Critique-« Mr. Nobody » de Jaco van Dormael
Comment ne pas être curieux de découvrir un film dont l'écriture du scenario a nécessité plus de 7 ans, dont le réalisateur n'a rien tourné depuis 13 ans ? Surtout quand le synopsis est aussi prometteur que le suivant : un enfant, Nemo, dont les parents se séparent se retrouve sur le quai d'une gare à devoir choisir. Entre son père et sa mère. Entre deux vies possibles. Premier choix déterminant. Le train est sur le point de partir. Partira-t-il avec son père ou sa mère ? Quelle voie choisira-t-il ? Plutôt que d'effectuer un choix entre ces deux possibles, Jaco van Dormael imagine et filme les deux situations et la multitude de vies possibles qui découlent de celles-ci. Ces vies ce sont celles (vécues et/ou inventées et/ou sorties de l'imagination de l'adolescent qu'il fut) qu'un vieil homme dernier mortel, sur le point de mourir, raconte à un journaliste.
Parfois il suffit d'une feuille d'arbre, d'une goutte d'eau, d'une phrase pour incliner notre destin dans un sens ou dans un autre. Qui ne s'est jamais demandé « et si » ? Qui n'a jamais imaginé ce qu'aurait été son existence si une décision n'avait pas été prise ou prise différemment ? On se demande donc comment, avec un sujet aussi universel, une telle distance s'instaure entre ce qui se passe sur l'écran et ce que ressent le spectateur, du moins ce que j'ai ressenti, essentiellement de l'ennui et de l'agacement. La faute d'abord à cette structure en flash back, à ce vieillard avec son rire mi sardonique mi ridicule qui, pour une raison que l'on ignore, parvient à raconter ses histoires à un journaliste qui réussit à pénétrer dans sa chambre d'une manière que l'on ignore également... Les allers et retours entre le présent et le passé n'apportent rien à l'intrigue, si ce n'est des digressions fatigantes et qui hachent la (non) linéarité de l'ensemble et un décor futuriste remarquable qui nous frustre encore davantage nous montrant ce que aurait pu être ce film.
Mélanger les genres (science fiction, drame, comédie romantique...) , les effets de style pour différencier les vies et les possibles, faire coïncider la forme et le fond était une bonne idée mais trop d'effets de style accroissent encore davantage la distance avec le spectateur. Certaines scènes sont d'une naïveté (pourtant plutôt habituellement un compliment pour moi) accablante tant le peu de temps consacré à chaque histoire (évidemment sans quoi le film aurait duré 10h) les rend superficielles et conduit à réduire les dialogues à l'essentiel, et parfois à la mièvrerie. Pas une seconde je n'ai été touchée, ce qui est d'autant plus étonnant avec un sujet conceptuellement aussi poétique, avec un réalisateur qui dans le « Huitième jour » avait montré combien il savait être poétique sans être mièvre.
Il faut reconnaître que les transitions sont habiles, que les décors sont sublimes et inventifs (d'ailleurs récompensés à la 66ème Mostra de Venise), que les différentes vies sont visuellement extrêmement bien différenciées procurant une limpidité qui n'était pas gagnée d'avance aux histoires. D'où cette sensation d'un possible qui n'a pas abouti, d'un sujet en or et très (trop ?) ambitieux auquel on a fait prendre la mauvaise voie. A l'image de son personnage principal, le film manque d'identité pour en avoir trop endossé, s'égarant lui aussi dans ses multiples possibles mis en scène.
L'effet papillon donne de belles idées de montage (mais dans ce domaine « Babel » restera pour moi la référence inégalée), un montage qui a d'ailleurs nécessité une année. Jaco van Dormael égratigne au passage des vies standardisées, monocordes, monotones et un potentiel futur pas si lointain où la vie deviendrait aseptisée, où la notion même d'amour (très souvent malheureux en l'occurrence dans les vies passées de Nemo) appartiendrait à la préhistoire, où la mort même serait vécue en direct.
A force de conduire son film et ses personnages dans toutes les directions, Jaco Van Dormael ne nous conduit nulle part, si ce n'est à l'idée que mieux vaut se laisser porter par le destin telle une feuille portée par le vent, un choix n'étant finalement pas meilleur qu'un autre et toutes les vies méritant d'être vécues... Un film qui plaira peut-être aux amateurs du cinéma de Gondry (dont je ne suis pas) qui, avec une structure assez alambiquée, ne parvient pas à masquer une intrigue finalement mince. Restent des acteurs remarquables (Jared Leto, Diane Kruger, Sarah Polley), le décor ingénieux, la photographie de Christophe Beaucarne somptueuse et magnifiquement adaptée à chaque vie, à chaque genre et une belle idée de fable d'anticipation sur les hasards et coïncidences, sur la complexité et la multiplicité des choix. Une belle esquisse. Un beau gâchis. Un bel objet froid comme le futur désincarné et aseptisé ici mis en scène. Ce (capitaine) Nemo l ne m'a pas embarquée dans son Odyssée...