grandes étendues et le Far West mais le film a été tourné en Espagne et en Roumanie et l’atmosphère ne ressemble ainsi à celle d’aucun autre western. Certes, il y a là les personnages aux physiques patibulaires mais ici pas de héros qui chevauchent fièrement leurs montures mais des méchants qui vont évoluer après ce parcours initiatique parsemé de violence. Alors, certes la violence justement est là, parfois suffocante, mais elle laissera finalement place à une douceur et une paix inattendues.
Les premières images nous éblouissent d’emblée par leur beauté macabre: des coups de feu et des flammes qui luisent dans la nuit. Des granges brûlées. Des innocents et criminels tués froidement et impitoyablement. L’œuvre de deux tueurs à gages. Les frères Sisters.
Loin des héros ou antihéros mutiques des westerns, les deux frères Sisters (les si bien et malicieusement nommés) débattent de leurs rêves et de leurs états d’âme, comme deux grands enfants. «Ce sang, c'est grâce à lui qu'on est bons dans ce qu'on fait » selon l’un des deux frères. Ce sang, c’est celui de leur père, violent et alcoolique. Leur vie n’a jamais été constituée que de violence. Ce duo improbable est constitué d’un tireur fou, le cadet, et de l’aîné, plus sage, plus raisonnable, plus émotif et même sentimental, ce qui donne parfois lieu à des scènes humoristiques tant le contraste est saisissant entre les tueurs sanglants qu’ils sont aussi et l’émotion qui étreint parfois le cadet, qui par exemple pleure lorsqu'il perd son cheval.
A ce duo improbable s’oppose un autre duo (que je vous laisse découvrir car il fait prendre une autre tournure à l’histoire qui ne cesse d’ailleurs de nous emmener là où on ne l’attend pas, là où le western ne nous a pas habitués à aller) notamment constitué d’ un prospecteur qui détient une mystérieuse formule chimique qui permet de trouver de l’or. Incarné par Riz Ahmed, cet homme rêve d’utopies socialistes, une société de justice dans lequel l’homme serait libre, vraiment libre. Audiard détourne aussi les codes du western en ce que son film présente plusieurs degrés de lecture. La violence héritée de leur père que manifestent les deux frères, c’est aussi celle de cette Amérique héritée des pères fondateurs. Pour trouver de l’or et donc s’enrichir, les compères vont polluer la rivière sans souci des conséquences sur l’environnement et sur leur propre vie. Des drames vont pourtant découler de cet acte métaphorique d’un capitalisme carnassier et impitoyable.
Mais les frères Sisters est aussi un conte à la fois cruel et doux. Lr dénouement est ainsi aussi paisible que le début du film était brutal. Comme la plupart des films de cette sélection, il s’achève sur une note d’espoir. L’espoir d’une Amérique qui ouvre enfin les yeux, se montre apaisée et fraternelle. Si les frères Sisters, ces tueurs à gages sans états d’âme ont changé, qui ne le pourrait pas ? Tout est possible…Ajoutez à cela la photographie sublime de Benoît Debie, la musique d’Alexandre Desplat et vous obtiendrez un western à la fois sombre et flamboyant. Et d’une originalité incontestable.
En 2011, je découvrais ce qui était alors le nouveau festival deauvillais dédié à la création photographique : Planche(s) contact. J'avais été charmée par ce nouvel évènement auquel Deauville servait de magnifique écrin. N'ayant pas eu le plaisir d'y assister de nouveau depuis, un peu plus d'un mois après la fin du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville (dont vous pouvez lire mon compte rendu détaillé, ici), il était temps de revenir à Deauville pour découvrir la belle évolution de ce festival qui célèbre déjà sa neuvième édition et, par la même occasion, de profiter d'un automne aux accents estivaux sous la belle lumière normande…
Ce rendez-vous résonne comme une évidence. Je ne connais pas d’endroits, ou si peu, dont la beauté soit aussi agréablement versatile, dont les couleurs et la luminosité lui procurent une telle hétérogénéité de visages. Deauville possède en effet mille visages. Loin de l’image de 21ème arrondissement de Paris à laquelle on tendrait à la réduire (qu’elle est aussi, certes), ce qui m’y enchante et ensorcelle se situe ailleurs : dans ce sentiment exaltant que procurent sa mélancolie étrangement éclatante et sa nostalgie paradoxalement joyeuse. Mélange finalement harmonieux de discrétion et de tonitruance. Tant de couleurs, de visages, de sentiments que j’éprouve la sensation de la redécouvrir à chaque fois. Le poids si doux et léger de tant de souvenirs engrangés en 26 années de Festival du Cinéma Américain et des années de Festival du Film Asiatique (dont je ne désespère pas qu'il revienne à Deauville…), aussi, sans doute. Je l'apprécie très tôt le matin, mystérieuse, presque déserte, qui émerge peu à peu des brumes et de l’obscurité nocturnes, dans une âpre luminosité qui se fait de plus en plus évidente, incontestable et enfin éblouissante. Ou le soir, quand le soleil décline et la teinte de couleurs rougeoyantes, d’un ciel incendiaire d’une beauté insaisissable et improbable et que je m’y laisse aller à des rêveries et des espoirs insensés. A l’image des êtres les plus intéressants, Deauville ne se découvre pas forcément au premier regard mais se mérite et se dévoile récompensant le promeneur de sa beauté incendiaire et ravageuse aux heures les plus solitaires, avec des couleurs aux frontières de l'abstraction, tantôt oniriques, tantôt presque inquiétantes.
