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cinéma - Page 85

  • Critique de SKYFALL de Sam Mendes ce dimanche 8 novembre 2015 sur France 2

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    « Skyfall » est le 23ème James Bond, le troisième James Bond incarné par Daniel Craig après « Casino Royale » en 2006 et « Quantum of Solace » en 2008 (et avant "Spectre" qui sortira la semaine prochaine) qui nous a habitués à ce nouveau James Bond plus tourmenté, plus sombre, plus viril, plus glacial, plus humain, s’écartant du personnage du svelte dandy au sourire ravageur et carnassier aussi collectionneur de gadgets que de James Bond girls. Sixième acteur à incarner le célèbre héros de Ian Flemming, Daniel Craig est aussi à mon avis le meilleur (après Pierce Brosnan, Sean Connery, Roger Moore, Timothy Dalton, George Lazenby), en tout cas celui qui a apporté le plus d’épaisseur, de séduction brute, et de complexité au personnage. J’en attendais donc beaucoup de ce troisième Bond avec Daniel Craig, d’autant que c’est pour la première fois Sam Mendes qui se charge de la réalisation, réalisateur notamment du chef d’œuvre (et j’emploie toujours ce terme avec parcimonie) « Les Noces rebelles ».

    Premier plan : la silhouette de Bond apparaît, obscure, dans l’ombre. Tout est dit. Sam Mendes abusera d’ailleurs un peu de cette image.

     Cette fois, tout commence par la mort de Bond (Daniel Craig), tué par Eve (Naomie Harris), un autre agent. Une liste d’agents infiltrés se retrouve entre de mauvaises mains, et ces derniers sont dangereusement exposés. Pour couronner le tout, le MI6 est attaqué et M (Judi Dench) doit faire déménager l’Agence. Son autorité est remise en cause par Mallory (Ralph Fiennes), le nouveau président de l’ISC, le comité chargé du renseignement et de la sécurité. C’est donc une nouvelle fois vers Bond (dont vous vous doutez bien qu’il ne peut mourir, a fortiori au début) que M va se tourner. Ce dernier va devoir agir dans l’ombre pour retrouver et mettre hors d’état de nuire le mystérieux Sylva (Javier Bardem), à l’origine de cette double menace, intérieure et extérieure, dont est victime le MI6…

    Cela commence comme toujours ou presque par une poursuite spectaculaire, époustouflante, haletante et captivante, cette fois à Istanbul, mais qui, pour une fois, au lieu de laisser un Bond triomphant le laisse pour mort, tué par une de ses consoeurs. C’est donc vivant (évidemment, comme « demain ne meurt jamais », Bond non plus) mais affaibli que nous le retrouvons. Il doit même repasser les tests validant ses qualités d’agent auxquels il échoue d’ailleurs. Bond, comme c’était déjà amorcé dans « Casino Royale », et plus que jamais, n’est donc plus le héros invincible et insensible, flegmatique, des premières adaptations néanmoins, s’il meurt ici, c’est pour mieux renaitre.

    L’histoire de ce nouveau Bond est en effet celle d’un retour aux sources puisque, pour la première fois, est évoquée son enfance. Bond n’est donc pas une sorte de machine de guerre mais un être de chair et de sang, construit par une blessure d’enfance. Après un périple qui le mènera d’Istanbul à Shanghai en passant par Londres, c’est donc dans sa terre natale écossaise que nous le retrouverons, dans un paysage abandonné d’une tristesse d’une beauté étrangement envoûtante.

    La sublime photographie est signée Roger Deakins et donne au film cet aspect mélancolique, dans la lande écossaise mais aussi à Shanghai ou Macao avec les reflets des néons et des lumières phosphorescentes ( avec des plans remarquables entre Wong Kar Wai et Hitchcock dans « Fenêtre sur cour ») dans une tour de verre  ou encore dans un temple transformé en casino et somptueusement illuminé.

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    Terminée aussi la guerre froide, Bond s’adapte désormais au monde moderne qui l’entoure et après le Chiffre (Mads Mikkelsen) et le Français Mathieu Amalric, il se retrouve confronté à un hacker redoutablement ironique et sans pitié incarné par un Javier Bardem décoloré car tout James Bond qui se respecte a évidemment son méchant qui n’est néanmoins plus un monstre sanguinaire qui veut dominer le monde interprété par un acteur au physique patibulaire et au jeu grandiloquent mais ici, comme James Bond d’ailleurs dans « Quantum of Solace », un homme assoiffé de vengeance. Cela donnera d’ailleurs lieu à un face à face savoureux…et à une révélation qui le sera tout autant.

    Si les 2H40 passent allègrement, si c’est du divertissement de haute voltige qui ravira autant les inconditionnels de Bond que les amateurs, si Craig demeure le meilleur Bond, ce « Skyfall » souffre néanmoins d’un scénario (John Logan ici à la rescousse du tandem Neal Purvis-Robert Wade ) parfois trop léger. L’intrigue tient en une ligne et est moins sophistiquée que celle de « Quantum of Solace » et surtout de « Casino Royale » et la psychologie des personnages féminins (la française Bérénice Marlohe a néanmoins une belle scène mêlant peur et arrogance) n’atteint pas celle de Vesper dans « Casino Royale ».  D’ailleurs, la vraie dame de cœur, et finalement la vraie James Bond girl est ici M. écartelée entre sa loyauté envers Bond et celle envers sa mission qui prime comme toujours sur tout le reste et la rend souvent intraitable.

    Ce James Bond marque aussi le retour de l’Aston Martin B25 et  le retour de Q (sous les traits du jeune Ben Whishaw).  Plutôt que de recourir à des gadgets sans cesse plus sophistiqués et à une surenchère, s’inspirant de « Dans la mort aux trousses » qui avait renouvelé la course poursuite (auparavant toujours dans des lieux étroits et sombres), c’est dans l’immensité d’un paysage désert, armé d’un seul fusil et de son imagination débordante, que s’achève ce Bond.

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    « Skyfall » est avant tout un hommage à James Bond, celui qui meurt, et même fait table rase du passé, pour mieux renaitre. Ce James Bond austère est porté par la musique ensorcelante d’Adèle (quel générique hypnotique et admirable) mais aussi par une photographie mélancolique, crépusculaire et somptueuse, l’interprétation mêlant élégance et dureté de Daniel Craig, l’humour de retour par petites touches, qui en font un divertissement remarquable malgré  les dialogues parfois assez pauvres ( on se souvient avec regret de la joute verbale entre Bond et Vesper dans « Casino Royale » et de leur duel sensuel) et malgré un scénario perfectible (certaines scènes manquent d’émotion alors qu’elles auraient pu s’y prêter, Mendes se concentrant davantage sur l’action et alors que « Casino royale », décidément le meilleur Bond, alternait intelligemment les scènes d’action pure, de suspense -aussi bien dans les scènes d’action que celles de poker, véritable combat intellectuel-, et de romance).

    Vous l’aurez compris : ce « Skyfall », malgré ces quelques réserves, vaut néanmoins le voyage et sait, comme toujours, nous faire attendre avec plus d’impatience encore le prochain, après ce Bond qui passe de l’ombre à la lumière, tue le mythe pour mieux le faire renaitre.

  • Critique de THERE WILL BE BLOOD de Paul Thomas Anderson (ce soir, à 20H45, sur Cine + premier)

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    1478123491.jpgL’or noir. L’oxymore qui définit ainsi l’objet de la quête effrénée, insatiable, vorace de Daniel Plainview est à l’image de ce film. Entre ombre et lumière. Entre les profondeurs abyssales et obscures de la terre et les vastes paysages de l’Ouest américain. Entre les Lumières de la foi et l’obscurantisme de la religion. Entre les deux faces si contrastées d’un même visage. Ainsi, lorsque le chercheur d’or noir, Daniel Plainview (Daniel Day Lewis) entend parler d’un océan de pétrole sous une petite ville de Californie, il part alors avec son « fils » H.W (en réalité, un enfant dont le père est mort en forant pour Daniel Plainview) à Little Boston, un endroit au milieu de vastes étendues vertigineuses où l’unique point de rendez-vous et distraction est l’église animée par le charismatique jeune prêtre Eli Sunday (Paul Dano). Avec l’aide de l’enfant qui l’accompagne qui lui sert à attendrir ceux à qui il achète des terres, Plainview va peu à peu étendre son empire en s’appropriant les terres tout comme Eli Sunday s’approprie les âmes...

     

    Evidemment quand il est question de pétrole et d’ouest américain, on pense immédiatement à « Géant », pourtant si ce ne sont les paysages et la fascination pour l’or noir, rien à voir ici avec le chef d’œuvre de 1956, de George Stevens.

     

    Dès le premier quart d’heure, muet, nous suivons Daniel Plainview, dans les entrailles de la terre, et dès ce premier quart d’heure, grâce à la virtuosité de la mise en scène de Paul Thomas Anderson et , par l’ambiguïté intrigante et captivante du personnage de Daniel Plainview magistralement et/ou excessivement interprété par Daniel Day Lewis, nous sommes envoûtés, comme nous le serons pendant les 2H38 de ce voyage terrifiant et fascinant dans les entrailles de la terre, dans les paysages et cœurs arides et surtout, dans les profondeurs d’une âme torturée et tortueuse que nous suivons dans sa descente aux enfers de 1898 à 1927.

     

    Intrigués parce que nous nous demandons d’abord s’il est guidé par la seule soif de l’or noir, (S’attache-t-il vraiment à H.W ou n’est-il qu’un outil dans sa quête ?) guettant ses lueurs d’humanité d’abord, de misanthropie ensuite, de folie bientôt, nous demandant lequel entre l’un et l’autre l’emportera, si son humanité n’est que le masque de son avidité, sa philanthropie le masque de sa misanthropie, hypnotisés par son regard comme le sien l’est par ses derricks enflammés, la désolation majestueuse et apocalyptique de ce spectacle grandiose et diabolique. There will be blood. Le titre résonne alors comme un avertissement. Nous voilà prévenus. Le feu sanguinolent va jaillir des entrailles de la terre. Peut-être pas seulement : le sang va jaillir des entrailles de l’homme.

     

    En sortant de ce film, il y a une semaine déjà, mes impressions étaient si fortes et contrastées qu’il m’a fallu plusieurs jours pour digérer cette expérience et vous en parler. Expérience, c’est bien le mot. Etrange. Dérangeante. Cruelle. Fascinante. Hypnotique. Vertigineuse. Grotesque et/ou sublime. Sublime le travail sur le son entre une musique (de Johnny Greenwood) intelligemment dissonante et des sons astucieusement discordants, ainsi effrayants, assourdissants, nous conduisant même à éprouver le malaise ressenti par HW devenu sourd suite à l’incendie du derrick, ou l’agitation interne suscitée par le combat qui semble agiter Daniel Plainview entre ses deux visages, entre sa folie et ses intérêts. Sublime la photographie dichotomique qui reflète le combat interne de Plainview mais aussi celui avec son double : Eli Sunday. Sublime la réalisation inspirée à laquelle Kubrick semble avoir insufflé son énergie créatrice. Sublime le face à face entre le jeune prêtre et Daniel Plainview, apparemment si différents, finalement si semblables : dans leur duplicité, le renoncement à leurs principes par intérêt, leur capacité à hypnotiser, posséder, se mettre en scène, exercer leur emprise et manipuler les âmes, leur folie. Sublime le glissement vers la folie, la solitude, la déshumanisation de Daniel Plainview. C’est d’ailleurs finalement lorsque son visage se montre ouvertement le plus monstrueux (lorsqu’il jette à la figure de H.W le fait qu’il n’est pas son fils) qu’il témoigne, peut-être, enfin, de son humanité : est-ce pas par jalousie ou parce qu’il se sent abandonné, est-ce une manière de témoigner une part d’humanité ? Grotesque à force de vouloir paraître absurde, démonstratrice de sa folie, la scène finale avec Sunday (tel le duel final d’un western, l’affrontement où les deux (anti)héros laissent voir leurs vrais visages, leur gémellité, et à la différence d’un western, ni bons, ni méchants, juste deux hommes dévorés par leur soif de pouvoir l’un sur l’autre, sur les terres pour l’un, sur les âmes pour les deux). Artificiel ce saut dans le temps pour renforcer l’impression de contraste entre les vastes étendues que Plainview semblait dominer et cette luxueuse maison vide, glaciale, obscure, qui semble l’emprisonner.

