Interview de Bong Joon-ho ( réalisateur de « The Host », « Memories of murder », « Mother »)
Première (enrichissante) expérience d'intervieweuse "en live" avec le charmant et très loquace Bong Joon-Ho (réalisateur de « The Host », « Memories of Murder »...) hier soir, dans le cadre tamisé et chaleureux d'un hôtel du 6ème arrondissement.
Le film « Mother » dont il nous a essentiellement parlé sort en salles le 27 janvier 2010. Je vous le recommande vivement et vous pouvez lire ma critique en cliquant ici. « Mother » a été présenté dans la section « Un Certain Regard » du Festival de Cannes 2009 et vient d'être élu meilleur film au 30ème trophée « The Blue Dragon Awards » à Séoul (équivalent de nos César) . En 4 films, Bong Joon-Ho, au même titre par exemple que Park Chan-wook, a réussi à s'imposer comme une référence incontournable de cette nouvelle vague coréenne particulièrement inventive. Il connaîtra ainsi son premier succès (auprès du public comme de la critique et au-delà des frontières coréennes) avec "Memories of murder". "The Host" sera présenté à la Quizaine des Réalisateurs et récoltera une estime internationale. En 2008, il participe au triptyque "Tokyo" avec Leos Carax et Michel Gondry. Il adapte actuellement la bd "La Transperceneige" avec Park Chan-wook comme producteur.
Merci à Diaphana ainsi qu'à Florian et à Jérôme de Cinefriends d'avoir instigué cette passionnante et instructive rencontre. En attendant la vidéo, voici un résumé de ses réponses.
Ma première question concernait la critique de la société coréenne, un aspect commun à ses différents films, celui-ci stigmatisant ainsi ici l'inefficacité de la police et la corruption de la justice, déjà brocardées de manière plus ou moins métaphorique dans ses précédents films. Je lui ai ainsi demandé dans quelle mesure réaliser était pour lui un acte politique.
Selon lui en tant qu'être humain il est évidemment, par essence, amené à avoir une conscience politique mais il ne le fait pas forcément exprès. Pour Bong Joon-Ho, dans ce film en particulier, les policiers sont plus « mignons » qu'incompétents et s'ils commettent des fautes irréparables, ils le font comme tout être humain peut en commettre.
Il a ajouté aimer "montrer des gens ordinaires dans des situations exceptionnelles".
Pour lui « The Host » est une vitrine de la satire et dans « Mother », il voulait ainsi prendre le contrepied avec un film « plus intimiste ». Il voulait ainsi « mettre les individus dans une situation extrême pour montrer l'instinct de l'être humain » et voulait ainsi faire l'autoportrait de la société coréenne à travers eux.
Je lui ai ensuite parlé de Kim Hye-Ja qui interprète brillamment le rôle de la mère, sidérante dans l'intensité de son jeu et sa diversité d'expressions. Je lui ai demandé si elle avait été à la base du projet, si elle avait dicté son choix du sujet principal ou s'il avait dès le départ envie de traiter de cet amour fusionnel et obsessionnel et dans ce cas pour quelle raison il avait choisi ce sujet.
Bong Joon-Ho a répondu qu'elle avait été à l'origine du film. En Corée c'est une sorte d'icône mais il voyait en elle presque une « sorte de folie dans son jeu », une « sorte de psychopathe » alors qu'elle incarne toujours les mères vertueuses et généreuses. Avec beaucoup d'humour il a répondu qu'elle était aussi folle dans la vie que dans le film.
Je lui ai ensuite demandé s'il souhaitait renouveler l'expérience de « Tokyo » et tourner ainsi à l'étranger, pourquoi pas en France.
Pourquoi pas a-t-il répondu à condition de pouvoir garder le contrôle à 100%, et d'avoir le final cut comme c'est le cas pour lui en Corée. L'expérience à Tokyo a ainsi été pour lui « très satisfaisante ». Quant au cinéma français, sa rencontre avec Laurent Cantet la veille de cette interview avec lequel il a évoqué vaguement un projet lui a apparemment donné quelques idées.
Bong Joon-ho est ensuite revenu sur le personnage de la mère, sur lequel il voulait « vraiment se concentrer », la « regarder en gros plan. » Il faisait entièrement confiance à son interprète. Dans certains plans, très larges, elle ressemble ainsi à un grain de sable afin de montrer le caractère « acharné » de sa lutte.
Concernant le caractère très soigné de sa réalisation, Bong Joon-Ho a précisé avoir écrit le scénario et le storyboard et avoir toujours une idée précise des plans quand il va sur le tournage tout en se demandant ensuite comment se détacher du story-board une fois sur le tournage. Tout ce qui est technique respecte ainsi le story-board.
Je lui ai enfin demandé de parler du thème de la culpabilité autour duquel son film s'articule notamment. Ainsi « Memories of murder » traitait déjà du thème d'un serial killer qui ne fut jamais arrêté, dans « Mother », Do-joon sera finalement aussi relâché, et sa mère jamais jugé pour le meurtre qu'elle a commis, ma question consistait donc à savoir s'il avait une tendresse particulière pour les coupables innocentés ou s'il s'agissait pour lui avant tout d'un moyen de traiter du thème de la culpabilité.
Bong Joon-Ho a répondu que pour lui le sentiment de culpabilité était très important, ainsi que la notion de châtiment, se demandant ainsi si on est toujours condamné pour un crime qu'on a commis, trop d'innocents étaient jugés coupables. La mère se retrouve ainsi confrontée à un dilemme moral face à un innocent accusé.
J'aurais eu encore beaucoup de questions à lui poser... une demi-heure étant forcément trop courte pour aborder tous les aspects d'un film aussi hybride, d'une réjouissante complexité, à la fois teinté d'humour noir, de poésie, mais créant aussi un véritable suspense pour aboutir à un film indéfinissable mêlant les genres (policier, mélodrame, comédie...) avec énormément d'habileté.