Cette beauté mélancolique, quelqu’un qui a tant fait pour la renommée de Deauville (et réciproquement), l’a magnifiquement immortalisée. C’est Claude Lelouch (qui vient d'ailleurs de tourner la suite de Un homme et une femme à Deauville, une suite intitulée Les plus belles années dont je vous parlerai bientôt et qui sortira en 2019), qui, ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera Un homme et une femme, la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.
Cette beauté protéiforme a inspiré de multiples visions de Deauville, et c’était donc une idée particulièrement judicieuse de les mettre à l’honneur par la création d’un festival de la photographie initié en 2010. Ainsi, des photographes ont séjourné en résidence à Deauville, des photographes de réputation internationale ou des espoirs sérieux. Ce principe de festival dédié à la création photographique et de ne présenter quasiment que des œuvres originales a perduré depuis la première édition du festival et en constitue indéniablement l'attrait et la singularité. Chacun a ainsi posé son regard, tendre, malicieux, acéré, sombre, coloré, mais toujours intéressant, dévoilant un de ces multiples visages de Deauville.
Comme l'a expliqué Philippe Normand, directeur artistique du festival, invité pour une carte blanche, Vincent Delerm a ainsi "composé en images ses visions et souvenirs de Deauville, une des plages de son enfance. Il a ainsi investi et transformé la salle des fêtes en exposant ses photographies" et en invitant les photographes Pierre Cattoni (qui s'est intéressé au Deauville hors-saison avec son exposition A volets fermés) et Franck Hédin (qui s'est intéressé aux Elégantes de Deauville, photographies de femmes mûres à Deauville, en noir et blanc, dont il souligne la beauté éclatante de vie) à le rejoindre. Pour l'occasion, la salle des fêtes a été rebaptisée Deauville est une fête, comme un contrepoint à la célèbre chanson de Delerm, Deauville sans Trintignant. Le chanteur explique avoir décidé d'emporter systématiquement avec lui un Minolta argentique à partir de 2008, "Pour garder la trace. Pour pouvoir mieux raconter après-coup "comment c'était."", "Certainement est-ce la seule chose qui m'intéresse vraiment, que ce soit en écrivant des chansons ou en photographiant : donner à voir, à ressentir la vie." a-t-il également précisé.
Sur la plage, vous pourrez profiter de l'exposition rétrospective 2018. Je vous conseille d'y aller à différentes heures de la journée, la belle luminosité changeante de Deauville la parant de couleurs différentes selon l'heure. Cette exposition sur la plage n'existait pas lors de mon précédent passage à Planche(s) contact en 2011 et c'est une formidable idée qui met particulièrement les œuvres (et la plage et ses célèbres planches) en valeur. Cette année, vous pourrez y admirer les photographies carrées de Roger Schall. Ces photos commandées pour le magazine VU nous plongent dans le Deauville des années 1934 à 1950 et, pour reprendre les termes de Philippe Normand "célèbrent, avant et après les premiers congés payés, l'énergie, la joie, l'élégance et la vigueur des corps avides de soleil, de sable et de bains de mer."
Dans la salle du Point de Vue, située aux abords des planches, vous pourrez admirer les somptueuses et éblouissantes photographies d'Isabelle Munoz qui, pour ce projet, a lié deux éléments fondateurs de Deauville : la mer et les chevaux.
Sur l'esplanade du CID, vous pourrez admirer les photographies de Yusuf Sevinçli qui, lui, réinvente Deauville avec une utlisation singulière de la couleur noire et notamment avec cette photo qui rappelle le célèbre "Cri" de Munsch.
