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Cinéma - Page 80

  • Critique de COMME LES 5 DOIGTS DE LA MAIN d'Alexandre Arcady ce soir à 20H45 sur Ciné + Emotion

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    Les Hayoun. Cinq frères semblables et très différents dont le père est mort très tôt. L'aîné, Dan,  (Patrick Bruel) dirige un restaurant.  D'ailleurs, il dirige aussi la famille. Il a repris le rôle du patriarche avec trois de ses frères que sont Jonathan (Pascal Elbé), le pharmacien nerveux, le plus religieux et doux des trois qui tient aux valeurs de la famille ; Julien (Eric Caravaca), professeur, un peu décalé ; Michael (Mathieu Delarive), le chien fou qui brûle son existence et son argent au pocker. Enfin, il y a le cadet David (Vincent Elbaz) avec lequel c'est plus compliqué : il s'est éloigné de la famille depuis plusieurs années et réapparaît brusquement et avec lui un lourd secret.  Les cinq frères vont alors s'unir pour défendre et venger la mémoire de leur père assassiné. Quant à leur mère Suzie, elle survit grâce à l'amour de ses fils et des traditions juives qu'elle suit scrupuleusement.

    Tout au long de sa filmographie, Alexandre Arcady s'est attaché à dépeindre la communauté juive et l'exil (il quitte l'Algérie devenue indépendante pour la France à 15 ans) souvent associées à des thématiques mafieuses (Le Grand Pardon) ou policières (Hold up, L'Union sacrée). Sans doute ses détracteurs s'attendaient-ils à une sorte de Grand Pardon 3. Or avec ce nouveau film Arcady, (même si la trame de fond est policière), s'est avant tout attaché à dépeindre la vie familiale et à faire l'éloge de l'amour fraternel.

     Les quarante premières minutes du film, il s'attèle ainsi à montrer chacun des frères ensemble puis individuellement dans leurs milieux respectifs mettant l'accent sur leurs différences mais aussi leur solidarité. Autour d'eux gravitent quelques femmes : l'épouse fidèle de Jonathan, l'épouse séduisante et séductrice de Dan, Linda ( Caterina Murino). Le retour de David  va venir briser un moment cette harmonie fragile, une rancœur passée le liant à Dan, avant que la solidarité familiale ne reprenne le dessus.

     Cette famille prend vie sous nos yeux et le spectateur s'attache assez rapidement aux protagonistes (en tout cas, je m'y suis attachée) regrettant néanmoins que certains personnages ne soient pas davantage fouillés, esquissés comme autant d'histoires possibles. Ce qui se justifie néanmoins puisque ce sont les cinq frères le cœur de l'histoire et non ceux qui gravitent autour d'eux. Sans doute certains ont-ils été déçus s'attendant à un thriller âpre et haletant, et même si la vie confortable des cinq frères bascule dans la violence, là n'était de toute façon pas le sujet.  Un plan rappelant d'ailleurs « Vincent, François, Paul et les autres » de Claude Sautet (film phare sur l'amitié), le souligne d'ailleurs.

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    C'est dans les face-à-face entre deux personnages qu'Arcady est ici le meilleur pour créer la tension et donner du souffle à l'intrigue: les deux frères Dan et David l'un face à l'autre (sans doute ce face-à-face aurait-il été meilleur si David avait été interprété par Anconina comme c'était initialement prévu), ou Dan face à sa femme Linda, couple  électrique qui doit sa crédibilité à la fois au magnétisme de Patrick Bruel, dont c'est la cinquième et judicieuse collaboration avec Arcady (qui a aussi prouvé notamment dans le très beau film de Claude Miller, « Un secret », qu'il pouvait avoir des rôles beaucoup plus en retenue), et de Caterina Murino. Des scènes beaucoup plus porteuses de tension que l'assaut final où les cinq frères ont beaucoup plus l'air de jouer à la guerre que de se battre.

    Alors certes le dénouement est superflu et larmoyant (encore qu'il soit justifié par le thème de départ), et le traitement parfois désuet ou archétypal (ce qui d'ailleurs contribue au rythme et à l'efficacité) mais c'est aussi parfois ce que l'on attend du cinéma, de ce cinéma et qu'on pardonne d'ailleurs beaucoup plus facilement aux films venus d'Outre-Atlantique. Quant à la musique, elle n'est pas plus omniprésente que dans un film d'Olivier Marchal, et est toujours au service du sujet et de l'atmosphère. En tout cas, rien ne justifiait cet emballement contre ce film qui est ce qu'il aspirait à être : un film très divertissant qui dépeint une communauté et fait l'éloge de l'amour filial et fraternel. Dussé-je être la seule, si vous souhaitez passer un bon moment, je vous recommande « Comme les cinq doigts de la main » qui sera au moins aussi efficace qu'une grande majorité de blockbusters américains et a le mérite de tenir ses promesses et d'être réalisé par un cinéaste sincère et fidèle à ses thèmes de prédilection et sans doute à ses racines dont ils sont indissociables.

  • Critique de GRAVITY d'Alfonso Cuarón à 20H45 sur Ciné + Emotion

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    Voilà un film qui a fait parler de lui bien avant sa présentation en ouverture de la 70ème Mostra de Venise et le Festival de Toronto dans le cadre desquels il a été projeté, bien avant sa sortie, le terme de chef d’œuvre ayant même été employé par les plus dithyrambiques des critiques. Son réalisateur (« Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban » mais aussi « Les Fils de l'homme »...), l’atypisme du projet, la prouesse (les prouesses) technique(s), tout cela, notamment, contribuait à en faire un évènement. Lors de l'avant-première dans le cadre de laquelle je l'avais découvert, le film n’était pas encore commencé que déjà résonnaient dans la salle des sons inquiétants et assourdis, pour nous plonger dans l’atmosphère oppressante du film. Et ce n’était qu’un avant-goût d’un périple époustouflant et mémorable !

    Pour sa première expédition à bord d'une navette spatiale, le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock), brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l'astronaute chevronné Matt Kowalski –oui Kowalski !- (George Clooney). Mais, alors qu'il s'agit apparemment d'une banale sortie dans l'espace, à l'autre bout de la Terre, la destruction délibérée d'un satellite hors d'usage a propagé des fragments de métal coupants à travers l'espace qui risquent désormais de heurter brutalement Explorer. L'impact est inévitable. Ses conséquences sont catastrophiques. La navette est détruite. Ryan Stone et Matt Kowalski sont les seuls rescapés. Toute communication avec la mission de contrôle est coupée et les deux survivants n'ont plus aucune chance d'être secourus.

    Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalski se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l'univers. Et nous avec eux. Perdus dans cette immensité aussi majestueuse que redoutable. Le silence autour d'eux est assourdissant. Terrifiant. Matt continue d’expliquer ce qu’ils entreprennent, à donner leur position dans l’espace, à « Houston » qui ne les reçoit plus. Il continue à croire en la moindre chance d'être sauvé. Les réserves d’oxygène vont se raréfier. Je vous laisse imaginer le bonheur de la situation… Le titre prend alors tout son (double) sens.

    « À 600 km au-dessus de la Terre, la température oscille entre – 100° et + 125° C. Il n'y a rien pour propager le son. Pas de pression atmosphérique. Pas d'oxygène. » Ainsi débute «Gravity ». En plan large, dans une immensité obscure, teintée de la lumière de quelques astres.  Puis on se rapproche de deux voix, deux personnages, jusqu’à ce que la caméra les enferme, et nous avec eux. L’infiniment grand et l’infiniment petit. L’espace et la claustrophobie.  L’univers et la solitude. Nous voilà partis pour un voyage riche de contrastes saisissants que nous n’oublierons pas de sitôt.

    Kowalski donc. Ainsi se nomme ici George Clonney. Matt et non Stanley, lequel n’a rien ici à voir avec le personnage éponyme d’ « Un tramway nommé désir », malgré leur similarité patronymique. Quoique, d’une certaine manière, ce film aurait aussi pu se nommer « Un tramway nommé désir ». Il n’y a pas de hasards dans le scénario coécrit par Alfonso Cuarón et son fils Jonás. "C'est Jonás qui m'a souvent inspiré" a ainsi déclaré le premier. "J'ai été frappé par son sens du rythme dans une situation où la moindre décision peut être fatale et qui s'attache au point de vue d'un seul personnage. Mais dans le même temps, le fait de situer l'intrigue dans l'espace nous a permis d'enrichir la dramaturgie et de multiplier les interprétations métaphoriques".

    D’abord, il faut l’avouer : le résultat est spectaculaire, vertigineux, oppressant. Brutal et poétique. Les sensations de solitude, de claustrophobie et même d’apesanteur traversent l’écran, non pas en raison de la 3D (qui n’est finalement pas la plus grande responsable de l’immersion) mais de l’interprétation et de la virtuosité de la mise en scène. La salle de cinéma délivre toute sa splendeur, et ses pouvoirs magiques, parfois oubliés. Le cinéma nous emmène littéralement ailleurs, nous ouvre d’autres horizons, nous embarque dans une autre sphère, qui finalement nous ramène à la nôtre. Les magistraux plans-séquences nous empêchent de reprendre notre souffle, nous aussi privés d’oxygène, rivés à l’écran, accrochés à notre siège, le souffle coupé (j’ai littéralement eu l’impression de retenir mon souffle !), seuls dans/malgré la foule de la salle de cinéma, aussi tétanisée.

    Le personnage de George Clooney sert de respiration dans ce cauchemar, jouant aussi avec son image de séducteur (jusqu’aux confins de l’univers et dans une situation qui peut difficilement être plus désespérée), pour mieux nous bouleverser dans une scène que le souhait de ne pas spoiler m’empêche de vous raconter mais une scène dont je peux vous dire qu’elle est d’une intensité rare et bouleversante. Et ce n’est que le début du voyage… Nous voilà nous aussi prisonniers de l’immensité de l’univers, avec la terre à portée de regard et inaccessible, sublime, même lorsque nous ne faisons que l’imaginer et que Kowalski loue la beauté du Gange qu’il entrevoit.

    Le seul reproche que je pourrais faire concerne un symbolisme appuyé, comme de longues secondes sur la position fœtale de Ryan pour nous signifier la naissance puis la renaissance de cette dernière qui  se relève, finalement, (là aussi lors d’une scène très explicite et non moins magnifique d’ailleurs). Parce que c’est avant tout cela. L’histoire d’une renaissance. D’une femme qui va avoir le choix que nous avons tous suite à un drame (deux en l’occurrence). Sombrer ou affronter. Abandonner ou essayer de survivre jusqu’à l’ultime seconde. L’ultime espoir. Même dans la solitude. Même dans l’obscurité. Même lorsqu’il reste à peine un souffle de vie. Dans les situations les plus extrêmes, l’Homme peut dépasser ses limites. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle reprend les aboiements entendus à la radio, se retrouvant face à elle-même, son animalité, aussi.  D’où l’universalité malgré le caractère exceptionnel de la situation car c’est avant tout l’histoire d’une femme, à la fois vulnérable et forte qui a subi un choc, et a le choix entre abandonner et se relever (au propre comme au figuré), abandonner tout espoir ou croire en la vie malgré tout. Comme cette terre (mère), majestueuse et fière, malgré tous les affronts qu’elle a subis.

    En cela, « All is lost » auquel il fait évidemment penser (je vous ai dit dans le magazine « L’ENA hors les murs » tout le bien que j’en pensais, ici), le dépasse par son refus de la moindre facilité scénaristique. JC Chandor, comme Cuarón, place l’homme face à ses solitudes, ses forces et ses faiblesses. Seul face à la folle et splendide violence des éléments, de la terre, de l’univers. Seul face à nous. Avec nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Ou l’univers. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Dans les deux cas, cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

    Cuarón s'est entouré du chef-opérateur Emmanuel Lubezki à qui l’on doit des plans d’une beauté époustouflante en particulier un vers la fin d’une puissance émotionnelle renversante. D’autres, grâce à une mise en scène chorégraphiée, nous donnent l’impression que Ryan danse dans l’espace. Danse avec la mort. Danse avec la vie. Les effets visuels supervisés par Tim Webber  sont tellement magistraux qu’on s’y croirait et que nous aurions envie de la rejoindre dans cette danse macabre.

    Que dire du travail sur le son et de la musique composée par Steven Price ?  « Gravity » fait une des plus belles (une des trop rares d’ailleurs) utilisations du silence au cinéma. Pas un bruit dans la salle ne viendra troubler ces moments magiques et terribles, renforçant notre impression d’immersion.