     

    Alors, au final ?

     

    1802965498.jpg Au final, une expérience fascinante, captivante et éprouvante où le sublime (surtout) côtoie le grotesque (finalement si peu, finalement à l’image du personnage principal dont la construction scénaristique et visuelle épouse la folie), une réalisation inventive, une musique intelligemment discordante, une interprétation parfois outrancière (délibérément, probablement, précisons que Daniel Day Lewis a reçu l’Oscar 2008 du meilleur acteur pour ce film) qui nous fait croire à l’existence de ce Daniel Plainview diabolique, au-delà des frontières du désenchantement et de la folie. « There will be blood » a ainsi été nommé 8 fois aux derniers Oscars, la photographie si expressive de Robert Elswit a également été récompensée. Un film universel, atypique, à voir malgré et pour ses excès, son ostentation, sa démarche ostensible qui m’empêchent néanmoins de le qualifier de chef d’œuvre mais qui me conduisent plutôt à le définir comme une expérience unique, marquante. Un film singulier, courageusement à contre-courant (quoique, ce face à face de l’homme avec la nature, cette ascension puis cette descente aux enfers nous rappellent plusieurs films sortis récemment, je vous laisse les retrouver), à voir, à vivre, à contempler, à éprouver, assurément.

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  • Critique de WINTER SLEEP de Nuri Bilge Ceylan à voir à 20H50 sur Canal plus cinéma

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    « Winter Sleep » a remporté la Palme d’or de ce 67ème Festival de Cannes, voilà qui complète le (déjà prestigieux) palmarès cannois de Nuri Bilge Ceylan, un habitué du festival, après son Grand Prix en 2003, pour « Uzak »,  celui de la mise en scène en 2008 pour « Les Trois Singes » et un autre Grand Prix en 2011 pour « Il était une fois en Anatolie ». En 2012, il fut  également récompensé d’un Carrosse d’Or, récompense décernée dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs par la Société des Réalisateurs de Films à l’un de leurs pairs. Son premier court-métrage, « Koza », fut par ailleurs repéré par le festival et devint le premier court turc qui y fut sélectionné, en 1995.  Il fut par ailleurs membre du jury cannois en 2009, sous la présidence d’Isabelle Huppert. Son film « Les Climats » reçut   le prix FIPRESCI de la critique internationale en 2006.

    J’essaie de ne jamais manquer les projections cannoises de ses films tant ils sont toujours brillamment mis en scène, écrits, et d’une beauté formelle époustouflante. « Winter sleep » ne déroge pas à la règle…et c’est d’autant plus impressionnant que Nuri Bilge Ceylan est à la fois réalisateur, scénariste (coscénariste avec sa femme), coproducteur et monteur de son film…et qu’il semble pareillement exceller dans tous ces domaines.

    Inspiré de 3 nouvelles de Tchekhov, se déroulant dans une petite ville de Cappadoce, en Anatolie centrale, « Winter sleep » raconte l’histoire d’Aydin (Haluk Bilginer), comédien à la retraite, qui y tient un petit hôtel avec son épouse de 20 ans sa cadette, Nihal (Melisa Sözen) dont il s’est éloigné sentimentalement, et de sa sœur Necla (Demet Akbağ ) qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements… Et dire que tout avait commencé par la vitre d’une voiture sur laquelle un enfant avait jeté une pierre. La première pierre…

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    Sans doute la durée du film (3H16) en aura-t-elle découragé plus d’un et pourtant…et pourtant je ne les ai pas vues passer, que ce soit lors de la première projection cannoise ou lors de la seconde puisque le film a été projeté une deuxième fois le lendemain de la soirée du palmarès, très peu de temps après.

    La durée, le temps, l’attente sont toujours au centre de ses films sans que jamais cela soit éprouvant pour le spectateur qui, grâce à la subtilité de l’écriture, est d’emblée immergé dans son univers, aussi rugueux puisse-t-il être. Une durée salutaire dans une époque qui voudrait que tout se zappe, se réduise, se consomme et qui nous permet de plonger dans les tréfonds des âmes qu’explore et dissèque le cinéaste. Nuri Bilge Ceylan déshabille en effet les âmes de ses personnages.

     Le premier plan se situe en extérieur. Au loin, à peine perceptible, un homme avance sur un chemin. Puis images en intérieur, zoom sur Aydin de dos face à la fenêtre, enfermé dans sa morale, ses certitudes, son sentiment de supériorité, tournant le dos (à la réalité), ou le passage de l’extérieur à l’intérieur (des êtres) dont la caméra va se rapprocher de plus en plus pour  mettre à nu leur intériorité. « Pour bien joué, il faut être honnête », avait dit un jour Omar Sharif à Aydin. Aydin va devoir apprendre à bien jouer, à faire preuve d’honnêteté, lui qui se drape dans la morale, la dignité, les illusions pour donner à voir celui qu’il aimerait -ou croit-être.

    Homme orgueilleux, riche, cultivé, ancien comédien qui se donne « le beau rôle », Aydin est un personnage terriblement humain, pétri de contradictions, incroyablement crédible, à l’image de tous les autres personnages du film (quelle direction d’acteurs !) si bien que, aujourd’hui encore, je pense à eux comme à des personnes réelles tant Nuri Bilge Ceylan leur donne corps, âme, vie.

    Pour Aydin, les autres n’existent pas et, ainsi, à ses yeux comme aux nôtres, puisque Nihal apparaît au bout de 30 minutes de film seulement. Il ne la regarde pas. Et quand il la regarde c’est pour lui demander son avis sur une lettre qui flatte son ego. C’est à la fois drôle et cruel, comme à diverses moments du film, comme lorsqu’il raconte à sa sœur une pièce dans laquelle elle ne se souvient visiblement pas l’avoir vu jouer :  « La pièce où je jouais un imam. J’entrais en cherchant les toilettes ».

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    Que de gravité et d’intensité mélancoliques, fascinantes, dont il est impossible de détacher le regard comme s’il s’était agi de la plus palpitante des courses-poursuites grâce au jeu habité et en retenue des comédiens, au caractère universel et même intemporel de l’intrigue, grâce à la beauté foudroyante et presque inquiétante des paysages de la Cappadoce, presque immobile comme un décor de théâtre. L’hôtel se nomme d’ailleurs « Othello ».  Dans le bureau d’Aydin, ancien acteur de théâtre, se trouvent des affiches de « Caligula » de Camus, et de « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare. La vie est un théâtre. Celle d’Aydin, une représentation, une illusion que l’hiver va faire voler en éclats.

    « Winter sleep », à l’image de son titre, est un film à la fois rude, rigoureux et poétique. Il est porté par des dialogues d’une finesse exceptionnelle mêlant cruauté, lucidité, humour, regrets (« j’ai voulu être ce grand acteur charismatique dont tu rêvais »), comme ces deux conversations, l’une avec sa sœur, l’autre avec Nihal, qui n’épargnent aucun d’eux et sont absolument passionnantes comme dans une intrigue policière, chacune de ces scènes donnant de nouveaux indices sur les caractères des personnages dont les masques tombent, impitoyablement : « Avant tu faisais notre admiration » », « On croyait que tu ferais de grandes choses », « On avait mis la barre trop haut », « Ce romantisme sirupeux », « Cet habillage lyrique qui pue le sentimentalisme », « Ton altruisme m’émeut aux larmes.», « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier ».

     Ces scènes sont filmées en simples champs/contre-champs. La pièce est à chaque fois plongée dans la pénombre donnant encore plus de force aux visages, aux expressions, aux paroles ainsi éclairés au propre comme au figuré, notamment grâce au travail de Gökhan Tiryaki, le directeur de la photographie. Nuri Bilge Ceylan revendique l’influence de Bergman particulièrement flagrante lors de ces scènes.

    Les temps de silence qui jalonnent le film, rares, n’en sont que plus forts, le plus souvent sur des images de l’extérieur dont la beauté âpre fait alors écho à celle des personnages. Sublime Nihal dont le visage et le jeu portent tant de gravité, de mélancolie, de jeunesse douloureuse. Pas une seconde pourtant l’attention (et la tension ?) ne se relâchent, surtout pas pendant ces éloquents silences sur les images de la nature fascinante, d’une tristesse éblouissante.

    Nuri Bilge Ceylan est terriblement lucide sur ses personnages et plus largement sur la nature humaine, mais jamais cynique. Son film résonne comme un long poème mélancolique d’une beauté triste et déchirante porté par une musique parcimonieuse, sublimé par la sonate n°20 de Schubert et des comédiens exceptionnels. Oui, un long poème mélancolique à l’image de ces personnages : lucides, désenchantés, un poème qui nous accompagne longtemps après la projection et qui nous touche au plus profond de notre être et nous conduit, sans jamais être présomptueux, à nous interroger sur la morale, la (bonne) conscience, et les faux-semblants, les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver. Un peu les nôtres aussi. Et c’est ce qui est le plus magnifique, et terrible.

  • 41ème Festival du Cinéma Américain de Deauville: compte rendu, bilan et palmarès

     

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    Dix jours après la clôture du Festival du Cinéma Américain de Deauville, le temps nécessaire pour disposer du recul indispensable pour appréhender ces dix journées trépidantes (même si la mode est aux avis tranchés, scandés, exagérés via twitter, à peine le film terminé, comme si le film était une denrée consommable et périssable, comme s’il n’y avait plus de place pour la demi-mesure et la réflexion), voici mon bilan de cette 41ème édition. Sans aucun doute, ce festival et le lieu qui l’accueille possèdent un pouvoir étrange pour que, en y assistant pour la 22ème année consécutive, j’y éprouve toujours le même plaisir, la même curiosité, avec ce sentiment de vivre une douce parenthèse hors des vicissitudes de l’existence même si les films en compétition m’y ramenèrent, comme chaque année. Malgré tout, entre hommages, premières, films en compétition, docs de l’oncle Sam, conférences de presse et soirées au convivial Club Kiehl’s, ce fut à nouveau une radieuse évasion (aidée par une météo qui le fut aussi presque constamment) hors de la réalité…

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    Photo ci-dessus et photo ci-dessous réalisées par le photographe Dominique Saint que je remercie au passage.

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    1.LA COMPETITION

     

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    Malgré leur diversité de styles, d’époques, de points de vue (14 films étaient ainsi présentés en compétition), des thématiques communes se dégageaient ainsi des films en lice : des personnages avides de liberté, emprisonnés dans un quotidien étouffant, une vie qu’ils n’ont pas choisie à laquelle ils désirent échapper, englués dans les difficultés économiques, marqués par l’absence du père et/ou le deuil comme la métaphore d’un monde en quête de (re)pères et d’un nouveau souffle de liberté. Comme chaque année, cette compétition nous donnait à voir une autre Amérique, l’envers de l’American dream, les failles et blessures qui se cachent derrière l’étincelante bannière étoilée, la réalité souvent crue que le cinéma américain préfère habituellement dissimuler et édulcorer. En cela, ce fut une plongée passionnante dans une autre Amérique.

     

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    Le film qui a reçu le Grand prix « 99 homes » de Ramin Bahrani explore d’ailleurs ces différentes thématiques. Un homme dont la maison vient d’être saisie par sa banque (Andrew Garfield), se retrouve à devoir travailler avec le promoteur immobilier véreux (Michael Shannon) qui est responsable de son malheur.

