Printemps, été, automne, hiver et printemps. Deauville s’est parée des couleurs d’un film de Kim Ki Duk pour cette
9ème édition. Des couleurs lunatiques, mélancoliques et poétiques. Des couleurs qui nous emportent dans leur tourbillon coloré. Des couleurs qui, en quelques jours, d’une image à l’autre, d’un épais et mystérieux brouillard à une neige sublimement impromptue et fugace à un soleil étincelant et éblouissant nous font passer d’une saison et d’un sentiment à l’autre. Comme au cinéma. Fantaisiste, elle aussi. Deauville s’est en effet mise au diapason avec le cinéma qu’elle honore. Deauville n’a pas fini de me surprendre et m’envoûter. Le Ccnéma asiatique non plus. Mais le cinéma asiatique ne se résume pas au Coréen Kim Ki Duk d’ailleurs absent de cette édition même si le cinéma coréen… du Sud (évidemment, le cinéma Coréen du Nord existe-t-il d’ailleurs ? Aurait-il la possibilité d’exister ?) a été prédominant dans cette sélection avec 16 films sur 47.
En foulant les Planches pour la énième fois, je me remémore les instants marquants de ce festival.
Mes coups de coeur
-Le film d’ouverture d’abord. Le mariage de Tuya de Wang Quan’an qui a obtenu l’ours d’or de la 57ème Berlinale.
Au cœur de la Mongolie Chinoise, Tuya se bat pour faire vivre ses deux enfants et son mari, blessé lors d’un accident, et pour s’occuper de sa centaine de moutons. Afin de résoudre ses problèmes, elle décide de divorcer et de trouver un nouvel époux à la seule condition que celui-ci accepte de subvenir aux besoins de toute sa famille, dont son premier mari. L’objectif du réalisateur était avant tout de témoigner d’une réalité sociale avant qu’elle ne disparaisse, celle de la vie des bergers de Mongolie intérieure menacée par l’expansion industrielle. Ce film ne se réduit néanmoins pas à un témoignage, c’est bien plus que cela : à la peinture de la dureté de leur existence s’oppose la beauté fulgurante des paysages, des visages, sublimés par l’acuité du regard du réalisateur. C’est aussi le portrait émouvant d’une femme qui se bat pour (sur)vivre dans un milieu aride et en parallèle c’est le portrait d’un pays que le film met magnifiquement en lumière, dans les deux sens du terme. De longs plans fixes soulignent ces contrastes et immergent ainsi le spectateur dans cette réalité si lointaine terriblement belle et bouleversante, au rythme de leurs journées laborieuses, dont l’observation pour le spectateur est lénifiante, parfois, mais surtout jamais ennuyeuse. L’émotion contenue pendant le film surgira au dénouement : le jour du mariage, deux enfants se battent à l’extérieur de la yourte où se déroule la cérémonie, les deux maris, le nouveau et l’ancien, aussi, à l’intérieur. Ils se révèlent, enfin. Infantiles. Amoureux aussi pour l’ancien mari qui semblait jusque là indifférent. Le film s’achève sur les larmes et le regard de Tuya qui contient toute la tristesse d’une vie passée et à venir à laquelle elle avait cru l’espace d’un instant pouvoir échapper. Un film à la fois drôle (aussi) et poignant servi par des acteurs magnifiques dont il faut souligner qu’ils sont tous des amateurs à l’exception de Yu Nan qui interprète Tuya.