    Thriller, allégorie, science fiction, film métaphysique, film catastrophe, oui, « Gravity » c’est tout cela mais c’est avant tout une expérience, visuelle et sensorielle, hors du commun qui, justement parce qu’elle est hors du commun nous fait oublier les quelques facilités scénaristiques, dans les dialogues/monologues parfois aussi. Nous regrettons même que le cauchemar ne s’éternise pas plus longtemps, me rappelant ainsi les sensations éprouvées après avoir vu un autre film qui relevait de l’expérience, « Inception », dans lequel le personnage principal accomplissait l’impossible : subtiliser et manipuler les rêves. Ici Cuarón manipule nos pires cauchemars, dont celui de solitude dans l’immensité de l’univers, pour mieux nous faire appréhender l’indicible beauté de la vie et de la terre. Prenez votre ticket pour l’espace, pour ce tour de manège à la beauté poétique, crépusculaire, envoûtante bien que terrifiante. Laissez-vous enivrer par cette odyssée dans l’espace, à la fois lointain et tellement universel, et cette leçon de courage.  Acceptez de vous perdre dans l’univers, de vous laisser embarquer, pour mieux renaitre et vous relever. Oui, une leçon d'espoir. Et de cinéma. Qui s’achève de manière éblouissante et poignante. Et nous laisse à terre. Littéralement.

  • César 2016 : nominations complètes commentées

     

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    Ce matin, à 10H, au Fouquet's, sur les Champs-Elysées, avait lieu la conférence de presse d'annonce des nommés aux César 2016, l'occasion de se rappeler à quel point la production cinématographique française fut riche et diversifiée en 2015 mais aussi à quel point le Festival de Cannes est un découvreur de grands films et de talents tant sont nombreux les films en lice pour ces César 2016 présentés dans les différentes sélections du Festival de Cannes 2015 et même primés.

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    La cérémonie aura lieu le 26 février 2016 au Théâtre du Châtelet. La maîtresse de cérémonie sera Florence Foresti. Le César d'honneur sera décerné à Michael Douglas.

    Cliquez ici pour retrouver mon compte rendu de la cérémonie des César 2015.

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    En tête de ces nominations 2016 figurent "Marguerite" de Xavier Giannoli (11 nominations), "Trois souvenirs de ma jeunesse" d'Arnaud Desplechin (11 nominations), "Dheepan" de Jacques Audiard (9 nominations) et  "Mustang" de Deniz Gamze Ergüven (9 nominations) .

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    Suivent ensuite: "Mon roi" de Maïwenn (8 nominations), "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot (8 nominations), "Les Cowboys" (4 nominations), "Fatima" de Philippe Faucon (4 nominations), "Valley of love" de Guillaume Nicloux ( 3 nominations), "Journal d'une femme de chambre" de Benoît Jacquot (3 nominations), "La loi du marché " de Stéphane Brizé (3 nominations).

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    Sont particulièrement réjouissants:

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    -les 3 nominations pour "La loi du marché" de Stéphane Brizé (meilleur acteur, meilleure réalisation, meilleur acteur) même si le film en aurait mérité plus et notamment pour le scénario. Vincent Lindon avait déjà reçu le prix d'interprétation masculine (amplement mérité) lors du dernier Festival de Cannes pour ce rôle d'homme que la loi du marché infantilise, aliène, broie et à laquelle avec une justesse sidérante il oppose sa dignité, son humanité, sa fragilité. Retrouvez ma critique de "La loi du marché" en cliquant ici.

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    -les nommés comme meilleur acteur même si la "concurrence" sera particulièrement rude avec notamment Depardieu, Damiens, Luchini, Lindon, Cassel entre lesquels mon cœur balance même s'ils sont tous remarquables dans leurs rôles respectifs. Un prix pour Vincent Lindon me ravirait de même qu'un prix pour Depardieu pour le sublime "Valley of love" reparti bredouille du dernier Festival de Cannes et pour lequel Isabelle Huppert est également nommée. Certaines phrases du film résonnent avec d’autant plus de justesse qu’elles sont dites par des comédiens qui les prononcent avec une infinie délicatesse, qui trouvent constamment la note juste : « Si on se met à détester quelqu’un avec qui on a vécu c’est qu’on ne l’a jamais vraiment aimé. Quand on aime quelqu’un c’est pour toujours. » La force de ces deux immenses comédiens est de malgré tout nous faire oublier Depardieu et Huppert et de nous laisser croire qu’ils sont ces Isabelle et Gérard qu'ils incarnent. Et il leur suffit de lire une lettre dans le décor épuré d’une chambre, sans autre artifice que leur immense talent, pour nous émouvoir aux larmes sans parler de cette scène finale bouleversante qui m’a ravagée. Retrouvez ma critique de "Valley of love" ici.

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    -les nominations comme meilleur espoir masculin de Rod Paradot et Swann Arlaud. Le premier crève l'écran dans "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot et je me souviens encore de son étonnante maturité lors de la conférence de presse du Festival de Cannes qui avait estomaqué l'assistance. Quant à Swann Arlaud (nommé pour "Les Anarchistes"), c'est un comédien d'une justesse remarquable, avec un supplément d'âme qui le rend unique et que j'avais remarqué il y a longtemps déjà dans un court-métrage présenté au Festival du Film de Cabourg. - Retrouvez ma critique de "La tête haute" en cliquant ici.-

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    -la nomination de Sidse Babett Knudsen pour "L'Hermine" de Christian Vincent. Par sa spontanéité et sa vérité éclatantes, elle fait d’autant plus sortir le juge Racine (Luchini) de son rôle. L'absence de nomination du film pour le scénario est un mystère. Cliquez ici pour lire ma critique de "L'Hermine".

    J'espère que ce César du meilleur scénario reviendra à "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot. Après « Clément », « Backstage », «  Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice (et actrice comme l'a prouvé son prix d'interprétation cannois pour  "Mon roi") avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend (au propre comme au figuré) et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde (là aussi au propre comme au figuré), un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix d'ouverture du 68ème Festival de Cannes et de lui donner cette visibilité.

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    -les nominations comme meilleure actrice pour Isabelle Huppert et Catherine Deneuve Là aussi, mon cœur balance. Elles seront face à Loubna Abidar, Emmanuelle Bercot, Cécile de France, Catherine Frot, Soria Zeroual. Il est probable que  Catherine Frot l'emportera même si je suis restée hermétique à ce film et a fortiori à sa prestation et à ce personnage. Catherine Deneuve est une nouvelle fois remarquable dans ce rôle de juge dans "La tête haute", pour lequel elle marie et manie avec brio autorité et empathie. Espérons qu'il lui permettra de décrocher ce César.

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    -la nomination d'Ennio Morricone pour la meilleure musique de "En mai fais ce qu'il te plaît"

    -la nomination de Benoît Magimel comme meilleur second rôle pour son rôle d'éducateur dans "La tête haute", qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant incarné par Rod Paradot qui réveille ses propres failles. Il y est remarquable.

