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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Le 2 décembre, plus d'un mois avant la sortie nationale officielle de "Somewhere" de Sofia Coppola prévue le 5 janvier 2011, à 20H, les cinémas Gaumont Pathé projetteront le film en avant-première.
Toujours dans le cadre du partenariat avec le Gaumont Parnasse, et en vous rappelant que vous pouvez toujours gagner vos places pour l'avant-première de "Nowhere boy", le 3 décembre à 22H, en cliquant ici, je vous propose aujourd'hui de gagner vos places pour la master class d'une grande actrice française (et pour moi une des trois plus grandes) deux fois césarisée meilleure actrice française, pour "La Balance" et "Le Petit Lieutenant": Nathalie Baye.
Cette master class aura lieu le 13 décembre à 20H. Vous avez jusqu'au 9 décembre pour participer. Pour faire partie des heureux lauréats, parlez-moi du film avec Nathalie Baye que vous préférez (cf sa filmographie ci-dessous) en envoyant un email à inthemoodforcinema@gmail.com avec pour intitulé "Concours Baye" et les plus convaincants remporteront une place!
Filmographie de Nathalie Baye:
1972 : Brève rencontre à Paris de Robert Wise
1972 : Faustine et le Bel Été de Nina Companeez
1973 : La nuit américaine de François Truffaut
1974 : La Gueule ouverte de Maurice Pialat
1974 : La Gifle de Claude Pinoteau
1975 : Le Voyage de noces de Nadine Trintignant
1975 : Un jour, la fête de Pierre Sisser
1976 : Mado de Claude Sautet
1976 : La Dernière Femme de Marco Ferreri
1976 : Le Plein de super d'Alain Cavalier
1977 : L'Homme qui aimait les femmes de François Truffaut
1977 : Monsieur papa de Philippe Monnier
1977 : La Communion solennelle de René Féret
1978 : Mon premier amour de Elie Chouraqui
1978 : La Chambre verte de François Truffaut
1979 : La Mémoire courte de Eduardo de Gregorio
1979 : Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard
1980 : Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier
1980 : La Provinciale de Claude Goretta
1980 : Je vais craquer de François Leterrier
1981 : L'Ombre rouge de Jean-Louis Comolli
1981 : Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre
1981 : Beau-père de Bertrand Blier
1981 : Le Retour de Martin Guerre de Daniel Vigne
1982 : La Balance de Bob Swaim
1982 : J'ai épousé une ombre de Robin Davis
1984 : Notre histoire de Bertrand Blier
1984 : Rive droite, rive gauche de Philippe Labro
1984 : Détective de Jean-Luc Godard
1985 : Le Neveu de Beethoven de Paul Morrissey
1985 : Lune de miel de Patrick Jamain
1987 : En toute innocence de Alain Jessua
1987 : De guerre lasse de Robert Enrico
1989 : Le Roi blessé de Damiano Damiani
1989 : L'Affaire Wallraff de Bobby Roth
1989 : Gioco al massacro de Damiano Damiani
1990 : Le Pinceau à lèvres de Bruno Chiche
1990 : La Baule-les-Pins de Diane Kurys
1990 : Un week-end sur deux de Nicole Garcia
1991 : La Voix de Pierre Granier-Deferre
1992 : Mensonge de François Margolin
1992 : Le Visionarium de Jeff Blyth
1992 : Les Contes sauvages de Gérald Calderon
1994 : La Machine de François Dupeyron
1995 : La Mère de Caroline Bottaro
1996 : Enfants de salaud de Tonie Marshall
1997 : Paparazzi de Alain Berbérian
1998 : Food of Love de Stephen Poliakoff
1998 : Si je t'aime, prends garde à toi de Jeanne Labrune
1999 : Vénus beauté (institut) de Tonie Marshall:Angèle
1999 : Une liaison pornographique de Frédéric Fonteyne
2000 : Ça ira mieux demain de Jeanne Labrune
2000 : Selon Matthieu de Xavier Beauvois
2000 : Barnie et ses petites contrariétés de Bruno Chiche
2000 : Absolument fabuleux de Gabriel Aghion
2002 : Arrête-moi si tu peux (Catch Me if You Can) de Steven Spielberg:la mère de Léonardo Di Carprio
2002 : La Fleur du mal de Claude Chabrol
2002 : France Boutique de Tonie Marshall
2002 : Les Sentiments de Noémie Lvovsky
2003 : Une vie à t'attendre de Thierry Klifa
2004 : 36, avenue des acacias de Martial Fougeron
2005 : L'Un reste, l'autre part de Claude Berri
2005 : Le Petit Lieutenant de Xavier Beauvois
2006 : The Ant Bully de John A. Davis : voix
2006 : Acteur de Jocelyn Quivrin
2006 : La Californie de Jacques Fieschi
2006 : Ne le dis à personne de Guillaume Canet
2007 : Michou d'Auber de Thomas Gilou
2007 : Mon fils a moi de Martial Fougeron
2007 : Le Prix à payer d'Alexandra Leclère:
2008 : Passe-passe de Tonie Marshall
2008 : Les Bureaux de Dieu de Claire Simon
2008 : Cliente de Josiane Balasko : Judith
2009 : Visages de Tsai Ming-liang
2010 : Ensemble, c'est trop de Léa Fazer:Marie-France
Vous ne pourrez pas dire que vous ne le saviez pas, je vous en informe donc une dernière fois: demain sortira en DVD/Blu-ray, la version restaurée du Guépard. A Paris, le film sera par ailleurs projeté...mais dans une seule salle : La Filmothèque du Quartier Latin, en copie 35mm neuve, à partir du 1er décembre. 2 copies tourneront dans plusieurs villes de province, notamment au Comoedia de Lyon. Le film sera par ailleurs projeté du 15 au 28 décembre à l'Omnia de Rouen.