Mon deuxième coup de cœur du Festival : Le vieux jardin de Im Sang-soo qui était déjà venu à Deauville pour Une femme coréenne qui avait obtenu le lotus d’or du meilleur Film au Festival du Film Asiatique en 2004 et dont The President’s last bang avait fait sensation au Festival de Cannes, où il était sélectionné dans le cadre de la quinzaine des réalisateurs. Mai 1980. Lors d’une manifestation réprimée par l’armée, Hyun-woo un jeune militant socialiste trouve refuge dans la montagne auprès de Yoon-hee, une jeune enseignante. Après avoir vécu une histoire d’amour avec elle, Hyun woo retourne à ses activités politiques, la laissant seule. Arrêté puis incarcéré, il sort de prison dix-sept ans plus tard et se souvient... Si ce film n’a rien de révolutionnaire contrairement à son sujet, les combats qu’il met en scène n’en demeurent pas moins particulièrement cinématographiques : celui de l’Histoire et de l’histoire, celui de l’amour et des idéaux politiques, celui d’un homme avec l’Etat et finalement celui d’un homme avec lui-même. Choix cornélien entre l’amour et la politique. Le vieux jardin est une ode à la liberté avec en arrière-plan les changements politiques et sociaux de la Corée. Ce film aurait aussi pu s’intituler une femme coréenne puisque c’est aussi le portrait d’une femme qui meurt d’un cancer, c’est donc enfin un mélodrame qui s’assume comme tel…Ce vieux jardin mérite donc qu’on en arpente les allées certes déjà parcourues depuis longtemps mais néanmoins plaisantes à (re) découvrir.
Le vieux jardin sortira sur les écrans français le 11 Avril 2007
Mon troisième coup de cœur de ce Festival est le dernier film de Park Chan-Wook présenté en avant-première au titre aussi étrange que pourtant peu prometteur Je suis un cyborg. De celui que le directeur du Festival surnomme le « Spielberg coréen », nous pouvions néanmoins nous attendre à une belle surprise au souvenir de son célèbre « Old boy », deuxième film de sa trilogie sur la vengeance auquel Quentin Tarantino et son jury avaient remis le prix spécial au Festival de Cannes 2004. Il avait également remporté le Grand Prix à Deauville, en 2001, avec Joint security Area. Cette année c’est donc pour un hommage et la présentation de son dernier film que Park Chan-Wook était invité au festival. Dans un asile, Youg-goon est une jeune fille persuadée d’être un robot. Elle ne s’alimente donc que de piles. Elle est prise sous l’aile de Park Il-Soon, un autre pensionnaire, qui s’approprie l’identité et la folie des autres pensionnaires. Il va tenter de la ramener vers le réel, son réel… Une histoire d’amour va se nouer entre ces deux êtres étranges qui nous embarquent dans leur vision du monde, celui de la folie mais aussi d’une belle naïveté. Ce film qui a reçu le prix du film le plus innovant au dernier Festival de Berlin est une œuvre singulière et indéfinissable, une comédie romantique atypique et déjantée qui ne nous laisse pas une seconde de répit. C’est l’enfant de la rencontre entre Spielberg et Jeunet, Amélie Poulain et A.I . Un voyage au bout de la folie et de l’imagination savoureusement fantasque de Park Chan-Wook qui prouve que l’hommage que lui a rendu Benoît Jacquot et tout son jury était amplement mérité. Poétique et fantaisiste, visuellement et scénaristiquement inventif et audacieux, Je suis un cyborg est un film à l’humour noir où le romantisme affleure. Un film qui mêle astucieusement ralentis, accélérés, split screens, qui décontenance autant par le fond que par la forme. LE film de ce festival à voir et revoir.