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    -les nominations comme meilleur film étranger de Birdman, Le fils de Saul, Je suis mort mais j'ai des amis, Mia Madre, Taxi Téhéran, Le tout nouveau testament, Après le déluge, Youth. Le choix sera là aussi cornélien notamment entre le film de Laszlo Nemes, "Le fils de Saul" (un 1er film, que d’intelligence dans cette utilisation du son, de la mise en scène étouffante, du hors champ, du flou pour suggérer l’horreur ineffable de camps de concentration, ce qui nous la fait d’ailleurs appréhender avec plus de force encore que si elle était montrée) ou encore "Mia madre" (L’illusion de légèreté du cinéma pour tenter d’affronter le gouffre étourdissant de la mort et du lendemain après la perte forcément insensée d’un parent. Un film pudique, profondément émouvant et un regard final qui vous hante longtemps après la projection et qui me hante et bouleverse encore.) ou encore "Taxi Téhéran"à la mise en scène particulièrement rusée et brillante (ma critique à suivre).

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    -les multiples nominations des grands films projetés et parfois primés au dernier Festival de Cannes: "Dheepan" (palme d'or"), "La loi du marché" (prix d'interprétation masculine), "Mon roi" (prix d'interprétation féminine), "La tête haute" (film d'ouverture), "Le fils de Saul" (grand prix) etc. 

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    NOMINATIONS 2016

     

    Sont nommées pour le César du Meilleur Espoir Féminin

    CAMILLE COTTIN dans CONNASSE, PRINCESSE DES CŒURS

    SARA GIRAUDEAU dans LES BÊTISES

    ZITA HANROT dans FATIMA

    DIANE ROUXEL dans LA TÊTE HAUTE

    LOU ROY-LECOLLINET dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Espoir Masculin

    SWANN ARLAUD dans LES ANARCHISTES

    QUENTIN DOLMAIRE dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

    FÉLIX MOATI dans À TROIS ON Y VA

    FINNEGAN OLDFIELD dans LES COWBOYS

    ROD PARADOT dans LA TÊTE HAUTE

     

    Sont nommées pour le César de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle

    SARA FORESTIER dans LA TÊTE HAUTE

    AGNÈS JAOUI dans COMME UN AVION

    SIDSE BABETT KNUDSEN dans L’HERMINE

    NOÉMIE LVOVSKY dans LA BELLE SAISON

    KARIN VIARD dans 21 NUITS AVEC PATTIE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Acteur dans un Second Rôle

    MICHEL FAU dans MARGUERITE

    LOUIS GARREL dans MON ROI

    BENOÎT MAGIMEL dans LA TÊTE HAUTE

    ANDRÉ MARCON dans MARGUERITE

    VINCENT ROTTIERS dans DHEEPAN

     

    Sont nommées pour le César de la Meilleure Actrice

    LOUBNA ABIDAR dans MUCH LOVED

    EMMANUELLE BERCOT dans MON ROI

    CÉCILE DE FRANCE dans LA BELLE SAISON

    CATHERINE DENEUVE dans LA TÊTE HAUTE

    CATHERINE FROT dans MARGUERITE

    ISABELLE HUPPERT dans VALLEY OF LOVE

    SORIA ZEROUAL dans FATIMA

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Acteur

    JEAN-PIERRE BACRI dans LA VIE TRÈS PRIVÉE DE MONSIEUR SIM

    VINCENT CASSEL dans MON ROI

    FRANÇOIS DAMIENS dans LES COWBOYS

    GÉRARD DEPARDIEU dans VALLEY OF LOVE

    ANTONYTHASAN JESUTHASAN dans DHEEPAN

    VINCENT LINDON dans LA LOI DU MARCHÉ

    FABRICE LUCHINI dans L’HERMINE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Scénario Original

    NOÉ DEBRÉ, THOMAS BIDEGAIN, JACQUES AUDIARD pour DHEEPAN

    XAVIER GIANNOLI pour MARGUERITE

    DENIZ GAMZE ERGÜVEN, ALICE WINOCOUR pour MUSTANG

    EMMANUELLE BERCOT, MARCIA ROMANO pour LA TÊTE HAUTE

    ARNAUD DESPLECHIN, JULIE PEYR pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Adaptation

    DAVID OELHOFFEN, FRÉDÉRIC TELLIER pour L’AFFAIRE SK1

    SAMUEL BENCHETRIT pour ASPHALTE

    VINCENT GARENQ, STÉPHANE CABEL pour L’ENQUÊTE

    PHILIPPE FAUCON pour FATIMA

    HÉLÈNE ZIMMER, BENOIT JACQUOT pour JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE

     

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Musique Originale

    RAPHAËL pour LES COWBOYS

    ENNIO MORRICONE pour EN MAI, FAIS CE QU’IL TE PLAÎT

    STEPHEN WARBECK pour MON ROI

    WARREN ELLIS pour MUSTANG

    GRÉGOIRE HETZEL pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César des Meilleurs Costumes

    ANAÏS ROMAND pour JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE

    PIERRE-JEAN LARROQUE pour MARGUERITE

    SELIN SÖZEN pour MUSTANG

    CATHERINE LETERRIER pour L’ODEUR DE LA MANDARINE

    NATHALIE RAOUL pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César des Meilleurs Décors

    MICHEL BARTHÉLÉMY pour DHEEPAN

    KATIA WYSZKOP pour JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE

    MARTIN KUREL pour MARGUERITE

    JEAN RABASSE pour L’ODEUR DE LA MANDARINE

    TOMA BAQUENI pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Photo

    EPONINE MOMENCEAU pour DHEEPAN

    GLYNN SPEECKAERT pour MARGUERITE

    DAVID CHIZALLET pour MUSTANG

    IRINA LUBTCHANSKY pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

    CHRISTOPHE OFFENSTEIN pour VALLEY OF LOVE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Montage

    JULIETTE WELFLING pour DHEEPAN

    CYRIL NAKACHE pour MARGUERITE

    SIMON JACQUET pour MON ROI

    MATHILDE VAN DE MOORTEL pour MUSTANG

    LAURENCE BRIAUD pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Son

    DANIEL SOBRINO, VALÉRIE DELOOF, CYRIL HOLTZ pour DHEEPAN

    FRANÇOIS MUSY, GABRIEL HAFNER pour MARGUERITE

    NICOLAS PROVOST, AGNÈS RAVEZ, EMMANUEL CROSET pour MON ROI

    IBRAHIM GÖK, DAMIEN GUILLAUME, OLIVIER GOINARD pour MUSTANG

    NICOLAS CANTIN, SYLVAIN MALBRANT, STÉPHANE THIÉBAUT pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César de la Meilleure Réalisation