A la Chatonnière, à côté de l'Hôtel de ville, ce sont les photographies de Liz Hingley qui sont à l'honneur. Photographe et anthropologue, elle a poussé les portes de deux foyers de Deauville qui se font face : la Crèche municipale et le Foyer pour personnes âgées. Les corps en devenir de la petite enfance face aux corps vieillissants. Deux générations qui partagent des journées cadencées par les mêmes rendez-vous.
Enfin, vous pourrez vous arrêter devant les photos d'Isabelle Chapuis, celles de corps recouverts de sable qui évoquent des sculptures.
13 artistes et autant de visages de Deauville pour le "In" du festival qui privilégie les résidences de création et les commandes publiques.
Planche(s) contact, c'est aussi le off qui accueille chaque année une quinzaine d'expositions photographiques produites par des photographes vivant une partie de l'année à Deauville, ou par des collectifs et associations de passionnés de photographies. Deauville reste bien sûr la thématique principale. Vous pourrez notamment admirer les photos de Nicolas Katz Essentielles dans l'ombre, Avenue de la République, le photographe rend hommage aux cavalières d'entrainement. De nombreux autres lieux emblématiques de Deauville comme l'office de tourisme accueillent aussi des expositions.
Le festival organise également deux concours. Le premier, dans la belle salle du Point de Vue, met à l'honneur cinq jeunes photographes sélectionnés pour le Tremplin Jeunes Talents 2018, des photographes qui ont été accueillis en résidence de création à Deauville (Alexandre Chamelat, Mireïa Ferron, Samuel Lebon, Guillaume Noury et Hugo Vouhé). A travers leurs photos, ils explorent chacun à leur manière la ville de Deauville qu'ils ont découverte en résidence. Ils la réinventent et l'immortalisent avec leurs regards, tous singuliers. Je vous invite tout particulièrement à découvrir les photographies d'Alexandre Chamelat. Le traitement photographique prend une place particulièrement importante dans son travail. Sublimées par une lumière blanche immaculée, ses photos exaltent une véritable atmosphère. Très cinématographiques et colorées sont les photos de mon autre coup de cœur de ce tremplin Jeunes Talents, Hugo Vouhé. Sur ses photos qui sont de véritables mises en scène et qui nous plongent dans un univers et une histoire planent les ombres de Lynch, Wenders et Demy. La remise des prix du Tremplin Jeunes Talents et le Vernissage itinérant des expositions auront lieu le samedi 27 octobre au Point de vue à partir de 17H.
L’autre concours, La 25ème heure Longines, organisé autour de ce festival a connu, dès sa première édition, un joli succès, avec désormais environ 200 participants chaque année. Ce concours est ouvert à tous et il se déroule lors du Week-end d'inauguration du Festival Planche(s) Contact. Le principe : rendre réelle la virtuelle 25ème heure, le jour du passage à l’heure d’hiver, donner une heure aux photographes (souvent amateurs, sur simple inscription), de minuit à une heure du matin, pour fournir une photo, une seule, et donner leur vision de cette 25ème heure à Deauville. Bref, suspendre le vol du temps en l’immortalisant. Le sujet est libre.
Le top départ est donné depuis la Villa le Cercle où se retrouvent tous les participants pour confirmer leur inscription (à partir de 22h). Il est particulièrement amusant de voir des photographes arpenter Deauville à cette heure avancée et de les voir la photographier sous tous les angles, souvent inattendus. La remise des prix aura lieu à la Villa Le Cercle à midi la dimanche 28 octobre. Je vous encourage vraiment à participer ce samedi 27 octobre. L'ambiance est créative et conviviale et permet à chacun de poser son regard sur Deauville, et aussi de donner à découvrir la ville différemment...à l'image de l'ensemble de ce festival que je vous encourage vivement à parcourir.
Les expositions sont ouvertes tous les jours du samedi 20 octobre au dimanche 4 novembre. Puis les samedis, dimanches et jours fériés jusqu'au 25 novembre. Horaires : 10H30 -13H et 14H30-19H.
Pour en savoir plus : www.indeauville.fr (notamment pour en savoir plus sur les rencontres autour des fonds photographiques, stages photos, focus éducation à l'image, goûters photographiques, lectures de portfolios…).
En complément :
Mon article/poème consacré à un concert de Vincent Delerm à La Cigale en 2006
Merci à la ville de Deauville pour l'invitation à découvrir ce festival en avant-première et merci à l'hôtel Barrière Le Royal de Deauville pour l'accueil exceptionnel. Retrouvez quelques photos de l'hôtel prises lors de ce dernier séjour ci-dessous et mon précèdent article consacré à l'hôtel Barrière Le Royal de Deauville, là.