La plupart des films de la compétition officielle étaient eux aussi particulièrement inventifs même si beaucoup plus consensuels que le film de Park Chan-Wook d’ailleurs difficilement égalable dans ce domaine. Parmi ceux-ci les plus remarquables :
Route 225 de Nakamura Yoshihiro. En préambule, le réalisateur explique que ce film a divisé le Japon à cause de son aspect fantastique qui a perturbé beaucoup de spectateurs. Probablement ont-ils été perturbé parce que le fantastique ne provient pas vraiment de ce que nous voyons à l’écran mais de la vision qu’en ont les deux protagonistes. Il nous renvoie ainsi à des peurs enfouis et enfantines qui révèlent des peurs plus profondes : celles de la disparition et de la fin de l’enfance et de la fin de l’insouciance. Les deux protagonistes se retrouvent en effet dans un univers en apparence parfaitement similaire à leur quotidien qui est pourtant celui d’un univers parallèle auquel ils ne peuvent échapper. La mère de Eriko, une jeune fille de 15 ans, lui demande ainsi d’aller chercher son jeune frère Daigo à la sortie de l’école. Mais quand ils rentrent leur décor habituel a changé, la mer a remplacé les lotissements. Puis, lorsqu’ils parviennent enfin à rentrer chez eux, la maison est vide. La nuit passe et leurs parents ne reviennent toujours pas. Bien que déboussolée, Eriko décide de faire comme si de rien n’était. Des changements s’insinuent peu à peu dans leur vie quotidienne : un bouquet de fleurs change de couleurs etc. 225 c’est la route que les deux enfants empruntent pour rentrer chez eux. 15, c’est la racine carrée de 225. 15 c’est l’âge de Eriko, celui de tous les changements. L’âge au carrefour. De sa vie. Le deuil de l’enfance. Route 225 est une fable ludique, intrigante, parfois inquiétante sur des sujets qui le sont moins : le deuil (de l’enfance donc et pas seulement), le refus de grandir. Un film qui capte notre attention du début à la fin, qui nous interroge et nous donne envie de refaire le chemin à l’envers : celui-là et un autre…
Le Pensionnat de Songyos Sugmakanan : à 12 ans, Ton est forcé par son père de quitter la maison familiale pour aller au pensionnat. Il n’a qu’un seul ami avec qui il joue de temps en temps derrière l’école, là où il y avait auparavant une piscine, là où un élève s’est paraît-il noyé. Le Pensionnat présente plusieurs points communs avec le film précèdent : l’enfance, une disparition étrange, l’intrusion du fantastique. Là où « Route 225 » laissait judicieusement le soin au spectateur de se créer sa propre explication Le Pensionnat apporte une solution ouvertement fantastique, annihilant ainsi l’effet d’un suspense pourtant efficace. Ce qui s’annonçait comme un film sur la cruauté enfantine se révèle finalement être un film assez sirupeux sur le pardon. A voir néanmoins pour son atmosphère inquiétante et ses jeunes comédiens exemplaires.
Dans Teeth of love de Zhuang Yuxin, Qian Yehong, une jeune femme originaire de Pékin, va connaître les mutations importantes de la Chine durant la période allant de 1977 à 1987. Pendant ces dix années, elle aura également trois histoires d’amour. Ces trois histoires d’amour ont la particularité d’être reliées dans la mémoire de Qian Yehong par la douleur qui en ravive le souvenir. Trois histoires d’amour impossibles dépeintes avec en arrière-plan l’Histoire de la Chine. Quand l’Histoire est douloureuse, l’histoire individuelle le devient aussi forcément. Un film sensible, moins conventionnel qu’il n’y paraît qui emprunte des chemins détournés pour critiquer implicitement la rigidité du régime mais aussi au premier degré le beau portrait d’une femme chinoise (oui, encore un portrait de femme !) à travers trois histoires d’amour impossibles, trois époques de sa vie.
Getting home de Zhang Yang : Zhao et Liu deux collègues de travail et amis de longue date, sont en train de s’enivrer lorsque Liu meurt soudainement. Voulant honorer la promesse qu’il avait faite à son ami, Zhao décide de parcourir des milliers de kilomètres à travers la Chine afin de ramener le corps du défunt dans sa ville natale. Un road movie chinois à la réalisation inégale mais dont le personnage chaplinesque nous entraîne avec plaisir dans ses mésaventures burlesques…
Family Ties de Kim Tae-yong : Mira, une femme célibataire, qui tient un snack bar, tombe des nues lorsque réapparaît son jeune frère dont elle n’avait plus eu de nouvelles depuis 5 ans. De surcroît, il est accompagné de sa femme qui a 20 ans de plus que lui… Même si ce film au sujet assez classique ne perd jamais notre intérêt grâce à des personnages plutôt attachants, son originalité se trouve plutôt dans sa construction en forme de puzzle dont l’explication finale et ironique apparaît au dénouement et modifie notre regard sur ce film qui entrelace trois histoires dont le lien n’apparaît que dans les dernières minutes.