     

    Cela commence par une image choc. Un homme ensanglanté, mort, chez lui. Dès le début, musique, montage vif, caméra fébrile au plus près des visages contribuent à souligner le sentiment d’urgence, de menace qui plane. Si la situation est manichéenne: les autorités contre les propriétaires expulsés tels les méchants contre les gentils d’un western dont le film emprunte d’ailleurs les codes (à l’image du film qui a reçu le prix d’Ornano Valenti du festival, un de mes coups de cœur de ce festival, « Les Cowboys » de Thomas Bidegain, j’y reviendrai), bien vite le spectateur décèle la complexité de la situation (notamment grâce au jeu plus nuancé qu’il ne semble de Michael Shannon, dont le cynisme se craquèle par instants fugaces), un « far west » des temps modernes dans lequel chacun lutte pour sa survie, au mépris de la morale. C’est l’envers de l’American dream. Dans cette Amérique-là, pour faire partie des « gagnants », tous les coups sont permis. Ramin Bahrani a retranscrit des situations réelles d’expulsion pour enrichir son film, lui apportant un aspect documentaire intéressant qui montre comment la machine (étatique, judiciaire, bancaire) peut broyer les êtres et les âmes. Dommage cependant que, pour appuyer un propos déjà suffisamment fort et qui se suffisait à lui-même, il ait fallu recourir à cette musique dont l’effet d’angoisse produit est certes incontestable mais qui est peut-être superflue. Le drame social devient alors thriller. La fin (sauver sa peau) justifie alors les moyens, tous les moyens. L’homme qui travaille pour le promoteur immobilier (avec lequel une sorte de relation filiale s’établit, l’un et l’autre ayant en commun de ne pas vouloir devenir ce que leurs pères furent, à tout prix), prêt à tout pour sauver sa famille, même faire vivre à d’autres le même enfer que celui qu’il a vécu (en essayant tout de même d’y mettre les formes) deviendra-t-il un parfait cynique ou finira-t-il par recouvrer une conscience, une morale? C’est autour de ce suspense que tient le film. La tension culmine lors de la scène finale, attendue, et qui finalement emprunte là aussi aux codes du western: la morale est sauve. N’est-elle pas un peu facile ? Je vous en laisse juges… « Sa force dramatique intense et son interprétation absolument exceptionnelle » ont convaincu le jury de lui attribuer le Grand prix comme l’a expliqué son président, le cinéaste Benoît Jacquot qui, lors de la clôture, a d’ailleurs précisé que le jury n’avait vu « quasiment que de bons films ». Un thriller social que je vous recommande.

     

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    Contre toute attente, mon favori de cette compétition, « Madame Bovary » de Sophie Barthes (oublié du palmarès), présentait des similitudes avec le film précédemment évoqué, le parti pris étant ici d’insister sur les difficultés économiques d’Emma qui dépense sans compter pour échapper à la monotonie de son existence. Comme dans le roman de Flaubert, Emma Rouault (Mia Wasikowska), tout juste sortie du couvent, épouse Charles Bovary (Henry Lloyd-Hughes), un médecin de campagne qui se réjouit d’avoir trouvé en elle la compagne parfaite. Emma occupe ses journées à aménager sa nouvelle demeure, dessine, joue du piano et reçoit avec élégance ses invités. Cette vie monochrome auprès d’un époux dénué de tout raffinement est bien loin des fastes et de la passion auxquels pourtant elle aspire. Ses rencontres avec le marquis d’Andervilliers (Logan Marshall-Green), le jeune clerc de notaire Léon (parfait Ezra Miller), et Monsieur Lheureux (Rhys Ifans, sournois et mielleux à souhait), un habile commerçant vont lui donner, un temps, une nouvelle envie de vivre.

     

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    Tout me semblait avoir été dit sur le roman de Flaubert, qui en plus des nombreuses adaptations auxquelles il a déjà donné lieu (Renoir, Minnelli, Chabrol pour les plus remarquables) ne cesse d’inspirer des personnages de films qui empruntent à la mélancolie ou au bovarysme, affliction que ce chef d’œuvre littéraire a inventée et fait entrer dans le langage commun (défini par Flaubert comme «  la rencontre des idéaux romantiques face à la petitesse des choses de la réalité » en général suscité par des lectures romanesques). Et pourtant… dès les premiers plans qui placent d’emblée le film sous le sceau de la tragédie, cette course effrénée d’Emma, bouleversée, dans la manière de mettre en scène (la nature, les costumes), cette Madame Bovary semble exhaler le parfum des mots de Flaubert, chaque plan en retranscrivant ainsi la subtilité, la sensibilité, la mélancolie tragique, nous donnant des informations supplémentaires sur les états d’âme d’Emma, les images si soignées et signifiantes rendant hommage aux mots scrupuleusement choisis de Flaubert auxquels le film est parfois infidèle dans les événements mais fidèle dans l’esprit (Emma n’a pas d’enfant ici, la petite Berthe est ainsi absente du scénario). Sophie Barthes met ainsi en lumière la modernité du roman de Flaubert et des aspirations d’Emma : se sentir libre de vivre sa vie, ses passions, croyant les trouver dans les apparences et la consommation à outrance. Le paysage et les costumes vibrent à l’unisson avec les variations psychologiques d’Emma, cette femme emmurée dans les conventions, dans sa vie trop paisible et routinière de provinciale qui par les dépenses et la passion (ou plutôt son illusion) va croire y échapper. L’élégance de la réalisation et son intelligence (dans l’utilisation des couleurs, de la lumière, des décors, des costumes) sont d’une beauté triste à couper le souffle et rendent un sublime hommage au roman de Flaubert et, plus encore qu’à sa modernité, à son intemporalité. Dans le rôle d’Emma Bovary, Mia Wasikowska est parfaite, moins revêche que l’était Isabelle Huppert (non moins parfaite) dans l’adaptation de Chabrol. Sophie Barthes semble ainsi regarder Emma Bovary avec plus d’indulgence que ne le faisait Chabrol et lui apporter une douceur et une fragilité qu’elle n’avait pas dans l’adaptation chabrolienne. A découvrir en salles en France le 4 novembre 2015.

     

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    Laney Brooks, l’anti-héroïne de « I smile back » d’Adam Salky, elle aussi, étouffe dans son existence. C’est une femme séduisante et intelligente qui s’occupe avec dévouement de ses deux adorables enfants. Elle est mariée à l’homme dit idéal et tout ce petit monde vit dans une maison parfaitement entretenue d’une banlieue résidentielle… Mais, derrière ce bonheur de façade, elle cache tant bien que mal sa dépression et ses désillusions qui l’entraînent vers des territoires secrets peu avouables. Et Laney peut aller jusqu’à se mettre en danger pour lutter contre ses démons intérieurs, éviter que sa vie de famille ne vole en éclats… Radiographie implacable de la dépression (des plaisirs  vains ou artificiels dans lesquels se jette Laney à son refus d’avoir un chien parce que, dix ans plus tard, il mourra)-là aussi expliquée par l’absence du père, terrible scène de retrouvailles- et de l’incompréhension, du rejet, de l’indifférence qu’elle suscite, « I smile back » ne nous épargne rien de l’enfer que vit son héroïne. L’élégance de la mise en scène contraste avec l’âpreté de ce que vit Laney, à l’image du vernis qui entoure son existence et son mal-être, judicieux écho entre le fond et la forme. Sarah Silverman est impressionnante dans ce rôle et le fait que le film soit l’adaptation par son auteur de son propre livre (apparemment inspiré de sa propre histoire) n’est certainement pas pour rien dans la justesse qui en émane. Une fin terrible de froideur, logique et glaçante. Un autre oublié du palmarès.

     

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    cloture312Dans « Day out of days », Zoe Cassavetes nous propose aussi un portrait de femme qui, au contraire de Laney dans « I smile back » va reprendre sa vie en main, ce qui n’est pourtant pas gagné d’avance. Mia Roarke incarnée par Alexia Landeau est en effet ici une actrice qui connut jadis son heure de gloire, mais qui lutte pour garder raison et dignité dans le monde cruel qu’est devenu Hollywood. À quarante ans, elle tente de revenir sous les feux de la rampe, de retrouver un rôle, un vrai… Mais la route s’avère longue et difficile. Une opportunité semble se présenter à la suite d’une rencontre tout à la fois étrange et humiliante. Jusqu’où alors Mia sera-t-elle prête à aller ? « Je souhaitais faire un film autour d’Alexia Landeau, elle a été ma muse » a déclaré Zoe Cassavetes lors de la conférence de presse du film. Elle est en effet l’atout indubitable de ce film. Plus intéressant de ce qu’il dit du regard que pose la société d’aujourd’hui sur une femme de plus de 40 ans que sur l’univers du cinéma (malheureusement, là, aucun cliché ne nous est épargné), ce « day out of days » manque cruellement de point de vue et de sève, et ressemble plus à une suite de sketchs plus ou moins réussis qu’à un film scénarisé même si existe une réelle progression qui va conduire Mia à prendre son envol.  A signaler également la présence et le rôle improbables de Mélanie Griffith. L’actrice Patricia Clarkson à qui ce 41ème Festival du Cinéma Américain rendait hommage, lors de sa conférence de presse, a tenu des propos qui faisaient tristement écho à cette réalité : « Hollywood est une industrie dominée par les hommes où être une femme est  pénalisant. C’est un fait (…) Il est important que les actrices ne soient pas cantonnées au petit écran passé 40 ans ».

     

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    Beaucoup plus fragile mais plus touchant et incarné, le film de Chloé Zhao, « Les chansons que mes frères m’ont apprises » dans lequel Johnny vient de terminer ses études. Lui et sa petite amie s’apprêtent à quitter la réserve indienne de Pine Ridge pour chercher du travail à Los Angeles. La disparition soudaine du père de Johnny vient bousculer ses projets. Il hésite également à laisser derrière lui Jashaun, sa petite sœur de treize ans dont il est particulièrement proche. C’est tout simplement son avenir que Johnny doit maintenant reconsidérer… Les failles et les fêlures des personnages sont ici (aussi, encore!) expliquées par une figure paternelle défaillante. Porté par une voix off (au début principalement) qu’affectionne le cinéma indépendant américain et qui, toujours, produit son effet, créant d’emblée lyrisme et empathie, par des acteurs pour la plupart non professionnels et issus véritablement de la réserve indienne, le film de Chloé Zhao dépeint avec beaucoup de délicatesse ce territoire d’une beauté à couper le souffle, paradoxalement un univers clos qui devient comme une prison étouffante pour ceux qui y (sur)vivent. Une plongée passionnante dans un univers méconnu servie par des personnages (et acteurs) attachants et une réalisatrice, au contraire du film précédemment évoqué, visiblement viscéralement attachée à son sujet.

     

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    Plus étouffante encore est la réalité de « James White » dans le film éponyme de Josh Mond. Âgé d’une vingtaine d’années, James White mène une vie dissolue à New York, le jour comme la nuit. Lorsque sa mère tombe gravement malade, il doit accepter d’affronter la réalité et trouver l’énergie nécessaire pour faire face aux nouvelles responsabilités qui sont désormais les siennes. « Le meilleur moyen que j’ai trouvé de comprendre ce qui m’arrivait a été de faire ce film » a déclaré le réalisateur (dont c’est le premier long-métrage) en conférence de presse.

