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Cinéma - Page 12

  • CRITIQUE de LEILA ET SES FRÈRES de Saeed Roustaee - Prix de la Citoyenneté du Festival de Cannes 2022

    Prix de la Citoyenneté du Festival de Cannes 2022 Leila et ses frères.jpg

    Leila et ses frères de Saeed Roustaee était présenté en compétition dans le cadre du 75ème Festival de Cannes à l’occasion duquel il a remporté le Prix FIPRESCI (jury de la fédération internationale de la presse cinématographique) et le Prix de la Citoyenneté* (je vous explique ce en quoi consiste ce prix en bas de cette page), lequel avait d’ailleurs déjà récompensé un formidable film iranien l’année précédente : Un héros de Asghar Farhadi.  Leila et ses frères sortira en DVD et Blu-ray le 29 mars, sera disponible en VOD dès le 23 mars et en achat digital dès le 16 mars.

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    Ci-dessus et ci-dessous, photos prises lors de la remise du Prix de la Citoyenneté au Festival de Cannes 2022.

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    Par ailleurs, ce samedi 11 mars 2023, à 14h, le film Leila et ses frères sera projeté au Grand Orient de France, dans le cadre d’un Ciné-Débat sur le thème de la liberté, ouvert à tous (inscription préalable obligatoire, informations en bas de cet article), qui sera sans aucun doute passionnant, a fortiori au regard de la situation actuelle en Iran et de l’effroyable répression qui tente de museler les courageuses tentatives d’émancipation de la population iranienne au cri de "Femme. Vie. Liberté", depuis le 16 septembre 2022, date de la mort en détention de la jeune Jina Mahsa Amini, arrêtée à cause d'un voile « mal » porté selon les forces de l'ordre iraniennes. Autant de bonnes raisons de vous parler de ce film incontournable, d’une force sidérante.

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    La loi de Téhéran (2019), son deuxième long-métrage après Life and a day (2016), avait permis à Saeed Roustaee de signer une arrivée retentissante dans le paysage cinématographique. Ce thriller social palpitant sur le trafic de drogue était, déjà, avant tout un état des lieux et une critique de l’Iran et de la corruption qui gangrène le pays.

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    Au début de Leila et ses frères, la caméra se rapproche d’un vieil homme qui fume, seul, dans un décor spartiate, jusqu’à se rapprocher de son visage marqué par la fatigue, les ans, la pauvreté. Un brillant montage alterné nous présente aussi un de ses fils et sa fille. Le premier se retrouve en plein chaos, en raison de la fermeture de son usine provoquée par le détournement de fonds commis par le patron. La mise en scène est nerveuse, évoque déjà une forme de suffocation. Les plans de groupe sont magistraux, presque picturaux, avec ces hommes aux casques jaunes qui sont réprimés par ceux aux casques noirs de l’armée, en un ballet tragique. Au calme du père s’opposent donc ces images de confusion au milieu de laquelle s’immisce la caméra. Une porte se ferme devant le vieil homme de dos. Le nom du film s'inscrit. Le cadre est planté, celui de deux mondes, d’une société dichotomique, et d’un gouffre infranchissable. Celui de destins en souffrance.

    Leila (Taraneh Alidoosti) a dédié toute sa vie à ses parents et à ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule en effet sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Après avoir perdu son emploi de l’usine en faillite, Alireza (Navid Mohammadzadeh) est contraint de retourner vivre dans l’appartement exigu de ses parents. Il retrouve là deux de ses frères, vivant péniblement de petits boulots. Leila est surtout au service de ses parents. Manouchechr (Payman Maadi) vit de combines et arnaques diverses. Farhad (Mohammad Ali Mohammadi) est au chômage. Parviz (Farhad Aslani), aussi, avec ses 5 enfants. Le patriarche opiomane (Saeed Poursamimi) ne prête aucun intérêt à la détresse de ses enfants et à leur envie de s’en sortir. Son rêve est en effet de devenir le « parrain » de la famille, titre honorifique traditionnel. Il compte bien parvenir à ses fins en offrant l’intégralité des pièces d’or qu’il possède au mariage du fils de l’un de ses cousins. Afin de sortir ses frères de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entraînent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.

    Comme dans La loi de Téhéran, au-delà de portraits (ciselés) des personnages, c’est celui de l’Iran qui apparaît en filigrane. Un pays sous embargo américain et soumis aux soubresauts de la situation politique américaine (un tweet de Trump peut faire ainsi exploser la situation économique), soumis à l’inflation galopante, à la corruption, à la crise économique, aux traditions, au conservatisme religieux, à l’oppression patriarcale. Une société en crise dans toutes ses strates, totalement sous emprise et étouffée socialement, économiquement et politiquement. La tragédie familiale est donc la métaphore de celle de tout un pays qui essaie de s’en sortir, écrasé par le poids des traditions et du pouvoir. Dans ce marasme apocalyptique, des personnages se débattent pour s’en sortir.

    Le père symbolise à la fois ce pouvoir inique, écrasant, ces traditions étouffantes qui méprisent les femmes au point que son visage s’illumine après avoir fait déshabiller son petit-fils nouveau-né pour s’assurer qu’il s’agit bien d’un garçon salué au cri de "quelle merveille". Face à lui et aux autres hommes de la famille (et même face à sa mère), Leila est d’une force, d’un courage, d’une combativité qui forcent l’admiration, symbole de ce pays qui aujourd’hui essaie de combattre l’oppression, de se tenir fièrement debout. Elle essaie d’éduquer le regard de ses frères à sortir des schémas traditionnels et patriarcaux. A son pragmatisme, sa combativité et son progressisme s’opposent les traditions dans lesquelles ils sont ancrés. De nombreux plans la montrent au milieu de ses frères ou face à ses frères jusqu’à ce qu’elle sorte du cadre, se retrouve dans l’ombre et descende des escaliers qui semblent la mener en enfer.

    Le scénario est d’une richesse exemplaire, de même que les dialogues : « J'ai peur même des bonnes choses. Quand tout va bien, je me dis que ça ne peut pas durer. Je déteste les gens faillibles et j'ai peur des gens infaillibles. Même le bonheur me fait peur. » « Quand on t'inculque des convictions à la place de la réflexion, ça donne ça. »  « Moi j'ai compris que grandir c'est au fur et à mesure renoncer à ses désirs. »

    Saeed Roustaee ne délaisse aucun de ses personnages, faisant peu à peu éclater leurs personnalités, leurs secrets et mensonges. L’un a par exemple divorcé deux mois avant sans le dire à personne…  Manouchehr monte des arnaques. Et finalement tout cela le mènera à une impasse telle que la seule solution sera la fuite. La respiration semble d’ailleurs être uniquement dans un ailleurs, hors du pays.

    De nombreuses scènes sont d'une force inouïe comme une scène lors de laquelle Leila s’oppose à ses frères ou encore à sa mère et son père, d’une violence telle qu’elle s’achève par une gifle. Mais c’est surtout dans les silences et les regards que résident la force et la singularité de ce film.

    La musique du compositeur américain d'origine iranienne Ramin Kousha se fait plus présente et poignante à la fin du film comme un écho au chaos et aux déchirements familiaux avec notamment une danse mémorable sur Sokoot de Mohsen Yeganeh et Tavalod de Moein et Hayedeh.

    Au-delà de son scénario et de l’interprétation magistrale des acteurs qui incarnent les membres de cette famille déchirée, la grande force du film est sa mise en scène qui épouse le sentiment de suffocation des personnages dans ce misérable appartement. Ou qui au contraire les surplombe tel un démiurge écrasant et menaçant comme dans la salle du mariage, cette scène de mariage au flamboiement éphémère qui contraste avec l'atmosphère grisâtre de ce qui précède et ce qui suit est sans aucun doute une des scènes les plus fortes du film, une séquence particulièrement marquante. Ou quand le patriarche se retrouve seul éclairé sur l’estrade face à une salle plongée dans l’ombre. Que dire encore de cette scène où en un regard d’une rare intensité entre Alireza et une jeune femme dans le reflet d’une vitre puis dans l’embrasure d’une porte, on comprend toute une vie de regrets et un amour perdu !
    La force des silences et des regards culmine lors du dénouement, dans les regards que s’échangent le frère et la sœur devant le père, ces trois personnages étant alors dans la même pièce ensemble mais séparés, au contraire du début où ils étaient séparés mais ensemble dans leur souffrance. Et ces yeux de Leila qui se ferment et qui en disent tant…

    Le cinéma iranien regorge de tant de chefs-d’œuvre, de Kiarostami à Panahi, et de films que je vous recommande sur la situation en Iran. Mais celui-ci possède une résonance d’autant plus forte avec les évènements récents. Voyez-le. Vous en ressortirez sous le choc. Celui que suscitent les grands films. Suffocant, marquant et bouleversant.

    Digressions sur le cinéma iranien...

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    J’aurais de nombreux autres films iraniens à vous recommander notamment Taxi Téhéran  de Jafar Panahi dont le titre résume le projet. Cela pourrait être aussi Cinéma Téhéran tant les deux mots, Cinéma et Taxi, sont presque ici synonymes. Une déclaration d’amour au cinéma. Comme cette rose sur le capot de la voiture pour « les gens de cinéma sur qui on peut toujours compter », sans doute les remerciements implicites du réalisateur, au-delà de la belle image qui clôt le film et nous reste en tête comme un message d'espoir. Un hymne à la liberté. Un plaidoyer pour la bienveillance. Un film politique. Un vrai-faux documentaire d’une intelligence rare. Un état des lieux de la société iranienne. Un défi technique d’une clairvoyance redoutable. Bref, un grand film.  Et cette rose, sur le capot, au premier plan, comme une déclaration d'optimisme et de résistance. Entre ces deux plans fixes du début et de la fin : la vie qui palpite malgré tout. La fin n’en est que plus abrupte et forte. Un film qui donne envie d’étreindre la liberté, de savourer la beauté et le pouvoir du cinéma qu'il exhale, exalte et encense. Un tableau burlesque, édifiant, humaniste, teinté malgré tout d’espoir. Un regard plein d’empathie et de bienveillance. Ma critique complète, ici.

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    Je vous recommande aussi des films moins connus comme Les chats persans de Bahman Ghobadi ou encore Téhéran de Nader T.Homayoun qui montre un peuple désenchanté qui, à l'image de la dernière scène,  suffoque et meurt, et ne parvient pour l'instant qu'à retarder de quelques jours cette inéluctable issue. Un premier film particulièrement réussi, autant un thriller qu'un documentaire sur une ville et un pays qui étouffent et souffrent. Un cri de révolte salutaire, une nouvelle fenêtre ouverte sur un pays oppressé.

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    Et sans rapport avec la situation en Iran mais parce que c’est un des films les plus poétiques qu'il m'ait été donné de voir,  24 frames, le dernier de Kiarostami, disparu en juillet 2016,  des courts-métrages réunis par le producteur Charles Gillibert.  Chacune de ces « frames » est mémorable. De ces deux chevaux dansant langoureusement sous la neige sur fond de musique italienne, à surtout, ce dernier cadre. Une fenêtre à nouveau s’ouvrant sur des arbres qui se plient. Devant un bureau avec un écran avec, au ralenti, un baiser hollywoodien. Et, devant l’écran, une personne endormie. La magie de l’instant lui est invisible. Comme un secret partagé,  pour nous seuls, spectateurs, éblouis, de cet ultime plan du film et de la carrière de cet immense cinéaste. Comme une dernière déclaration d’amour au cinéma. A la fin des 5 minutes de ce baiser au ralenti sur l’écran de l’ordinateur s’écrivent ces deux mots, “The End”, sur une musique qui célèbre l’amour éternel. Une délicate révérence. Deux mots plus que jamais chargés de sens. Un film et une carrière qui s’achèvent sur l’éternité du cinéma et de l’amour. Un pied de nez à la mort. Son dernier geste poétique, tout en élégance. Et finalement peut-être la plus belle des réponses à l'oppression et à la violence.
     
    *Présentation du Prix de la Citoyenneté du Festival de Cannes

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    Line Toubiana (retrouvez ici son interview en 2018 dans laquelle elle nous présente le Prix de la Citoyenneté), Françoise Camet, Guy Janvier, Jean-Marc Portolano ont créé en 2017 une association, Clap Citizen Cannes. Ces quatre fondateurs de l'association, tous critiques et cinéphiles passionnés, sont attachés aux valeurs d'humanisme, d'universalisme et de laïcité de la Citoyenneté.  Le président  de l'association est Laurent Cantet (palme d'or 2008 pour  son mémorable Entre les murs). Cette association a pour but de décerner le prix de la citoyenneté à un des films de la sélection officielle du Festival du Film International de Cannes. Le film primé incarne des valeurs humanistes, laïques et universalistes. Le président du jury de la première édition du Prix de la Citoyenneté était le cinéaste Abderrhamane Sissako. Le prix a obtenu le soutien et l’appui logistique de Pierre Lescure et Thierry Frémaux, respectivement Directeur général et Délégué général du Festival de Cannes pour décerner ce "Prix de la Citoyenneté". Encore un prix vous direz-vous certainement. Certes, mais celui-ci me semble tout particulièrement nécessaire "parce que le monde change et parce que notre société est de plus en plus ouverte sur le monde". Il  est ainsi  destiné à accompagner son évolution : "Quel meilleur vecteur que le cinéma et sa puissance créatrice pour évoquer, analyser et réfléchir à l'évolution des réalités humaines, sociales, politiques, territoriales ?" peut-on ainsi lire sur le site officiel du prix.

    Ce Prix s'inscrit dans 2 traditions :

    Celle de la citoyenneté telle qu’elle a été définie dans la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 

    - Article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » 

    Celle de la résistance à l’oppression

     ...sous toutes ses formes que symbolise si bien Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts qui a créé le premier Festival de Cannes en 1939, en opposition à la Mostra de Venise soutenue à l'époque par le pouvoir fasciste. 

    Cet prix met en avant des valeurs humanistes, des valeurs universalistes et des valeurs laïques. Ce nouveau « Prix » célèbre ainsi l'engagement d'un film, d'un réalisateur et d'un scénariste en faveur de ces valeurs.   "Le prix de la citoyenneté du Festival International du Film de Cannes doit permettre l'émergence de valeurs humanistes, universelles et laïques, fondatrices d'une communauté de destins". Je vous recommande ainsi les pages passionnantes du site officiel du prix de la citoyenneté qui définissent ces valeurs. Les films suivants ont reçu le Prix de la Citoyenneté : Capharnaüm de Nadine Labaki (2018), Les Misérables de Ladj Ly (2019) Un héros de Asghar Farhadi (2021), Leila et ses frères de Saeed Roustaee (2022). Pour en savoir plus sur le Prix de la Citoyenneté :  https://www.xn--prix-de-la-citoyennet-v5b.fr/.

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    Retrouvez aussi ce article sur mon site entièrement consacré au Festival de Cannes : "In the mood for Cannes".

  • Critique de MON CRIME de François Ozon (au cinéma le 8 mars 2023)

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    Il faut toujours être particulièrement attentif aux premières minutes des films d’Ozon dans lesquelles tout est dit, ou presque. Ce sont immanquablement de brillants exercices d’exposition, mais aussi de manipulation, de ses scénarii ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques. Les premiers plans sont ainsi annonciateurs des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant.  Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traîtresse), qui relève souvent de la mise en abyme. Dès les premières secondes, Ozon happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. Ce long-métrage ne déroge pas à la règle. C’est à nouveau le rideau de théâtre qui ouvre ce film plein de fantaisie, basé sur la théâtralité et le double jeu.

    Dans les années 30 à Paris, Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune et jolie actrice sans le sou et sans talent, est accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Aidée de sa meilleure amie Pauline (Rebecca Marder), jeune avocate au chômage, elle est acquittée pour légitime défense. Commence alors une nouvelle vie, faite de gloire et de succès, jusqu’à ce que la vérité éclate au grand jour…

    Chaque début d’un film d’Ozon reste en mémoire. Ici, c’est à nouveau par un lever de rideau que tout commence. Dans Eté 85, c’est ainsi le cliquetis d’une cellule qu'on ouvre qui précède la vision de deux silhouettes dans la pénombre, fantomatiques. Et puis, ces mots tranchants et saisissants : « Je dois être dingue. Quand on a choisi la mort comme passe-temps, c'est qu'on est dingue. […] Ce qui m'intéresse c'est la mort. Un cadavre m'a fait un effet pas possible. Si vous n'avez pas envie de savoir comment il est devenu un cadavre alors vous n'avez qu'à laisser tomber ce n'est pas une histoire pour vous. » Ensuite, la rupture de style avec ces images éblouissantes de la plage du Tréport, sur fond de la musique de In Between days de The Cure. Toujours aussi cette dichotomie (là entre ombre et lumière, désirs -de vie, amoureux- et mort qui plane), présente dès le début, qui laisse présager un drame, inéluctable. L’illusion aussi : du bonheur, et celle que crée le cinéma. Un début qui rappelle celui de Frantz : les cloches d’une église qui retentissent et une silhouette fantomatique qui apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue.  Les premiers plans d’Une nouvelle amie jouaient aussi avec notre perception de la réalité, et là aussi, se référaient à la mort, donnant l’impression qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage qui est en fait son enterrement. Là aussi, un premier plan dans lequel tout était dit : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, la double identité. François Ozon a le don, en un éclair, de happer le spectateur et de le plonger dans son univers. Il faudrait encore parler de Dans la maison, labyrinthe joyeusement immoral, drôle et cruel, dans lequel le sens aigu de la manipulation d’Ozon culminait.

    Cette fois, dans Mon crime : tout est dit aussi dans les premiers plans, suite à ce lever de rideau. Ne croyez pas ce que vous allez voir et entendre. Tout est scène de théâtre, jeu, mise en scène, tromperie. Dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils dissimulent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité.  Ses films sont ainsi souvent à l’image de ceux dont ils relatent l’histoire : en trompe-l’œil, multiples et audacieux, derrière une linéarité et un classicisme apparent. Manipulateur hors-pair, Ozon fait ainsi l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans Dans la maison dans lequel il s’amusait avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Dans Mon crime, la coupable (du crime) n’est pas vraiment celle qui semble l’être…le paradoxe étant que cela ne fait pas vraiment d’elle une innocente puisqu’elle ment.

    Les films de François Ozon glorifient presque toujours le pouvoir des mots. Dans Frantz, Rilke était le poète préféré d’Anna, lui qui dans Lettres à un jeune poète, mieux que quiconque, a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent. Dans Été 85 aussi, l’écriture à nouveau permet à la vérité d’éclater et à l’amour de revivre, en tout cas une vérité, celle vue à travers le regard et les mots d’Alexis. Dans Dans la maison, Ozon rendait déjà hommage au prodigieux pouvoir des mots (dans Swimming pool aussi), à leur troublante beauté, nous donnant des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipulant tout comme l’élève y manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme. Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités sont aussi souvent à l’œuvre dans le cinéma d’Ozon.

    Après un libre remake des Larmes Amères de Petra Von Kant de Fassbinder avec Peter Von Kant, changement radical d’univers avec cette adaptation d’une pièce de Georges Berr et Louis Verneuil de 1934, qui, dans le ton et la forme, nous rappelle davantage 8 femmes et Potiche que le dernier film du cinéaste. La fantaisie, la légèreté, la théâtralité, l’absurde, la vivacité, le jeu sont ici à l’honneur. Les répliques fusent comme dans les "screwball comedies" auxquelles il rend ouvertement hommage (mêmes dialogues vifs et ton burlesque), notamment au cinéma de Lubitsch. La diversité des genres cinématographiques dans lesquels Ozon excelle est époustouflante, même si cette diversité est souvent prétexte à évoquer des thèmes récurrents évoqués plus hauts.

    La photographie et les décors suivent l’évolution des personnages : d’un réalisme assez sombre à des décors plus colorés et fantaisistes. La musique, de Philippe Rombi, entre nostalgie, gaieté et suspense épouse ces différents rythmes et univers. Elle se fait malicieuse aussi parfois avec le thème de La flûte merveilleuse. Les années 30 et le style Art Déco (magnifiques photographie de Manu Dacosse, décors de Jean Rabasse  et costumes de Pascaline Chavanne ) sont remarquablement reconstitués sans que cela fasse daté. Cette époque est évidemment un prétexte pour évoquer la nôtre comme ce fut le cas dans Potiche.

    Rappelez-vous…Catherine Deneuve (que François Ozon retrouvait 8 ans après Huit femmes) y incarne Suzanne Pujol, épouse soumise de Robert Pujol (Fabrice Luchini) que sa propre fille Joëlle (Judith Godrèche)  qualifie avec une cruelle naïveté de «potiche ». Nous sommes en 1977, en province, et Robert Pujol est un patron d’une usine de parapluies irascible et autoritaire aussi bien avec ses ouvriers qu’avec sa femme et ses enfants. A la suite d’une grève et d’une séquestration par ses employés, Robert a un malaise qui l’oblige à faire une cure de repos et s’éloigner de l’usine. Pendant son absence, il faut bien que quelqu’un le remplace. Suzanne est la dernière à laquelle chacun pense pour remplir ce rôle et pourtant elle va s’acquitter de sa tâche avec beaucoup de brio, secondée par sa fille Joëlle et par son fils Laurent (Jérémie Rénier). Qu’elle chante Emmène-moi danser ce soir, qu’elle esquisse quelques pas de danse avec Depardieu ou qu’elle fasse son jogging avec bigoudis, jogging à trois bandes, en parlant aux animaux (et à une nature, prémonitoire, elle aussi moins naïve qu'il n'y paraît) et écrivant des poèmes naïfs ou qu’elle se transforme en leader politique, chacune de ses apparitions (c’est-à-dire une grosse majorité du film) est réellement réjouissante…Si le film est empreint d’une douce nostalgie, et ancré dans les années 1970 et une période d’émancipation féminine, Ozon s’amuse et nous amuse avec ses multiples références à l’actualité et les couleurs d’apparence acidulées se révèlent beaucoup plus acides, pour notre plus grand plaisir. D’un Maurice Babin dont l’inénarrable inspiration capillaire vient de Bernard Thibault, à un Pujol aux citations sarkozystes en passant par une Suzanne qui s’émancipe et prend le pouvoir telle une Ségolène dans l’ombre de son compagnon qui finit par lui prendre la lumière sans oublier les grèves et les séquestrations de chefs d’entreprise, les années 70 ne deviennent qu’un prétexte pour croquer notre époque avec beaucoup d’ironie.