    JACQUES AUDIARD pour DHEEPAN

    STÉPHANE BRIZÉ pour LA LOI DU MARCHÉ

    XAVIER GIANNOLI pour MARGUERITE

    MAÏWENN pour MON ROI

    DENIZ GAMZE ERGÜVEN pour MUSTANG

    EMMANUELLE BERCOT pour LA TÊTE HAUTE

    ARNAUD DESPLECHIN pour TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film de Court Métrage

    LA CONTRE-ALLÉE réalisé par CÉCILE DUCROCQ, produit par STÉPHANE DEMOUSTIER, GUILLAUME DREYFUS

    LE DERNIER DES CÉFRANS réalisé par PIERRE-EMMANUEL URCUN, produit par PIERRE-EMMANUEL URCUN, ROY ARIDA, VINCENT LE PORT, LOUIS TARDIVIER

    ESSAIE DE MOURIR JEUNE réalisé par MORGAN SIMON, produit par JESSICA ROSSELET

    GUY MOQUET réalisé par DEMIS HERENGER, produit par NAÏM AÏT-SIDHOUM, JULIEN PERRIN, ELSA MINISINI, ÉLISABETH PAWLOWSKI MON HÉROS réalisé par SYLVAIN DESCLOUS, produit par FLORENCE BORELLY

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film d’Animation pour le court métrage

    LA NUIT AMÉRICAINE D’ANGÉLIQUE réalisé par PIERRE-EMMANUEL LYET, JORIS CLERTÉ, produit par MARYLINE CHARRIER

    LE REPAS DOMINICAL réalisé par CÉLINE DEVAUX, produit par RON DYENS

    SOUS TES DOIGTS réalisé par MARIE-CHRISTINE COURTÈS, produit par JEAN-FRANÇOIS LE CORRE, MARC FAYE

    TIGRES À LA QUEUE LEU LEU réalisé par BENOÎT CHIEUX, produit par DORA BENOUSILIO pour le long métrage ADAMA réalisé par SIMON ROUBY, produit par PHILIPPE AIGLE, SÉVERINE LATHUILLIÈRE, AZMINA GOULAMALY, ALAIN SÉRAPHINE

    AVRIL ET LE MONDE TRUQUÉ réalisé par CHRISTIAN DESMARES, FRANCK EKINCI, produit par MARC JOUSSET, FRANCK EKINCI LE PETIT PRINCE réalisé par MARK OSBORNE, produit par DIMITRI RASSAM, ATON SOUMACHE, ALEXIS VONARB

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Premier Film

    L’AFFAIRE SK1 réalisé par FRÉDÉRIC TELLIER, produit par JULIEN MADON, JULIEN LECLERCQ

    LES COWBOYS réalisé par THOMAS BIDEGAIN, produit par ALAIN ATTAL MUSTANG réalisé par DENIZ GAMZE ERGÜVEN, produit par CHARLES GILLIBERT

    NI LE CIEL NI LA TERRE réalisé par CLÉMENT COGITORE, produit par JEAN-CHRISTOPHE REYMOND, AMAURY OVISE NOUS

    TROIS OU RIEN réalisé par KHEIRON, produit par SIMON ISTOLAINEN, SIDONIE DUMAS

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film Documentaire

    LE BOUTON DE NACRE réalisé par PATRICIO GUZMÁN, produit par RENATE SACHSE

    CAVANNA, JUSQU’À L’ULTIME SECONDE, J’ÉCRIRAI réalisé par DENIS ROBERT, NINA ROBERT, produit par NINA ROBERT, DENIS ROBERT, BERTRAND FAIVRE

    DEMAIN réalisé par CYRIL DION, MÉLANIE LAURENT, produit par BRUNO LEVY

    L’IMAGE MANQUANTE réalisé par RITHY PANH, produit par CATHERINE DUSSART

    UNE JEUNESSE ALLEMANDE réalisé par JEAN-GABRIEL PÉRIOT, produit par NICOLAS BREVIÈRE

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film Étranger

    BIRDMAN réalisé par ALEJANDRO GONZÁLEZ IÑÁRRITU, distribution France TWENTIETH CENTURY FOX

    LE FILS DE SAUL réalisé par LÁSZLÓ NEMES, distribution France AD VITAM

    JE SUIS MORT MAIS J’AI DES AMIS réalisé par GUILLAUME MALANDRIN, STÉPHANE MALANDRIN, coproduction France TS PRODUCTIONS (Miléna Poylo, Gilles Sacuto)

    MIA MADRE réalisé par NANNI MORETTI, coproduction France LE PACTE (Jean Labadie)

    TAXI TÉHÉRAN réalisé par JAFAR PANAHI, distribution France MEMENTO FILMS DISTRIBUTION

    LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT réalisé par JACO VAN DORMAEL, coproduction France

    APRÈS LE DÉLUGE (Jaco Van Dormael, Olivier Rausin, Daniel Marquet)

    YOUTH réalisé par PAOLO SORRENTINO, coproduction France BARBARY FILMS (Fabio Conversi)

     

    Sont nommés pour le César du Meilleur Film

    DHEEPAN produit par PASCAL CAUCHETEUX, GRÉGOIRE SORLAT, réalisé par JACQUES AUDIARD

    FATIMA produit par YASMINA NINI-FAUCON, PHILIPPE FAUCON, réalisé par PHILIPPE FAUCON

    LA LOI DU MARCHÉ produit par CHRISTOPHE ROSSIGNON, PHILIP BOËFFARD, réalisé par STÉPHANE BRIZÉ

    MARGUERITE produit par OLIVIER DELBOSC, MARC MISSONNIER, réalisé par XAVIER GIANNOLI

    MON ROI produit par ALAIN ATTAL, réalisé par MAÏWENN MUSTANG produit par CHARLES GILLIBERT, réalisé par DENIZ GAMZE ERGÜVEN

    LA TÊTE HAUTE produit par FRANÇOIS KRAUS, DENIS PINEAU-VALENCIENNE, réalisé par EMMANUELLE BERCOT

    TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE produit par PASCAL CAUCHETEUX, GRÉGOIRE SORLAT, réalisé par ARNAUD DESPLECHIN

     

  • Critique de 12 YEARS A SLAVE de Steve McQueen ce soir à 20H45 sur Cine + Premier

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    En 2013, Tarantino  a mis en scène un esclave héros de western dans « Django unchained » qui avait d’ailleurs suscité une polémique dans la presse américaine et déclencher les critiques  notamment de Spike Lee,  celui-ci jugeant le film «irrespectueux» envers ses ancêtres, une polémique stérile car si ce film est d’une certaine manière le plus violent de Tarantino, il l’est parce qu’il est le plus politique, le plus réaliste : terrible violence hors-champ de cet esclave déchiqueté par les chiens, de ce combat entre esclaves. Et une discussion entre Schultz (Christoph Waltz) et Candie (Leonardo DiCaprio) sur Alexandre Dumas achève de nous convaincre, si nous en doutions encore, que ce film est tout sauf irrespectueux mais particulièrement malin. Quelques scènes parmi d’autres… Il y a ensuite eu le éponyme film de Spielberg sur « Lincoln » qui,  en traitant de l’adoption du 13ème amendement qui fit de l’abolition de l’esclavage un fondement permanent de la loi américaine,  tissait brillamment le portrait d’une éminente figure politique, celle du Président Abraham Lincoln. Avec Steve McQueen (bientôt aussi célèbre que son homonyme) dont c’est le troisième film après « Hunger » et  « Shame », et qui traite lui aussi de l’esclavage, on pouvait s’attendre à plus de radicalité. Finalement, son film fait une petite concession à Hollywood mais n’en demeure pas moins le premier film choc de cette année 2014 qui mérite ses 9 nominations aux Oscars 2014.

     Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor), jeune homme noir originaire de l’État de New York, est enlevé et vendu comme esclave, quelques années après la guerre de Sécession.  Face à la cruauté d’un propriétaire de plantation de coton, Solomon se bat pour rester en vie et garder sa dignité.  Douze ans plus tard, il va croiser un abolitionniste canadien (Brad Pitt) et cette rencontre va changer sa vie…

    Le film est adapté des Mémoires de Solomon Northup, homme vivant libre dans l’État abolitionniste de New York, à Saratoga, père de deux enfants et violoniste, kidnappé par des Sudistes cupides au début des années 1840 à  33 ans et vendu comme esclave en Louisiane. On lui offre un beau contrat pour une tournée dans un cirque, on l'enivre avant de l’embarquer pour la Louisiane puis le vendre comme une marchandise. Solomon devient Patt. On lui nie son identité mais il n’aura de cesse de la récupérer.

    L’inspiration dramatiquement réelle du film  désamorce d'emblée tout critique sur le manichéisme malgré l’effroyable et inconcevable inhumanité des esclavagistes pour réduire à l’animalité ceux qu’ils considèrent comme « leurs » esclaves et ne révélant finalement ainsi que la leur.  Solomon passera d'un maître doté d’un minimum d’empathie et amateur de musique interprété par Benedict Cumberbatch à Epps interprété par Michael Fassbender, un fou (mais ne fallait-il pas qu’ils le soient tous pour asservir, humilier, nier ainsi leurs semblables, essayant d'ailleurs parfois de justifier leur injustifiable folie en s’appuyant sur les écritures saintes) marié à une femme qui l’était au moins autant. Une prison à ciel ouvert dans laquelle un mince espoir est la seule fenêtre d’évasion.

     Si la radicalité, la frontalité aussi auxquelles McQueen s’était auparavant adonné est ici bien présente dans quelques plans-séquences, voire nécessaire pour ne pas rendre son film « beau » ou maladroitement distrayant, il n’en fait pas moins quelques concessions à Hollywood avec une musique signée  Hans Zimmer (La Ligne rouge, Inception Gladiator, Rain man etc) parfois superflue pour ne pas dire qu’elle est un contre-sens. Une des scènes les plus fortes du film est d’ailleurs celle où Solomon chante a capella avec d’autres esclaves autour de la dépouille d’un des leurs. Son regard et son expression passent alors de la tristesse, la résignation  à la détermination, la rage, la hargne.

    Les plans qui s’étirent en longueur exacerbent intelligemment le caractère effroyable et insupportable de certaines scènes de torture comme celle pendant laquelle Solomon est pendu à une corde parvenant péniblement  à ce que ses pieds touchent le sol pour éviter l'asphyxie. L’horrible tranquillité, la sérénité apparente du décor et surtout des autres esclaves qui vaquent à leurs occupations rendent encore plus horrible ce premier plan d’un homme qui lutte pour survivre dans l’indifférence (probablement masque de la peur) générale.

    Comme souvent chez McQueen le corps est au centre, au propre comme au figuré. Un corps meurtri, brutalisé. Que ce soit dans « Hunger » avec la grève de la faim d’un prisonnier politique de l’IRA  (film de 2008).  Ou l’addiction sexuelle d’un New Yorkais dans « Shame » en 2011. Le corps souffre, ce qui n’empêche pas la dignité et la fierté, comme en témoigne comme une déclaration pacifique de résistance, le début du film où des esclaves immobiles, dans une plantation de canne à sucre, écoutent les ordres de leur contremaître. Parmi eux, Solomon. Un premier plan auquel répond intelligemment le plan de la fin : un corps qui, enfin, ose se reposer, se courber, enlacer et être enlacé. Debout mais asservi puis courbé mais libre. Le début dans un silence presque assourdissant, démontre toute l’habileté du montage (signé Joe Walker) qui est une grande qualité de ce film qui n’en manque pas. Un flashback revient ensuite sur 12 années de survie.

    12 années pendant lesquelles il croisera notamment Patsey, maîtresse et souffre-douleur d'Epps,  incarnée par  Lupita Nyong’o dans un premier rôle indéniablement marquant et une scène qui fait écho à celle de la pendaison, insoutenable. Chiwetel Ejiofor, quant à lui, après avoir reçu de nombreuses récompenses pour ce rôle pour lequel il est nommé aux Oscars (et un Oscar du meilleur acteur qui pourrait bien, une fois de plus, échapper à Leonardo DiCaprio), incarne avec beaucoup de nuance, de force, de rage et douleur contenues  cet homme  qui devra subir et faire subir l’horreur pour sa survie et parfois  celle des autres (terrible scène où il est contraint de fouetter Patsey pour qu’elle "souffre moins" ou du moins reste en vie).

    12 Years A Slave a été co-produit par la société Plan B Entertainment, créée en 2002 par Brad Pitt (qui joue également dans le film), Brad Grey et Jennifer Aniston qui a produit des chefs d’œuvre comme « L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » ou des films indignes de ce nom comme le ridicule et parfois involontairement drôle World War Z.