Palmarès : Le lotus du meilleur film a été attribué à Syndromes and a century du Thaïlandais Apichatong Weerasethakul. La première partie du film s’intéresse à une femme médecin et se situe dans un environnement rappelant celui dans lequel le cinéaste est né et a grandi. La deuxième partie s’intéresse à un homme, médecin lui aussi, et se déroule dans un environnement plus proche du monde dans lequel nous vivons. Deux médecins. Deux visions d’un même pays. L’un évolue dans un univers glacial et aseptisé, l’autre voit pousser des orchidées rares. Syndromes and a century est un film aux limites de l’expérimental basé sur un jeu d’oppositions : entre couleurs et blancheur aveuglante et inquiétante. Malgré ses accents lynchiens, Syndromes and a century nous égare sans nous envoûter, amorçant des intrigues qui n’aboutissent pas, usant de la métaphore et des plans fixes à outrance. Syndromes and a century est une critique de la modernisation et un hymne à la nature dont les objectifs sont affichés avec trop d’évidence pour avoir une réelle portée. Dommage…
Le lotus du jury a été attribué à King and the clown de Lee Jun-Ik : Dynastie Chosun vers 1500. Jang-Seng et Gong-Gil sont arrêtés après avoir joué une pièce satirique prenant pour cible le roi. Conduits de force au palais royal, ils proposent au roi de jouer la pièce devant lui et d’être libérés s’ils arrivent à le faire rire.
Ce film est l’adaptation d’une comédie musicale coréenne et a connu un succès sans précèdent en Corée. Si la mise en scène est, il est vrai, assez fastueuse, l’intérêt ne réside pas tant dans ce qui nous est montré que dans ce qu’il dénonce. C’est bien connu : on ne parle jamais aussi bien d’aujourd’hui qu’en parlant d’hier. C’est une farce dramatique qui à l’image de son titre oscille et passe brusquement de la comédie à la tragédie. Comme les « clowns » qu’il met en scène, le réalisateur pratique un jeu de masques pour ridiculiser les régimes dictatoriaux en plaçant au centre de son intrigue un roi aussi cruel et violent que ridicule. Evidemment on songe à la Corée du Nord. On peut déplorer quelques longueurs mais la fin justifie les moyens. Pour le roi…et pour le réalisateur.
Le lotus de la critique internationale a été attribuée à Ad lib night de Lee Yoon-ki : Trois hommes persuadent une jeune fille vivant à Séoul de les accompagner à la campagne où elle doit se faire passer pour la fille d’un homme qui doit bientôt mourir et dont la dernière volonté est de revoir sa fille qu’il n’a pas vue depuis des années. Certains plans sont d’un réel esthétisme, dommage que le mystère qui plane autour de l’identité de la jeune fille (est-elle finalement la fille du mourant ?) soit finalement et aussi maladroitement levé et que certaines scènes de la famille éplorées littéralement grotesques nuisent à ce film qui comprend néanmoins de beaux moments de cinéma en hommage à la Nouvelle Vague.
Le prix Action Asia a été attribué à : Dog Bite Dog de Soi Cheang
De nouveau, ce Festival du Film Asiatique nous a apporté d’agréables surprises avec des films particulièrement novateurs autant dans le fond que dans la forme prouvant une nouvelle fois l’inventivité et le modernisme du cinéma asiatique. La proximité du Festival de Cannes (le Festival du Film Asiatique de Deauville se déroule habituellement plutôt début mars) a probablement empêché que certains films, ayant préféré la Croisette aux Planches, y soient projetés. Vous pourrez en trouver un résumé complet sur mon nouveau blog entièrement consacré au Festival de Cannes 2007 : In the mood for Cannes.
Liens :
Compte-rendu du Festival du Film Asiatique 2005
Compte-rendu du Festival du Film Asiatique 2006
Site Officiel du Festival du Film Asiatique de Deauville 2007
Festivals à suivre prochainement sur In the mood for cinema : le Festival de Cannes (et sur In the mood for Cannes), le Festival du Film Romantique de Cabourg, le Festival du Cinéma Américain de Deauville (création prochaine d’un nouveau blog pour l’occasion « In the mood for Deauville 2007 »). Sandra.M