    Réjouissant est également un qualificatif qui pourrait s’appliquer à Mon crime. Ne croyez pas que le soit film figé dans une époque, c’est là encore également un prétexte à l’évocation de sujets terriblement actuels et le film est, comme Potiche, d’une grande modernité évoquant aussi l’émancipation féminine. Le verbe est à nouveau à l’honneur (notamment dans la scène du procès avec la plaidoirie flamboyante de Pauline). Rebecca Marder, après le remarquable Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain (dans lequel elle incarne une Irène qui irradie de joie de vivre, vibre de l’amour du théâtre et de la vie, des premiers élans amoureux aussi, contamine tout le film de la fouge de sa jeunesse, rôle pour lequel elle est nommée comme meilleur espoir féminin aux César 2023) et Simone de Olivier Dahan, virevolte ici avec brio.

    Les autres acteurs s’en donnent aussi à cœur joie : Nadia Tereszkiewicz, facétieuse comme il se doit, également nommée aux César 2023 pour Les Amandiers. Isabelle Huppert (tout aussi juste et bluffante que dans son rôle de La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé -au cinéma le 1er mars 2023-) campe ici une actrice excentrique, délurée, burlesque dont chaque apparition est un régal. Son jeu exagéré (elle joue une mauvaise actrice) illumine le film. Chaque acteur surjoue d’ailleurs parfaitement sa partition pour arriver à ce « crime » parfait. En particulier Fabrice Luchini, André Dussolier, Régis Laspalès, Daniel Prévost, Michel Fau, Myriam Boyer, Dany Boon (avec son improbable accent marseillais).

    Comme toujours, Ozon nous fait ici un peu l’éloge du mensonge pour démontrer les contradictions et absurdités de notre époque dans laquelle la notoriété arrive bien souvent pour de mauvaises raisons, et l’emporte même sur les causes de celle-ci. Madeleine, en s’accusant d’un crime qu’elle aurait commis dans un de acte légitime défense, devient célèbre et admiré de tous. Son crime devient sa gloire, sa carte de visite, son fait d’arme, son passeport pour la célébrité. Ozon jongle et joue avec la vérité et le mensonge, à propos du crime mais aussi de la confusion des sentiments du personnage de Pauline évoquée en filigrane. Tout le monde joue un rôle. Le tribunal même devient scène de théâtre. C’est de toute façon sur une scène de théâtre que tout se termine. La boucle est bouclée. Une fois de plus, Ozon, avec ce divertissement jubilatoire et féministe dans lequel la vie est scène de théâtre, démontre le pouvoir des illusions et des mots.  

    Un film au rythme haletant, enjoué, malin, réjouissant, rempli de fantaisie, ludique, qui joue : avec le noir et blanc et la couleur, le cinéma et le théâtre, la vérité et le mensonge, hier et aujourd’hui, le cinéma parlant et le muet, le bien et le mal. Dans Frantz, il fallait tout le talent du cinéaste pour, avec Le Suicidé (1877), le magnifiquement sinistre tableau de Manet, nous donner ainsi envie d’embrasser la vie. Ici, dans Mon crime, en théâtralisant à merveille, il nous donne envie d'appréhender la vie comme un jeu, un mensonge, ou un crime,…savoureux et toujours (faussement) innocents.

  • Critique - LES PETITES VICTOIRES de Mélanie Auffret

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    Selon Platon, « La victoire sur soi est la plus grande des victoires. » Ces « petites victoires » sont aussi et avant tout des victoires sur soi. Celles d’Alice (Julia Piaton) sur qui pèse une double responsabilité, celle de Maire du petit village breton de Kerguen, et celle d’institutrice de sa classe unique. Mais ce sont aussi celles d’Émile (Michel Blanc), un sexagénaire au caractère explosif, enfin décidé à apprendre à lire et à écrire, et qui va s’imposer comme nouvel élève de la classe d’Alice. Sans compter qu’Alice va devoir aussi sauver son village et son école…

    Cette désertification des campagnes françaises apparaît aussi en filigrane dans le film de Denis Imbert, Sur les chemins noirs (au cinéma le 22 mars prochain), périple intense d’un écrivain follement vivant, qui ne fait pas de concessions à la médiocrité, à a demi-mesure, à sa rage d’être (lui-même) qui va traverser la France sur les chemins noirs qui le mènent et nous mènent vers la lumière, nous donnent envie d’embrasser la vie et l’ailleurs et la singularité en nous. Cette digression (habituelle) pour vous dire que le parti pris de Mélanie Auffret n’est pas celui-ci, ni celui qu’aurait pu emprunter les frères Dardenne ou un Ken Loach pour traiter un tel sujet, social. Mais celui de la comédie, réussie.

    Dans ce petit village isolé et pittoresque de Kerguen (en réalité Le Juch, situé non loin de Douarnenez), dans lequel plus aucun commerce ne subsiste, et encore moins de médecin, la vie suit pourtant son cours et les problèmes des habitants ne prennent pas de congés. C’est donc la Maire qui en est le réceptacle, des problèmes de voierie comme des problèmes conjugaux ou médicaux. Le film commence d’ailleurs par le tournage épique d’une vidéo dont elle est la protagoniste, avec son lunaire adjoint pour réalisateur, dans l'espoir de recruter un boulanger.

    C’est dans le cadre de la dernière avant-première du film au cinéma Pathé Convention, pour laquelle fut présente et ovationnée une grande partie de l’équipe du film, que j’ai eu le plaisir de le découvrir, dénouement de 5 mois d’avant-premières dans 110 villes à la rencontre justement de ces territoires isolés. Avec ce deuxième long-métrage après Roxane, en 2019, Mélanie Auffret braque à nouveau sa caméra sur une France souvent oubliée, ici en perte de commerces mais pas seulement : en perte de lien social.

    La comédie, que ce soient celle de Gérard Oury ou de Francis Veber, a souvent pour socle un duo d’êtres que tout oppose a priori. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Alice et Émile semblent aux antipodes l’un de l’autre. Elle est institutrice. Il est illettré. Elle est aussi à l’écoute des autres, souriante et bienveillante qu’il est fermé, irascible, et apparemment malveillant. Mais tous deux portent en eux une blessure : la mort de son frère pour l’un, de son père pour l’autre. Tous deux sont aussi enfermés dans leur « périmètre » et vont devoir élargir leurs horizons pour s’en sortir. Leurs différences (de caractère, de génération) constituent évidemment un ressort comique, de même que le décalage entre ces enfants de 6 à 9 ans qui en savent plus sur la lecture que leur nouveau camarade qui a dix fois leur âge. Au contact des enfants, sur lesquels le scénario de Mélanie Auffret et Michaël Souhaité pose toujours un tendre regard, celui d’Émile va aussi s’attendrir, et avec son franc-parler désarmant même se révéler une précieuse aide pour faire sortir l’un d’eux de sa coquille. La spécialité française des lourdeurs administratives déconnectées de la réalité et autres sigles abscons constituent aussi un ressort comique efficace.

    Cette comédie sociale n’évoque pas seulement la désertification des campagnes mais aussi l’illettrisme qui toucherait 7% de la population française. Michel Blanc dont le meilleur rôle reste pour moi celui de Monsieur Hire dans le film éponyme de Patrice Leconte est ici un parfait Émile bourru et finalement sensible. Les répliques des enfants dont le petit qui répond au prénom spielbergien d’Eliott lui aussi enfermé (dans son monde), qui rappelle à Emile celui qu’il fut à son âge, sonnent aussi étonnamment vraies.

    Julia Piaton pour son premier premier rôle, est d’une touchante et rafraîchissante justesse dans ce personnage de maire et institutrice à la fois solitaire et très entourée, maternelle et sans enfants, prenant soin des autres et oubliant de s’occuper de sa propre vie personnelle. Autour de ce duo percutant gravite une galerie de personnages attachants : Saturnin, l’adjoint d’Alice (Lionel Abelanski) ou encore Claudine (Marie Bunel) ou Jeanine (Marie-Pierre Casey) qui doit faire face à l’isolement et la solitude, imparable dans le rôle de la guetteuse, et bien sûr India Hair toujours aussi surprenante tant elle incarne ses rôles avec une singularité fascinante comme récemment dans Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, dans le rôle de l’amie dont la capacité à nous faire passer du rire aux larmes contribue beaucoup à la force bouleversante de la dernière scène.

    La musique signée Julien Glabs souligne l’aspect champêtre des lieux, par le biais de guitare jazz et d'accordéon notamment, et se fait plus « émotionnelle » notamment par le truchement du piano et de la trompette quand il s’agit des sentiments des personnages.

    Les petites victoires, ce sont donc celles sur soi mais aussi toutes ces actions solidaires qui permettent de combattre les problèmes du quotidien, l’isolement, la solitude, les handicaps invisibles. Les petites victoires, c'est aussi le combat victorieux contre soi et le temps carnassier pour faire renaître des rêves enterrés. Primée du prix du public et du prix spécial du jury au dernier Festival International du Film de comédie de l’Alpe d’Huez, cette comédie sociale remplie de charme, avec humour et tendresse, insuffle aussi dans l’esprit du spectateur l'idée revigorante qu’il n’est jamais trop tard : pour briser son enfermement (de quelque nature qu’il soit) et pour réaliser ses rêves. Un des pouvoirs magiques du cinéma que de procurer cet élan. Un film d’une bienveillance salutaire qui ne plaira sans doute pas aux cyniques autoproclamés mais qui enchantera tous les autres (dont je suis). 

  • Critique de THE SON de Florian Zeller

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    Après son premier long-métrage The Father, distingué des Oscars du meilleur acteur pour Anthony Hopkins et du meilleur scénario adapté pour Christopher Hampton et Florian Zeller, ce dernier a décidé d’adapter une nouvelle fois au cinéma une de ses pièces, Le Fils, dernière pièce d'une trilogie qui compte également La Mère

    À dix-sept ans, Nicholas (Zen McGrath) semble en pleine dérive, il n'est plus cet enfant lumineux qui souriait tout le temps. Que lui arrive-t-il ? Dépassée par la situation, sa mère Kate (Laura Dern) accepte qu’il aille vivre chez son père, Peter (Hugh Jackman). Remarié depuis peu à Beth (Vanessa Kirby) et père d’un nouveau-né, il va tenter de dépasser l’incompréhension, la colère et l’impuissance dans l’espoir de retrouver son fils.

    Disons-le d’emblée : ce film est déchirant et magistral. Une brillante exploration des méandres tortueux de l’âme humaine. Un scénario (signé Florian Zeller et Christopher Hampton) qui, comme celui de The Father, relève de la perfection du premier au dernier plan qui se répondent, comme se font écho les souffrances des personnages dont la caractérisation est infiniment nuancée et délicate. Des cœurs déchirés par la culpabilité, l’impuissance, la dépression.

    Ce film pourrait aussi s’appeler comme le premier long-métrage de Florian Zeller, The Father, un père ici incarné par Hugh Jackman (qui est aussi, évidemment, un « Son » confronté à ses propres bleus à l’âme, la cruauté de son propre père, implacable, incarné par Anthony Hopkins), père d’un adolescent dévoré par un mal-être indicible, qui n’aurait sans doute jamais voulu quitter l’enfance et le cocon rassurant de ses parents unis. Deux parents désormais séparés confrontés à l’insondable et déchirante détresse de leur fils. C’est suffocant, passionnant, poignant.

    Dans The Father, le personnage incarné par Anthony Hopkins avait son appartement pour seul univers et la musique pour compagnie (Bellini, Bizet…). De l’autre côté de sa fenêtre, la vie s’écoulait, immuable, rassurante, mais à l’intérieur de l’appartement, comme dans son cerveau, tout était mouvant, incertain, fragile, inquiétant. Un labyrinthe inextricable, vertigineux. Peu à peu le spectateur s’enfonçait avec lui dans ce brouillard, plongeait dans cette expérience angoissante. Dans chaque instant du quotidien s’insinuait une inquiétante étrangeté. Une mise en scène et en abyme de la folie qui tissait sa toilait arachnéenne. Dans The Son aussi les personnages sont prisonniers d’un autre piège inextricable, du mal-être ou des blessures du passé.

    Dans The Father, dans une séquence bouleversante, le père redevenait cet enfant inconsolable secoué de sanglots, réclamant que sa mère vienne le chercher, l’emmener loin de cette prison mentale et de cette habitation carcérale.  Une séquence à laquelle fait écho la fin de The Son quand le père, au fond si fragile et écorché, et désormais brisé par une douleur vertigineuse, redevient un enfant qui a besoin d’être consolé, lequel a lui-même un père cassant, glaçant, glacial. Quel grand moment de cinéma que la confrontation entre les deux !

    Si le scénario mériterait à nouveau un Oscar, l’interprétation également. Hugh Jackman est tellement investi dans son rôle qu’il est difficile d’imaginer un autre acteur interpréter ce père dépassé par le mal-être insaisissable de son fils, lui-même fils mal-aimé, qui agit comme il peut, du mieux qu’il peut. Face à lui, Laura Dern, dans le rôle de la mère et ex-femme, brisée par cette séparation, toujours follement amoureuse de son ex-mari, jamais dans le ressentiment, et dépassée par l’attitude incompréhensible de son fils que tout son amour ne parvient pas à rasséréner. Le jeune Zen McGrath se glisse de manière impressionnante dans la peau de cet adolescent au visage assombri par la dépression, inquiétant même parfois, éclairé de joies furtives. Aucun des personnages ne tombe dans la caricature.

    Les évocations en flashbacks des temps du bonheur éclatant, ceux d’un été à la mer sous un soleil éblouissant, presque irréel, coupé des autres et de la réalité, rappellent la phrase issue de The Father : « Et tant qu’il y a du soleil il faut en profiter car cela ne dure jamais. » La fugacité du bonheur et la fuite inexorable du temps étaient déjà aussi au centre de The Father : une montre ne suffisait pas à  les retenir (ce n’est pas un hasard si c’était l’objet auquel s’accrochait tant "The Father").

    Des scènes bouleversantes dont l’émotion est subtilement exacerbée par la musique de Hans Zimmer. Elles vous hanteront longtemps. Comme ce son terrifiant qui vient percuter et arracher le bonheur et la lumière retrouvés. Comme cette séquence qui fait imaginer ce qui aurait pu advenir si la tragédie n’avait emporté toute possibilité d’avenir. Comme cette scène d’hôpital d’une force dramatique inouïe : encore un piège inextricable.


    La réalisation fait contraster ces espaces gris et déshumanisés de New York avec les jours ensoleillés, et épouse l’instabilité des êtres. La caméra caresse les espaces inertes ou un chapeau qui s’égare dans les flots pour dire les souvenirs broyés. Vous chavirerez devant la beauté lumineuse, fugace et renversante d’une danse au son de It’s not unusual de Tom Jones puis de Wolf de Awir Leon, une joie évincée en un éclair comme le sera un personnage par un brillant mouvement de caméra.

    Magistral vous dis-je. Une tragédie universelle sur des cœurs déchirés qui s’attèle avec brio au thème finalement peu exploré de la dépression, a fortiori de la dépression adolescente et qui peut-être sauvera quelques êtres rongés par cette souffrance aussi profonde qu'indéfinissable.  À un moment ou un autre du film, ce cœur déchiré sera forcément le vôtre, de parent (face à des décisions ou souffrances impossibles et ineffables), ou de fils ou fille meurtri(e), blessé(e) inconsolable, dévoré(e) par la souffrance, l’impuissance ou la culpabilité. Ce film dont je suis ressortie littéralement bouleversée, d’une impressionnante et rare maîtrise pour un deuxième long-métrage, est pour moi un bijou d’écriture et de sensibilité : un chef-d’œuvre.  

  • Cérémonie des César 2023 du 24 février : nominations détaillées, César d’honneur, programme…

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    « L’art est une émotion supplémentaire qui vient s’ajouter à une technique habile. » Chaplin

    « L’art du cinéma consiste à s’approcher de la vérité des hommes, et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes. » Jean Renoir

    Alors que je vous parlais il y a quelques jours du palmarès des Paris Film Critics Awards (dont j’ai le plaisir de faire partie du collège des votants) qui ont couronné La Nuit du 12 de Dominik Moll, élu meilleur film de l’année mais aussi récompensé du prix de la meilleure adaptation et du meilleur second rôle féminin par Anouk Grinberg (également nommée dans cette catégorie aux César), dans une semaine, ce sera au tour de l’Académie des César de dévoiler le sien lors de la 48ème cérémonie.

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    Deux films figurent en tête avec, respectivement, 11 et 10 nominations : L’innocent de Louis Garrel et La nuit du 12 de Dominik Moll, suivis de En corps de Cédric Klapisch et Pacifiction – Tourment sur les îles d’Albert Serra avec 9 nominations chacun.

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    De ce quatuor ressort une première bonne nouvelle : ce sont quatre films de genres et styles très différents, ce qui démontre, à qui en douterait encore, la diversité du cinéma français qui (ré)concilie ces deux définitions du cinéma par Chaplin et Renoir.

    Nous pouvons en revanche déplorer que de nombreux films soient oubliés de ces nominations, trop peu vus (ou pas vus du tout) par les « professionnels de la profession » (du moins ceux qui ont voté, soit 67,8% des membres seulement) parmi lesquels les films suivants :  Une belle course de Christian Carion, Frère et sœur de Arnaud Desplechin, Goliath de Frédéric Tellier , Un autre monde de Stéphane Brizé, Ténor de Claude Zidi Jr., Années 20 de Elisabeth Vogler, La Brigade de Louis-Julien Petit, Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé, Kompromat de Jérôme Salle, Maria rêve de Lauriane Escaffre et Yvo Muller …

    Mais aussi une seule nomination pour :

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    -  Chronique d’une liaison passagère de Emmanuel Mouret, pour Vincent Macaigne comme meilleur acteur. La mise en scène aurait aussi mérité d’être nommée pour son inventivité. La caméra virevolte entre les acteurs, les accompagne dans leurs mouvements incessants, dans leur indécision, leur ambivalence, notamment par des plans-séquence magistraux ou les plongeant dans des décors plus grands qu’eux, ceux de la grande aventure de leur vie. Ils sont aussi souvent filmés dans de superbes contre-jours ou de dos. Ces choix de mise en scène incitent ainsi le spectateur à interpréter leurs émotions dans leurs gestes tout en retenue au contraire de ceux des personnages de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman que les protagonistes vont voir au cinéma comme un malin contrepoint à leur relation. La (trompeuse) légèreté de cette fable fait un bien fou…et ne rend que plus émouvants la partie finale qui nous cueille savamment et subitement et ces plans de décors vides où ils vécurent des moments heureux auxquels la musique apporte une douce mélancolie. Kiberlain et Macaigne sont tellement parfaits dans leurs rôles qu’il est impossible d’imaginer quels autres acteurs auraient pu incarner aussi bien ce contraste, et apporter cette fantaisie à leurs personnages, ce ton si particulier, sur le fil, entre légèreté et gravité. D’infimes variations dans leur jeu nous font comprendre l’évolution des sentiments indicibles de leurs personnages.

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    - pour Les jeunes amants de Carine Tardieu, pour la magistrale Fanny Ardant, nommée comme meilleure actrice, absolument bouleversante, toujours si éblouissante, fascinante, singulière, un film d’une rare délicatesse sur un sublime amour qui échappe aux conventions, un film qui aurait aussi mérité d’être nommé dans d'autres catégories, au moins pour son scénario.

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    - pour Revoir Paris, pour Virginie Efira, également nommée comme meilleure actrice, un film d’une rare sensibilité, celle qu’il fallait pour traiter de ce sujet si récent (des attentats de Paris de 2015) et si présent dans les mémoires. Mais aussi un film sur la mémoire traumatique qui donne des visages à cette épreuve collective avec tact et dignité. Un poignant élan de vie, de réconciliation (avec soi, le passé) et d’espoir. Une fois de plus, Virginie Efira est troublante de justesse, de nuance, d’émotions, de force et fragilités mêlées.

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    Face à Virginie Efira et Fanny Ardant, il faudra aussi compter sur Juliette Binoche dans le passionnant Ouistreham de Emmanuel Carrère dans lequel cette dernière incarne une journaliste infiltrée parmi des femmes de ménage, et qui est aussi passionnant pour le tableau social "à la Ken Loach" qu’il dresse que pour sa réflexion sur le mensonge. L’actrice s’est glissée magistralement dans la peau de Florence Aubenas, autrice du livre dont le film est l’adaptation.

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    Il faudra également compter sur Laure Calamy dans le trépidant A plein temps de Eric Gravel,  journées d’une femme filmées comme un thriller accompagnée de la musique haletante de Irène Drésel, également nommée pour la musique originale, et Mathilde Van de Moortel pour le montage, mais aussi sur Adèle Exarchopoulos dans un autre film qui n’a pas reçu les échos qu’il aurait mérités, Rien à Foutre de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, portrait générationnel d’une jeune femme hôtesse de l’air en fuite permanente pour tenter d’échapper à son passé et à la réalité.

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    - une seule nomination pour Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, pour Rebecca Marder comme meilleur jeune espoir féminin. Rebecca Marder est une Irène qui irradie de joie de vivre. Avec sa charmante maladresse et sa vitalité contagieuse, elle est absolument irrésistible. Elle vibre de l’amour du théâtre et de la vie, des premiers élans amoureux aussi. Et elle contamine tout le film de la fouge de sa jeunesse. Derrière sa légèreté perce pourtant par moments une gravité qui n’en est que plus ravageuse.  Elle apporte toute sa grâce à ce rôle magnifique, délicat, plein de charme et de candeur derrière lesquels elle dissimule la lucidité de ce qui se trame et que son corps lui rappelle par ses évanouissements. Un film aux résonances universelles comme l'est le Journal d’Anne Frank, qui doit tout autant être montré aux jeunes générations. Pour ne pas oublier. Que cela fut. Que cela pourrait advenir à nouveau. Que le présent et la liberté sont aussi précieux que fragiles. Cette ode à la vie les célèbre magnifiquement et nous laisse avec leur empreinte, pugnace et sublime. Un grand premier film qui nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier, et que l’on n’oubliera pas.

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    -pour Falcon Lake de Charlotte Le Bon, nommé comme meilleur premier film. « Certains fantômes ne réalisent pas qu'ils sont morts. Souvent c'est des gens qui n'étaient pas près de mourir, ils vivent avec nous sans pouvoir communiquer avec personne » dit ainsi le personnage masculin principal, Bastien, à un moment du film. Une phrase qui résonnera d’autant plus fort après cette fin, ce plan du personnage Chloé face au lac, avec sa mèche blonde, qui se tourne à demi quand Bastien l’appelle. Une fin entêtante, magnifique, énigmatique qui fait confiance au spectateur et au pouvoir de l’imaginaire. Une fin comme ce film, magnétique, dont le fantôme ne cessera ensuite de nous accompagner…Une histoire d’amour et de fantômes, certes, mais surtout une exceptionnelle et sublime histoire d’amour et de fantômes  qui vous hantera délicieusement très longtemps.

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    Notre Dame brûle de Jean-Jacques Annaud récolte également une seule nomination pour les effets visuels, signés Laurent Ehrmann.

     De nombreux commentateurs ont déploré l’absence de femmes dans la catégorie « meilleur réalisateur ». Toujours est-il que ces quatre films, au moins (Une jeune fille qui va bien, Revoir Paris, Les jeunes amants, Falcon lake) en auraient mérité davantage. Fait paradoxal quand un des films les plus nommés, La nuit du 12, succès surprise de cet été avec presque 500000 entrées, évoque justement la condition féminine et les féminicides. Ce film inspiré de faits réels, âpre et ciselé, est le septième long-métrage de Dominik Moll. A l’heure où les féminicides demeurent dramatiquement nombreux, ce film est un plaidoyer retentissant, glaçant et vibrant contre les violences faites aux femmes. L’intérêt de l’enquête au cœur du film réside ainsi moins dans la résolution du crime que dans l’auscultation de la vision de la femme par les 6 hommes qui sont les potentiels suspects responsables de l’assassinat d’une jeune femme mais aussi par certains policiers dont les propos font écho à ceux de ces derniers. N'y voyez pas là du manichéisme, bien au contraire ! Les formidables personnages incarnés par Bastien Bouillon et Bouli Lanners viennent les contrebalancer. Bouli Lanners et Bastien Bouillon sont ainsi perdus et tourmentés, et leur désespoir, leur fragilité, leur solitude face à cette affaire irrésolue nous hantent autant que cette dernière après le film. Anouk Grinberg campe aussi une juge profondément humaine.  La procédure est décortiquée mais ce sont surtout les âmes humaines qui le sont comme dans un film de Tavernier (on songe à L627). Le décor de cette vallée grisâtre autour de Grenoble se prête parfaitement à ce thriller sombre. Un film noir dont on ressort bousculé par le portrait de la misogynie « ordinaire. Le dernier plan, celui de l’enquêteur de la PJ qui s'échappe du vélodrome et roule le jour est la respiration tant attendue qui nous marque longtemps après la projection comme ce film qui ne peut laisser indifférent, tant il entre en résonance avec les plaies à vif de notre époque.

     Dans d’autres catégories plus techniques, nous pouvons déplorer que ce soit toujours les mêmes noms qui reviennent. Sans nier le talent des personnes concernées, cela témoigne aussi peut-être d’une certaine facilité de voter pour des noms « retentissants ».

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    Pour le César du meilleur film étranger, je me réjouis de la présence de Close de Lukas Dhont, un film d’une maitrise (de jeu, d’écriture, de mise en scène) rare, empreint de poésie qui ne nuit pas au sentiment de véracité et  de sincérité. Et puis il y a ce regard final qui ne nous lâche pas comme l’émotion poignante, la douce fragilité et la tendresse qui parcourent et illuminent ce film. Un regard final qui résonne comme un écho à un autre visage, disparu, dont le souvenir inonde tout le film de sa grâce innocente. Un des grands films de cette année 2022, étourdissant de sensibilité, bouleversant.

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    L’emportera-t-il face à As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, grand vainqueur de la dernière cérémonie des Goya… ?  Le village en déclin et la campagne de Galice, sauvage, grisâtre et monotone, constituent un personnage à part entière, à la fois fascinant et inquiétant, hostile et admirable.  Ajoutez à cela un scénario impeccable (de Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen), une interprétation de Marina Foïs et Denis Ménochet d’une justesse qui ne flanche jamais, et qui contribue beaucoup au parfait équilibre de l'ensemble, et vous obtiendrez un film âpre mais remarquable.

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    Autre prétendant sérieux au César du meilleur film étranger, Sans Filtre de Ruben Östlund, la palme d’or du dernier Festival de Cannes…Tantôt réjouissante, tantôt dérangeante (à dessein) et finalement peut-être vaine, cette farce cruelle et satirique, sans la moindre illusion sur le monde, nous laisse une impression mitigée, se terminant par une pirouette facile destinée à nous montrer que la boucle est bouclée, que le cycle infernal ne prendra jamais fin.  

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    Parmi les autres nominations notables, celle de Charlotte Gainsbourg pour son documentaire, Jane par Charlotte. Charlotte Gainsbourg « capture l'instant présent » reprenant ainsi les mots et la démarche de Varda (le titre se réfère à Jane B. par Agnès V) mais avec sa singularité et sa sensibilité, à fleur de peau. Un dialogue intime mais jamais impudique entre Gainsbourg et Birkin qui, pendant 3 ans et avec un dispositif minimaliste, au gré des voyages, du Japon à la Bretagne en passant par les États-Unis, et au gré de l’évocation des « petits riens » devient un dialogue universel entre une mère et sa fille, un zoom progressif d'une fille sur sa mère, sans fards. Jane Birkin y apparaît telle qu’elle est : sans méfiance, fantasque, empathique. Mais aussi seule, insomniaque, tourmentée. Tourmentée par les deuils et leurs chagrins inconsolables. La maladie. Le drame ineffable la perte de sa fille Kate. Le temps insatiable et carnassier qui altère la beauté et emporte les êtres chers. Au milieu de tout cela, la visite « comme dans un rêve » de la maison de la rue de Verneuil, l'ombre de Serge Gainsbourg et les silences éloquents et émouvants. Le portrait d’une femme majestueuse. Un portrait qui s’achève par la voix mélodieuse et les mots bouleversants de sa fille se livrant à son tour, enfin, et évoquant la peur terrifiante et universelle de la perte de sa mère et qui, par ce film, tente d'appréhender l'inacceptable, de l'apprivoiser, de retenir chaque poussière d’instant en compagnie de celle dont l'intermédiaire de la caméra lui permet paradoxalement de se rapprocher. Un bijou de tendresse et d’émotion portée par une judicieuse BO (de Bach aux interludes électroniques de Sebastian). D’humour aussi, d'humour beaucoup, grâce au regard décalé, espiègle et clairvoyant que Jane Birkin porte sur elle-même, la vie, les autres, mais aussi celui que sa fille porte sur sa mère. Un film comme elles, réservées et terriblement audacieuses : riche de leurs séduisants paradoxes. Léger dans la forme et teinté de touches de gravité. Libre aussi. Et encore cela : délicat, iconoclaste, éperdument vivant et attachant. Un documentaire qui, en capturant le présent et sa fragilité, nous donne une envie folle d’étreindre chaque seconde de notre vie et aux filles de s'accrocher à leurs mères comme elles deux dans ce dernier plan avec l'illusion d'empêcher ainsi l'inexorable, que la vague effroyable de l'impitoyable faucheuse ne les emporte un jour, à tout jamais... Je voudrais remonter le temps. Redevenir celle qui, en 1999, avait eu la chance de partager 5 jours mémorables avec Jane Birkin en tant que membre d'un jury qu'elle présidait au Festival du Film Britannique de Dinard.. Et lui dire à quel point sa bienveillance, cette confiance sans filtre envers les autres qui transpire dans ce documentaire, m'avaient émue...Et lui dire merci tout simplement.  Alors merci Jane et merci Charlotte Gainsbourg pour ce portrait qui entremêle les émotions. Vous l'aurez compris, je souhaite un César pour ce documentaire.

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    LE film de l’année reste pour moi En corps de Cédric Klapisch.  Ce film lumineux met le cœur en joie, vous cueille quand vous ne vous y attendez pas, par un flashback et un plan, de loin, d’un père qui enlace sa fille, filmés tout en pudeur. Ajoutez à cela des seconds rôles remarquables au premier rang desquels celui qui incarne le père, Denis Podalydès, aussi terriblement gauche qu’émouvant, François Civil en kinésithérapeute éthéré et Muriel Robin, propriétaire de la résidence pour artistes, qui interprète avec sobriété cette autre blessée de la vie à l’écoute bienveillante. Et vous obtiendrez un joyeux élan de vie, de danse, d’espoir. Un film duquel se dégage une grâce énergique qui vous donne envie de croire encore (en corps) et plus que jamais qu’il est toujours possible de faire danser la vie, de se relever, de s’élever même, malgré les chutes et les blessures. Pour moi, il y aura désormais deux films références sur la danse. Un film entrelaçant le noir et le blanc, une quête de perfection obsessionnelle, une expérience sensorielle, une danse funèbre et lyrique, un conte obscur sensuel et oppressant à la beauté hypnotique : Black swan de Darren Aronofsky. Et son exact contraire, En corps. Dans l'un, la passion de la danse détruit. Dans l'autre, elle élève. Alors, n’écoutez pas les critiques vengeresses qui qualifient ce beau film de mièvre. C’est tout sauf cela. C’est tendre, drôle, émouvant, faussement léger, profond, réconfortant, énergique, optimiste. Cela donne envie d’étreindre l’existence. Rien que son (sublime) générique vaut le déplacement ! 

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    Il faudrait encore citer En attendant Bojangles, la poignante adaptation du roman éponyme d'Olivier Bourdeaut par Régis Roinsard qui récolte une seule nomination (pour les costumes, une nomination pour l'adaptation aurait été méritée)  et  Judith Chemla nommée pour le poignant film de Léopold Legrand, Le sixième enfant.

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    Notons également que Simone, le voyage du siècle d’Olivier Dahan, n'est nommé que dans deux catégories, pour les costumes et les décors, malgré 2, 5 millions d’entrées.

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    Enfin, François Ozon pourrait récolter deux César pour Peter Van Kant pour lequel sont nommés Denis Menochet, comme meilleur acteur, et Stefan Crepon, comme meilleur espoir masculin, dans un rôle aussi muet que marquant…

    N’oublions pas non plus les court-métrages nommés que vous pouvez visionner sur Arte.fr et Universcine.com.

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    Rendez-vous le 24 février pour savoir lequel parmi les films suivants succèdera à Illusions perdues de Xavier Giannoli comme meilleur film.

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    Leïla Bekhti, Jérôme Commandeur, Jamel Debbouze, Emmanuelle Devos, Léa Drucker, Eye Haïdara, Alex Lutz, Raphaël Personnaz et Ahmed Sylla présenteront collégialement la cérémonie, sous la présidence de Tahar Rahim : "Une présentation collégiale et joyeuse en soutien à la création cinématographique, une mobilisation collective au service d’une cérémonie renouvelée qui mettra en valeur la diversité et la richesse du cinéma en France. Des artistes, Maîtres et Maîtresses de Cérémonie, qui partageront leur amour du cinéma et célèbreront le temps de ce grand événement, celles et ceux qui l’auront fait briller cette année."

    La Direction Artistique de la Cérémonie sera assurée par le réalisateur Éric Lartigau.

    Le César d'Honneur sera remis au cinéaste David Fincher par Virginie Efira.

    Marina Foïs présentera l’hommage à Jean-Louis Trintignant, disparu le 17 juin dernier, et Charlotte Gainsbourg  chantera en français.

    La Cérémonie sera diffusée vendredi 24 février sur CANAL+, en clair, en direct et en exclusivité depuis l’Olympia, et sera également disponible sur myCANAL.

    En attendant l'édition 2023, retrouvez l'article détaillé que j'avais consacré à l'édition 2022 des César, ici.

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    Pour l’affiche de l’édition 2023, c’est Annette de Leos Carax qui est à l’honneur, son conte musical tragique et flamboyant, mon coup de coeur de l'année 2022 pour lequel Leos Carax avait remporté le César de la Meilleure Réalisation. Dans cette scène merveilleusement mise en lumière par la directrice de la photographie Caroline Champetier, dont est tirée cette année l’affiche de la Cérémonie, la cantatrice erre au milieu d’un décor d’opéra représentant la forêt, élément clé, souvent magique, du cinéma de Leos Carax. Ce décor est sur le point de s’ouvrir pour laisser place à une véritable forêt, dans laquelle elle va s’engouffrer. Comme souvent chez Leos Carax, tout est dualité. L’opéra se mêle à la forêt. L’imaginaire à la réalité. Leos Carax nous fait voyager sur cette fine frontière entre les deux univers. C’est ce qu’est le cinéma, cette passerelle entre la fiction et la réalité.

    NOMINATIONS COMPLETES :

    Sont nommées pour

    le CÉSAR DE LA MEILLEURE ACTRICE

    FANNY ARDANT dans LES JEUNES AMANTS

    JULIETTE BINOCHE dans OUISTREHAM

    LAURE CALAMY dans À PLEIN TEMPS

    VIRGINIE EFIRA dans REVOIR PARIS

    ADÈLE EXARCHOPOULOS dans RIEN À FOUTRE

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR ACTEUR

    JEAN DUJARDIN dans NOVEMBRE

    LOUIS GARREL dans L’INNOCENT

    VINCENT MACAIGNE dans CHRONIQUE D’UNE LIAISON PASSAGÈRE

    BENOÎT MAGIMEL dans PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

    DENIS MÉNOCHET dans PETER VON KANT

     

    Sont nommées pour

    le CÉSAR DE LA MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE

    JUDITH CHEMLA dans LE SIXIÈME ENFANT

    ANAÏS DEMOUSTIER dans NOVEMBRE

    ANOUK GRINBERG dans L’INNOCENT

    LYNA KHOUDRI dans NOVEMBRE

    NOÉMIE MERLANT dans L’INNOCENT

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE

    FRANÇOIS CIVIL dans EN CORPS

    BOULI LANNERS dans LA NUIT DU 12

    MICHA LESCOT dans LES AMANDIERS

    PIO MARMAÏ dans EN CORPS

    ROSCHDY ZEM dans L’INNOCENT

     

    Sont nommées pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR ESPOIR FÉMININ

    MARION BARBEAU dans EN CORPS

    GUSLAGIE MALANDA dans SAINT OMER

    REBECCA MARDER dans UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN

    NADIA TERESZKIEWICZ dans LES AMANDIERS

    MALLORY WANECQUE dans LES PIRES

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR ESPOIR MASCULIN

    BASTIEN BOUILLON dans LA NUIT DU 12

    STEFAN CREPON dans PETER VON KANT

    DIMITRI DORÉ dans BRUNO REIDAL, CONFESSION D’UN MEURTRIER

    PAUL KIRCHER dans LE LYCÉEN

    ALIOCHA REINERT dans PETITE NATURE

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL

    ÉRIC GRAVEL pour À PLEIN TEMPS

    VALERIA BRUNI TEDESCHI, NOÉMIE LVOVSKY, AGNÈS DE SACY pour LES AMANDIERS

    CÉDRIC KLAPISCH, SANTIAGO AMIGORENA pour EN CORPS

    LOUIS GARREL, TANGUY VIEL, NAÏLA GUIGUET pour L’INNOCENT

    ALICE DIOP, AMRITA DAVID, MARIE NDIAYE pour SAINT OMER

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DE LA MEILLEURE ADAPTATION

    MICHEL HAZANAVICIUS pour COUPEZ !

    THIERRY DE PERETTI, JEANNE APTEKMAN pour ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ÉTAT

    GILLES MARCHAND, DOMINIK MOLL pour LA NUIT DU 12

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DE LA MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE

    IRÈNE DRÉSEL pour À PLEIN TEMPS

    ALEXANDRE DESPLAT pour COUPEZ !

    GRÉGOIRE HETZEL pour L’INNOCENT

    OLIVIER MARGUERIT pour LA NUIT DU 12

    MARC VERDAGUER, JOE ROBINSON pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

    ANTON SANKO pour LES PASSAGERS DE LA NUIT

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR SON

    CYRIL MOISSON, NICOLAS MOREAU, CYRIL HOLTZ pour EN CORPS

    LAURENT BENAÏM, ALEXIS MEYNET, OLIVIER GUILLAUME pour L’INNOCENT

    CÉDRIC DELOCHE, ALEXIS PLACE, GWENNOLÉ LE BORGNE, MARC DOISNE pour NOVEMBRE

    FRANÇOIS MAUREL, OLIVIER MORTIER, LUC THOMAS pour LA NUIT DU 12

    JORDI RIBAS, BENJAMIN LAURENT, BRUNO TARRIÈRE pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DE LA MEILLEURE PHOTO

    JULIEN POUPARD pour LES AMANDIERS

    ALEXIS KAVYRCHINE pour EN CORPS

    PATRICK GHIRINGHELLI pour LA NUIT DU 12

    ARTUR TORT pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

    CLAIRE MATHON pour SAINT OMER

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR MONTAGE

    MATHILDE VAN DE MOORTEL pour À PLEIN TEMPS

    ANNE-SOPHIE BION pour EN CORPS

    PIERRE DESCHAMPS pour L’INNOCENT

    LAURE GARDETTE pour NOVEMBRE

    LAURENT ROUAN pour LA NUIT DU 12

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DES MEILLEURS COSTUMES

    CAROLINE DE VIVAISE pour LES AMANDIERS

    PIERRE-JEAN LARROQUE pour COULEURS DE L’INCENDIE

    EMMANUELLE YOUCHNOVSKI pour EN ATTENDANT BOJANGLES

    CORINNE BRUAND pour L’INNOCENT

    PRAXEDES DE VILALLONGA pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

    GIGI LEPAGE pour SIMONE - LE VOYAGE DU SIÈCLE

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DES MEILLEURS DÉCORS

    EMMANUELLE DUPLAY pour LES AMANDIERS

    SEBASTIAN BIRCHLER pour COULEURS DE L’INCENDIE

    MICHEL BARTHÉLÉMY pour LA NUIT DU 12

    SEBASTIAN VOGLER pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

    CHRISTIAN MARTI pour SIMONE - LE VOYAGE DU SIÈCLE

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DES MEILLEURS EFFETS VISUELS

    GUILLAUME MARIEN pour LES CINQ DIABLES

    SÉBASTIEN RAME pour FUMER FAIT TOUSSER

    LAURENS EHRMANN pour NOTRE-DAME BRÛLE

    MIKAËL TANGUY pour NOVEMBRE

    MARCO DEL BIANCO pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DE LA MEILLEURE RÉALISATION

    CÉDRIC KLAPISCH pour EN CORPS

    LOUIS GARREL pour L’INNOCENT

    CÉDRIC JIMENEZ pour NOVEMBRE

    DOMINIK MOLL pour LA NUIT DU 12

    ALBERT SERRA pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM DE COURT MÉTRAGE D’ANIMATION

    CÂLINE

    réalisé par MARGOT REUMONT,

    produit par BENOÎT AYRAUD

    NOIR-SOLEIL

    réalisé par MARIE LARRIVÉ,

    produit par NICOLAS DE ROSANBO, CÉLINE VANLINT

    LA VIE SEXUELLE DE MAMIE

    réalisé par URŠKA DJUKIĆ, ÉMILIE PIGEARD,

    produit par OLIVIER CATHERIN, EDWINA LIARD, NIDIA SANTIAGO

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM DE COURT MÉTRAGE DOCUMENTAIRE

    CHURCHILL, POLAR BEAR TOWN

    réalisé par ANNABELLE AMOROS,

    produit par CLARISSE TUPIN

    ÉCOUTEZ LE BATTEMENT DE NOS IMAGES

    réalisé par AUDREY JEAN-BAPTISTE, MAXIME JEAN-BAPTISTE,

    produit par AUDREY JEAN-BAPTISTE, MAXIME JEAN-BAPTISTE

    MARIA SCHNEIDER, 1983

    réalisé par ELISABETH SUBRIN,

    produit par HELEN OLIVE, MARTIN BERTIER

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM DE COURT MÉTRAGE DE FICTION

    HAUT LES CŒURS

    réalisé par ADRIAN MOYSE DULLIN,

    produit par LUCAS TOTHE

    PARTIR UN JOUR

    réalisé par AMÉLIE BONNIN,

    produit par BASTIEN DARET, ARTHUR GOISSET, ROBIN ROBLES

    LE ROI DAVID

    réalisé par LILA PINELL,

    produit par EMMANUEL CHAUMET

    LES VERTUEUSES

    réalisé par STÉPHANIE HALFON,

    produit par ANNE BERJON, CAROLINE ADRIAN

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM D’ANIMATION

    ERNEST ET CÉLESTINE : LE VOYAGE EN CHARABIE

    réalisé par JEAN-CHRISTOPHE ROGER, JULIEN CHHENG,

    produit par DAMIEN BRUNNER, DIDIER BRUNNER

    MA FAMILLE AFGHANE

    réalisé par MICHAELA PAVLATOVA,

    coproducteur France RON DYENS

    LE PETIT NICOLAS - QU’EST-CE QU’ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX ?

    réalisé par AMANDINE FREDON, BENJAMIN MASSOUBRE,

    produit par ATON SOUMACHE

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM DOCUMENTAIRE

    ALLONS ENFANTS

    réalisé par THIERRY DEMAIZIÈRE, ALBAN TEURLAI,

    produit par STÉPHANIE SCHORTER, THIERRY DEMAIZIÈRE, ALBAN TEURLAI, ROMAIN ICARD

    LES ANNÉES SUPER 8

    réalisé par ANNIE ERNAUX, DAVID ERNAUX-BRIOT,

    produit par DAVID THION, PHILIPPE MARTIN

    LE CHÊNE

    réalisé par LAURENT CHARBONNIER, MICHEL SEYDOUX,

    produit par BARTHÉLÉMY FOUGEA, MICHEL SEYDOUX

    JANE PAR CHARLOTTE

    réalisé par CHARLOTTE GAINSBOURG,

    produit par MATHIEU AGERON, MAXIME DELAUNEY, ROMAIN ROUSSEAU, CHARLOTTE GAINSBOURG

    RETOUR À REIMS [FRAGMENTS]

    réalisé par JEAN-GABRIEL PÉRIOT,

    produit par MARIE-ANGE LUCIANI

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR PREMIER FILM

    BRUNO REIDAL, CONFESSION D’UN MEURTRIER

    réalisé par VINCENT LE PORT,

    produit par THIERRY LOUNAS, ROY ARIDA, PIERRE-EMMANUEL URCUN

    FALCON LAKE

    réalisé par CHARLOTTE LE BON,

    produit par DAVID GAUQUIÉ, JULIEN DERIS, JEAN-LUC ORMIERES, JALIL LESPERT

    LES PIRES

    réalisé par LISE AKOKA, ROMANE GUERET,

    produit par MARINE ALARIC, FRÉDÉRIC JOUVE

    SAINT OMER

    réalisé par ALICE DIOP,

    produit par TOUFIK AYADI, CHRISTOPHE BARRAL

    LE SIXIÈME ENFANT

    réalisé par LÉOPOLD LEGRAND,

    produit par FRÉDÉRIC BRILLION, GILLES LEGRAND

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM ÉTRANGER

    AS BESTAS

    réalisé par RODRIGO SOROGOYEN,

    coproduction France LE PACTE (Jean Labadie)

    CLOSE

    réalisé par LUKAS DHONT,

    coproduction France DIAPHANA FILMS (Michel Saint-Jean)

    LA CONSPIRATION DU CAIRE

    réalisé par TARIK SALEH,

    coproduction France MEMENTO PRODUCTION (Alexandre Mallet-Guy)

    EO

    réalisé par JERZY SKOLIMOWSKI,

    distribution France ARP SÉLECTION

    SANS FILTRE

    réalisé par RUBEN ÖSTLUND,

    coproduction France COPRODUCTION OFFICE (Philippe Bober)

     

    Sont nommés pour

    le CÉSAR DU MEILLEUR FILM *

    LES AMANDIERS

    produit par ALEXANDRA HENOCHSBERG, PATRICK SOBELMAN,

    réalisé par VALERIA BRUNI TEDESCHI

    EN CORPS

    produit par BRUNO LEVY,

    réalisé par CÉDRIC KLAPISCH

    L’INNOCENT

    produit par ANNE-DOMINIQUE TOUSSAINT,

    réalisé par LOUIS GARREL

    LA NUIT DU 12

    produit par CAROLINE BENJO, BARBARA LETELLIER, CAROLE SCOTTA, SIMON ARNAL,

    réalisé par DOMINIK MOLL

    PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

    produit par PIERRE OLIVIER BARDET,

    réalisé par ALBERT SERRA

    * Les 5 films nommés au César du Meilleur Film seront également soumis au vote de 1 979 lycéens pour le César des Lycéens

     

    Récapitulatif des nominations

    11 pour L’INNOCENT

    10 pour LA NUIT DU 12

     9 pour EN CORPS

     9 pour PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES

     7 pour LES AMANDIERS

     7 pour NOVEMBRE

     4 pour À PLEIN TEMPS

     4 pour SAINT OMER

     2 pour BRUNO REIDAL, CONFESSION D’UN MEURTRIER

     2 pour COULEURS DE L’INCENDIE

     2 pour COUPEZ !

     2 pour PETER VON KANT

     2 pour LES PIRES

     2 pour SIMONE - LE VOYAGE DU SIÈCLE

     2 pour LE SIXIÈME ENFANT

     1 pour ALLONS ENFANTS

     1 pour LES ANNÉES SUPER 8

     1 pour AS BESTAS

     1 pour CÂLINE

     1 pour LE CHÊNE

     1 pour CHRONIQUE D’UNE LIAISON PASSAGÈRE

     1 pour CHURCHILL, POLAR BEAR TOWN

     1 pour LES CINQ DIABLES

     1 pour CLOSE

     1 pour LA CONSPIRATION DU CAIRE

     1 pour ÉCOUTEZ LE BATTEMENT DE NOS IMAGES

     1 pour EN ATTENDANT BOJANGLES

    1 pour ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ÉTAT

    1 pour EO

    1 pour ERNEST ET CÉLESTINE : LE VOYAGE EN CHARABIE

    1 pour FALCON LAKE

    1 pour FUMER FAIT TOUSSER

    1 pour HAUT LES COEURS

    1 pour JANE PAR CHARLOTTE

    1 pour LES JEUNES AMANTS

    1 pour LE LYCÉEN

    1 pour MA FAMILLE AFGHANE

    1 pour MARIA SCHNEIDER, 1983

    1 pour NOIR-SOLEIL

    1 pour NOTRE-DAME BRÛLE

    1 pour OUISTREHAM

    1 pour PARTIR UN JOUR

    1 pour LES PASSAGERS DE LA NUIT

    1 pour LE PETIT NICOLAS - QU’EST-CE QU’ON ATTEND

    POUR ÊTRE HEUREUX ?

    1 pour PETITE NATURE

    1 pour RETOUR À REIMS [FRAGMENTS]

    1 pour REVOIR PARIS

    1 pour RIEN À FOUTRE

    1 pour LE ROI DAVID

    1 pour SANS FILTRE

    1 pour UNE JEUNE FILLE QUI VA BIEN

    1 pour LES VERTUEUSES

    1 pour LA VIE SEXUELLE DE MAMIE

    Total : 113 nominations

  • Critique de CÉSAR ET ROSALIE de Claude Sautet

     

    critique, cinéma, César et Rosalie, Claude Sautet, Romy Schneider, Samy Frey, Yves Montand, Philippe Sarde

    Le critique de cinéma Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour La Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent en effet la mélancolie sous-jacente. César donc c’est Yves Montand, un ferrailleur qui a réussi, vivant avec Rosalie (Romy Schneider) divorcée d’Antoine (Umberto Orsini), et qui aime toujours David (Sami Frey), un dessinateur de bandes dessinées, sans cesser d’aimer César. Ce dernier se fâche puis réfléchit et abandonne Rosalie à David. Des liens de complicité et même d’amitié se tissent entre les deux hommes si bien que Rosalie, qui veut être aimée séparément par l’un et par l’autre, va tenter de s’interposer entre eux, puis va partir…

    Dans ce film de 1972, qui fut souvent comparé à Jules et Jim de Truffaut, on retrouve ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de café, de groupe et la solitude dans le groupe, la fugacité du bonheur immortalisée, l’implicite dans ce qui n’est pas -les ellipses- comme dans ce qui est -les regards-. Ah, ces derniers regards entre les trois personnages principaux ! Ah, le regard de David lorsque l’enfant passe des bras de Rosalie à ceux de César, scène triangulaire parfaitement construite !

    Les regards sont toujours particulièrement signifiants et significatifs dans les films de Sautet, comme également dans Les choses de la vien certainement le film de Sautet que j’ai le plus de mal à revoir tant il me bouleverse à chaque fois, sans doute parce qu’il met en scène ce que chacun redoute : la fatalité qui fauche une vie en plein vol. Le film est en effet placé d’emblée sous le sceau de la fatalité puisqu’il débute par un accident de voiture. Et une cacophonie et une confusion qui nous placent dans la tête de Pierre (Michel Piccoli). Cet accident est le prétexte à un remarquable montage qui permet une succession de flashbacks, comme autant de pièces d’un puzzle qui, reconstitué, compose le tableau de la personnalité de Pierre et de sa vie sentimentale. Dans Les choses de la vie, on se souviendra ainsi longtemps du regard d’Hélène qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder, elle n'est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante….Les regards sont aussi capitaux dans la séquence sublime du restaurant dans laquelle ils passent du rendez-vous d’amour à la dispute, une scène qu’ils ne paraissent pas jouer mais vivre sous nos yeux, dans un de ces fameux cafés ou brasseries qu’on retrouvera ensuite dans tous les films de Claude Sautet, dans les scènes de groupe dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique. On retrouvera aussi la solitude dans et malgré le groupe. « A chaque film, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. »  dira ainsi Claude Sautet. 

    Annie Girardot et Yves Montand puis Lino Ventura déclinèrent les rôles d'Hélène et de Pierre dans Les choses de la vie. Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui, là encore, résonnent comme les paroles d’une chanson :  «J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes.

    Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma : d’abord parce que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l’imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté (ici, dans César et Rosalie, l’arrivée de David) et ensuite parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Claude Sautet a ainsi été critique musical au journal Combat, un journal de la Résistance, il avait ainsi une vraie passion pour le jazz et pour Bach (auquel il associera d’ailleurs le baroque César), notamment. Il a par ailleurs consacré un film entier à la musique, Un cœur en hiver, le meilleur film de Sautet selon moi tant les personnages y sont ambivalents, complexes, bref humains, et tout particulièrement le personnage de Stéphane interprété par Daniel Auteuil, le « cœur en hiver », pouvant donner lieu à une interprétation différente à chaque vision du film. Le tempo de ses films est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition. C’est évidemment aussi le cas dans César et Rosalie. Les dialogues et la voix même y exhalent une vraie musicalité comme l’inoubliable Lettre de Rosalie ("Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David, qui m'emmène sans m'emporter, qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir…"). La sublime musique de Philippe Sarde est bien sûr aussi indissociable de César et Rosalie.

    « L’unité dans la diversité ». Pour qualifier le cinéma de Claude Sautet et l’unité qui le caractérise malgré une diversité apparente, nous pourrions ainsi paraphraser cette devise de l’Union européenne. Certes a priori, L’arme à gauche est un film très différent de Vincent, François, Paul et les autres, pourtant si son premier film Classe tous risques est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films. Tous ses films se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants. Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif, c’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».