    Jamais larmoyant, refusant le sentimentalisme, avec de longs plans brillamment effroyables qui tentent de nous faire éprouver l’indicible horreur, McQueen a réalisé une nouvelle variation sur le corps et ses meurtrissures, sur la honte aussi, celle d’appartenir à une humanité qui a pu permettre qu’un homme soit réduit à être « 12 years a slave », et souvent même une vie entière. Ou toute la puissance du cinéma au service de l’Histoire, de la mémoire et de l’avenir. Espérons-le…

  • César 2016 : annonce des nominations en direct ici à 10H demain (conférence de presse)

     

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    Comme chaque année, je commenterai en direct l'annonce des nominations aux César. Exceptionnellement cette année, absente temporairement de Paris, je ne serai pas en direct de la conférence de presse, je la commenterai néanmoins en direct ici et sur twitter (sur mon compte principal @moodforcinema) puisque celle-ci sera diffusée sur internet et sur ce blog. Vous pourrez en effet également la suivre ci-dessus à 10H en direct du Fouquet's.

    Je serai par ailleurs prochainement à la cérémonie des Lumières (équivalent français des Golden Globes Américains) dont les nominations et les récompenses préfigurent souvent celles des César. Nous avons par ailleurs appris aujourd'hui que la comédienne Isabelle Huppert serait l'invitée d'honneur des prix Lumières 2016.  Vous pouvez retrouver ces nominations, ici.

    En attendant les César 2016 dont la cérémonie aura lieu comme chaque année au Châtelet le 26 février 2016 avec Florence Foresti pour maîtresse de cérémonie, vous pourrez donc retrouver ici les annonces des nominations commentées et mon compte rendu de la cérémonie des César 2015, là. Nous savons seulement pour l'instant que le César d'honneur 2016 sera attribué à Michael Douglas.

  • Critique de TWO LOVERS de James Gray à 20H45 sur Ciné + Emotion

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     Direction New York, ville fétiche du cinéma de James Gray, où, après avoir tenté de se suicider,  un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle, fragile et inconstante, dont il est tombé éperdument amoureux, un amour dévastateur et irrépressible.

    L’intérêt de « Two lovers » provient avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. Si James Gray est avant tout associé au polar, il règne ici une atmosphère de film noir et une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble  crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente.

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Il éprouve ainsi un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte  la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne ( plan de Michelle derrière des barreaux de son appartement, les appartements de Leonard et Michelle donnant sur la même cour rappelant ainsi « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock de même que la blondeur toute hitchcockienne de Michelle), et qui exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudique et  la magnifique photographie crépusculaire de Joaquin Baca-Asay qui procurent des accents lyriques à cette histoire qui aurait pu être banale,  mais dont il met ainsi en valeur les personnages d’une complexité, d’une richesse, d’une humanité bouleversantes.  James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père etc).

     Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d'une drôlerie désenchantée,  un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Irrépressiblement. Ajoutez à cela la bo entre jazz et opéra ( même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » que dans  le chef d’œuvre de Woody Allen « Match point » dans lequel on retrouve la même élégance dans la mise en scène et la même "opposition" entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski… : les ressemblances entre les deux films sont trop nombreuses pour être le fruit du hasard ), et James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. D’ores et déjà un classique du cinéma romantique.

  • Critique de ALL IS LOST de J.C Chandor ce 21 janvier 2016 à 20H45 sur Cine + Emotion

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    C’est lors du  Festival de Cannes dans le cadre duquel il était présenté en sélection officielle mais hors compétition que j’ai eu le plaisir de découvrir « All is lost » de J.C Chandor en présence de Robert Redford qui avait également donné une conférence de presse dont je vous parle  ci-dessous et dont vous pourrez  retrouver quelques images. C’était un de mes coups de coeur de cette édition cannoise 2013, il figurait également en compétition du  Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix du jury.  

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    All is lost est le deuxième film du réalisateur J.C Chandor (après Margin Call et avant A most violent year, coup de cœur cinématographique de cette année dont vous pouvez retrouver ma critique en bonus, ci-dessous) avec un unique interprète, et non des moindres, Robert Redford, dont la mythique présence a cette année illuminé la Croisette. Quel contraste  entre le vacarme, la foule cannois et le silence, la solitude de All is lost.

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     Lors de la conférence de presse cannoise, Robert Redford, a notamment parlé, avec autodérision et simplicité,  de son amour de la nature et de son inquiétude pour celle-ci, rappelant son engagement en faveur de l’environnement qu’il juge dans une  situation « carrément catastrophique, désastreuse ».   »A mon avis, la planète essaie de nous parler », a-t-il ajouté, évoquant « les ouragans, les tremblements de terre et les tornades », deux jours après la tornade dévastatrice de Moore, près d’Oklahoma City. Il a aussi évoqué son envie de continuer  à jouer, de la difficulté de faire des films aujourd’hui. Il a évoqué le défi que représentait ce film pour lui : « C’est un défi qui m’a beaucoup attiré en tant qu’acteur. Je voulais me donner entièrement à un réalisateur ». Il a aussi abordé l’importance du silence « Je crois dans l’intérêt du silence au cinéma. Je crois aussi dans l’intérêt du silence dans la vie car on parle car on parle parfois trop. Si on arrive à faire passer le silence dans une forme artistique, c’est intéressant ». « Ce film est en plein contraste avec la société actuelle. On voit le temps qu’il fait, un bateau et un homme. C’est tout ». « Il y a évidemment des similitudes avec Jeremiah Johnson » a-t-il également répondu.

    Dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, Robert Redford fuyait ainsi les hommes et la civilisation pour les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses. Ici, dans All is lost, au cours d’un voyage en solitaire dans l’Océan Indien, au large de Sumatra, à son réveil, il découvre que la coque de son voilier a été heurtée et endommagée par un container flottant à la dérive. Privé de sa radio, il doit affronter seul les éléments mais malgré toute sa force, sa détermination, son intelligence, son ingéniosité, il devra bientôt regarder la mort en face. Ici, aussi, c’est finalement la civilisation (incarnée par ce container rouge au milieu de l’horizon bleutée et qui transportait d’ailleurs des chaussures, incarnation de la société de consommation mondialisée ) qui le rattrape (alors que, peut-être, il voulait la fuir, nous ne le saurons jamais…), contraint à se retrouver ainsi « seul au monde », comme dans le film éponyme de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, même si je lui préfère, et de loin, ce film de J.C Chandor.

    Pendant 1H45, il est en effet seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

    Le seul «dialogue », est en réalité un monologue en ouverture du film, une sorte de testament qui s’écoute comme le roulement poétique, doux et violent, des vagues, et qui place ce qui va suivre sous le sceau de la fatalité : « Ici, tout est perdu, sauf le corps et l’âme ».

     Progressivement il va se voir dépouillé de ce qui constitue ses souvenirs, de tout ce qui constitue une chance de survie : radio, eau… Son monde va se rétrécir. La caméra va parfois l’enfermer dans son cadre renforçant le sentiment de violence implacable du fracas des éléments. Avec lui, impuissants, nous assistons au spectacle effrayant et fascinant du déchainement de la tempête et de ses tentatives pour y survivre et résister.