     

    Depuis deux ans, j’ai tendance à penser que le monde se divise en deux parties, ceux qui ont vécu cette effroyable réalité de l’accompagnement d’un proche en fin de vie (même s’il n’y a pas une seule réalité, cela impliquant autant de réalités que d’histoires), et ceux qui ferment les yeux et ignorent cette réalité. Les premiers seront soit choqués soit reconnaissants que cette dramatique réalité soit ainsi retranscrite à l’écran ainsi que l’indifférence, la solitude, l’incompréhension auxquelles cette situation donne lieu. Les seconds seront soit gênés soit indifférents (les réflexions entendues à la sortie me glacent encore le sang). Faisant partie de la première catégorie, il m’a été impossible d’affronter ce film jusqu’à la fin, néanmoins je ne l’en considère pas moins réussi, nécessaire pour mettre les seconds face à une réalité qu’ils préfèrent ignorer ou nier et qui considèrent cela d’une révoltante indécence autant au cinéma que dans la réalité. C’est aussi et surtout le portrait bouleversant d’un jeune homme qui, d’aveugle et sourd à ce qui l’entoure (significative scène du début où, casque sur les oreilles, il s’étourdit dans la musique et la fête) va prendre ses responsabilités et se confronter à la réalité. Ce film a d’ailleurs reçu le prix Kiehl’s (du nom de la marque de cosmétiques éponymes cette année partenaire du festival) de la révélation, un paradoxe pour un film qui témoigne d’une réalité sans fards que notre époque égocentrique cherche habituellement à maquiller.

     

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    Tout aussi symptomatique de cette époque « zappeuse » est le succès rencontré par « Dope » (double sens, synonyme ici de la drogue et signifiant « cool ») de Rick Famuyiwa, le film produit par Forest Whitaker et Pharrell Williams présenté à la Quinzaine des Réalisateurs qui a remporté le prix du public de ce 41ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. L’histoire d’un brillant, timide et malicieux lycéen noir   confronté à la violence des quartiers chauds de Los Angeles mais aussi à la corruption et qui va devoir affronter de rocambolesques péripéties (avec son sac de « dope » dont il se retrouve chargé bien malgré lui) pour pouvoir réaliser son rêve : intégrer Harvard.  Musique, utilisation des réseaux sociaux, montage clipesque, stéréotypes du film pour ado, paradoxalement ce film qui dénonce les stéréotypes dont sont victimes les noirs-américains ne nous épargne aucun cliché pour y parvenir. Porté par un jeune comédien indéniablement talentueux (Shameik Moore campe le jeune geek anachronique marqué par les années 90) et une énergie incontestable, ce film censément positif nous montre qu’écrire un scénario comme entrer à Harvard est aussi simple qu’envoyer un email ou vendre de la drogue…

     

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    Le prix du jury a été décerné « Tangerine » de Sean Baker qui sortira en France le 30 décembre dont le synopsis est le suivant : « Vingt-quatre heures dans la vie d’une drôle de Cendrillon, qui traverse la Cité des anges à la recherche de sa rivale. » Ce film qui présente la particularité d’avoir été filmé avec un smartphone, raconte l’histoire de deux amis transgenres. Son réalisateur a expliqué s’être « inspiré du rythme des réseaux sociaux » pour réaliser ce film qui leur emprunte leur rythme lapidaire, un film bourré d’énergie mais aussi épuisant qu’une conversation expéditive sur les réseaux sociaux, qui vaut avant tout pour sa prouesse technique et ses attachants et flamboyants interprètes.

     

    Egalement en compétition, « Baby sitter » de Morgan Krantz et « Emelie » de Michael Thelin qui mettent tous deux en scène des babys sitters bien éloignées de leur sage apparence et « Dixieland » de Hank Bedford avec à nouveau au programme maladie de la mère, absence du père et rédemption impossible sans oublier « Cop car » de Jon Watts dans lequel, au fin fond des États-Unis, le shérif véreux d’une toute petite ville se lance à la poursuite des deux enfants de dix ans qui lui ont volé sa voiture, une réalisation soignée et un départ sur les chapeaux de roue pour un film qui s’essouffle dans le grandguignolesque. J’ai malheureusement manqué « Krisha », le film qui a obtenu le prix de la critique, je le rattraperai dès que possible.

     

    Vous l’aurez compris : une compétition diversifiée et inégale, jamais inintéressante avec cinq films que je vous recommande  : « Madame Bovary », « 99 homes », « I smile back », « Les chansons que mes frères m’ont apprises », « James White ».

     

                                                                                                        2.LES DOCS DE L’ONCLE SAM

     

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    Depuis quelques années, le festival propose également une belle sélection de documentaires réunis sous l’intitulé « Les Docs de l’Oncle Sam ». Cette année figuraient au programme : « Altman », « By Sidney Lumet », « Hitchcock Truffaut », « Janis », « Steve McQueen : the man and Le Mans », « This is Orson Welles », « Wolfpack. » Même si j’aurais aimé tous les découvrir, il fallait bien faire des choix parmi les différentes sections du festival, le mien, pour les documentaires, s’est orienté vers « Janis » d’Amy Berg (à découvrir en salles en France le 6 janvier 2016) et il s’est avéré judicieux tant ce documentaire est passionnant.

     

    Janis que son prénom suffit à désigner, c’est donc Janis Joplin, l’une des plus mythiques chanteuses de rock et de blues de tous les temps mais aussi une écorchée vive, forte et vulnérable, aussi sensible que sa voix était puissante. L’histoire de la courte vie d’une femme passionnée qui changea le cours de l’histoire de la musique, qui a enfreint tous les codes dans sa vie comme dans la musique, se jetant à corps perdu dans l’une comme dans l’autre. Elle décéda ainsi en 1970 à l’âge de 27 ans (le fameux « Club des 27″, l’âge auquel décédèrent les autres légendes du rock : Jim Morrison, Jimmy Hendrix, Kurt Cobain et Amy Winehouse). Peut-être, dans son dispositif un peu classique pour une femme aussi libre et iconoclaste, « Janis » repose néanmoins sur une belle idée. Celle d’une voix off qui lit des lettres que Janis avait adressées à sa famille créant ainsi une proximité avec le spectateur qui a l’impression de recueillir ses confidences, d’entendre sa voix intérieure aussi fragile que sa musique était puissante. Ce dispositif épistolaire permet d’esquisser un portrait plus nuancé et nous donne à voir, derrière les images enfiévrées, fascinantes, explosives, électriques, des concerts, la femme blessée, avide d’amour, à jamais complexée et surtout fragilisée par les humiliations qu’elle a subies dans son enfance. Bouleversante est la scène où, devenue une star, elle revient dans son ancien lycée et, où dans sa voix et son regard perdus, à fleur de peau, subsistent les bleus à l’âme de l’enfant blessée qu’elle semble alors être à nouveau et à jamais. Se dessine ainsi, derrière l’artiste hors normes, au talent qui transpire l’écran et nous fait frissonner d’émotion, le portrait d’une femme terriblement attachante, sensible, empathique, pétrie d’incertitudes, de manque d’amour et de confiance qu’elle tentait de noyer dans des plaisirs artificiels. La fin du documentaire, ce rendez-vous manqué que n’aurait osé inventer le plus audacieux des scénaristes, est absolument bouleversante et nous laissent ko avec une seule envie, entendre à nouveau sa voix immortelle, fiévreuse et incandescente.

     

     3.LES PREMIERES

     

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    Ce sont les premières et les hommages qui, à ses débuts, ont fait la réputation du Festival du Cinéma Américain de Deauville. Comme chaque année, il y en avait pour tous les goûts et sensibilités avec, néanmoins, beaucoup de films inspirés d’histoires vraies avec bandeau le spécifiant de rigueur au début du film, gage de véracité et de dramatisation soulignées par des titres percutants, courts, rivalisant de superlatifs : « Everest », « Life », « Le Prodige », « Experimenter » sans compter le film « qui s’inspire vaguement d’une histoire qui pourrait être vraie », « Danny Collins ».

     

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    Cela a débuté avec « Everest » de Baltasar Kormakur. Comme s’en enorgueillit son affiche, le film projeté en 3 D en ouverture du festival a été écrit « d’après une histoire vraie », voilà qui récuse d’emblée toute accusation éventuelle d’invraisemblance. Le film de Baltasar Kormákur est en effet une adaptation du livre autobiographique « Tragédie à l’Everest » écrit par l’écrivain, journaliste et alpiniste Jon Krakauer. Le livre raconte, comment, en 1996, huit alpinistes réputés ont péri dans une redoutable tempête alors qu’ils effectuaient l’ascension de l’Everest. Krakauer avait ainsi été envoyé par le magazine « Outside' » pour participer à cette expédition. Inspiré d’une désastreuse tentative d’ascension de la plus haute montagne du monde, Everest suit deux expéditions distinctes confrontées aux plus violentes tempêtes de neige que l’homme ait connues. Luttant contre l’extrême sévérité des éléments, le courage des grimpeurs est mis à l’épreuve par des obstacles toujours plus difficiles à surmonter alors que leur rêve de toute une vie se transforme en un combat acharné pour leur salut.   Si l’effet est indéniablement réussi au point de nous faire éprouver le vertige et une véritable sensation de peur et la conscience de notre petitesse face à la force redoutable, irréfragable, destructrice des éléments, si le film est incontestablement spectaculaire, il souffre en revanche d’un scénario conventionnel et convenu et/ou d’un montage qui sacrifie les personnages les plus intéressants et qui, surtout, en oublie certains en cours de route à commencer par Krakauer lui-même qui pose la question la plus intéressante aux alpinistes (pourquoi faites-vous cela?) à laquelle le film, ne voulant pas heurter la sensibilité des familles des victimes et des survivants, ne répond jamais vraiment. C’est pourtant l’aspect le plus intéressant du film: pourquoi ces hommes et ces femmes ont-ils besoin d’affronter et même de défier la mort? Eprouver leurs limites? Se sentir vivants? Il passe aussi à côté d’une réflexion sur l’exploitation de la nature par l’homme (à ce propos, ne manquez pas « La glace et le ciel » de Luc Jacquet et « Human » de Yan Arthus-Bertrand) que laissait d’ailleurs présager ce choix symptomatique de la 3D (tout comme les alpinistes veulent éprouver toujours plus de sensation, le spectateur devient un consommateur à qui il en faut toujours plus pour ressentir des émotions que les mots et les images devraient suffire à susciter). Un bon divertissement, idéal pour l’ouverture, qui passe néanmoins à côté de la passionnante réflexion à laquelle il aurait pu donner lieu, en raison d’une volonté délibérée d’absence de point de vue. Mais si vous voulez faire un voyage éprouvant et vertigineux sur le plus haut sommet du monde alors ce voyage est fait pour vous…

     

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    Dans « Life » de Anton Corbijn, comme toujours chez le cinéaste, la sobriété était au rendez- vous (et c’est pour moi une grande qualité). Le film était présenté en avant-première, en présence du réalisateur Anton Corbijn (dont l’excellent précédent film « Un homme très recherché » était en compétition l’an passé à Deauville) et de son comédien principal Dane DeHaan. Robert Pattinson à qui le festival devait cette année remettre le prix du Nouvel Hollywood était finalement absent, retenu sur le tournage du dernier film de James Gray depuis lequel il a laissé un message vidéo aux festivaliers. « Life », c’est l’histoire d’un jeune photographe (Robert Pattinson) qui cherche à se faire un nom et qui croise un acteur débutant, un certain… James Dean (Dane DeHaan) et décide de lui consacrer un reportage. Cette série de photos iconiques rendit célèbre le photographe Dennis Stock et immortalisa celui qui allait devenir une star. Anton Corbijn a été photographe avant d’être réalisateur et cela se ressent dans chacun de ses films à la mise en scène et photographie d’une élégance remarquable. « Life » est ainsi son 4ème long-métrage après « Control » (2007), « The American » (2010), « Un homme très recherché  » (2014). Peu à peu, il dessine ainsi les contours de son univers et de ses personnages, des (anti?)héros solitaires, tel George Clooney dans « The American », esseulé dans ce petit village des Abruzzes aux paysages rugueux, d’une beauté inquiétante et âpre avec un personnage qui n’était pas sans rappeler « Le Samouraï » de Melville. Le photographe et James Dean sont aussi à leurs manières des incarnations de ce Samouraï. Si Dane DeHaan ne possède pas ce charisme et la séduction implacables que dégageait l’acteur de « A l’Est d’Eden », « La Fureur de vivre » et « Géant », son jeu n’en est pas moins d’une réelle intensité. A l’image de ce que fuyait James Dean, les tapis rouges, les flashs, les mondanités, Anton Corbijn a délaissé l’image de papier glacé pour privilégier la « dimension humaine » du personnage, des personnages même que le film met en parallèle car, comme l’a souligné le réalisateur en conférence de presse, le film n’est pas un biopic mais le portrait de la relation entre ces deux hommes. Il est en effet bien plus intéressant qu’un biopic. Il n’en demeure pas moins qu’il passionnera ceux qui, comme moi, aiment ce cinéma des années cinquante et les trois chefs d’œuvre dans lesquels cet écorché vif irremplaçable, cet acteur hors du commun, a tournés. Si le titre se réfère à celui du magazine dans lequel ont été publiées les célèbres photos de James Dean, il se réfère peut-être aussi à la passionnante réflexion sur la vie (en général et celle de l’acteur) que le film porte en filigrane. Cette vie basée un peu trop sur le passé, pas assez dans le présent, et réfutant l’avenir, cette vie que James Dean a vécue à cent à l’heure, pour oublier le passé, défier le présent et cet avenir qu’il semblait redouter et narguer. Un film mélancolique et ensorcelant, à la lenteur et la sobriété judicieuses, en accord avec le propos mais jamais ennuyeuses, porté par une réalisation particulièrement élégante et deux acteurs remarquables : si Dane DeHaan ne peut de toute façon « être » James Dean, il donne incontestablement une âme à son personnage et face à lui, Robert Pattinson confirme ce que Cronenberg a su si bien souligner, le potentiel immense d’un acteur qui n’a certainement pas fini de nous surprendre.

     

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    « Le Prodige » de Edward Zwick (actuellement en salles) se penche aussi sur un destin hors du commun, celui de Bobby Fischer (Tobey Maguire), le prodige américain des échecs, qui fut opposé au Russe Boris Spassky lors du « Match du siècle » considéré, en pleine période de Guerre froide entre les deux superpuissances, comme un véritable défi lancé par l’Amérique à l’empire soviétique. L’obsession qu’a Bobby Fischer de gagner se transformera peu à peu, aux yeux du monde entier, en une véritable lutte que doit mener cet homme génial et fou contre ses propres démons intérieurs. Passionnante est l’histoire de cet homme paranoïaque qui sombre peu à peu dans la folie qui, en plus de ses adversaires, devait combattre ses propres démons et dont la lucidité diminuait au fur et à mesure que ses succès s’accumulaient. Tobey Maguire est fascinant dans cette course haletante contre lui-même, contre la folie, contre l’adversité mais, malheureusement, à trop simplifier les échecs et à édulcorer les zones d’ombre de son héros, dans un souci un peu trop flagrant de plaire au plus grand nombre, le film perd en intensité et profondeur. Il n’en demeure pas moins divertissant eu égard à son passionnant sujet même si un documentaire sur le sujet aurait sans doute été beaucoup plus intéressant.

     

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    « Experimenter » de Michael Almereyda (qui sortira en salles le 18 novembre 2015) est là aussi basé sur des faits réels qui le rendent d’autant plus effarant. Université de Yale, en 1961. Stanley Milgram conduit une expérience de psychologie – considérée comme d’une importance majeure encore aujourd’hui – dans laquelle des volontaires croient qu’ils administrent des décharges électriques douloureuses à un parfait inconnu, attaché à une chaise dans une autre pièce. La victime a beau leur demander d’arrêter, la majorité des volontaires poursuivent l’expérience, en infligeant ce qu’ils croient être des décharges pourtant presque mortelles, simplement parce qu’on leur dit de le faire. Par cette expérience, Milgram souligne la propension qu’a tout homme à se soumettre à l’autorité, au moment précis où le procès du nazi Adolf Eichmann est diffusé à la télévision à travers toute l’Amérique. L’opinion populaire comme la communauté scientifique en sont bouleversées. Célébré dans certains cercles ou accusé d’être un monstre manipulateur dans certains autres, Milgram parvient pourtant à traverser les épreuves grâce au soutien de son épouse Sasha.

     

    A l’image du « Prodige », là aussi le film se révèle passionnant davantage eu égard à son sujet (notamment l’effet du groupe sur la distorsion du jugement que Milgram met en exergue…comme un écho à mon introduction de cet article, non?) qu’à son dispositif cinématographique même si le réalisateur use et abuse des effets pour impliquer le spectateur, l’interpeller notamment par le truchement d’adresses à la caméra récurrentes. L’idée n’est pas dénuée d’intérêt pour un film qui démontre justement comment l’homme, soumis à l’autorité et aux ordres, se déresponsabilise au point de devenir une marionnette entre les mains des pires dictateurs. La démonstration est aussi glaçante que passionnante, et interroge évidemment notre propre esprit de soumission ou de résistance.

     

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    Changement radical d’univers avec « Danny Collins » (« Imagine ») de Dan Fogelman, LE film tendrement drôle dont les spectateurs sont ressortis avec le sourire. Grâce aux tubes qui continuent à faire sa gloire, le chanteur de rock Danny Collins (Al Pacino) semble aujourd’hui avoir tout pour lui : l’argent, la célébrité, une nouvelle fiancée et des stades remplis de fans en transe. Mais des années d’excès, de relations sans lendemain et de concerts à devoir chanter, soir après soir, les mêmes refrains, commencent sérieusement à entamer la joie de vivre du rocker. Lorsque son manager lui remet une lettre que lui avait adressée en son temps John Lennon, mais qui ne lui était jamais parvenue, Danny décide de suivre – avec quarante ans de retard – les conseils que lui donnait alors son idole, et d’écouter son cœur. Il annule la tournée à guichets fermés qui était prévue et il prend une chambre dans un petit hôtel au fin fond du New Jersey, espérant ainsi réussir à retrouver la passion pour la musique et la famille qu’en route vers la gloire, il avait abandonnée.

     

    Steve Carell devait initialement tenir le rôle principal…et cela aurait été bien dommage tant Al Pacino apporte au personnage une profondeur, une flamboyance et une (auto)dérision remarquables. Il faut le voir chanter le sirupeux « Baby doll » devant un public qui en trépigne (sur ses déambulateurs) et en arracherait ses perruques.  Scénariste pour la télévision  mais aussi pour le cinéma (Cars, Raiponce, Crazy Stupid Love),  Dan Fogelman réalise ici premier long-métrage. Le sujet n’est pas nouveau et sans Al Pacino dans le rôle de ce chanteur pour maisons de retraite fantasque et attendrissant qui croit que l’argent peut racheter toutes les fautes sans doute le film n’aurait-il pas eu ce charme fou et ravageur. Dans les scènes avec Anette Benning, l’alchimie opère et nous conquiert. Une comédie sentimentale qui n’évite pas les écueils du genre pour lesquels, après tout, nous avons tant de plaisir à y plonger et une réflexion sur ce que nous avons fait de nos rêves et un espoir, celui d’une deuxième vie, à tout âge… A voir pour cela et ce Danny Collins que le génialissime Al Pacino rend si irrésistible et attendrissant, me donnant envie de revoir ce grand film »Looking for Richard », projeté lors de l’hommage que lui avait rendu le Festival du Cinéma Américain de Deauville il y a quelques années. Je me souviens encore de ce petit homme, gigantesque acteur, au charisme fou, en larmes sur la scène du CID, bouleversé et bouleversant.

     

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    Le Festival rendait hommage à Terrence Malick (en son absence, c’est son producteur qui le remplaçait), l’occasion de découvrir en avant-première « Knight of cups » qui sortira en salles le 25 novembre 2015 avec un pitch cosmico-lyrico-ésotérique tel que le cinéaste les affectionne désormais. « Il était une fois un jeune prince que son père, le souverain du royaume d’Orient, avait envoyé en Égypte afin qu’il y trouve une perle. Lorsque le prince arriva, le peuple lui offrit une coupe pour étancher sa soif. En buvant, le prince oublia qu’il était fils de roi, il oublia sa quête et il sombra dans un profond sommeil… » Le père de Rick lui lisait cette histoire lorsqu’il était enfant. Aujourd’hui, Rick (Christian Bale) vit à Santa Monica et il est devenu auteur de comédies. Il aspire à autre chose, sans savoir réellement quoi. Il se demande quel chemin prendre.

     

    Terrence Malick (palme d’or en 2011 avec « The Tree of life ») se plait à nous égarer dans les méandres du conscient, de l’inconscient et des velléités de Rick en entremêlant les déconstructions narratives (visuelles et sonores), prenant le risque de ressembler à ces publicités glaciales que sa caméra immortalise. Certaines images d’une beauté sidérante et indéniable, effleurent notre cœur sans l’atteindre jamais tout à fait comme si nous étions condamnés à errer dans cette mélancolie distanciée, ce monde déshumanisé aux voix et aux souvenirs déstructurés et lointains. A force de vouloir dénoncer la vacuité et la vanité de nos existences, Terrence Malick les singent un peu trop. Difficile alors de trancher : le  montage est-il brillant ou ridicule, fascinant ou agaçant ? La voix off présomptueuse porte ou au contraire annihile des fulgurances visuelles poétiques qui rendent ce voyage, certes jamais ennuyeux, toujours curieux mais trop souvent redondant et prétentieux. Difficile aussi de croire en la noblesse de l’ensemble quand on prétend stigmatiser un univers tout en employant autant de ses figures emblématiques (le film regorge de têtes d’affiche condamnées à errer, minauder, éthérées, sans doute subjuguées par l’univers du maître dont il était exclu d’emblée de remettre en cause les intentions : en plus de Christian Bale, Natalie Portman, Cate Blanchett, Antonio Banderas, …). A voir néanmoins parce que ce film possède, en plus des images éblouissantes qui le parsèment, une vertu: celle de rendre le spectateur acteur, de mettre à l’épreuve son attention (ailleurs guidée) et c’est suffisamment rare pour être souligné.

     

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    A nouveau changement radical d’univers avec « Mr Holmes » de Bill Condon qui met en scène l’élégant et charismatique Ian McKellen à qui le festival rendait également hommage cette année. Il incarne ici Sherlock Holmes, désormais à la retraite, vivant paisiblement dans le Sussex avec sa gouvernante et le fils de celle-ci, un jeune détective débutant. Avec l’aide du garçon, et bien que sa mémoire et son légendaire pouvoir de déduction ne soient plus désormais ce qu’ils étaient, Holmes se lance dans une ultime enquête, se remémorant les circonstances du cas non résolu qui l’obligea à mettre un terme à sa carrière, tout en cherchant des réponses aux mystères de la vie et à ceux de l’amour…

     

    Le personnage de Sherlock Holmes a donné lieu à une multitude de films mais cette fois c’est un rôle un peu différent qui est attribué au célèbre détective. A 93 ans, Holmes mène en quelques sorte sa dernière enquête en fouillant dans ses souvenirs épars et incertains, au milieu de ses abeilles, de ses souvenirs, ses regrets et le héros de Sir Conan Doyle, à l’esprit toujours alerte, malgré une mémoire et une santé défaillantes, prend un malin plaisir à déconstruire sa figure mythique préférant le cigare à la pipe et affirmant n’avoir jamais porté sa célèbre casquette, et avoir été caricaturé par Watson. Toute l’intelligence du scénario réside dans la déconstruction du mythe tout en le renforçant puisque Holmes est représenté comme une personne ayant réellement existé. Célèbre pour son rôle de Gandalf dans « Le Seigneur des anneaux », Ian McKellen est avant tout un acteur de théâtre qui, comme il l’a dit lors de la conférence de presse, aime donner corps à ses personnages (« Venant du théâtre, j’ai un goût pour la dimension physique des personnages »). Il apporte beaucoup de profondeur à ce Holmes. Le film est nimbé d’une splendide lumière mélancolique. Son scénario, très malin, qui alterne entre passé et présent, rêve et réalité, mythe et vérité nous amène à réfléchir sur le vrai visage des héros et des légendes, l’ingratitude de la vieillesse, la transmission et nous embarque dans une mise en abyme, dans laquelle, après avoir dénoncé la légende mensongère qui l’a enfermé, Holmes se met à inventer des histoires pour édulcorer la dureté de la réalité. Finalement un bel hommage au pouvoir salvateur des doux mensonges que sont les romans et la fiction, et à Holmes lui-même. « Mr Holmes » sera également présenté au prochain Festival du Film Britannique de Dinard.

     

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    Avec « Agents très spéciaux : code U.N.C.L.E » de Guy Ritchie (qui lui aussi avait mis en scène le héros de Sir Conan Doyle, dans une vision aux antipodes de celle de Bill Condon), le festival tenait son film d’espionnage parodique, jubilatoire et ludique. Au début des années 1960, en pleine Guerre froide, l’agent de la CIA Napoleon Solo et celui du KGB Illya Kuryakin sont contraints de laisser de côté leur antagonisme ancestral pour s’engager dans une mission conjointe : mettre hors d’état de nuire une organisation criminelle internationale déterminée à ébranler le fragile équilibre mondial en favorisant la prolifération de la technologie et des armes nucléaires. L’unique piste qu’ont Solo et Kuryakin est celle de la seule personne apparemment capable d’infiltrer l’organisation criminelle : la fille d’un scientifique allemand aujourd’hui porté disparu. Ils se lancent alors dans une course contre la montre pour retrouver sa trace et empêcher ainsi un cataclysme planétaire.

     

    Avec cette adaptation d’une série télé culte des années 1960, les spectateurs du CID ont eu leur dose d’adrénaline. Le scénario abracadabrantesque tient en une ligne (c’est toujours finalement un peu le même : sauver le monde) mais la confrontation réjouissante de ces deux agents nous l’a bien vite fait oublier (ou, dociles, nous avons feint avec plaisir de l’oublier), ainsi que le recours aux artifices vintage du montage et de la mise en scène (split-screens etc) et aux costumes très sixties. Guy Ritchie n’est certes pas le roi de la subtilité néanmoins il possède un talent incontestable pour habiller le vide et lui donner la plus chic des apparences, pour rendre un film trépidant (pour ne pas dire épuisant) aidé en cela par une BO diaboliquement efficace, parfois intelligemment décalée. Un peu l’anti-Malick, l’un étant aussi didactique que l’autre est énigmatique, les deux ayant en commun d’aller au bout de leur folie et de la singularité de leurs univers.

     

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    C’est avec beaucoup d’impatience que j’attendais de découvrir « Les Cowboys » de Thomas Bidegain (sortie en salles le 25 novembre 2015), présenté à la Quinzaine des Réalisateurs et lauréat du prix d’Ornano Valenti du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2015, toujours un gage de qualité. Cette récompense créée en 1991 décernée au scénario d’un premier long-métrage français compte ainsi parmi ses lauréats Stéphane Brizé, Alix Delaporte, Guillaume Gallienne, Karin Albou…

     

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    Cela commence dans une grande prairie, lieu de rassemblement country western quelque part dans l’est de la France, cadre intemporel. Alain (François Damiens), un des piliers de cette communauté, danse avec Kelly, sa fille de 16 ans sous l’oeil attendri de sa femme et de leur jeune fils Kid. Mais ce jour-là Kelly disparaît. La vie de la famille et la belle harmonie de cette splendide première scène s’effondrent. Alain n’aura alors de cesse que de chercher sa fille, au prix de l’amour des siens et de tout ce qu’il possédait. Le voilà projeté dans le fracas du monde. Un monde en plein bouleversement où son seul soutien sera désormais Kid (formidable Finnegan Oldfield), son fils, qui lui a sacrifié sa jeunesse, et qu’il traîne avec lui dans cette quête sans fin.

     

    C’est en 1994, six ans avant les attentats du World Trade Center, le basculement du monde, que bascule la vie d’Alain. François Damiens est aussi convaincant que bouleversant dans le rôle de ce père obstiné qui recherche sa fille contre vents et marées, aux quatre coins du monde, abandonnant tout le reste pour cette quête obsessionnelle et dévorante, guidé par cette douleur indicible de l’absence. Les ellipses, les ruptures scénaristiques (dont une, audacieuse ) nous emmènent sur des chemins inattendus. Les attentats qui se succèdent par le prisme de la télévision, le 11 septembre 2001 à New York, le 11 mars 2004 à Madrid, le 7 juillet 2005 à Londres, marquent judicieusement l’écoulement du temps. Rien de surprenant de la part du talentueux coscénariste de Jacques Audiard ( dans notamment « Un Prophète » , « De rouille et d’os », « Dheepan ») qui, à travers ce drame familial, dresse le portrait d’un monde qui bascule sans jamais forcer l’émotion, avec toute la pudeur qui seyait à ce sujet sensible, jusqu’à la scène finale qui en est le paroxysme, d’un silence, lourd de sens, magistralement interprété et d’une force redoutable et poignante.

     

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    La délicatesse était beaucoup moins au rendez-vous avec le film de clôture, « Sicario » de Denis Villeneuve (Sortie en salles : le 7 octobre 2015), que j’avais déjà vu à Cannes où il figurait en compétition officielle. Direction cette fois la zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique devenue un territoire de non-droit. Kate (Emily Blunt), une jeune recrue idéaliste du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par un consultant énigmatique, l’équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre. Préparez-vous à entrer dans un gouffre inextricable et suffocant, au propre comme au figuré. A l’image de Kate (jeune agent du FBI qui participe à l’opération comme caution morale et qui, habituellement, ne fait rien sans l’autorisation express de ses supérieurs), finalement le double du spectateur, au regard innocent qui plonge dans cet abyme de violence, votre sens de la morale sera mis à rude épreuve. « Sicario » revendique visiblement son manichéisme, recourant délibérément aux contrastes visuels (noir des véhicules, des costumes et ocre du désert écrasé de soleil) même si le personnage de Benicio Del Toro témoigne de la complexité de la situation, de la fragile frontière entre le bien et le mal. Ancien procureur , suite à l’assassinat de toute sa famille par des cartels, il devient ainsi lui-même un tueur dans le but de traquer les trafiquants pour le compte du gouvernement américain, et il évolue désormais dans un monde glauque, un monde de sang qui l’a semble-t-il déshumanisé. Certaines scènes dont d’une intensité incontestable comme celle de la fusillade en plein milieu des embouteillages. Pour un budget de 32 millions de dollars, cette énième plongée dans l’enfer des cartels mexicains est d’un réalisme foudroyant entre crimes sanglants et tortures barbares, et pose des questions intéressantes, dommage que, pour y parvenir, il faille tomber dans cette surenchère, cette débauche de violence et de moyens qui s’avère finalement plus ennuyeuse que palpitante.

     

    4.LES HOMMAGES

     

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    Indissociables du Festival du Cinéma Américain de Deauville : les hommages aux figures emblématiques du cinéma américain. J’en ai vu tant foulé les planches (Al Pacino, James Coburn, Cyd Charisse, Clint Eastwood, Tom Cruise, Jack Nicholson, Steven Spielberg, Tom Hanks, Lauren Bacall, George Clooney…) et pourtant chaque année de nouveaux noms fleurissent devant les célèbres cabines. Cette année Keanu Reeves, Ian McKellen, Orlando Bloom, Patricia Clarkson, Lawrence Bender, Terrence Malick, Michael Bay ont été célébrés par le festival. Je vous propose de retrouver ci-dessous quelques clichés et vidéos ainsi que quelques citations de ces hommages.

     

    C’est Keanu Reeves qui a ouvert le bal lors de l’ouverture avant que, (comme le veut la tradition du festival, lorsqu’il est rendu hommage à un artiste) soient projetées des images de ses rôles les plus emblématiques: dans « My own private Idaho », « Dracula », « Matrix » et bien sûr dans le chef d’œuvre de Stephen Frears dont il est pour moi indissociable, l’acteur étant à jamais pour moi Danceny dans « Les Liaisons dangereuses » (1988). Keanu Reeves a ensuite descendu l’imposant escalier du CID sur la musique de « Matrix ». Dans un discours professionnel, teinté d’humour, il est revenu sur ses débuts, saluant avec émotion quelques personnes qui ont jalonné sa carrière. Retrouvez également mes vidéos de Keanu Reeves prises du Festival Lumière de Lyon 2014, ici.

     

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    Le festival rendait également hommage à l’actrice Patricia Clarkson qui a ainsi cité Jeanne Moreau : « L’âge de nous protègera pas de l’amour mais l’amour nous protègera de l’âge ». « Je veux jouer des femmes passionnées et romantiques, c’est l’aspect le plus important dans mes prises de decision. » a-t-elle également déclaré. Cliquez ici pour retrouver ma critique de « Shutter island » de Scorsese projeté dans le cadre du festival, à l’occasion de cet hommage.

     

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    Le festival a également rendu hommage à Lawrence Bender, producteur notamment de Quentin Tarantino qui a  déclaré, lors de son hommage : «Il y a trois ingrédients à la réussite : trouver sa passion, ne pas avoir peur d’échouer et avoir de la ténacité », « Trouver sa passion, c’est comme tomber amoureux. Je suis tombé amoureux de la danse, puis de la comédie. » Cet hommage a aussi été l’occasion de revoir « Inglourious basterds » de Quentin Tarantino qu’il a produit. Cliquez ici pour retrouvez ma critique.

     

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    Bouleversant fut Ian MCKellen  lors de sa conférence de presse, notamment lorsqu’il a déclaré, une infinie mélancolie dans le regard : « La mort est toujours au coin de la rue. J’y pense souvent, je viens d’y penser maintenant. »

     

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    Orlando Bloom à qui le festival rendait également hommage, quant à lui, a cité le petit prince « On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». « Je vais faire une annonce publique : je veux être dans le prochain film de Jacques Audiard. Je suis un très grand fan.» a-t-il également déclaré. « J’étais un enfant très rêveur, très vite je m’inventais des rôles pour moi-même. »

     

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    Elisabeth Olsen a, quant à elle, reçu le prix du nouvel Hollywood, l’occasion pour Vincent Lindon (auréolé de son prix d’interprétation cannois pour « La loi du marché » de Stéphane Brizé dans lequel il est exceptionnel) de nous faire la surprise de sa visite (avec un discours tinté d’ironie qui a ravi les festivaliers) et d’être acclamé par les festivaliers.

     

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    Un hommage a également été rendu au réalisateur Michael Bay.

     

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    L’hommage à Orson Welles a également été l’occasion de revoir « Citizen Kane », dans sa splendide version restaurée 4K réalisée chez Warner Bros. Le CID était l’écrin idéal pour revoir ce chef d’œuvre du 7ème art considéré comme le meilleur film de tous les temps et qui reçut l’ Oscar du meilleur scénario original en 1941. Difficile d’ajouter quelque chose sur ce film sans tomber dans la banalité ou la redondance tant tout a été écrit, néanmoins, la maestria scénaristique, stylistique, sans oublier la musique d’Herrmann m’ont une nouvelle fois happée, fascinée, comme si je découvrais le film pour la première fois, l’histoire de cet homme qui, toute sa vie, a couru après l’enfance et l’enfant qu’il aurait aimé ne jamais cesser d’être et après ses rares instants de bonheur enterrés avant qu’ils ne fussent, à la fin de sa vie, brûlés, faisant de lui à jamais un inconnu pour tous ceux qui le côtoyèrent.

     

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    5.LE CLUB KIEHL’S

     

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    Cette année, le Festival du Cinéma Américain avait un nouveau partenaire, la marque américaine Kiehl’s qui remplaçait ainsi Cartier, la villa Cartier, lieu phare des soirées du festival et des interviews en journées devenant le club Kiehl’s, toujours dans la magnifique villa qui jouxte l’hôtel Royal face au CID et à la mer.

     

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    Kiehl’s est une marque qui a vu le jour à New York en 1851 dans une pharmacie traditionnelle. Son expertise unique repose sur des connaissances acquises et transmises au fil des générations dans les domaines de la cosmétique, de la pharmacie, de l’herboristerie et de la médecine. Depuis plus de 160 ans, Khiels propose des formules efficaces pour la peau et les cheveux, issues de technologies avancées et concentrées en ingrédients naturels de grande qualité. Où que vous soyez dans le monde, la marque s’engage ainsi à vous « offrir des produits de haute qualité et un service personnalisé d’exception » proposant depuis plus de 160 ans des formules pour la peau et les cheveux, vous proposant des « consultations expertes et personnalisées » et d’être « satisfait ou remboursé ». Je vous recommande notamment la boutique de la nouvelle rue de Sèvres, dans le 6ème,  à Paris.

     

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    Ce fut aussi l’occasion pour les invités du festival de se voir présenter la marque, de réaliser un diagnostic de peau, dans un décor entièrement et magnifiquement remodelé par la marque à ses couleurs pour l’occasion.

     

    Kiehl’s a par ailleurs développé en édition limitée deux de ses produit star aux couleurs du Festival disponibles tout le mois de septembre (photos ci-dessus), dont tous les bénéfices des ventes  seront versés à l’association « Enfance et Partage » :

     

    -La crème ULTRA FACIAL CREAM (une crème hydratante pour le visage qui maintient une hydratation optimale pendant 24H)

     

    -et La CREME DE CORPS (le soin de corps le plus hydratant de la marque Kiehl’s ).

     

    Ces deux produits sont disponibles dans l’ensemble des points de vente Kiehl’s et sur www.Kiehls.fr. Tous les bénéfices des ventes de ces deux produits seront reversés à Enfance et Partage ( http://www.enfance-et-partage.org/) .

     

    Pour ma part, je suis repartie avec quelques cadeaux de la marque -photo ci-dessus- (véritable coup de cœur pour le gel douche et la body lotion Patchouli and fresh rose).

     

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    Plus conviviale que la villa Cartier, le club Kiehl’s a enchanté les invités du festival, en journée et en soirée. Un grand merci à Laurent Guyot pour son accueil toujours souriant et chaleureux et aux équipes de Kiehl’s dont Philippine mais aussi Thomas pour son professionnalisme lors de sa présentation des produits de la marque. Si vous voulez en savoir plus sur la marque et sa présence à Deauville, retrouvez le très bon article de mon amie Pascale B sur son blog Beauty clap, ici.

     

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    6.LA BO DU FESTIVAL

     

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    Chaque année, elle est aussi remarquable et permet de joyeuses réminiscences et de ne pas trop céder à la nostalgie une fois le festival terminé, c’est pourquoi j’avais envie de partager avec vous la BO de cette édition.

     

    7.EN COMPLEMENT : MES BONNES ADRESSES DEAUVILLAISES

     

    Retrouvez, dans mon article complet, ici, toutes mes bonnes adresses d’hôtels, de restaurants, de cafés à Deauville, mais aussi mes bonnes adresses publiées dans le magazine Elle  et, ci-dessous, retrouvez quelques photos complémentaires prises pendant le festival lors de mes pérégrinations gastronomiques :une mention spéciale pour le restaurant « La Cantine » (qui est vraiment devenue la mienne pendant ce festival, accueil toujours aussi remarquable et produits frais à la carte, plus de précisions dans l’article précité) et pour le bar de l’hôtel Royal (retrouvez mon article complet suite à mon séjour à l’hôtel Royal, en cliquant ici).

     

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    Pour terminer cette parenthèse gastronomique, le menu du dîner de clôture (signé Barrière):

     

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    En attendant le 42ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, retrouvez-moi la semaine prochaine en direct du Festival du Film Britannique de Dinard. Un grand merci au CID pour les pass aux couleurs d’in the mood dont vous, lecteurs, avez pu profiter suite aux concours organisés sur mes blogs (36 pass journaliers furent ainsi mis en jeu) et à toutes celles et ceux avec qui j’ai eu le plaisir de partager ce festival et qui en ont fait une joyeuse et trépidante édition.

     

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    Pour me suivre en direct de mes pérégrinations festivalières, suivez-moi sur twitter (@moodforcinema) et instagram -la majeure partie des photos de cet article provient des photos de mon compte instagram- ( @sandra_meziere) et pour tout ce qui concerne Deauville ( @moodfdeauville sur twitter et http://facebook.com/inthemoodfordeauville.com sur Facebook et mon blog entièrement consacré à Deauville http://inthemoodfordeauville.com ) et pour tout savoir sur le festival, retrouvez son site officiel http://festival-deauville.com ).

     

    8.PALMARES

     

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    Grand Prix

     

    99 HOMES de Ramin Bahrani

     

    Prix du jury

     

    TANGERINE de Sean Baker

     

    Prix de la critique

     

    Krisha dxe Trey Edward Shults

     

    PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE

     

    DOPE de Rick Famuyiwa

     

    PRIX D’ORNANO VALENTI

     

    LES COWBOYS de Thomas Bidegain

     

    PRIX KIEHL’S DE LA RÉVÉLATION

     

    JAMES WHITE de Josh Mond

     

     

     

  • Critique de MON ROI de Maïwenn

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    Vincent Cassel, dans son meilleur rôle (celui de Georgio) suscite chez Tony (Emmanuelle Bercot), une passion étouffante et destructrice qu’elle se remémore alors qu’elle est dans un centre de rééducation après une chute de ski. Une relation amoureuse tumultueuse mêlant « joie et de souffrance » chères à Truffaut.

    Un film qui exerce le même charme, doux et âpre, la même fascination troublante que le personnage principal. Le spectateur est lui aussi sous emprise. Vincent Cassel est un Georgio diaboliquement séduisant, envoûtant, un roi autoritaire, inique, détestable et malgré tout charmant, qu’il imite un serveur dans un célèbre palace deauvillais ou qu’il jette son portable (pour « donner son portable » suite à sa rencontre avec Tony) comme un roi fier, désinvolte, lunatique, arrogant, ensorcelant comme il l’est avec le sujet de son désir.

    Plutôt que d’en faire un pervers narcissique caricatural, Maïwenn lui dessine des failles (une relation au père puis à sa disparition moins indifférente qu’il voudrait le laisser paraître).

    Face à Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot incarne corps et âme cette femme aveuglée par l’amour qui aime follement dont, justement, le corps et l’âme souffrent et vibrent pour et par cet homme.

    Maïwenn n’a peur de rien, ni d’appeler son personnage féminin « Marie-Antoinette » (d’où Tony), ni du mal au genou parce que mal au « je nous », c’est ce qui agacera ou charmera mais cette audace fougueuse est plutôt salutaire dans un cinéma français parfois trop aseptisé.

    Un film qui, dès les premières minutes, où Tony se jette à corps perdu dans le vide, nous happe pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière seconde et jusqu’à la très belle scène finale.

    A signaler : un Louis Garrel sous un nouveau jour, irrésistiblement drôle, qui apporte une respiration dans cet amour étouffant.

    Après le prix du jury en 2011 pour « Polisse », avec son quatrième film seulement, Maïwenn confirme être une cinéaste de talent avec laquelle il va falloir compter.

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    Un rôle qui a valu à Emmanuelle Bercot le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2015 pour lequel elle a vivement remerciée sa réalisatrice et son partenaire :

    -« Mon bonheur de devoir partager ce bonheur avec une actrice car un peu trop grand pour moi toute seule car ce prix récompense son audace, son sens aigu de la liberté, son anticonformisme. »,

    -« C’est difficile pour moi d’être ici sur cette scène sans Vincent Cassel. Vincent Cassel, mon roi c’est toi et moi, je sais ce que je te dois. » ,

    - « Merci à ce jury qui visiblement a la même dinguerie que Maïwenn, le même sens de la liberté, de la non convention. Je réalise juste que parfois la vie peut aller au-delà des rêves, ce soir, la vie va au-delà de tous mes rêves. »

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2015 Pin it! 0 commentaire
  • Critique de NOS FUTURS de Rémi Bezançon

     

     

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    C’est en 2005, au Festival du Film de Cabourg dans le cadre duquel il présentait son premier long-métrage, Ma vie en l’air, que j’avais découvert l’univers de Rémi Bezançon, un cinéma nostalgique, romantique, dénué de mièvrerie, un cinéma mélancolique teinté d’humour (ou peut-être, aussi, l’inverse) et surtout un film très bien écrit. J’avais ensuite été totalement charmée par Le premier jour du reste de ta vie (cf ma critique ci-dessous), un beau succès estival inattendu qui avait allègrement dépassé le million d’entrées.  Nos futurs est déjà le cinquième long-métrage réalisé par Rémi Bezançon. Après une petite incursion dans l’animation, le voici de retour avec une tragi-comédie aussi trompeuse, surprenante, double que son titre polysémique, Nos futurs (No future…).

     

    C’est donc, selon le synopsis officiel, l’histoire de « deux amis d’enfance, qui s’étaient perdus de vue depuis le lycée, se retrouvent et partent en quête de leurs souvenirs… ».

     

    Ces deux amis, ce sont Yann Kerbec (Pierre Rochefort) et Thomas (Pio Marmaï). Le premier est marié à Estelle (Mélanie Bernier). Sa vie semble à l’image de son entreprise, de ses costumes et même de sa cuisine : terne, grise, sans aspérités, bien loin des rêves de l’adolescent qu’il était et qui avait sans doute d’autres aspirations que diriger une compagnie d’assurances. Thomas, quant à lui, est resté le même, comme si le temps s’était arrêté. Il boit toujours le même breuvage infâme de leur adolescence, il préfère toujours le minitel à Google pour rechercher une adresse et il possède toujours la même moto estampillée « No future ». Un fossé « spatio-temporel » semble les séparer.  L’un est resté fidèle à son adolescence (ou s’y enlise peut-être) et l’autre est devenu vieux avant l’heure (qui, devenu adulte, n'a pas croisé des connaissances de l'adolescence qui  semblent soudain plus vieilles que vos grands-parents et venir d'une autre galaxie où on les aurait condamnées à une vieillesse, un désenchantement et un ennui prématurés?). Les souvenirs, l’amitié, la nostalgie du passé et la volonté de le faire renaitre pour aller de l’avant vont pourtant les réunir à nouveau. Ils vont donc décider de réunir leurs copains du lycée, pour remonter le fil des souvenirs, larguer les amarres pour renouer avec l’insouciance de l’adolescence (si jamais elle n’a pas été autre chose qu’une légende)…

     

    Si le postulat est celui d’une comédie, ce film est bien plus que cela, et même à mon sens, finalement tout sauf une comédie (ce qui ne l’empêche pas d’être drôle ou teinté d’humour pour revenir à mon introduction même si, à mon sens, Rémi Bezançon est bien meilleur dans la gravité, ou pour teinter son film de mélancolie et de nostalgie). Une comédie,  c’est ce que je m’attendais à voir en y allant et c’est la raison pour laquelle j’ai été agréablement déroutée. Attendre seulement une comédie, c’était évidemment oublier les thématiques qui sous-tendaient déjà ses autres films : souvenirs, nostalgie, deuil y menaient déjà la danse derrière une apparente légèreté…

     

    Si le film est une ode à l’amitié, aux puissantes réminiscences qu’elle suscite (revoir ses amis d’enfance, c’est déjà la retrouver un peu et, selon les êtres et la profondeur du fossé, cela peut se révéler aussi délicieux que dévastateur), le déni (le décès du père de Yann, les grossesses que sa femme n’a pu mener à terme) et la tristesse dans lesquels semblent enfermé Yann baignent le film d’une atmosphère mélancolique. Et c’est avant tout ce qui m’a intéressée, au-delà du film à l'humour potache auquel certains semblent le réduire. Pour le rendre plus universel, onirique aussi, les scénaristes ( Rémi Bezançon, Vanessa Portal, Jean-François Halin) ont par ailleurs eu la bonne idée de ne pas situer l’intrigue dans le temps et de ne pas donner d’âge aux personnages.