    Dans Nelly et M. Arnaud se noue ainsi une relation ambiguë entre un magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et une jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d’Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma: silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle, le suspense, presque hitchcockien y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié: le thriller des sentiments.

    Les films de Sautet ont tous des points communs : le groupe, (dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique), des personnages face à leurs solitudes malgré ce groupe, des scènes de café,( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

    Claude Sautet, en 14 films, a imposé un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble. Il a signé aussi bien des « drames gais » avec César et Rosalie, ou encore le trop méconnu, fantasque et extravagant Quelques jours avec moi, un film irrésistible, parfois aux frontières de l’absurde, mais aussi des films plus politiques notamment le très sombre « Mado » dans lequel il dénonce l’affairisme et la corruption…

    « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. », disait Truffaut. Ainsi, personne mieux que Claude Sautet ne savait et n’a su dépeindre des personnages attachants, fragiles mais si vivants (à l’exception de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans Un cœur en hiver, personnage aux émotions anesthésiées quoique…) comme le sont César et Rosalie.

    Ici au contraire ce n’est pas « un cœur en hiver », mais un cœur qui bat la chamade et qui hésite, celui de Rosalie, qui virevolte avec sincérité, et qui emporte le spectateur dans ses battements effrénés. Et effectivement on retrouve cette vitalité, celle de la mise en scène qui épouse le rythme trépidant de César face au taciturne David. César qui pourrait agacer ( flambeur, gouailleur, lâche parfois) face à la fragilité et la discrétion de l’artiste David. Deux hommes si différents, voire opposés, dans leur caractérisation comme dans leur relation à Rosalie que Sautet dépeint avec tendresse, parfois plutôt une tendre cruauté concernant César.

    Là se trouve la fantaisie, dans ce personnage interprété magistralement par Yves Montand, ou dans la relation singulière des trois personnages, si moderne. Un film qui n’est pas conventionnel jusque dans sa magnifique fin, ambiguë à souhait. Sans effets spéciaux. Simplement par la caractérisation ciselée de personnages avec leurs fêlures et leur déraison si humaines.

    On a souvent dit de Claude Sautet était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle. S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.

    César et Rosalie est un film à l’image de son personnage principal qui insuffle ce rythme précis et exalté : truculent et émouvant, mélancolique et joyeux, exubérant et secret. Un film intemporel et libre, qui oscille entre le rire et les larmes, dans lequel tout est grave et rien n’est sérieux (devise crétoise, un peu la mienne aussi). Un film délicieusement amoral que vous devez absolument voir ou revoir ne serait-ce que pour y voir deux monstres sacrés (Romy Schneider et Yves Montand, l’une parfaite et resplendissante dans ce rôle de femme riche de contradictions, moderne, amoureuse, indépendante, enjouée, et triste, incarnant à elle seule les paradoxes de ce « drame gai » ; l’autre hâbleur, passionné, cabotin, bavard, touchant face à Sami Frey silencieux, posé, mystérieux, séduisant mais tous finalement vulnérables, et les regards traversés de voiles soudains de mélancolie ) au sommet de leur art et pour entendre des dialogues aussi incisifs, précis que savoureux (comme pour le scénario également cosigné par Jean-Loup Dabadie)…

    Claude Sautet disait lui-même que ses films n’étaient pas réalistes mais des fables. Son univers nous envoûte en tout cas, et en retranscrivant la vie à sa « fabuleuse » manière, il l’a indéniablement magnifiée. Certains lui ont reproché son classicisme, pour le manque de réflexivité de son cinéma, comme on le reprocha aussi à Carné. On lui a aussi reproché de toujours filmer le même milieu social (bourgeoisie quinquagénaire et citadine). Qu’importe ! Un peu comme l’ours en peluche du Jour se lève  qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons de ses films, entre rires et larmes, bouleversés, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n’a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

  • Critique de LA SYNDICALISTE de Jean-Paul Salomé (au cinéma le 1er mars 2023)

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    Dans un précédent article, je citais cette célèbre phrase de François Truffaut : « Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle. » Ce nouveau film de Jean-Paul Salomé, projeté dans le cadre de la dernière Mostra de Venise, en est l’incarnation parfaite, maintenant constamment un admirable équilibre entre les deux, vérité et spectacle, pour aboutir à ce film aussi instructif que passionnant grâce au brillant scénario de Fadette Drouard et Jean-Paul Salomé qui s’appuie principalement sur le livre éponyme de la journaliste Caroline Michel-Aguirre, une enquête très approfondie sur cette édifiante affaire.

    Trois ans après La Daronne, le cinéaste retrouve Isabelle Huppert, qui incarne La Syndicaliste donc, Maureen Kearney, déléguée CFDT chez Areva, qui, en 2012, est devenue lanceuse d’alerte pour dénoncer un secret d’Etat qui a secoué l’industrie du nucléaire en France : le démantèlement d’Areva par le PDG d’EDF, Henri Proglio, qui rêvait de devenir le numéro un du nucléaire français, peu importe que pour cela il faille brader les compétences françaises à la Chine avec pour conséquences la perte de l’indépendance énergétique française et des dizaines de milliers d’emplois menacés.  Seule contre tous, malgré les intimidations, Maureen Kearney s’est battue bec et ongles contre les ministres et les industriels pour faire éclater ce scandale et défendre plus de 50 000 emplois. Jusqu’au jour où elle fut violemment agressée…

    Que cette histoire brûlante soit une histoire vraie contribue à captiver encore plus notre attention et à rendre ce film, dénué de temps mort, encore plus haletant. Le long-métrage se divise ainsi en deux parties et presque en deux genres distincts : thriller politique et thriller psychologique.

    Le cinéma français, avec notamment Costa-Gavras et Boisset, a longtemps affectionné le genre du thriller politique inspiré d’histoires vraies, le délaissant quelque peu ces dernières années, avec pour exceptions le remarquable Grâce à Dieu de François Ozon en 2019, et, l’an passé, Goliath de Frédéric Tellier inspiré des affaires des "Monsanto Papers" mettant en cause ladite entreprise et le glyphosate utilisé dans son herbicide (un film que je vous recommande à nouveau au passage). On pense aussi au cinéma de Pakula (Les Hommes du président, l’Affaire Pélican…) ou à celui de Soderbergh (Effets secondaires, Erin Brockovich…). Ou encore, plus récemment, au cinéma plus social de Louis-Julien Petit ou Stéphane Brizé, au passage deux oubliés des César 2023 qui auraient mérité d’y figurer, respectivement pour La Brigade et Un autre monde. À nouveau, dans La Syndicaliste, comme dans les films précités, il s’agit du combat de David contre Goliath.

    Dans L’ivresse du pouvoir de Claude Chabrol, Isabelle Huppert incarnait Jeanne Charmant Killman, une juge d’instruction chargée de l’affaire de corruption et de détournement de fonds mettant en cause le président d’un grand groupe industriel. Elle se mettait en scène (notamment avec des gants rouges) dans son propre rôle de juge. L’ivresse que ce pouvoir engendrait lui faisait oublier la réalité jusqu’à ce qu’elle retourne dans l’ombre (au propre comme au figuré dans le dernier plan du film). Dans le film de Jean-Paul Salomé, aussi, Isabelle Huppert porte une armure, sa frange et ses cheveux blonds souvent cadenassés en un chignon savamment structuré, des bijoux et des vêtements colorés, et un indéfectible rouge à lèvres. C’est d’ailleurs avec ce rouge à lèvres qu’elle se maquillera devant le médecin qui l’aura examinée après son agression, un des éléments qui feront dire aux enquêteurs qu’elle n’a pas réagi « comme une femme violée ». Les regards masculins qui l’auscultent, dans tous les sens du terme, sont alors dubitatifs, surtout remplis de préjugés.

    Comme ce film, dichotomique, Maureen est forte et fragile, combative et blessée, condamnant ceux que le pouvoir enivre et parfois elle-même grisée par le sien. Isabelle Huppert, une fois de plus, excelle dans ce rôle, dans un troublant mimétisme avec la vraie Maureen, emportant notre empathie face aux épreuves et l’injustice auxquelles elle est doit faire face, et la solitude dans laquelle son combat l’enferme peu à peu. Autour d’elle figure toute une pléiade d’acteurs remarquables judicieusement choisis :  Marina Foïs dans le rôle (trouble) d’Anne Lauvergeon, Yvan Attal dans le rôle du colérique et ambitieux Luc Oursel, numéro 2 d’Areva, François-Xavier Demaison dans le rôle du compatissant bras droit de Maureen à la CFDT, Aloïse Sauvage dans le rôle d’une femme gendarme qui seule semble croire Maureen. Mais aussi Pierre Deladonchamps dans le rôle de l’enquêteur pétri de convictions, et Gégory Gadebois, toujours d’une justesse sidérante, dans le rôle du mari de Maureen, ingénieur du son pour des concerts de variétés, à mille lieux de l’univers de son épouse incarnée par Isabelle Huppert avec laquelle il forme un couple a priori improbable mais qui fonctionne merveilleusement à l’écran.

    Ce film est passionnant à bien des égards : le portrait de femme qu’il dresse et les obstacles et préjugés auxquels Maureen se trouve confrontée en tant que telle (on aimerait se dire que les temps ont changé, mais je n’en suis pas tellement persuadée), le suspense à la fois lié à la psychologie du personnage principal mais aussi à l’affaire et toutes ses ramifications, les différents pouvoirs dont il brosse le portrait ( écono­mique, politique et industriel) que Maureen doit affronter, les résonances dans l’actualité (Lauvergeon, Proglio, Sarkozy, Montebourg, Hollande sont ouvertement cités), l’idée de vérité qu’il interroge.

    Ajoutez à cela la magnifique photographie de Julien Hirsch, le montage particulièrement rythmé, la musique de Bruno Coulais qui instille un degré supplémentaire dans l’émotion et le suspense, et vous obtiendrez un réquisitoire politique puissant qui réussit le défi d’être aussi un grand film populaire comme l’étaient de précédents films de Jean-Paul Salomé pas toujours estimés à leur juste valeur (Belphégor, Le fantôme du Louvre, Arsène Lupin, Les femmes de l’ombre…). En sortant de la séance, bouleversée, on se dit que le cinéma vient d’offrir ce qu’il a de meilleur : un film à la fois didactique et palpitant, engagé et divertissant, ne négligeant ni la forme ni le fond, respectant son sujet et le spectateur. Dans L’ivresse du pouvoir, la juge incarnée par Isabelle Huppert passait de la lumière à l’ombre tandis que, ici, à l’inverse, Maureen que l’on a voulu bâillonner, qui au début du film est évoquée par une voix off et n’apparaît à l’image qu’au bout de quelques minutes, retrouve une voix, puissante, devant l’Assemblée nationale, et en donne une à tous ces licenciés, victimes sans visages.  Un film important à côté duquel il serait dommage de passer et qui, peut-être, ouvrira une nouvelle page de cette histoire et qui, en tout cas, suscitera fortement le débat sur les zones d’ombre de cette affaire. Au cinéma le 1er mars 2023.