Si vous ne deviez voir qu'un film, si vous ne deviez en emporter qu'un seul sur une île déserte, si je ne devais en choisir et ne vous en recommander qu'un ... ce serait celui-là alors aucune excuse ne sera valable!
J'espère que mon article ci-dessous (avec critique du film et vidéos pour revivre cet événement exceptionnel comme si vous y étiez) "Quand la réalité rejoint le cinéma" publié à l'occasion du dernier Festival de Cannes (et republié ci-dessous) suite la projection exceptionnelle de cette version restaurée en présence d'Alain Delon et Claudia Cardinale ainsi que de Martin Scorsese, achèvera de vous convaincre de le découvrir ou de le revoir.
En bonus, vous trouverez également en bas de cet article, mes critiques de "Ludwig ou le crépuscule des dieux" et "Rocco et ses frères", deux autres chefs d'oeuvre de Luchino Visconti.
Quand la réalité rejoint le cinéma (article déjà publié suite à la projection exceptionnelle du "Guépard" en version restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2010)
Parmi mes très nombreux souvenirs du Festival de Cannes, celui de ce soir restera sans aucun doute un des plus émouvants et inoubliables. Ce soir, dans le cadre de Cannes Classics était en effet projetée la version restaurée du chef d'œuvre de Luchino Visconti « Le Guépard », palme d'or du Festival 1963. Un des films à l'origine de ma passion pour le cinéma avec l'acteur que j'admire le plus (et tant pis pour ceux qu'il horripile... qu'ils me trouvent juste un seul acteur ayant tourné autant de chefs d'œuvre de « Rocco et ses frères » à « Monsieur Klein » en passant par « Le Cercle rouge » , « La Piscine » et tant d'autres...).
Alors que nous étions très peu nombreux dans la file presse et que, en face, dans la file Cannes cinéphiles on se bousculait tout le monde a finalement pu entrer. J'avais une place de choix puisque juste à côté de moi figurait un siège sur lequel était écrit Martin Scorsese et devant Alain Delon et Claudia Cardinale! Tandis que les premiers invités commençaient à arriver (Benicio Del Toro, Kate Beckinsale, Aishwarya Rai puis Salma Hayek, Juliette Binoche...), la fébrilité était de plus en plus palpable dans la salle. Avec son humour et son enthousiasme légendaires, Thierry Frémaux est venu prévenir que Martin Scorsese était retenu dans les embouteillages en ajoutant qu'Alain Delon avait tenu à préciser que lui n'était pas en retard.
Puis Martin Scorsese est enfin sorti des embouteillages pour monter sur scène ( réalisateur du plus grand film de cette année « Shutter island », à voir absolument) pour parler de ce film si important pour lui. Puis ce fut au tour d'Alain Delon et Claudia Cardinale de monter sur scène. Tous deux émus, Alain Delon aussi nostalgique que Claudia Cardinale semblait enjouée. Je vous laisse découvrir cet instant que j'ai intégralement filmé. Puis, ils se sont installés, juste devant moi et le film, ce film que j'ai vu tant de fois a commencé.
Quelle étrange sensation de le découvrir enfin sur grand écran, tout en voyant ses acteurs au premier plan, juste devant moi, en chair et en os. Aussi fascinant et somptueux soit « Le Guépard » (et ce soir il m'a à nouveau et plus que jamais éblouie) mon regard ne pouvait s'empêcher de dévier vers Delon et Cardinale. Instant irréel où l'image de la réalité se superposait à celle de l'écran. Je ne pouvais m'empêcher d'essayer d'imaginer leurs pensées. Claudia Cardinale qui semblait littéralement transportée (mais avec gaieté) dans le film, tapant des mains, se tournant vers Alain Delon, lorsque des scènes, sans doute, lui rappelait des souvenirs particuliers, riant aussi souvent, son rire se superposant même sur la célèbre cavalcade de celui d'Angelica dans la scène du dîner. Et Alain Delon, qui regardait l'écran avec tant de solennité, de nostalgie, de tristesse peut-être comme ailleurs, dans le passé, comme s'il voyait une ombre du passé ressurgie en pleine lumière, pensant, probablement, comme il le dit souvent, à ceux qui ont disparu : Reggiani, Lancaster, Visconti....
Delon et Cardnale plus humains sans doute que ces êtres d'une beauté irréelle sur l'écran et qu'ils ont incarnés mais aussi beaux et touchants. D'autant plus troublant que la scène de la réalité semblait faire étrangement écho à celle du film qui raconte la déliquescence d'un monde, la nostalgie d'une époque. Comme si Delon était devenu le Prince Salina (incarné par Lancaster dans le film) qui regarde avec mélancolie une époque disparaître. J'avais l'impression de ressentir leur émotions, ce qui, ajouté, à celle que me procure immanquablement ce film, a fait de cet instant un moment magique de vie et de cinéma entremêlés, bouleversant.
Je n'ai pas vu passer les trois heures que dure le film dont la beauté, la modernité, la richesse, la complexité mais aussi la vitalité, l'humour (c'était étonnant d'entendre ainsi la salle rire) me sont apparus plus que jamais éclatants et surtout inégalés. 47 ans après, quel film a pu rivaliser ? Quel film contient des plans séquences aussi voluptueux ? Des plans aussi somptueux ? On comprend aisément pourquoi le jury lui a attribué la palme d'or à l'unanimité !
Hypnotisée par ces images confuses de réalité et de cinéma superposées, de splendeur visuelle, de mélancolie, de nostalgie, je suis repartie avec dans ma poche la lettre destinée à Alain Delon parlant du scénario que j'aimerais lui soumettre, mais sans regrets : il aurait été maladroit, voire indécent de lui donner à cet instant si intense, particulier. Et encore maintenant il me semble entendre la valse qui a sublimé Angelica et Tancrède, et d'en ressentir toute la somptuosité nostalgique... Cette phrase prononcée par Burt Lancaster dans « Le Guépard » pourrait ainsi peut-être être désormais prononcée par ceux qui ont joué à ses côtés, il y a 47 ans déjà : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».
En 1860, en Sicile, tandis que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent pour renverser la monarchie des Bourbons de Naples et l’ancien régime, le prince Don Fabrizio Salina (Burt Lancaster) ainsi que sa famille et son confesseur le Père Pirrone (Romolo Valli), quitte ses domaines pour son palais urbain de Donnafigata, tandis que son neveu Tancrède rejoint les troupes de Garibaldi. Tancrède s’éprend d’Angelica, (Claudia Cardinale), la fille du riche maire libéral de Donnafugata : Don Calogero. Le Prince Salina s’arrange pour qu’ils puissent se marier. Après l’annexion de la Sicile au royaume d’Italie, Tancrède qui s’était engagé aux côtés des Garibaldiens les abandonne pour rejoindre l’armée régulière…
Les premiers plans nous montrent une allée qui mène à une demeure, belle et triste à la fois. Les allées du pouvoir. Un pouvoir beau et triste, lui aussi. Triste car sur le déclin, celui de l’aristocratie que symbolise le Prince Salina. Beau car fascinant comme l’est le prince Salina et l’aristocratie digne qu’il représente. Ce plan fait écho à celui de la fin : le prince Salina avance seul, de dos, dans des ruelles sombres et menaçantes puis il s’y engouffre comme s’il entrait dans son propre tombeau. Ces deux plans pourraient résumer l’histoire, l’Histoire, celles d’un monde qui se meurt. Les plans suivants nous emmènent à l’intérieur du domaine, nous offrant une vision spectrale et non moins sublime de cette famille. Seuls des rideaux blancs dans lesquels le vent s’engouffre apportent une respiration, une clarté dans cet univers somptueusement sombre. Ce vent de nouveauté annonce l’arrivée de Tancrède, Tancrède qui apparaît dans le miroir dans lequel Salina se mire. Son nouveau visage. Le nouveau visage du pouvoir. Le film est à peine commencé et déjà son image est vouée à disparaître. Déjà la fin est annoncée. Le renouveau aussi.
Fidèle adaptation d’un roman écrit en 1957 par Tomasi di Lampedusa, Le Guépard témoigne d’une époque représentée par cette famille aristocrate pendant le Risorgimento, « Résurrection » qui désigne le mouvement nationaliste idéologique et politique qui aboutit à la formation de l’unité nationale entre 1859 et 1870. Le Guépard est avant tout l’histoire du déclin de l’aristocratie et de l’avènement de la bourgeoisie, sous le regard et la présence félins, impétueux, dominateurs du Guépard, le prince Salina. Face à lui, Tancrède est un être audacieux, vorace, cynique, l’image de cette nouvelle ère qui s’annonce.
La scène du fastueux bal qui occupe un tiers du film est aussi la plus célèbre, la plus significative, la plus fascinante. Elle marque d'abord par sa magnificence et sa somptuosité : somptuosité des décors, soin du détail du Maestro Visconti qui tourna cette scène en huit nuits parmi 300 figurants. Magnificence du couple formé par Tancrède et Angelica, impériale et rayonnante dans sa robe blanche. Rayonnement du couple qu’elle forme en dansant avec Salina, aussi. La fin du monde de Salina est proche mais le temps de cette valse, dans ce décor somptueux, le temps se fige. Ils nous font penser à cette réplique de Salina à propos de la Sicile : "cette ombre venait de cette lumière". Tancrède regarde avec admiration, jalousie presque, ce couple qui représente pourtant la déchéance de l’aristocratie et l’avènement de la bourgeoisie. Un suicide de l'aristocratie même puisque c’est Salina qui scelle l’union de Tancrède et Angelica, la fille du maire libéral, un mariage d’amour mais aussi et avant tout de raison entre deux univers, entre l'aristocratie et la bourgeoisie. Ces deux mondes se rencontrent et s’épousent donc aussi le temps de la valse d’Angelica et Salina. Là, dans le tumulte des passions, un monde disparaît et un autre naît. Ce bal est donc aussi remarquable par ce qu’il symbolise : Tancrède, autrefois révolutionnaire, se rallie à la prudence des nouveaux bourgeois tandis que Salina, est dans une pièce à côté, face à sa solitude, songeur, devant un tableau de Greuze, la Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme lui dira ensuite magnifiquement Tancrède.