    Le choix du magnétique Robert Redford dans ce rôle renforce encore la force de la situation. Avec lui c’est toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui est malmenée, bousculée, et qui tente de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout.

     La mise en scène et la photographie sobre, soignée, épurée, le montre (et sans le moindre artifice de mise en scène ou flashback comme dans L’Odyssée de Pi) tantôt comme une sorte de Dieu/mythe dominant la nature (plusieurs plongées où sa silhouette se détache au milieu du ciel), ou comme un élément infime au milieu de l’Océan. La musique signée Alex Ebert (du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zeros) apporte une force supplémentaire à ces images d’une tristesse et d’une beauté mêlées d’une puissance dévastatrice. Inexistante au début du film, elle prend de l’ampleur a fur et à mesure que la tragédie se rapproche et qu’elle devient inéluctable, sans jamais être trop grandiloquente ou omniprésente.

    Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle, comme ces requins en contre-plongée qui semblent danser, le défier et l’accompagner ou comme cette fin qui mélange les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore cette lune braquée sur lui comme un projecteur.

     Comme l’a souligné Robert Redford, il s’agit d’un « film presque existentiel qui laisse la place à l’interprétation du spectateur » et cela fait un bien fou de « regarder quelqu’un penser » pour reprendre les termes du producteur même si cette définition pourrait donner une image statique du film qui se suit au contraire comme un thriller.

    En conférence de presse, Robert Redford avait révélé ne pas avoir vu le film et qu’il allait le découvrir le même soir lors de la projection officielle cannoise dans le Grand Théâtre Lumière. On imagine aisément son émotion, à l’issue de cette heure quarante. Face à lui-même. Face à cette fable bouleversante d’une beauté crépusculaire

     All is lost a été présenté hors compétition du 66ème Festival de Cannes. Il aurait indéniablement eu sa place en compétition et peut-être même tout en haut du palmarès.

    Critique de A MOST VIOLENT YEAR

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    New York. L’hiver 1981. 1981 : l’année la plus violente qu’ait connue la ville. Abel Morales (Oscar Isaac), immigré mexicain, dévoré par l’ambition est un entrepreneur qui tente de réussir dans le milieu du pétrole, à NewYork. Il veut réaliser son American dream sans renoncer à son intégrité…et ce n’est pas une mince affaire :  ses camions sont régulièrement attaqués et leurs chargements en fioul volés, un procureur obstiné et tout aussi ambitieux enquête sur lui le soupçonnant d’escroqueries et fraudes, une menace semble constamment planer sur lui et les siens, et sa femme (Jessica Chastain) veut l’aider à sa manière (elle est la fille d’un truand de Brooklyn dont elle ne renie pas totalement les méthodes). « J’ai toujours choisi le droit chemin » s’obstine pourtant à dire Abel.

    L’homme intègre, à l’ambition carnassière, face à la société corrompue et violente. La femme fatale. L’atmosphère, entre blancheur (la neige est omniprésente) et noirceur (New York est une ville gangrénée par la violence et qui semble sur le déclin). Tous les ingrédients d’un film noir. Ou d’un grand roman. Du Balzac, du Hugo ou du Maupassant peut-être. En tout cas, J.C Chandor a un talent rare pour décrire, en quelques plans, un univers, un personnage, une atmosphère et, surtout, pour instaurer une tension dès les premières secondes, avant même le générique. Abel avec son pardessus ostentatoirement chic, comme une parure de sa réussite autoproclamée. Abel qui refuse de parler espagnol et ne veut parler que la langue de ce pays dont il se rêve en symbole de réussite. Abel constamment en mouvement et isolé.

     Dès le pré-générique, tout est dit. L’homme qui fait son jogging. Abel. Acteur de son destin. Persévérant. Déterminé. Fonceur. Seul. Pendant ce temps, un autre homme au volant de son camion. Il semble insouciant, joyeux. Cela ne saurait durer. A la radio des nouvelles, sombres, de l’actualité. La violence est là, latente. La menace plane, déjà. La tension est déjà là, et le sera toujours, jusqu’à l’ultime seconde ou culminant lors de scènes, magistrales, prenantes : une course-poursuite, un homme amené à la police dans la neige, Abel qui vient défier ses concurrents dans une scène qui ressemble à du Scorsese. Et la ville de New York, tentaculaire, menaçante, périlleuse.

    Dans « All is lost » précédent film de J.C Chandor, Robert Redford, était seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela aurait pu être ennuyeux…et c’était passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois. Avec Redford c’était toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui était malmenée, bousculée, et qui tentait de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tentait de résister, malgré tout. Ici, de même, Abel symbolise lui aussi l’American dream, et est lui aussi seul contre tous, tentant de résister à un autre fracas de la réalité, de la corruption.

     Certains plans, dans « All is lost » étaient d’une beauté à couper le souffle : requins en contre-plongée qui semblaient danser,  défier et accompagner  Redford, fin qui mélangeait les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore  le plan de cette lune braquée sur lui comme un projecteur. Dans « A most violent year » la composition de chaque image, sans atteindre le lyrisme de « All is lost », force l’admiration et concourt à cette atmosphère mélancolique, constamment à la frontière du dérapage, du drame, flirtant avec le thriller. La neige qui coupe le souffle, procure cette sensation d’inconfort, renforce ce sentiment d’isolement, d’atmosphère sombre, glaciale, le sentiment de menace.

    Il y a du James Gray et une forte influence des grands auteurs du cinéma américain dans ce « A most violent year », mais surtout, en étant seulement à son troisième film, J.C Chandor semble construire un univers, fait preuve d’un talent rare et d’un style qui a certes digéré beaucoup d’influences mais bien à lui. Sans compter cette façon, sans grosses ficelles hollywoodiennes, sans grandiloquence, mais avec beaucoup de subtilité et d’intelligence dans l’écriture et la mise en scène,  de  nous tenir en haleine de la première à la dernière seconde avec un sujet a priori rébarbatif, de créer un film palpitant qui a « une gueule d’atmosphère », de collaborer avec des acteurs à la hauteur de son propre talent (Chastain et Isaac dévorent littéralement la pellicule et forment un couple fascinant, troublant, magnétique). Un grand film qui l’est d’autant plus qu’il avance avec modestie jusqu’à cette fin, face à New York, offerte aux ambitions et qui semble défier l’intégrité mise à mal de ceux qui sont avides de la conquérir. Brillant.  Vivement le prochain film de J.C Chandor !