Et merci au magazine Le 21ème arrondissement de novembre - hiver 2018 pour cet article :
GALVESTON de Mélanie Laurent était projeté en avant-première dans le cadre du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville dont vous pouvez retrouver mon compte rendu, ici.
Synopsis : 1988. Les temps sont durs pour Roy, petit gangster de la Nouvelle-Orléans. La maladie le ronge. Son boss lui tend un guet-apens auquel il échappe de justesse. Une seule issue : la fuite, en compagnie de Rocky, une jeune prostituée. Deux êtres que la vie n’a pas épargné. En cavale vers la ville de Galveston, ils n’ont plus rien à perdre…
Quatre cinéastes français avaient cette année leurs films (américains) projetés à Deauville parmi lesquels la talentueuse Mélanie Laurent. Mélanie Laurent fait partie de ceux que certains aiment détester parce qu’elle a « le malheur » d’être une jeune femme polyvalente, déterminée et talentueuse dans chacun des domaines auxquels elle s’attèle : elle chante, joue, réalise. Une artiste à part entière guidée par le désir de créer. Avec Respire, elle signait un film à la fois intemporel (Mélanie Laurent ne situe d’ailleurs pas vraiment l’intrigue dans une époque précise) et dans l’air du temps (mais qui ne cherche pas à l’être) qui peut-être en aidera certain(e)s à fuir et ne pas se laisser enfermer par ces « ami(e)s » toxiques qui, avancent masqué(e)s, séduisent tout le monde avec une habileté et une ingénuité fourbes, pour mieux exclure la proie choisie, se l’accaparer, puis la détruire. Un film dont la brillante construction met en lumière la noirceur et la détermination destructrices de ces êtres, nous plongeant avec la victime dans cet abyme mental en apparence inextricable. Un film d’une remarquable maîtrise et justesse, au parfum pernicieusement envoûtant, prenant, parfaitement maîtrisé du premier au dernier plan qui est d’une logique aussi violente qu’implacable. Le dénouement apparaît en effet finalement comme la seule respiration et la seule issue possibles. Un film qui m’a laissée à bout de souffle, longtemps après le générique de fin et dont les personnages continuaient à m’accompagner bien après celui-ci. Si je vous parle de Respire aujourd’hui, c’est d’une part pour vous inciter à voir ce film remarquable et d’autre part parce que ce fut avec Galveston comme avec Respire. Les personnages m’ont en effet accompagnée bien après le générique de fin. Mélanie Laurent est une directrice d’acteurs de grand talent. Avec ce premier film américain de sa carrière de réalisatrice, une adaptation du roman de Nick Pizzolatto (créateur de la série True detective), elle tire le meilleur de ses interprètes principaux Elle Fanning et Ben Foster. L’histoire se déroule en 1987, à la Nouvelle-Orléans. Ce film qui sortira le 10 octobre prochain en France, est un thriller sombre et ensorcelant. Les lieux, amoureusement filmés, évoquent la mythologie américaine et constituent un personnage à part entière, notamment cette Nouvelle Orléans écrasée de chaleur. Elle regarde ses personnages, ces deux âmes blessées, avec tant de bienveillance que la fin, aussi d’une effroyable cruauté, n’en est que plus bouleversante.
Quelle excellente nouvelle ! Claude Lelouch tourne actuellement à Deauville l'épilogue de son chef-d'œuvre "Un homme et une femme" avec Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant. Bien entendu, vous pourrez retrouver ici ma critique avant la sortie du film et ,en attendant, toute l'actualité liée à celui-ci intitulé "Les plus belles années". Le film devrait sortir en Mai 2019 (pour une projection en avant-première à Cannes ?). C'est aussi pour moi l'occasion de vous parler à nouveau de "Un homme et une femme".
Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après mon premier séjour à Deauville, il y a 26 ans... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur comme celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point que, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.
Alors sans doute faîtes-vous partie de ceux qui adorent ou détestent Claude Lelouch, ses « instants de vérité », ses hasards et coïncidences. Rares sont ceux qu'il indiffère. Placez son nom dans une conversation et vous verrez. Quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, peut-être ce film « d'auteur » vous mettra-t-il d'accord...
Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu'à épuisement en allant vers Deauville où il s'arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».
Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...
J'ai vu ce film un grand nombre de fois, tout à l'heure encore et comme à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.
Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer. Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.
Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...
Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.
Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.
Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes.