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cinéma - Page 94

  • Critique de LES FEMMES DU 6ème ETAGE de Philippe Le Guay à 20H45, sur France 2

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    Film déprogrammé pour "Les tontons flingueurs" de Georges Lautner dans le cadre de l'hommage à ce dernier.

    Présenté à la Berlinale 2011, « Les femmes du 6ème étage » est un film  dans lequel Philippe Le Guay filmait pour la troisième fois Fabrice Luchini qui lui-même joue ici pour la troisième avec Sandrine Kiberlain (qui, elle, en revanche n’avait jamais tourné avec Philippe Le Guay), mais tout cela n’est pas qu’affaire de chiffres ou si, juste un dernier : 60, les années pendant lesquelles se déroule l’intrigue.

    Jean-Louis Joubert (Fabrice Luchini), agent de change rigoureux (de père en fils) de 45 ans, mari de Suzanne Joubert (Sandrine Kiberlain) et père de famille de deux enfants renvoie la femme de ménage, à leur service depuis des années, et en emploie une nouvelle, Maria (Natalia Verbeke), une jeune espagnole. A cette occasion, Jean-Louis découvre une joyeuse cohorte de bonnes espagnoles vivant au sixième étage de son immeuble bourgeois, un univers exubérant et folklorique à l’opposé des manières et de l’austérité de son milieu.

    Un film avec Fabrice Luchini est toujours une curiosité et surtout la manière dont un réalisateur tire profit de son exubérante personnalité (comme dans « Beaumarchais l’insolent ») ou la canalise, comme ici. C’est en effet (dans un premier temps) un personnage éteint, presque étriqué, austère qui, quatre étages au-dessus de chez lui, va découvrir un autre univers, vivant, coloré, joyeux. Ce n’est pas lui ici qui incarne l’exubérance mais les femmes espagnoles au contact desquelles il va s’illuminer, se réveiller, se libérer.

    Ces femmes forment ici une joyeuse communauté malgré (ou à cause de) la pauvreté et la dictature à cause desquelles elles ont quitté leur pays, Carmen Maura en tête mais pas seulement. Ces cinq femmes ne constituent pas une caricature de casting almodovarien mais une communauté éclectique avec la syndicaliste, celle qui cherche à se marier, celle qui est battue par son mari… mais de toutes se dégage une humanité et une joie de vivre communicatives.

    Il aurait été aisé de tomber dans les clichés ou la condescendance, ce que Philippe Le Guay évite toujours soigneusement. Même le personnage de l’épouse, irrésistible Sandrine Kiberlain constamment « é-pui-sée » alors que ses journées laborieuses se partagent en réalité entre coiffeur, manucure, bridge et thé avec ses amies est à la fois superficielle, légère, mais aussi fragile et finira elle aussi par évoluer.

    Avec ses « femmes du 6ème étage » Philippe Le Guay ne révolutionnera certes pas le cinéma (mais ce n’est par ailleurs probablement pas ce à quoi il aspire ni le spectateur en allant voir ce genre de film) et signe une comédie sociale romantique plus maligne qu’elle n’en a l’air (l’inconnu-e- si proche, intemporel-le-), pleine de gaieté communicative et réjouissante. Une fable sans doute utopique mais non moins touchante, pétillante et pleine de charme grâce à « Maria pleine de grâce » et ses joyeuses acolytes espagnoles auxquelles Philippe Le Guay rend un bel hommage, sans oublier Fabrice Luchini et Sandrine Kiberlain dont chaque apparition est un régal pour le spectateur. Vous auriez tort de vous priver de cette rayonnante escapade au 6ème étage!

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  • Critique de DANS LA MAISON de François Ozon à 20H50 sur Canal plus cinéma

    Comme je le fais avec certains de ses ainés (Resnais, Téchiné…) du cinéma français, je m’efforce (très doux effort, d’ailleurs) de ne manquer aucun film de François Ozon, promesse toujours d’une promenade dans les méandres de son imagination fertile servie, toujours aussi, par une réalisation maligne, complice ou traitre, qui nous conduit dans les secrets, souvent enfouis ou inavoués, de l’intérieur…des âmes et/ou des habitations. Et justement, ce nouveau long-métrage librement adapté de la pièce espagnole de Juan Mayorga intitulée « Le Garçon du dernier rang » s’intitule « Dans la maison ».

     Cette maison, c’est celle dans laquelle s’immisce un garçon de 16 ans, Claude (Ernst Umhauer), celle d’un élève de sa classe, Rapha(ël). C’est ce qu’il commence à raconter à son professeur de français, Germain Germain (incarné par Fabrice Luchini)  dans une rédaction, un devoir donné par ce dernier demandant à ses élèves (pardon : ses apprenants) de raconter leur week end. Plus doué que les autres dont les rédactions ne sont qu’une suite de banalités désespérantes, l’élève attire son attention par son intelligence malgré (à cause de ?) son mépris de « l’odeur de la femme de la classe moyenne". La rédaction se termine par « A suivre ». Et des suites, il y en aura beaucoup. Reprenant goût à l’enseignement, Germain le professeur aigri, écrivain raté, continue à donner des cours particuliers et à demander des rédactions à son brillant élève qui dénote parmi ses élèves à uniformes (et uniformisés) et qui continue ainsi à lui raconter et/ou inventer les suites de son aventure et de son intrusion dans la maison. Germain va alors devenir le complice, le manipulateur et la victime de cette brillante rédaction/manipulation à suivre encore et toujours…

    « Dans la maison » commence avec Germain, professeur sans histoire(s), dans le hall vide et austère du lycée, à l’image de son existence, un premier plan auquel le dernier très hitchcockien (je ne vous dirai évidemment pas en quoi il consiste), au contraire riche d’histoires, fait brillamment écho. Entre les deux, François Ozon, s’amuse avec les mots, rend hommage à leur prodigieux pouvoir, à leur troublante beauté, nous donne des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipule tout comme son élève manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme.  Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités : Germain Germain, les deux jumelles (très courte mais irrésistible apparition de Yolande Moreau) et évidemment la plus maligne et féroce d’entre toutes,  le spectateur et Germain pareillement manipulés, voyant leur curiosité aiguisée par  un autre duo Claude/Ozon.

     Et c’est ce qu’est avant tout ce nouveau film de François Ozon : une brillante leçon de manipulation et (donc) surtout d’écriture et de scénario (de ce point de vue comme le prolongement de « Swimming pool » et, dans une moindre mesure, de « Sous le sable »). Tout comme Germain donne un cours d’écriture à Claude en lui parlant de personnages, d’objectifs et de conflits ou encore de ce en quoi consiste une bonne fin (« Quand le spectateur se dit  Je ne m’attendais pas à ça et ça ne pouvait pas finir autrement »),  Ozon nous en donne une à nous aussi, en ne suivant justement pas ce schéma habituel, pour mieux nous dérouter, manipuler, et maintenir ainsi constamment le suspense, la surprise, voire l’emprise. Nous sommes sa marionnette consentante, dans la même situation que Germain, avides de connaître ce que cache ce « A suivre », Claude étant d’ailleurs, plus qu’un brillant écrivain, surtout très habile pour  encourager la fibre voyeuriste de son lecteur (enfin, de ses lecteurs, puisque Germain lit tous ses textes à son épouse). Ce n’est évidemment pas un hasard si Germain et cette dernière vont au cinéma pour voir « Match point » de Woody Allen, la plus brillante des leçons de scénario et manipulation qui soit (critique en bonus à la fin de cet article, avec celle de « Potiche » également de François Ozon).

     Et puis, surtout, Ozon s’amuse. Avec les mots, faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Avec les noms propres (Germain Germain). Avec les codes de l’art : son absurdité, parfois (scènes irrésistibles dans la galerie de l’épouse de Germain interprétée par Kristin Scott Thomas) et sa beauté, souvent (« L’art nous éveille à la beauté des choses » ).  Cela pourrait devenir un thriller mais Ozon se contente d’une inquiétante normalité qui, d’un instant à l’autre, semble pouvoir  dériver vers le drame, toujours latent, retenant ainsi constamment notre attention. Riche de ses influences et références : de Pasolini (« Théorème ») à Hitchcock (« Fenêtre sur cour »), ce nouveau film de François Ozon se situe quelque part entre Chabrol et Polanski mais surtout témoigne de son style bien à lui prouvant, si besoin en était, la vitalité du cinéma français qui compte parmi les meilleurs films de cette année ( dans des genres différents : « J’enrage de son absence », « Une bouteille à la mer », « Vous n’avez encore rien vu », « Les Adieux à la reine », « Comme des frères »… ).

     Le jeu trouble des acteurs, les angles changeants de la caméra (souvent trompeurs et doubles, eux aussi) permettent de brouiller les repères et de mêler les genres cinématographiques, les perceptions, la fiction et la réalité, de s’amuser avec ce jeu dangereux et délectable qu’est l’écriture, avec les clichés aussi. Clichés d’une famille qui semble tout droit sortie d’une sitcom avec sa maison à la décoration proprette, le père incarné par un Denis Ménochet moustachu et réjouissant (qui se prénomme Rapha comme le fils, brouillant là aussi d’autres repères) obsédé par la Chine et le basket, le fils totalement insipide, et la mère (Emmanuelle Seigner, parfaite dans ce contre-emploi de femme au foyer) constamment plongée dans ses magazines de décoration, caricatures de la classe moyenne vue par l’esprit arrogant de Claude.

    Puis il y a Luchini, plus juste que jamais, cet amoureux des mots, sublimes et périlleux, auxquels Ozon rend si bien hommage, citant justement les auteurs que l’acteur aime tant : La Fontaine, Flaubert, Céline, ou encore Dostoïevski (à qui Woody Allen faisait d’ailleurs largement référence dans « Match point ») qui transpose « des êtres pathétiques, nuls, en personnages inoubliables ».  Je vous reparlerai de Luchini et de l’amour des mots demain avec mon compte-rendu de la Master class de Jean-Laurent Cochet, le maître de l’acteur qui continue d’ailleurs de le citer régulièrement.

     Un film brillant et ludique, un labyrinthe (avec et sans minotaure) joyeusement immoral, drôle et cruel, une comédie grinçante et un jeu délicieusement pervers, qui ne pourra que plaire aux amoureux de la littérature et de l’écriture qui sortiront de la salle heureux de voir que, toujours, le cinéma et l’écriture illuminent (ou, certes, dramatisent) l’existence et, en tout cas, sortent vainqueur, et peut-être sortiront-ils aussi en ressassant cette phrase : « Même pieds nus la pluie n’irait pas danser ».  A suivre…

    Critique de "Match point" de Woody Allen

     

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    Un film de Woody Allen comme le sont ceux de la plupart des grands cinéastes est habituellement immédiatement reconnaissable, notamment par le ton, un humour noir corrosif, par la façon dont il (se) met en scène, par la musique jazz, par le lieu (en général New York).

    Cette fois il ne s'agit pas d'un Juif New Yorkais en proie à des questions existentielles mais d'un jeune irlandais d'origine modeste, Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer), qui se fait employer comme professeur de tennis dans un club huppé londonien. C'est là qu'il sympathise avec Tom Hewett (Matthew Goode), jeune homme de la haute société britannique avec qui il partage une passion pour l'opéra. Chris fréquente alors régulièrement les Hewett et fait la connaissance de Chloe (Emily Mortimer), la sœur de Tom, qui tombe immédiatement sous son charme. Alors qu'il s'apprête à l'épouser et donc à gravir l'échelle sociale, il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), la pulpeuse fiancée de Tom venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre et, comme lui, d'origine modeste. Il éprouve pour elle une attirance immédiate, réciproque. Va alors commencer entre eux une relation torride...

     

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    Je mets au défi quiconque n'ayant pas vu le nom du réalisateur au préalable de deviner qu'il s'agit là d'un film de Woody Allen, si ce n'est qu'il y prouve son génie, dans la mise en scène, le choix et la direction d'acteurs, dans les dialogues et dans le scénario, « Match point » atteignant d'ailleurs pour moi la perfection scénaristique.

    Woody Allen réussit ainsi à nous surprendre, en s'affranchissant des quelques « règles » qui le distinguent habituellement : d'abord en ne se mettant pas en scène, ou en ne mettant pas en scène un acteur mimétique de ses tergiversations existentielles, ensuite en quittant New York qu'il a tant sublimée. Cette fois, il a en effet quitté Manhattan pour Londres, Londres d'une luminosité obscure ou d'une obscurité lumineuse, en tout cas ambiguë, à l'image du personnage principal, indéfinissable.

    Dès la métaphore initiale, Woody Allen nous prévient (en annonçant le thème de la chance) et nous manipule (pour une raison que je vous laisse découvrir), cette métaphore faisant écho à un rebondissement (dans les deux sens du terme) clé du film. Une métaphore sportive qu'il ne cessera ensuite de filer : Chris et Nola Rice se rencontrent ainsi autour d'une table de ping pong et cette dernière qualifie son jeu de « très agressif »...

    « Match point » contrairement à ce que son synopsis pourrait laisser entendre n'est pas une histoire de passion parmi d'autres (passion dont il filme d'ailleurs et néanmoins brillamment l'irrationalité et la frénésie suffocante que sa caméra épouse) et encore moins une comédie romantique (rien à voir avec « Tout le monde dit I love you » pour lequel Woody Allen avait également quitté les Etats-Unis) ; ainsi dès le début s'immisce une fausse note presque imperceptible, sous la forme d'une récurrente thématique pécuniaire, symbole du mépris insidieux, souvent inconscient, que la situation sociale inférieure du jeune professeur de tennis suscite chez sa nouvelle famille, du sentiment d'infériorité que cela suscite chez lui mais aussi de sa rageuse ambition que cela accentue ; fausse note qui va aller crescendo jusqu'à la dissonance paroxystique, dénouement empruntant autant à l'opéra qu'à la tragédie grecque. La musique, notamment de Verdi et de Bizet, exacerbe ainsi encore cette beauté lyrique et tragique.

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    C'est aussi le film des choix cornéliens, d'une balle qui hésite entre deux camps : celui de la passion d'un côté, et de l'amour, voire du devoir, de l'autre croit-on d'abord ; celui de la passion amoureuse d'un côté et d'un autre désir, celui de réussite sociale, de l'autre (Chris dit vouloir « apporter sa contribution à la société ») réalise-t-on progressivement. C'est aussi donc le match de la raison et de la certitude sociale contre la déraison et l'incertitude amoureuse.

    A travers le regard de l'étranger à ce monde, Woody Allen dresse le portrait acide de la « bonne » société londonienne avec un cynisme chabrolien auquel il emprunte d'ailleurs une certaine noirceur et une critique de la bourgeoisie digne de La cérémonie que le dénouement rappelle d'ailleurs.

    Le talent du metteur en scène réside également dans l'identification du spectateur au (anti)héros et à son malaise croissant qui trouve finalement la résolution du choix cornélien inéluctable, aussi odieuse soit-elle. En ne le condamnant pas, en mettant la chance de son côté, la balle dans son camp, c'est finalement notre propre aveuglement ou celui d'une société éblouie par l'arrivisme que Woody Allen stigmatise. Parce-que s'il aime (et d'ailleurs surtout désire) la jeune actrice, Chris aime plus encore l'image de lui-même que lui renvoie son épouse : celle de son ascension.

    Il y a aussi du Renoir dans ce Woody Allen là qui y dissèque les règles d'un jeu social, d'un match fatalement cruel ou même du Balzac car rarement le ballet de la comédie humaine aura été aussi bien orchestré.

    Woody Allen signe un film d'une férocité jubilatoire, un film cynique sur l'ironie du destin, l'implication du hasard et de la chance. Un thème que l'on pouvait notamment trouver dans « La Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le fossé qui sépare le traitement de ce thème dans les deux films est néanmoins immense : le hiatus est ici celui de la morale puisque dans le film de Leconte cette chance était en quelque sorte juste alors qu'elle est ici amorale, voire immorale, ...pour notre plus grand plaisir. C'est donc l'histoire d'un crime sans châtiment dont le héros, sorte de double de Raskolnikov, est d'ailleurs un lecteur assidu de Dostoïevski (mais aussi d'un livre sur Dostoïevski, raison pour laquelle il épatera son futur beau-père sur le sujet), tout comme Woody Allen à en croire une partie la trame du récit qu'il lui « emprunte ».

    Quel soin du détail pour caractériser ses personnages, aussi bien dans la tenue de Nola Rice la première fois que Chris la voit que dans la manière de Chloé de jeter négligemment un disque que Chris vient de lui offrir, sans même le remercier . Les dialogues sont tantôt le reflet du thème récurrent de la chance, tantôt d'une savoureuse noirceur (« Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie », ou citant Sophocle : « n'être jamais venu au monde est peut-être le plus grand bienfait »...). Il y montre aussi on génie de l'ellipse (en quelques détails il nous montre l'évolution de la situation de Chris...).

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    Cette réussite doit aussi beaucoup au choix des interprètes principaux : Jonathan Rhys-Meyer qui interprète Chris, par la profondeur et la nuance de son jeu, nous donnant l'impression de jouer un rôle différent avec chacun de ses interlocuteurs et d'être constamment en proie à un conflit intérieur ; Scarlett Johansson d'une sensualité à fleur de peau qui laisse affleurer une certaine fragilité (celle d'une actrice en apparence sûre d'elle mais en proie aux doutes quant à son avenir de comédienne) pour le rôle de Nola Rice qui devait être pourtant initialement dévolu à Kate Winslet ; Emily Mortimer absolument parfaite en jeune fille de la bourgeoisie londonienne, naïve, désinvolte et snob qui prononce avec la plus grande candeur des répliques inconsciemment cruelles(« je veux mes propres enfants » quand Chris lui parle d'adoption ...). Le couple que forment Chris et Nola s'enrichit ainsi de la fougue, du charme électrique, lascif et sensuel de ses deux interprètes principaux.

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    La réalisation de Woody Allen a ici l'élégance perfide de son personnage principal, et la photographie une blancheur glaciale semble le reflet de son permanent conflit intérieur.

    Le film, d'une noirceur, d'un cynisme, d'une amoralité inhabituels chez le cinéaste, s'achève par une balle de match grandiose au dénouement d'un rebondissement magistral qui par tout autre serait apparu téléphoné mais qui, par le talent de Woody Allen et de son scénario ciselé, apparaît comme une issue d'une implacable et sinistre logique et qui montre avec quelle habileté le cinéaste a manipulé le spectateur (donc à l'image de Chris qui manipule son entourage, dans une sorte de mise en abyme). Un match palpitant, incontournable, inoubliable. Un film audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un chef d'œuvre à voir et à revoir !

    « Match point » est le premier film de la trilogie londonienne de Woody Allen avant « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ».

     

     Critique de "Potiche" de François Ozon

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    Il semblerait que François Ozon ait adopté le rythme woodyallenien d’un film par an, signant ainsi avec « Potiche » son douzième long-métrage en douze ans, en passant par des films aussi divers et marquants que « Sitcom », « Swimming pool », « Sous le sable », « Huit femmes »… mais avec toujours la même exigence et toujours un casting de choix.

    Ainsi, dans « Potiche » c’est Catherine Deneuve (que François Ozon retrouve ici 8 ans après « Huit femmes ») qui incarne Suzanne Pujol, épouse soumise de Robert Pujol (Fabrice Luchini) que sa propre fille Joëlle (Judith Godrèche) qualifie avec une cruelle naïveté de «potiche ». Nous sommes en 1977, en province, et Robert Pujol est un patron d’une usine de parapluies irascible et autoritaire aussi bien avec ses ouvriers qu’avec sa femme et ses enfants. A la suite d’une grève et d’une séquestration par ses employés, Robert a un malaise qui l’oblige à faire une cure de repos et s’éloigner de l’usine. Pendant son absence, il faut bien que quelqu’un le remplace. Suzanne est la dernière à laquelle chacun pense pour remplir ce rôle et pourtant elle va s’acquitter de sa tâche avec beaucoup de brio, secondée par sa fille Joëlle et par son fils Laurent (Jérémie Rénier)…

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    Difficile d’imaginer une autre actrice que Catherine Deneuve dans ce rôle (autrefois tenu par une actrice qui ne lui ressemble guère, Jacqueline Maillan, dans la pièce de Barillet et Grédy dont le film est l’adaptation) tant elle y est successivement et parfois en même temps : lumineuse, maligne, snob, touchante, malicieuse, drôle, tendre, naïve, naïvement féroce …et tant ce film semble être une véritable déclaration d’amour à l’actrice. Qu’elle chante « Emmène-moi danser ce soir », qu’elle esquisse quelques pas de danse avec Depardieu ou qu’elle fasse son jogging avec bigoudis, jogging à trois bandes, en parlant aux animaux (et à une nature, prémonitoire, elle aussi moins naïve qu'il n'y paraît) et écrivant des poèmes naïfs ou qu’elle se transforme en leader politique, chacune de ses apparitions (c’est-à-dire une grosse majorité du film) est réellement réjouissante. Depuis que je l’avais vue, ici, lors d’une inoubliable rencontre à sciences-po ou lors de sa leçon de cinéma, tout aussi inoubliable, dans le cadre du Festival de Cannes 2005 (dont vous pouvez retrouver mon récit, ici), j’ai compris aussi à quel point elle était aussi dans la « vraie vie » touchante et humble en plus d’être talentueuse et à quel point sa popularité était méritée. Et puis, je n’oublierai jamais non plus son regard dans la dernière scène de cet autre film, d’une bouleversante intensité à l’image du film en question.

    Ici, lorsqu’elle se retrouve avec Babin-Depardieu, c’est toute la mythologie du cinéma que François Ozon, fervent cinéphile, semble convoquer, six ans après leur dernier film commun « Les temps qui changent » de Téchiné et trente ans après le couple inoubliable qu’ils formèrent dans « Le Dernier métro » de Truffaut. Emane de leur couple improbable (Depardieu interprète un député-maire communiste) une tendre nostalgie qui nous rappelle aussi celui, qui l’était tout autant, de « Drôle d’endroit pour une rencontre » de François Dupeyron. Et les parapluies multicolores ne sont évidemment pas sans nous rappeler ceux de Demy dont l’actrice est indissociable.

    Si le film est empreint d’une douce nostalgie, et ancré dans les années 1970 et une période d’émancipation féminine, Ozon s’amuse et nous amuse avec ses multiples références à l’actualité et les couleurs d’apparence acidulées se révèlent beaucoup plus acides, pour notre plus grand plaisir. D’un Maurice Babin dont l’ inénarrable inspiration capillaire vient de Bernard Thibault, à un Pujol aux citations sarkozystes en passant par une Suzanne qui s’émancipe et prend le pouvoir telle une Ségolène dans l’ombre de son compagnon qui finit par lui prendre la lumière sans oublier les grèves et les séquestrations de chefs d’entreprise, les années 70 ne deviennent qu’un prétexte pour croquer notre époque avec beaucoup d’ironie. Acide aussi parce qu’une fois de plus il n’épargne pas les faux-semblants bourgeois derrière le vaudeville d’apparence innocente.

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    Si Catherine Deneuve EST le film, il ne faudrait pas non plus oublier Fabrice Luchini en patron imbuvable, Judith Godrèche en fille réactionnaire aux allures de Farrah Fawcett, Jérémie Rénier en fils à la sexualité incertaine aux allures de Claude François et Karin Viard irrésistible en secrétaire s’émancipant peu à peu du joug de son patron. Les costumes, sont aussi des acteurs à part entière, et en disent parfois plus longs que des discours et montrent à quel point Ozon ne laisse rien au hasard.

    Un film à la fois drôle et tendre, nostalgique et caustique dont on ressort avec l’envie de chanter, comme Ferrat et Suzanne, « C’est beau la vie »…malgré un scénario parfois irrégulier et quelques ralentissements que nous fait vite oublier cette savoureuse distribution au premier rang de laquelle Catherine Deneuve plus pétillante, séduisante et audacieuse que jamais .

  • Critique de LES GARÇONS ET GUILLAUME, A TABLE ! de Guillaume Gallienne (et vidéos de Guillaume Gallienne au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2013)

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    Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Guillaume Gallienne, vous pourrez difficilement l’oublier après avoir vu « Les Garçons et Gauillaume, à table ! » (en salles, demain).

     

    « Jet set », « Fanfan la tulipe », « Narco », « Fauteuils d’orchestre »,  « Le concert », « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », « Sagan »,  « Marie-Antoinette » , tels sont quelques-uns des films dans lesquels ce Sociétaire de la Comédie Française a joués jusqu’à présent mais rien de comparable avec « Les garçons et guillaume, à table ! », adaptation du spectacle éponyme de Guillaume Gallienne qui en est le chef d’orchestre…et l’orchestre puisqu’il en signe le scénario, la mise en scène…et deux des rôles principaux (dans son spectacle, il incarnait tous les rôles). Pour son premier film, il ne s’est donc pas facilité la tâche.

     Guillaume Gallienne a déjà reçu de multiples récompenses pour ce film, notamment à la Quinzaine des réalisateurs, où je l’ai vu la première fois, et où il a été acclamé, puis au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix Michel d’Ornano, où je l’ai vu, et avec au moins autant de plaisir, une deuxième fois…et où il a été à nouveau ovationné (cf ma vidéo ci-dessus). Il a également reçu le prix du public au Festival du Film francophone d’Angoulême.

     Ne vous arrêtez donc pas à ce titre de série B qui ne vous semblera plus du tout l’être une fois que vous aurez vu le film, le titre se justifiant alors parfaitement. C’est ainsi que sa mère les appelait, son frère et lui, pour qu’ils viennent dîner : « Les Garçons ET Guillaume, à table ! ». A part déjà. Tout un programme. Très efféminé, il a toujours été considéré par tout le monde comme la fille que sa mère n’a jamais eue, enfin surtout par lui-même, fasciné par cette mère à qui il aurait tant aimé ressembler. Un amour fusionnel (le fond rejoignant alors la forme puisqu’il interprète son rôle) dont il va peu à peu dénouer les fils pour apprendre à savoir qui il est et aime vraiment...   

     Cela débute dans la loge d’un théâtre, celle de Guillaume Gallienne qui se (dé)maquille, enlève son masque de clown (triste ?) avant d’entrer en scène. A nu. La salle retient son souffle. Nous aussi. Dès le début, il happe notre attention et emporte notre empathie, par son autodérision, son écriture précise, cinglante, cruelle et tendre à la fois, ne ressemblant à aucune autre. Puis sa voix, posée et précise comme s’il lisait une partition, nous emporte dans son tourbillon de folie, de dérision, de lucidité tendre et caustique : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »

     Et s’il ne s’est pas facilité la tâche, c’est parce que non seulement il interprète le rôle de sa mère, aimante (trop ou mal peut-être), sachant rester élégante tout en étant vulgaire, masquant sa tendresse derrière un air revêche et des paroles (fra)cassantes, mais parce qu’il joue aussi son propre rôle… à tous les âges ! Avec un talent tel qu’on oublie d’ailleurs rapidement et totalement qu’il n’a pas l’âge du personnage. La magie du cinéma. Et le talent d’un grand acteur, à tel point qu’il en devient follement séduisant malgré son allure parfois improbable.

     Gallienne multiplie les mises en abyme  et effets narratifs suscitant ainsi un comique de situation en plus de celui du langage qu’il manie avec une dextérité déconcertante et admirable, et qu’il aime visiblement d’un amour immodéré, comme sa mère, à la folie même, avec pour résultat un rythme effréné, un film sans temps mort, d’une drôlerie ravageuse au moins autant que la tendresse et l’émotion qui nous cueillent aux moments parfois les plus inattendus, à l’image d’un autre clown, à la canne et au chapeau melon, qui savait nous bouleverser autant que nous faire rire.

     Dommage que deux scènes cèdent à la facilité, notamment une avec Diane Krüger,  alors que, auparavant, jamais le film n’essayait d’être consensuel ou de répondre aux codes de la comédie. L’interprétation réjouissante nous les fait néanmoins regarder avec indulgence tant la performance de Gallienne est exceptionnelle, y compris dans cette scène et du début à la fin, avec des scènes d’anthologie, sans parler de rôles secondaires tout aussi réjouissants notamment celui incarné par Françoise Fabian, la grand-mère fantasque et doucement folle.

     

    Ce film est aussi et avant tout une déclaration d’amour fou  à sa mère (quel personnage !) et aux femmes dont il aime et scrute jusqu’à la respiration, mais aussi aux mots, avec lesquels il jongle admirablement, et au théâtre, qui libère, et même au cinéma avec les codes duquel il s’amuse ici. Même s’il lorgne parfois du côté d’Almodovar, Woody Allen ou de Wilder (avec une réplique finale comme un écho à son « nobody’s perfect »), ce film peut difficilement être plus personnel tout en étant universel et il faut sans aucun doute une tonne de talent et de sensibilité pour transformer son mal être en film burlesque, en ce rafraichissant plaidoyer pour la différence (qui n’est jamais militant), en film aussi atypique, inclassable que celui qui en est l’auteur et l’acteur. Un grand auteur et un très grand acteur. Et une comédie tendre et caustique à voir absolument.

     Sortie en salles : le 20 novembre 2013

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  • Critique de VALSE AVEC BACHIR d'Ari Folman sur LCP et Public Sénat, à 20H30, ce dimanche

    Alors que cette année sortait le magnifique "Le Congrès" du même Ari Folman, ce soir, ne manquez pas "Valse avec Bachir".

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    Alors qu’il y a quelques jours encore j’évoquais mon peu  d’appétence pour le cinéma d’animation, c’est en toute logique  que je vais vous faire part aujourd’hui de mon enthousiasme et de mon émotion pour…un film d’animation. Un film d’animation d’un genre très particulier néanmoins. En compétition lors du  Festival de Cannes 2008 où il a fait figure de favori, il est reparti sans un prix mais avec un écho médiatique retentissant. C’est donc avec impatience que j’avais attendu sa sortie en salles l’ayant manqué à Cannes.

    18939633.jpgCela commence par la course d’une meute de chiens face caméra. L’image nous heurte de plein fouet : féroce, effrayante, belle et terrifiante. Une meute de chiens par laquelle, dans ses cauchemars, un ami d’Ari est poursuivi. 26 chiens exactement. Le nombre de chiens qu’il a tués durant la guerre du Liban, au début des années 1980, ce poste lui ayant été attribué parce qu’il était incapable de tuer des humains. Il raconte ce cauchemar récurrent à Ari mais ce dernier avoue n’avoir aucun souvenir de cette période, ne faire aucun cauchemar. Le lendemain, pour la première fois, 20 ans après,  un souvenir de cette période niée par sa mémoire surgit dans la conscience (ou l’inconscient) d’Ari : lui-même alors jeune soldat se baignant devant Beyrouth avec deux autres jeunes soldats sous un ciel lunaire en feu d’une beauté terrifiante. Il lui devient alors vital de connaître ce passé enfoui, ces pages d’Histoire et de son histoire englouties par sa mémoire. A cette fin,  il va aller à la rencontre de ses anciens compagnons d’armes, neuf personnes interrogées au total (dont deux ont refusé d’apparaître à l’écran sous leur véritable identité.) A l’issue de ces témoignages il va reconstituer le fil de son histoire et de l’Histoire et l’effroyable réalité que sa mémoire a préféré gommer…

    Un film d’animation d’un genre très particulier donc. D’abord parce qu’il est autobiographique : cette histoire, le troisième long-métrage du réalisateur (après « Sainte Clara » en 1996 et « Made in Israël » en 2001) est en effet celle du réalisateur israélien Ari Folman pour qui ce film a tenu lieu de thérapie. Ensuite parce que ce sont de vrais témoignages, poignants, et les voix de ces témoins donnent un aspect très documentaire à ce film hybride et atypique : d’abord tourné en vidéo, monté comme un film de 90 minutes, puis un story board en 2300 dessins ensuite animés, c’est un mélange d’animation Flash, d’animation classique et de 3D.  Ce mode filmique si particulier n’est nullement un gadget mais un parti pris artistique au service du propos auquel il apporte sa force et sa portée universelle. Un documentaire d’animation sur la guerre du Liban : oui, il fallait oser. Ari Folman s’affranchit des règles qui séparent  habituellement documentaire et fiction et dans ce sens, et aussi parce que ce film se déroule également au Liban, néanmoins à une autre époque, il m’a fait penser à l’un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2008 : « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige  ).

    Dès ces premiers plans de chiens en furie, nous sommes donc happés, happés par la violence sublime des images, ces couleurs noirs et ocre diaboliquement envoûtantes, oniriques et cauchemardesques,  happés par une bande originale d’une force saisissante (signée Max Richter), happés par l’envie et la crainte de savoir, de comprendre, nous aussi, en empathie avec la quête identitaire d’Ari. C’est d’abord la beauté formelle et la poésie cruelle qui en émane qui accroche notre regard, notre attention. Cette beauté ensorcelante rend supportable l’insupportable, rend visible l’insoutenable, créant à la fois une distance salutaire avec la violence de ces témoignages et événements réels mais nous aidant aussi à nous immerger dans cette histoire. Si la violence est atténuée, l’émotion ne l’est pas. Ari Folman n’a pas non plus voulu rendre la guerre lyrique mais son lyrisme visuel exacerbe encore l’absurdité de cette guerre, de ces hommes égarés que la peur fait tirer, sans savoir sur qui, et sans savoir vraiment pourquoi.

    Peu à peu, au fil des témoignages, les pièces du puzzle de la mémoire disloquée d’Ari vont s’assembler jusqu’à l’atrocité ultime, celle qui a sans doute provoqué ce trou noir, celle volonté inconsciente d’oublier, de faire taire ses souvenirs de ces jours de 1982 : le massacre de Palestiniens par les Phalangistes chrétiens, les alliés d’Israël, suite à l’assassinat du président de la République libanaise Bachir Gemayel, dans les camps de Sabra et Shatila, deux camps de Beyrouth-ouest, dont il a été le témoin impuissant (il ne nie pas pour autant la responsabilité d’Israël, du moins son inaction coupable). Au dénouement de ce poème tragique, Ari Folman a alors choisi de substituer des images réelles aux images d’animation pour rappeler, sans doute, la réalité de la guerre, sa violence, son universelle absurdité, sa brutalité. Des images d’une violence nécessaire. Qui nous glacent le sang après tant de beauté d’une noirceur néanmoins sublime.

    18939624_w434_h_q80.jpg Plus qu’un film d’animation c’est à la fois un documentaire et une fiction sur la mémoire et ses méandres psychanalytiques et labyrinthiques, sur l’ironie tragique et les échos cyniques de l’Histoire, l’amnésie tragique de l’Histoire-collective- et de l’histoire-individuelle- (si Ari a effacé cette période de sa mémoire c’est aussi parce qu’elle est un écho pétrifiant à l’histoire tragique de sa famille, victime des camps nazis, ceux  d’une autre époque, un autre lieu mais avec la même violence et horreur absurdes, presque les mêmes images des décennies après, et horreur ultime : les protagonistes ayant  changé de rôle), sur l’absurdité de la guerre que ce film dénonce avec plus d’efficacité que n’importe quel discours. La poésie au lieu de nier ou d’édulcorer complètement la violence en augmente encore l’atrocité : comme ce chant d’une ironie dévastatrice sur le Liban pendant qu’un char écrase des maisons, des voitures, lentement, presque innocemment. Comme cette couleur rouge qui se mue d’un objet anodin en sang qui coule. Ou comme cette valse avec Bashir, celle d’un tireur qui danse avec les balles qu’il tire devant le portrait de Bachir Gemayel sur fond de Chopin, qui joue avec le feu, qui danse avec la mort  dans une valse d’une sensualité violente: cette scène résume toute la beauté effroyable de ce film magnifique. Tragique et magnifique. Cette valse est aussi à l’image de la forme de ce film : entraînante, captivante comme si une caméra dansante nous immergeait dans les méandres virevoltants de la mémoire d’Ari.

    Une œuvre atypique qui allie intelligemment forme et force du propos, où la forme, sublime, est au service du fond, brutal. Une valse étourdissante d’un esthétisme d’une effroyable beauté. Une valse fascinante, inventive. Entrez dans la danse, sans attendre une seconde. Elle vous entraînera dans cette histoire, dans l’Histoire, avec une force renversante, saisissante, poignante.

    Alors, oui sans doute le grand oublié du palmarès de ce 61ème Festival de Cannes (qui me satisfaisait néanmoins pleinement), tout simplement peut-être parce que cette œuvre tellement atypique qui invente même un nouveau genre cinématographique (dont elle sera d’ailleurs certainement le prototype et l’unique exemplaire tant une copie lui ferait certainement perdre sa force) ne correspondait à aucune des catégories du palmarès  à moins que le jury n’ait pas osé, n’ait pas eu la même audace que celle dont Ari Folman a fait preuve dans son film, une œuvre qui répondait d’ailleurs aux exigences du président Sean Penn  témoignant de la conscience du monde dans lequel son réalisateur vit, un monde si souvent absurde et amnésique, enfouissant son Histoire dans les tréfonds de sa mémoire tragiquement et criminellement sélective.

    Lien: site officiel du film

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  • De retour...

    Parce qu’on me dit que la vie continue… 
     
    Merci pour vos messages suite à celui que j'avais publié ici le 31 octobre, merci à ceux qui ont pris le temps d’appeler, de « textoter », de laisser quelques mots sur Facebook, pour certains témoignages aussi de personnes ayant malheureusement vécu une expérience similaire, pour les messages d'inconnus ou de lecteurs venus de loin qui m'ont beaucoup touchée, et pour les trois téméraires qui en ont laissé directement sur le blog…
     
    Vous ne pouvez savoir à quel point quelques mots peuvent être parfois salutaires dans de telles circonstances et je crois plus que jamais en la force et au pouvoir magnifiques des mots et de l'écriture. Il y a aussi ceux dont "on" m'a dit que ce message les avait touchés et qui, sans doute, n'ont pas osé m'écrire directement. Il n'est jamais trop tard et je suis bien placée pour savoir que la vie est trop courte pour ne pas oser.
     
    Je reparlerai peut-être un jour de tout ceci mais probablement ailleurs et autrement.
    Je vais donc essayer de revenir progressivement à des infos futiles :

    -d’abord, la bonne nouvelle (qui n’est d’ailleurs pas une info futile pour moi et même la réalisation d'un vieux rêve) que j’avais déjà brièvement évoquée ici : la présence confirmée de mon éditeur  Numeriklivres au Salon du Livre de Paris 2014 et donc la mienne cette fois en tant qu'auteur et non plus en tant que presse

    -ensuite, 3 critiques de films en avant-première, à ne surtout pas manquer :

    - « The Immigrant » de James Gray (que je persiste et signe à considérer comme un des trois meilleurs films de cette année, malgré l’accueil cannois plus que mitigé) : Critique - http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2013/10/17/critique-de-the-immigrant-de-james-gray-5198472.html

    -« All is lost » de J.C Chandor, également dans le peloton de tête des films de l’année 2013 et dont vous pouvez retrouver ma critique publiée comme la précédente dans l’excellent magazine des anciens élèves de l’ENA, « L’ENA hors les murs », à retrouver également sur les blogs : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2013/06/11/critique-de-all-is-lost-de-j-c-chandor-avec-robert-redford.html

    -Enfin, « Les Garçons et Guillaume, à table ! » de Guillaume Gallienne découvert à Cannes comme les deux précédents, revu avec plaisir à Deauville : Critique - http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2013/09/28/critique-de-les-garcons-et-guillaume-a-table-de-guillaume-ga.html

    Pour d’autres critiques de bons films, retrouvez mon compte rendu du Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2013 dont la sélection est toujours gage de qualité et le fut ainsi cette année : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2013/10/18/palmares-et-compte-rendu-du-festival-international-des-jeune.html

    Ayant pour la première fois délaissé mes 7 blogs/sites inthemood depuis plusieurs semaines depuis la création du premier il y a 10 ans, je vais reprendre les articles quotidiens et rattraper les films manqués ces derniers temps (dans la mesure du possible), n’en ayant pas vu depuis un mois et demi. Vous constaterez une remise à jour formelle de ces différents blogs en attendant de nouveaux articles, et je continuerai à en rester l’unique rédactrice (j’y tiens) : http://inthemoodforfilmfestivals.com/, http://inthemoodforcinema.com/, http://inthemoodlemag.com/, http://inthemoodfordeauville.com/, http://inthemoodforcannes.com/, http://inthemoodforluxe.com/, http://inthemoodforhotelsdeluxe.com/ .

     

    Le cinéma et l’écriture restent plus que jamais mes priorités et mes passions dévorantes… Vous pouvez ainsi suivre l’actualité des mes romans publiés sur ma "page Facebook auteur" que je vous invite à rejoindre si ce n'est déjà fait (http://facebook.com/inthemoodforwriting ) et je vous dis également tout sur mon actualité « romanesque » dans cet article : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2013/09/20/lettre-ouverte-aux-lecteurs-d-ombres-paralleles-mon-recueil.html , une écriture romanesque qui ne m’empêchera pas non plus de continuer à développer mes deux sites précités sur le luxe qui continuent à prendre leur envol.

    Avec les évènements tragiques de cette année, je n'ai pas publié mon compte rendu de Cannes et Deauville. Me restent de nombreux brouillons d'articles, des archives d'images et de vidéos aussi que vous trouverez progressivement ici.

     
    Je développerai aussi davantage Inthemoodfordeauville.com laissé un peu à l’abandon ces derniers temps avec une actualité deauvillaise qui ne se cantonnera plus à celle des festivals de cinéma qui en constitueront bien sûr toujours l'essence.

    Je vais donc essayer de replonger « in the mood for cinema », car comme le disait et y aspirait avec ses -sublimes- films un de mes cinéastes préférés, Claude Sautet, le cinéma est là pour nous « faire aimer la vie », sans doute même lorsqu’elle prend une tournure révoltante.

    A très vite « in the mood for cinema » donc.
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  • Critique de THE IMMIGRANT de James Gray

    James Gray, The Immigrant, Marion Cotillard, Festival de Cannes, cinéma, critique

    Dans mon dossier publié dans le magazine des anciens élèves de l'ENA, "L'ENA hors les murs", de juillet/août 2013, à lire en cliquant ici, je vous parlais notamment de "The Immigrant" de James Gray (en salles le 27 nombre 2013), un de mes énormes coups de cœur de cette année cinématographique, le grand oublié du palmarès cannois. Retrouvez ma critique, ci-dessous et en bonus celles de "Two lovers" et "La Nuit nous appartient".

    Projeté en compétition officielle du 66ème Festival de Cannes, The Immigrant de James Gray décidément à l’honneur cette année puisqu’il est aussi le coscénariste de  Blood ties réalisé par Guillaume Canet (également présenté à Cannes) est, seulement, le cinquième long-métrage du cinéaste américain ( après Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two lovers) et nous avons bien du mal à le croire tant chacun de ses films précédents était déjà maîtrisé, et James Gray comptant, déjà, comme un des plus grands cinéastes américains contemporains. The Immigrant a apparemment déçu bon nombre de ses admirateurs alors que, au contraire, c’est à mon sens son film le plus abouti, derrière son apparente simplicité. Il s’agit en effet de son film le plus sobre, intimiste et épuré mais quelle maîtrise dans cette épure et sobriété!

    On y retrouve les thèmes chers au cinéaste: l’empreinte de la Russie, l’importance du lien fraternel, le pardon mais c’est aussi son film le plus personnel puisque sa famille d’origine russe est arrivée à Ellis Island, où débute l’histoire, en 1923.

     

    L’histoire est centrée sur le personnage féminin d’Ewa interprétée par Marion Cotillard. 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine et Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution.  L’arrivée d’Orlando (Jeremy Renner), illusionniste et cousin de Bruno (Joaquin Phoenix), lui redonne confiance et l'espoir de jours meilleurs. Mais c'est sans compter sur la jalousie de Bruno...

     

    James Gray a écrit le rôle en pensant à Marion Cotillard (très juste et qui aurait mérité un prix d’interprétation) qui ressemble ici à une actrice du temps du cinéma muet, au visage triste et expressif. The Immigrant est ainsi un mélo assumé qui repose sur le sacrifice de son héroïne qui va devoir accomplir un véritable chemin de croix pour (peut-être…) accéder à la liberté et faire libérer sa sœur. Les personnages masculins, les deux cousins ennemis, sont  en arrière-plan, notamment Orlando. Quant à Bruno interprété par l’acteur fétiche de James Gray, Joaquin Phoenix, c’est un personnage complexe et mystérieux qui prendra toute son ampleur au dénouement et montrera aussi à quel point le cinéma de James Gray derrière un apparent manichéisme est particulièrement nuancé et subtil.

     

    Le tout est sublimé par la photographie de Darius Khondji (qui avait d’ailleurs signé la photographie de la palme d’or du Festival de Cannes 2012, Amour de Michael Haneke) grâce à laquelle certains plans sont d’une beauté mystique à couper le souffle.

    James Gray a par ailleurs tourné à Ellis Island, sur les lieux où des millions d’immigrés ont débarqué de 1892 à 1924, leur rendant hommage et, ainsi, à ceux qui se battent, aujourd’hui encore, pour fuir des conditions de vie difficiles, au péril de leur vie. C’est de dos qu’apparaît pour eux la statue de la liberté au début du film. C’est en effet la face sombre de cette liberté qu’ils vont découvrir, James Gray ne nous laissant d’ailleurs presque jamais entrevoir la lumière du jour. Si le film est situé dans les années 1920, il n’en est pas moins intemporel et universel. Une universalité et intemporalité qui, en plus de ses très nombreuses qualités visuelles, ne lui ont pas permis de figurer au palmarès cannois auquel il aurait mérité d’accéder.

    Tout comme dans La Nuit nous appartient qui en apparence opposait les bons et les méchants, l’ordre et le désordre, la loi et l’illégalité, et semblait au départ très manichéen, dans lequel le personnage principal était écartelé,  allait évoluer,  passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres, ici aussi le personnage de Bruno au cœur qui a « le goût du poison », incarne toute cette complexité, et le film baigné principalement dans des couleurs sombres, ira vers la lumière. Un plan, magistral, qui montre son visage à demi dans la pénombre sur laquelle la lumière l’emporte peu à peu, tandis qu’Ewa se confesse, est ici aussi prémonitoire de l’évolution du personnage. L’intérêt de Two lovers  provenait avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. C’est aussi le cas ici même si le thème du film et la photographie apportent encore une dimension supplémentaire. James Gray s’est inspiré des photos « quadrichromes » du début du XXe  siècle, des tableaux qui mettent en scène le monde interlope des théâtres de variétés de Manhattan. Il cite aussi comme référence Le Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson.

     

    James Gray parvient, comme avec Two lovers, à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Longtemps après, en effet, j’ai été  éblouie par la noirceur de ce film, une noirceur de laquelle émerge une lueur de clarté sublimée par une admirable simplicité et maitrise des contrastes sans parler du dernier plan, somptueux, qui résume toute la richesse et la dualité du cinéma de James Gray et de ce film en particulier.

    Critique de TWO LOVERS de James Gray

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     Direction New York, ville fétiche du cinéma de James Gray, où, après avoir tenté de se suicider,  un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle, fragile et inconstante, dont il est tombé éperdument amoureux, un amour dévastateur et irrépressible.

    L’intérêt de « Two lovers » provient avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. Si James Gray est avant tout associé au polar, il règne ici une atmosphère de film noir et une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble  crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente.

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Il éprouve ainsi un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte  la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne ( plan de Michelle derrière des barreaux de son appartement, les appartements de Leonard et Michelle donnant sur la même cour rappelant ainsi « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock de même que la blondeur toute hitchcockienne de Michelle), et qui exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudique et  la magnifique photographie crépusculaire de Joaquin Baca-Asay qui procurent des accents lyriques à cette histoire qui aurait pu être banale,  mais dont il met ainsi en valeur les personnages d’une complexité, d’une richesse, d’une humanité bouleversantes.  James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père etc).

     Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d'une drôlerie désenchantée,  un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Irrépressiblement. Ajoutez à cela la bo entre jazz et opéra ( même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » que dans  le chef d’œuvre de Woody Allen « Match point » dans lequel on retrouve la même élégance dans la mise en scène et la même "opposition" entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski… : les ressemblances entre les deux films sont trop nombreuses pour être le fruit du hasard ), et James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Trois ans après sa sortie : d’ores et déjà un classique du cinéma romantique.

     

    Critique de LA NUIT NOUS APPARTIENT de James Gray

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    La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au Festival de Cannes.  Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits  s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien  concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène...) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…

    Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?)  a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000)  qui se déroule à New York, à la fin des années 80,  la police en est un personnage à part entière.  C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille :  Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout,  et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile,  vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue  oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première  en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.

    Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé,  considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le  décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire...)

    Les bons et les méchants.  L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen  me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé,  va évoluer,  va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène  qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.

     « La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité :  fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.

     Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

     C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas  partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…

     

     

  • La (sublime) affiche française de ALL IS LOST de J.C Chandor et critique du film

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    C’est lors du dernier Festival de Cannes où il était présenté en sélection officielle mais hors compétition que j’ai eu le plaisir de découvrir « All is lost » de J.C Chandor en présence de Robert Redford qui a également donné une conférence de presse dont je vous parle  ci-dessous et dont vous pourrez  retrouver quelques images. C’était un de mes coups de coeur de cette édition cannoise 2013, il figurait également en compétition du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix du jury.  Cette critique, ci-dessous, a aussi été publiée dans le journal de l’ENA en août (vous retrouverez l’article en intégralité en bas de cette page). Je vous en parle à nouveau aujourd'hui puisque vient d'être dévoilée sa sublime affiche.

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    All is lost est le deuxième film du réalisateur J.C Chandor après Margin Call, avec un unique interprète, et non des moindres, Robert Redford, dont la mythique présence a cette année illuminé la Croisette. Quel contraste  entre le vacarme, la foule cannois et le silence, la solitude de All is lost.

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     Lors de la conférence de presse cannoise, Robert Redford, a notamment parlé, avec autodérision et simplicité,  de son amour de la nature et de son inquiétude pour celle-ci, rappelant son engagement en faveur de l’environnement qu’il juge dans une  situation « carrément catastrophique, désastreuse ».   »A mon avis, la planète essaie de nous parler », a-t-il ajouté, évoquant « les ouragans, les tremblements de terre et les tornades », deux jours après la tornade dévastatrice de Moore, près d’Oklahoma City. Il a aussi évoqué son envie de continuer  à jouer, de la difficulté de faire des films aujourd’hui. Il a évoqué le défi que représentait ce film pour lui : « C’est un défi qui m’a beaucoup attiré en tant qu’acteur. Je voulais me donner entièrement à un réalisateur ». Il a aussi abordé l’importance du silence « Je crois dans l’intérêt du silence au cinéma. Je crois aussi dans l’intérêt du silence dans la vie car on parle car on parle parfois trop. Si on arrive à faire passer le silence dans une forme artistique, c’est intéressant ». « Ce film est en plein contraste avec la société actuelle. On voit le temps qu’il fait, un bateau et un homme. C’est tout ». « Il y a évidemment des similitudes avec Jeremiah Johnson » a-t-il également répondu.

    Dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, Robert Redford fuyait ainsi les hommes et la civilisation pour les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses. Ici, dans All is lost, au cours d’un voyage en solitaire dans l’Océan Indien, au large de Sumatra, à son réveil, il découvre que la coque de son voilier a été heurtée et endommagée par un container flottant à la dérive. Privé de sa radio, il doit affronter seul les éléments mais malgré toute sa force, sa détermination, son intelligence, son ingéniosité, il devra bientôt regarder la mort en face. Ici, aussi, c’est finalement la civilisation (incarnée par ce container rouge au milieu de l’horizon bleutée et qui transportait d’ailleurs des chaussures, incarnation de la société de consommation mondialisée ) qui le rattrape (alors que, peut-être, il voulait la fuir, nous ne le saurons jamais…), contraint à se retrouver ainsi « seul au monde », comme dans le film éponyme de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, même si je lui préfère, et de loin, ce film de J.C Chandor.

    Pendant 1H45, il est en effet seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

    Le seul «dialogue », est en réalité un monologue en ouverture du film, une sorte de testament qui s’écoute comme le roulement poétique, doux et violent, des vagues, et qui place ce qui va suivre sous le sceau de la fatalité : « Ici, tout est perdu, sauf le corps et l’âme ».

     Progressivement il va se voir dépouillé de ce qui constitue ses souvenirs, de tout ce qui constitue une chance de survie : radio, eau… Son monde va se rétrécir. La caméra va parfois l’enfermer dans son cadre renforçant le sentiment de violence implacable du fracas des éléments. Avec lui, impuissants, nous assistons au spectacle effrayant et fascinant du déchainement de la tempête et de ses tentatives pour y survivre et résister.

    Le choix du magnétique Robert Redford dans ce rôle renforce encore la force de la situation. Avec lui c’est toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui est malmenée, bousculée, et qui tente de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout.

     La mise en scène et la photographie sobre, soignée, épurée, le montre (et sans le moindre artifice de mise en scène ou flashback comme dans L’Odyssée de Pi) tantôt comme une sorte de Dieu/mythe dominant la nature (plusieurs plongées où sa silhouette se détache au milieu du ciel), ou comme un élément infime au milieu de l’Océan. La musique signée Alex Ebert (du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zeros) apporte une force supplémentaire à ces images d’une tristesse et d’une beauté mêlées d’une puissance dévastatrice. Inexistante au début du film, elle prend de l’ampleur a fur et à mesure que la tragédie se rapproche et qu’elle devient inéluctable, sans jamais être trop grandiloquente ou omniprésente.

    Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle, comme ces requins en contre-plongée qui semblent danser, le défier et l’accompagner ou comme cette fin qui mélange les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore cette lune braquée sur lui comme un projecteur.

     Comme l’a souligné Robert Redford, il s’agit d’un « film presque existentiel qui laisse la place à l’interprétation du spectateur » et cela fait un bien fou de « regarder quelqu’un penser » pour reprendre les termes du producteur même si cette définition pourrait donner une image statique du film qui se suit au contraire comme un thriller.

    En conférence de presse, Robert Redford avait révélé ne pas avoir vu le film et qu’il allait le découvrir le même soir lors de la projection officielle cannoise dans le Grand Théâtre Lumière. On imagine aisément son émotion, à l’issue de cette heure quarante. Face à lui-même. Face à cette fable bouleversante d’une beauté crépusculaire

     All is lost a été présenté hors compétition du 66ème Festival de Cannes. Il aurait indéniablement eu sa place en compétition et peut-être même tout en haut du palmarès.

     

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