     

    Comme toujours chez Rémi Bezançon la bande-son est une vraie réussite (très belle musique signée Pierre Adenot) et recèle de vraies trouvailles, de même que les choix des seconds rôles sont toujours judicieux comme Roxane Mesquida (lumineuse dans une très belle scène de retrouvailles que je vous laisse découvrir),  Kyan Khojandi, Zabou Breitman et surtout des comédiens, tout aussi exceptionnels mais encore trop rares comme Aurélien Wiik (dans une scène dans laquelle il fait preuve d'une réjouissante autodérision, inoubliable dans Sans elle  de Anna da Palma- à quand d’autres premiers rôles ?-) ou encore Aymeric Cormerais (qui avait un rôle mémorable dans Le premier jour du reste de ta vie et prix d’interprétation au Festival du Film de Cabourg pour l’excellent court-métrage  Béa de Romuald Beugnon, également remarquable dans Vivre d’Yvon Marciano dans lequel il incarnait le rôle principal).

     

    Pour cette troisième collaboration avec Rémi Bezançon, Pio Marmaï illumine une nouvelle fois le film de sa spontanéité, son naturel (qui sans doute, nécessite, un talent certain) et sa vitalité. Face à lui, Pierre Rochefort a toute sa place et, s’il possède la discrétion et l’élégance nonchalante de son père et le talent éclatant de ses deux parents, il démontre aussi un talent bien à lui. Il est ainsi parfait dans ce rôle de jeune homme triste, emmuré dans les non dits, ses souvenirs, sa nostalgie, un jeune homme qui ne veut plus danser (tout est dit)... Il confirme ici son excellente prestation dans le délicat dernier film de Nicole Garcia, Un Beau Dimanche.

     

    Qu’avons-nous fait de nos rêves ? De nos espoirs d’adolescence ? De ce sentiment de « no future », que la mort n’arriverait jamais ou n’arriverait qu’aux autres, aux inconnus ? Telles sont les questions auxquelles, par ce récit initiatique, répond Rémy Bezançon avec beaucoup plus de profondeur et de délicatesse que l'humour parfois très "Farrelly" le laisse supposer.

     

    Ajoutez à cela un film truffé de références et de citations cinématographiques ( dans les dialogues ou visuelles) : Titanic, Le Parrain, Le Roi Lion…et vous obtiendrez un long-métrage certes drôle mais surtout  particulièrement sensible sur l’amitié, les souvenirs, les douleurs indicibles, la nostalgie du passé et la nécessité d’y faire face pour affronter le présent et l’avenir. Au service de l’histoire, une réalisation malicieuse et une construction scénaristique particulièrement astucieuse pour jouer avec le temps, de sa perception et de notre perception  (ralenti, accéléré, onirisme) telle celle que nous avons de notre propre passé, forcément biaisée par les souvenirs parfois infidèles (à l'image de l'affiche: un reflet flou et imparfait) et les émotions. Le tout est servi par un scénario ciselé  construit comme un habile puzzle qui, une fois, reconstitué, au dénouement,  vous ravagera (l'émotion m'a réellement submergée) a fortiori si, vous aussi, comme le personnage, comme moi, la tristesse, cette tristesse, vous a, un temps ou à jamais, ôtée l'envie de danser devenue soudain si incongrue  et vous n'aurez alors plus qu’une envie : refaire le voyage à l’envers pour le revivre à la lueur de son arrivée et, peut-être, dire à vos amis (les vrais, ceux qui sont là dans les bons moments mais surtout les mauvais) à quel point vous êtes heureux qu'ils fassent partie de vos futurs.

    Critique - "Le premier jour du reste de ta vie" de Rémi Bezançon

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     Sur une période de 12 années, Rémi Beznçon nous raconte une journée essentielle pour chacun des cinq membres d'une famille, une journée après laquelle rien ne sera tout à fait pareil. Cette famille se nomme Duval. Un nom banal, courant plutôt, à l’image de l’universalité des évènements vécus par chacun des membres de cette famille mais qui, appréhendés par chacun d’eux, paraissent extraordinaires, plus douloureux ou marquants. Il y a le père d’abord, Robert Duval (comme l’acteur mais avec un seul l), interprété par Jacques Gamblin, ici exceptionnel, et toujours avec cette grâce lunaire, flegmatique, et faussement désinvolte, qui cherche la reconnaissance de son père (Roger Dumas) ou même, à défaut, un regard. Il y a la mère (Zabou Breitman) qui vit à travers ses enfants et décide de reprendre ses études (d’arts plastiques) pour vivre un peu autrement, pour vivre une seconde jeunesse aussi. Et puis il y a les trois enfants : l’aîné Albert (Pio Marmaï), faussement sûr de lui, protecteur envers son frère Raphaël (Marc-André Grondin), romantique et velléitaire attendant plus que sa voie le trouve que la cherchant réellement, et surtout envers sa sœur, la cadette, Fleur (Déborah François), en pleine « crise » grunge et d’adolescence.

     5 personnages. 5 membres d’une même famille. 5 journées déterminantes. 12 ans. Ce film aurait pu se réduire à un concept, un pitch séduisant, ou rassurant pour les diffuseurs (qui n’aiment rien tant qu’être rassurés). C’est pourtant bien plus que cela. C’est un ton tout d’abord qui mêle astucieusement tendre ironie et drame et qui s’impose dès la première scène, la première journée : la mort décidée du « jeune » chien de 18 ans et le départ de l’aîné, au grand désarroi, plus ou moins avoué, du reste de la famille. Un pan de vie et d’enfance qui se détache, s’envole, violemment. Un début drôle et mélancolique ou plutôt d’une drôle de mélancolie. Un début qui déjà nous séduit, nous plonge dans l’intimité, les tourments de cette famille que nous n’aurons plus envie de lâcher jusqu’à la dernière seconde, la première du reste de notre vie.

     Ce ton si particulier résulte tout d’abord du jeu des acteurs et probablement de leur direction : comme si ceux-ci n’étaient jamais dupes du fait que tout cela c’est juste la vie, ou que c’est juste du cinéma, ce qui a pour effet de dédramatiser, un peu, mais surtout pas de créer une distance avec nos propres émotions,  peut-être simplement de les relativiser. Grâce à ce mélange habile, de gravité et d’ironie, qui caractérise chacun des personnages, des situations et des dialogues,  nous sommes donc constamment en empathie. Rémi Bezançon ne néglige personne : premiers et seconds rôles. Cette famille semble vraiment exister avec une incroyable alchimie, certes parfois explosive : de la révélation Pio Marmaï à Marc-André Grondin d’une justesse sidérante, tout comme Déborah François si différente du rôle et de son interprétation si marquante de « L’enfant » des frères Dardenne qui l’avait révélée. Roger Dumas dans le rôle du père irascible et exigeant et du grand-père touchant est également parfait. Ou encore Aymeric Cormerais dans le rôle d’un fan de Jim Morrison suffisant et couard et donc pathétique aux antipodes de ce qu’est réellement son interprète (prix d’interprétation à Cabourg pour le court-métrage de Romuald Beugnon « Béa ») dont, je l’espère, ce rôle, ( j’en témoigne : vraiment de composition), lui  permettra d’obtenir un premier rôle à la hauteur de la diversité de son jeu et talent.

     Ce ton provient ensuite de la structure à la fois complexe et fluide, elliptique et dense qui fait danser, s’entrecroiser les évènements et les regards sur ceux-ci avec une habileté remarquable de chef d’orchestre attribuant à chacun une partition d’égale importance. Rémi Bezançon a par ailleurs eu la judicieuse idée de synchroniser le fond et la forme : la forme cinématographique s’alignant ainsi sur le point de vue de celui qui voit « sa journée » : la journée de Fleur est ainsi tournée caméra à l’épaule à l’image de la jeune fille, fougueuse, égarée, désordonnée, celle du père de manière plus frontale.  Rémi Bezançon jongle avec le hors champ et l’ellipse avec beaucoup de tact et de sobriété.

     Chacune des journées est par ailleurs imprégnée de l’époque à laquelle elle se déroule : par des références musicales, cinématographiques, télévisuelles. La bande originale, particulièrement réussie, a ainsi été composée par Sinclair mais est aussi parsemée de morceaux de Bowie, The Divine Comedy, Janis Joplin, Lou Reed et évidemment Etienne Daho avec cette magnifique chanson à laquelle Rémi Bezançon a emprunté son titre pour celui de son film.

     Evidemment, si je voulais mettre un bémol à cette harmonie d’éloges, je dirais que le scénario est cousu de quelques fils blancs, parsemé de quelques personnages caricaturaux mais je pense que ce sont ici d’ailleurs davantage des convenances et des stéréotypes volontairement écrits destinés à créer une universalité et une empathie avec le spectateur que des erreurs ayant échappé à son scénariste.  Sans doute aussi est-ce trop court et aurions-nous parfois aimé en savoir davantage, peut-être pour le simple plaisir de rester un peu plus avec cette famille, et de voir ses dessiner un peu mieux la vie de certains de ses membres, creuser leurs fêlures, donner un peu moins l’impression qu’ils se sortent toujours de toutes les situations, que tout est toujours bien qui finit bien, mais au fond le titre nous avait prévenus, et cet optimisme final est bien mérité après la lucidité ironique de ce qui précède.

     « Cette famille c’est la vôtre » nous dit l’affiche. Pas vraiment pourtant. Mais justement c’est là tout la richesse et l’ingéniosité de ce film : faire que, alors que cette famille ne ressemble hypothétiquement pas du tout à la mienne ou à la vôtre, nous nous reconnaissions dans un instant, un regard, un déchirement, une émotion, des pudeurs ou des non-dits, ou même un étrange hasard, qu’il nous fasse passer des rires aux larmes avec une famille qui n’est pas la nôtre mais des émotions qui sont les nôtres : les errements de l’existence, la tendresse ou la complicité ou l’incompréhension d’un sentiment filial, la déchirure d’un deuil (d’un être ou de l’enfance), ou encore ces instants d’une beauté redoutable où bonheur et horreur indicibles semblent se narguer (cf scène du mariage) et témoigner de toute l’ironie , parfois d’une cruauté sans bornes, de l’existence. 

     Avec ce deuxième long métrage après « Ma vie en l’air », Rémi Bezançon a signé un film qui a le charme ensorcelant de ces films de famille en super 8 que l’on revoit avec nostalgie et par lequel il débute, il est empreint de la nostalgie douce et amère, irremplaçable, délicieuse et douloureuse de l’enfance et de la mélancolie violente et magnifique, drôle et tendre de l’existence. Ce sont encore et aussi cinq regards sur le temps qui passe impitoyablement et que chacun tente de retenir, évidemment en vain. « Le premier jour du reste de ta vie » ne fait pas partie de cette pléthore de films d’été oubliés à peine terminés mais au contraire de ceux qui vous laissent une trace, profonde.

     Un film qui exhale l’inestimable parfum de l’enfance et la beauté cruelle de l’existence. Un film qui vous donne envie de rester debout, pour « rechercher un peu de magie », beaucoup même. « Rester debout mais à quel prix ? ». A tout prix. Même de la mélancolie et de la nostalgie, si salvatrices aussi. Alors, si vous voulez qu’il soit agréable, à n’en pas douter, vous savez désormais à quoi passer le premier jour du reste de votre vie…