Angelica, Tancrède et Salina se retrouvent ensuite dans cette même pièce face à ce tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse et presque insultante du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein. Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge sur sa propre mort. Cette scène est pour moi une des plus intenses de ce film qui en comptent pourtant tant qui pourraient rivaliser avec elle. Les regards lourds de signification qui s’échangent entre eux trois, la sueur qui perle sur les trois visages, ce mouchoir qu’ils s’échangent pour s’éponger en font une scène d’une profonde cruauté et sensualité où entre deux regards et deux silences, devant ce tableau terriblement prémonitoire de la mort d’un monde et d’un homme, illuminé par deux bougies que Salina a lui-même allumées comme s’il admirait, appelait, attendait sa propre mort, devant ces deux êtres resplendissants de jeunesse, de gaieté, de vigueur, devant Salina las mais toujours aussi majestueux, plus que jamais peut-être, rien n’est dit et tout est compris.
Les décors minutieusement reconstitués d’ une beauté visuelle sidérante, la sublime photo de Giuseppe Rotunno, font de ce Guépard une véritable fresque tragique, une composition sur la décomposition d’un monde, dont chaque plan se regarde comme un tableau, un film mythique à la réputation duquel ses voluptueux plans séquences (notamment la scène du dîner pendant laquelle résonne le rire interminable et strident d’Angelica comme une insulte à l’aristocratie décadente, au cour duquel se superposent des propos, parfois à peine audibles, faussement anodins, d’autres vulgaires, une scène autour de laquelle la caméra virevolte avec virtuosité, qui, comme celle du bal, symbolise la fin d’une époque), son admirable travail sur le son donc, son travail sur les couleurs (la séquence dans l’Eglise où les personnages sont auréolés d’une significative lumière grise et poussiéreuse ) ses personnages stendhaliens, ses seconds rôles judicieusement choisis (notamment Serge Reggiani en chasseur et organiste), le charisme de ses trois interprètes principaux, la noblesse féline de Burt Lancaster, la majesté du couple Delon-Cardinale, la volubilité, la gaieté et le cynisme de Tancrède formidablement interprété par Alain Delon, la grâce de Claudia Cardinale, la musique lyrique, mélancolique et ensorcelante de Nino Rota ont également contribué à faire de cette fresque romantique, engagée, moderne, un chef d’œuvre du septième Art. Le Guépard a ainsi obtenu la Palme d’or 1963… à l’unanimité.
La lenteur envoûtante dont est empreinte le film métaphorise la déliquescence du monde qu’il dépeint. Certains assimileront à de l’ennui ce qui est au contraire une magistrale immersion dont on peinera ensuite à émerger hypnotisés par l’âpreté lumineuse de la campagne sicilienne, par l’écho du pesant silence, par la beauté et la splendeur stupéfiantes de chaque plan. Par cette symphonie visuelle cruelle, nostalgique et sensuelle l’admirateur de Proust qu’était Visconti nous invite à l’introspection et à la recherche du temps perdu.
La personnalité du Prince Salina devait beaucoup à celle de Visconti, lui aussi aristocrate, qui songea même à l’interpréter lui-même, lui que cette aristocratie révulsait et fascinait à la fois et qui, comme Salina, aurait pu dire : « Nous étions les Guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre ».
Que vous fassiez partie des guépards, lion, chacals ou brebis, ce film est un éblouissement inégalé par lequel je vous engage vivement à vous laisser hypnotiser...
L'interview d'Alain Delon par Allociné à propos du "Guépard":
Bonus: ma critique d'un autre chef d'oeuvre de Luchino Visconti: "Ludwig ou le crépuscule des dieux": un opéra funèbre d'une vertigineuse beauté
A l’occasion de l’hommage à Visconti rendu prochainement par le Festival Lumière de Lyon et suite à mon dossier sur « Le Guépard », je vous propose aujourd’hui la critique d’un autre chef d’œuvre de Luchino Visconti, son dernier (même s’il réalisa encore deux films ensuite) datant de 1972 : « Ludwig ou le Crépuscule des dieux ». Coproduction italienne, française et allemande, il s’agit du dernier volet de sa trilogie allemande également composée des « Damnés » (1969) et de « Mort à Venise » (1971). Visconti voulait initialement réaliser l’adaptation de « A la recherche du temps perdu » de Proust mais, faute de financements, en attendant que ce projet puisse voir le jour, il décide de tourner « Ludwig ». D’une durée initiale de 3H40 le film sort en France avec une durée de 3H, encore davantage malmené, contre les vœux de Visconti, pour la sortie en Allemagne. Après la mort de Visconti, le film est vendu aux enchères par les producteurs en faillite et est adjugé pour 68 millions de lires à des proches du cinéaste qui se cotisent, avec le soutien de la RAI, afin de récupérer l’intégralité des bobines. Après la mort de Visconti, Ruggero Mastroianni et Suso Cecchi d’Amico remonteront une version approchant des quatre heures et dix minutes d’origine.
Ludwig (Helmut Berger) c’est le portrait tragique du roi Louis II, devenu, à 19 ans, en 1864, roi de Bavière, royaume allemand encore autonome, entre la Prusse et l'empire austro-hongrois. Sa rencontre avec Wagner (Trevor Howard), la même année, va bouleverser l’existence de l’un et de l’autre. Le roi y trouvant une amitié et un sujet d’admiration, le compositeur un riche et puissant mécène contribuant à son succès. Epris de sa cousine l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Romy Schneider) qui, comme Wagner, le décevra, il se fiance avec sa sœur Sophie (Sonia Petriva) avant de rompre les fiançailles puis de sombrer dans la solitude et la démence.
Comment parler d’un film dont chaque plan est un tableau somptueux et dont chaque seconde est un hymne à la beauté qui imposent le silence ? Comment rendre hommage à ce chef d’œuvre fascinant ? Aucun mot sans doute ne pourra transcrire ce que les images de Visconti célèbrent magnifiquement, visuellement et musicalement. Dès les premiers plans, cela vous heurte et vous subjugue tout à la fois, et vous coupe le souffle : une magnificence visuelle tragique et ensorcelante. Le visage du roi, d’une beauté d’abord jeune mais grave et mélancolique déjà. Des scènes entrecoupées de plans fixes de témoins de l’Histoire et de son histoire qui s’expriment face à nous, le visage à demi dans la pénombre, voilé à l’image de la vérité que, sans doute, ils trahissent. Ils nous prennent alors à témoin de la folie de ce roi ou en tout cas de ce que eux appellent folie et ne pourront, de leur médiocrité, sans doute jamais comprendre : son goût des arts, de la beauté, de la liberté. Comment pourraient-ils comprendre ce roi épris de liberté et prisonnier des conventions de son rang ? Comment pourraient-ils comprendre ce roi si différent d’eux : homosexuel, esthète, amoureux de la liberté et des arts ?
Tandis que tout se décompose : son visage, son pays, son entourage, ses dernières illusions reste cette beauté inaltérable de l’art mais une beauté hantée déjà par la fatalité et la mort, une beauté douloureuse soulignée par la somptuosité des décors et des costumes. Des salons byzantins de Neuschwanstein à la grotte de Linderhof aux galeries de miroirs de Herrenchiemsee, la caméra de Visconti, accompagnée de la musique de Wagner (Tannhäuser ; Tristan und Isolde) ou de Schumann (Kinderscenen), en caresse les lignes baroques, admirables, raffinées et extravagantes, la beauté démesurée et tragique, nous émouvant aux larmes comme Ludwig l’est par la musique de Wagner.
Si, malgré la décomposition du monde de ces dieux au crépuscule (le Crépuscule des dieux est le nom d'un drame musical de Wagner) qui l’entourait, la beauté était la dernière lueur de l’espoir chez le Prince de Salina dans « Le Guépard », elle est ici désespérée mais non moins éblouissante, signe d’une immortalité impossible, ce à quoi les châteaux plus spectaculaires les uns que les autres que fit construire le roi ne changeront rien.
Ludwig c’est donc Helmut Berger à la fois fragile et hautain, solitaire et exalté, puissant et perdu, en force et en retenue. Au fur et à mesure que les années s’écoulent, que les désillusions s’accumulent, que son idéalisme choit, le visage et le regard de l’acteur s’imprègnent de plus en plus de gravité, de déchéance, de noirceur mais il gagne aussi notre sympathie, nous, juges impuissants pris à témoin. Face à lui Romy Schneider prend sa revanche sur les Sissi, ce personnage candide et frivole dont elle a si longtemps voulu se détacher qu’elle incarne ici à nouveau mais tout en mystère, ambigüité. Impériale impératrice qui semble voler plus qu’elle ne marche tel un cygne noir, élégant, gracieux, sauvage qui ressemble tant (trop) au Ludwig des premières années.
Visconti, trois ans avant sa mort, comme un écho testamentaire, nous livre une subtile mise en abyme qui interroge et illustre la beauté de l’art, une symphonie visuelle et sonore, un chant de désespoir, un film d’une flamboyance crépusculaire, une réflexion ardente et vertigineuse sur l’art, la solitude, la folie enchaînés douloureusement et sublimement sur la musique de Wagner, comme en une fatale étreinte. Un hymne à la beauté des corps et des âmes, fussent-elles (ou surtout car) torturées. Un hommage à l’art. Au sien. A celui dont la beauté transcende ou isole. A celui qui perdra un roi, héros romantique, trop sensible, trop exalté, trop différent. Le portrait d’un roi à son image, un opéra funèbre à la beauté inégalée, sombre et éblouissante, et qui lui procure ce qu’il a tant et mortellement désiré : des accents d’éternité.
Critique de "Rocco et ses frères" : le crépuscule des Parondi
Voir successivement « Ludwig ou le crépuscule des dieux » et « Rocco et ses frères » ne peut que vous confirmer dans l’idée (ou vous le faire découvrir si vous ne le saviez déjà ) de la diversité du cinéma viscontien et en conséquence de l’étendue admirable du talent de Visconti.
Synopsis : Après le décès de son mari, Rosaria Parondi (Katina Paxinou), mère de cinq fils, arrive à Milan accompagnée de quatre de ses garçons : Rocco (Alain Delon) Simone, (Renato Salvatori), Ciro (Max Cartier) et Luca (Rocco Vidolazzi), le benjamin. C’est chez les beaux-parents de son cinquième fils, Vincenzo (Spyros Fokas) qu’ils débarquent. Ce dernier est ainsi fiancé à Ginetta (Claudia Cardinale). Une dispute éclate. Les Parondi se réfugient dans un logement social. C’est là que Simone fait la connaissance de Nadia (Annie Girardot), une prostituée rejetée par sa famille. Simone, devenu boxeur, tombe amoureux de Nadia. Puis, alors qu’elle est séparée de ce dernier depuis presque deux ans, elle rencontre Rocco par hasard. Une idylle va naitre entre eux. Simone ne va pas le supporter…
Ce qui frappe d’abord, ce sont, au-delà de la diversité des styles (mêlant habilement Nouvelle Vague et néo-réalisme ici, un mouvement à l’origine duquel Visconti se trouve –« Ossessione » en 1942 est ainsi considéré comme le premier film néo-réaliste bien que les néoréalistes aient estimé avoir été trahis par ses films postérieurs qu’ils jugèrent très et trop classiques), les thématiques communes aux différents films de Visconti. Que ce soit à la cour de Bavière avec Ludwig, ou au palais Donnafigata avec le Prince Salina, c’est toujours d’un monde qui périclite et de solitude dont il est question mais aussi de grandes familles qui se désagrègent, d’être promis à des avenirs lugubres qui, de palais dorés en logements insalubres, sont sans lumière et sans espoir.
Ce monde où les Parondi, famille de paysans, émigre est ici celui de l’Italie d’après-guerre, en pleine reconstruction et industrialisation, où règnent les inégalités sociales. Milan c’est ainsi la ville de Visconti et le titre a ainsi été choisi en hommage à un écrivain réaliste de l'Italie du Sud, Rocco Scotellaro.
Avant d’être le portrait successif de cinq frères, « Rocco et ses frères » est donc celui de l’Italie d’après-guerre, une sombre peinture sociale avec pour cadre des logements aux formes carcérales et sans âme. Les cinq frères sont d’ailleurs chacun une illustration de cette peinture : entre ceux qui s’intègrent à la société (Vincenzo, Luca, Ciro) et ceux qu’elle étouffe et broie (Simone et Rocco). Une société injuste puisqu’elle va désagréger cette famille et puisque c’est le plus honnête et naïf qui en sera le martyr. Dans la dernière scène, Ciro fait ainsi l’éloge de Simone (pour qui Rocco se sacrifiera et qui n’en récoltera pourtant que reproches et malheurs) auprès de Luca, finalement d’une certaine manière désigné comme coupable à cause de sa « pitié dangereuse ».
Nadia ; elle, porte la trace indélébile de son passé. Son rire si triste résonne sans cesse comme un vibrant cri de désespoir. Elle est une sorte de double de « Rocco », n’ayant d’autre choix que de vendre son corps, Rocco qui est sa seule raison de vivre. L’un et l’autre, martyrs, devront se sacrifier. Rocco en boxant, en martyrisant son corps. Elle en vendant son corps (et le martyrisant déjà), puis, dans une scène aussi terrible que splendide, en le laissant poignarder, les bras en croix puis enserrant son meurtrier en une ultime et fatale étreinte.
Annie Girardot apporte toute sa candeur, sa lucidité, sa folie, son désespoir à cette Nadia, personnage à la fois fort et brisé qu’elle rend inoubliable par l’intensité et la subtilité de son jeu.
Face à elle, Alain Delon illumine ce film sombre de sa beauté tragique et juvénile et montre ici toute la palette de son jeu, du jeune homme timide, fragile et naïf, aux attitudes et aux craintes d’enfant encore, à l’homme déterminé. Une palette d’autant plus impressionnante quand on sait que la même année (1960) sortait « Plein soleil » de René Clément, avec un rôle et un jeu si différents.
La réalisation de Visconti reprend le meilleur du néoréalisme et le meilleur de la Nouvelle Vague avec une utilisation particulièrement judicieuse des ellipses, du hors-champ, des transitions, créant ainsi des parallèles et des contrastes brillants et intenses.
Il ne faudrait pas non plus oublier la musique de Nino Rota qui résonne comme une complainte à la fois douce, cruelle et mélodieuse.
« Rocco et ses frères » : encore un chef d’œuvre de Visconti qui prend le meilleur du pessimisme et d’une paradoxale légèreté de la Nouvelle Vague, mais aussi du néoréalisme qu’il a initié et qui porte déjà les jalons de ses grandes fresques futures. Un film d’une beauté et d’une lucidité poignantes, sombres et tragiques porté par de jeunes acteurs (Delon, Girardot, Salvatori…), un compositeur et un réalisateur déjà au sommet de leur art.
« Rocco et ses frères » a obtenu le lion d’argent à la Mostra de Venise 1960.
Dans mon récapitulatif des sorties de la semaine, j'ai honteusement oublié LE film à ne pas manquer cette semaine découvert à Cannes. Retrouvez ma critique ci-dessous.
Isabelle Partiot-Pieri s'est penchée sur des centaines d'heures d'interviews pour dresser le portrait de ce dandy flamboyant, amoureux fou de la vie et du cinéma, complexe, cultivé, enthousiaste.
C'est dans le cadre de la section Cannes Classics que j'ai découvert ce passionnant documentaire réalisé par Isabelle Partiot-Pieri en présence du Ministre de la Culture, d'Abbas Kiarostami, Juliette Binoche et de nombreux amis du producteur décédé en 2003.
Au-delà du portrait de l'homme c'est aussi celui d'une vision du cinéma qui semble s'être éteinte avec lui. Un cinéma défendu avec énergie, enthousiasme, conviction contre vents et marées, contre le scepticisme des uns ou l'incrédulité des autres. Etrange sensation que de voir ce film à Cannes où il a si souvent promené son inimitable silhouette, Cannes qu'il définit comme un passage aussi nécessaire qu'effrayant, le plaisir d'y être étant selon lui le même que celui éprouvé par « un lapin le premier jour de la chasse ». A voir la violence lunatique et souvent surjouée du public cannois, il est assez facile d'imaginer la terrible épreuve que cela peut représenter pour un producteur qui aimait autant ses films et les cinéastes qu'il défendait.
Au fil du documentaire se dessine le portrait d'un homme qui aime les mots, a le sens de la formule, cite Guitry, Cocteau, Nietzsche et bien d'autres mais aussi d'une personnalité complexe qui, au détour d'une émission, avoue que ce qu'il dissimule derrière son enthousiasme c'est finalement une forme d'indifférence. Impossible de le croire indifférent au cinéma pourtant tant il le défend comme si sa vie en dépendait, qu'un film existe (indépendamment de toute considération commerciale) étant pour lui plus important que tout, s'évertuant à toujours tout ramener à son enthousiasme et sa passion pour un film quand les journalistes veulent absolument lui faire parler d'argent et d'intérêt commercial.
En parallèle de son portrait se dessine aussi une magnifique définition du cinéma, quête d'éternité, de vérité. Toscan du Plantiers ne voulait pas entraver la liberté des auteurs mais au contraire les porter, profondément admiratif de ces êtres libres que sont selon lui les artistes.
Un être libre : c'est d'ailleurs ainsi que l'on a avant de le définir à l'issue de ce beau portrait . Il cite ainsi Cocteau « Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi ». Amoureux des mots, du cinéma, de musique et d'opéra, des actrices (il épousa ainsi Marie-Christine Barrault mais fut aussi notamment le compagnon d'Isabelle Huppert) de la vie tout simplement pour lui indissociable du cinéma, une vie dont il a traversé les drames avec beaucoup de dignité (et notamment l'assassinat de son épouse en Irlande, une affaire qui revient d'ailleurs actuellement sur le devant de la scène).
Directeur général de la Gaumont à 35 ans, président de la Cinémathèque de Toulouse (devenu la 4ème au monde), président de l'Académie des arts et technique du cinéma (César), co-fondateur du Festival du Film de Marrakech, s'essayant à la mise en scène lyrique avec « Don Giovanni » il est aussi indissociable des films et des cinéastes qu'il a ardemment défendus : Losey, Fellini, Greenaway, Zulawski, Bergman, Fassbinder...et surtout Pialat qu'il accompagnait lors de la fameuse palme d'or 1987 pour « Sous le soleil de Satan » reçue sous les applaudissements et les sifflets. Celui pour qui le cinéma c'était avant tout « faire devenir réalité une utopie » en a accompagné tant de sublimes et incontournables.
Une très belle leçon de vie et de cinéma en un lieu où la parole est un peu trop souvent convenue et cynique et l'enthousiasme suspicieux. Une belle réussite aussi au sens nietzschéen (une phrase qu'il cite d'ailleurs) : « deviens ce que tu es ». Un documentaire dont on ressort avec l'envie de dévorer l'existence et une soif encore plus insatiable de cinéma. Le portrait d'un homme libre, rare et élégant... dans tous les sens du terme.
Parmi les sorties de la semaine, j'ai vu 4 films dont vous pouvez d'ores et déjà retrouver mes critiques.
Je vous recommande avant tout "Le Guépard" de Luchino Visconti dont la version restaurée sort cette semaine en DVD et Blu-ray, et qui ressort également en salles, malheureusement dans très peu de salles dont la Filmothèque du Quartier Latin. Cliquez ici pour lire mon dossier spécial consacré au "Guépard".
Alors que "Mon pote" de Marc Esposito sortira en salles le 1er décembre prochain et que vous pouvez retrouver ma critique du film en avant-première en cliquant ici, je vous invite à découvrir cinq extaits du making-of du film, ci-dessous.
Ayant beaucoup apprécié le premier film de Fred Cavayé, le nerveux, efficace, rythmé et haletant « Pour elle » sorti en 2008 qui, par ailleurs, marquait la naissance d’un cinéaste français imprégné de cinéma américain initiant un film de genre et son genre de film bien à lui, j’étais impatiente de découvrir son deuxième film « A bout portant ».
Dans « A bout portant », tout va pour le mieux pour Nadia (Elena Anaya) et Samuel (Gilles Lellouche) : lui va bientôt passer les examens pour devenir infirmer, elle est enceinte de leur premier enfant et ils sont visiblement très amoureux. Tout bascule le jour où un truand recherché, un certain Hugo Sartet-Roschdy Zem- (un nom de famille qui rappellera quelqu’un aux cinéphiles) est hospitalisé dans le service de Samuel. Chez lui, Samuel est brutalement agressé. Sa femme est kidnappée. Samuel a alors trois heures pour sortir Sartet, alors sous surveillance policière, de l’hôpital…
Voilà un pitch plutôt alléchant qui nous en rappelle d’ailleurs un autre. Celui du premier film de Fred Cavayé. Même basculement brusque d’un quotidien joyeux et tranquille dans l’absurdité et dans l’horreur. Même principe hitchcockien d’un homme ordinaire plongé dans une situation horriblement extraordinaire. Scène similaire du début pour nous montrer un couple amoureux dans son quotidien. Même recours à un slogan, hier « Jusqu’où iriez-vous par amour ?», aujourd’hui « Il a trois heures pour sauver sa femme. » Chacun des deux slogans peuvent d’ailleurs s’appliquer pareillement aux deux films, de même que les titres également interchangeables, « A bout portant », aurait très bien pu s’intituler « Pour elle ». La comparaison s’arrête là.
D’abord, qu’on arrête de comparer le cinéma français au cinéma américain, toujours au profit du second. Le cinéma français est justement intéressant (oui, il l’est) quand il conserve sa spécificité et non quand il cherche, souvent vainement, à singer une caricature du cinéma américain. D’ailleurs, Fred Cavayé n’aime pas seulement le cinéma américain puisqu’il cite ouvertement Verneuil en nommant le personnage de Roschdy Zem Sartet (Alain Delon s’appelle Roger Sartet dans « Le Clan des Siciliens » d’Henri Verneuil). Sorte de personnage melvillien imperturbable, le Sartet de Fred Cavayé n’est guère plus loquace et expansif que celui de Verneuil. Là aussi, la comparaison s’arrête là.
Un pitch accrocheur. De brillantes références (qui s’avèreront présomptueuses). Une noble ambition. Et tout cela s’avère être finalement un décevant trompe l’œil. Comme si le film lui-même était la bande-annonce du long-métrage intéressant qu’il aurait pu être. Le film ne correspond d’ailleurs pas à son slogan puisque les trois heures fatidiques seront bien vite mises de côté au profit d’une course poursuite harassante qui nous hypnotise et nous ferait presque oublier la vacuité du scénario et l’enjeu initial qui n’a finalement plus aucun intérêt.
Premier problème : l’absence totale de vraisemblance. L’injection d’adrénaline que Sartet a reçue doit être bigrement efficace pour qu’il se rétablisse aussi vite, et passe du statut de presque mort à celui de champion olympique capable de braver les pires poursuivants. Sans parler de la facilité avec laquelle il entre dans l’antre des policiers alors que son portrait de truand recherché est absolument partout. Ni de celle avec laquelle une femme enceinte ( de 7 mois et demi pour corser l’affaire et ne devant absolument pas bouger de chez elle) résiste à la violence physique et morale puis se rebelle avec une même violence. Le summum est quand même atteint avec cette bande de flics ripoux à la tête desquels se trouve Gérard Lanvin tous sur le même moule psychologique ( corrompus, impitoyables, violents) et agissant au siège même de la police sans que personne ne s’en aperçoive ( !!). A part la corruption qui les anime entièrement, on ne saura jamais qui ils sont. D’ailleurs tout le film est à cette image. Comme si les personnages correspondaient à des prototypes pas vraiment incarnés. Il y a les flics ripoux impitoyables. L’homme ordinaire dans la situation extraordinaire. Le truand brutal et hiératique (pensez donc il ne bronche même pas en découvrant la mort de son frère). La femme enceinte terrifiée qui ne comprend rien et qui subitement comprend tout sans qu’on lui ait rien expliqué (le film est très avare de dialogues).
Passons encore sur l’invraisemblance, la vraisemblance n’était pas la condition sine qua non d’un bon film. Après tout sans doute l’amour, la vengeance donnent-ils des ailes à notre infirmier/superman en devenir. Seulement 1H24 de courses-poursuites, pour nous dire que l’homme ordinaire plongé dans une situation extraordinaire peut se surpasser perdant toute notion de morale ou de bien ou de mal, suffisent-elles à faire un film ?
Et 1H24 peut être très longue avec presque pas de dialogues ou alors eux aussi absurdes « Ma femme est enceinte » ( dit par un Gilles Lellouche affolé, yeux globuleux de rigueur, comme si à 7 mois et demi personne ne s’en était aperçu) ou « Qu’est-ce que vous faîtes », (un automobiliste parterre affolé venant de se faire voler sa voiture). Melville a pourtant montré qu’on peut très bien se passer de dialogues (cf la longue et palpitante scène du casse dans « Le Cercle rouge ») seulement n’est pas Meville ou Verneuil qui veut. Jamais la tension ne retombe si bien qu’à être constamment sur la même note, il n’y a plus de crescendo ou de decrescendo, la note en question perd toute force et sa répétition finit par ennuyer. Un comble pour un film d’action qui n’aspire justement qu’à divertir. Fred Cavayé et ses mouvements de caméra frénétiques ne ménage pourtant pas ses efforts pour que nous aussi nous sentions « à bout portant », suffoqués, prisonniers de ce qui aurait dû être ou en tant ou cas était initialement annoncé comme un inéluctable compte à rebours.
Heureusement : Roschdy Zem, comme toujours excellent, est là pour essayer de tenter de sauver le film. Il met toute l’intensité qu’il peut dans son rôle stéréotypé et silencieux. La relation qui le lie à Samuel lié à lui par la force des choses aurait pu être passionnante, mais ils semblent coexister sans que rien ne se passe. Les seconds rôles ont visiblement été négligés au profit de l’action tant là encore les interprétations manquent de nuances (mais comment faire exister des personnages qui ne parlent pas et ne sont que des stéréotypes ?).
Je me suis même demandée s’il ne s’agissait pas d’une parodie tant ce film est une caricature de blockbusters américains : absence de dialogues ou alors dialogues ineptes, absence de psychologie, musique omniprésente, pitch en forme de slogan sans réel rapport avec le film, scènes violentes finalement ridicules, fin morale et rassurante etc. Non, pourtant, ce film est dramatiquement sérieux.
En bref, une injection d’adrénaline pour nous en mettre plein la vue et nous anesthésier, nous garder, nous aussi, artificiellement éveillés. Un écran de fumée pour masquer une absence totale de scénario, de psychologie, de dialogues, d’enjeu. Je ne pense pas que le cinéma français consiste à « parler dans une cuisine » (boutade introductive à la projection de Fred Cavayé, et quand bien même, une conversation dans une cuisine peut s’avérer plus palpitante qu’une course-poursuites), pas plus que le cinéma américain consiste à des courses-poursuites sans dialogues et des personnages sans consistance. Ma déception a été à la hauteur de mon attente et de l’enthousiasme que j’avais éprouvé en voyant « Pour elle », espérons que le troisième film de Fred Cavayé saura prendre le meilleur de l’un et de l’autre, et de son premier film pour nous faire oublier le second!