En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Guillaume Gallienne, vous pourrez difficilement l’oublier après avoir vu « Les Garçons et Gauillaume, à table ! » (en salles, demain).
« Jet set », « Fanfan la tulipe », « Narco », « Fauteuils d’orchestre », « Le concert », « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », « Sagan », « Marie-Antoinette » , tels sont quelques-uns des films dans lesquels ce Sociétaire de la Comédie Française a joués jusqu’à présent mais rien de comparable avec « Les garçons et guillaume, à table ! », adaptation du spectacle éponyme de Guillaume Gallienne qui en est le chef d’orchestre…et l’orchestre puisqu’il en signe le scénario, la mise en scène…et deux des rôles principaux (dans son spectacle, il incarnait tous les rôles). Pour son premier film, il ne s’est donc pas facilité la tâche.
Guillaume Gallienne a déjà reçu de multiples récompenses pour ce film, notamment à la Quinzaine des réalisateurs, où je l’ai vu la première fois, et où il a été acclamé, puis au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix Michel d’Ornano, où je l’ai vu, et avec au moins autant de plaisir, une deuxième fois…et où il a été à nouveau ovationné (cf ma vidéo ci-dessus). Il a également reçu le prix du public au Festival du Film francophone d’Angoulême.
Ne vous arrêtez donc pas à ce titre de série B qui ne vous semblera plus du tout l’être une fois que vous aurez vu le film, le titre se justifiant alors parfaitement. C’est ainsi que sa mère les appelait, son frère et lui, pour qu’ils viennent dîner : « Les Garçons ET Guillaume, à table ! ». A part déjà. Tout un programme. Très efféminé, il a toujours été considéré par tout le monde comme la fille que sa mère n’a jamais eue, enfin surtout par lui-même, fasciné par cette mère à qui il aurait tant aimé ressembler. Un amour fusionnel (le fond rejoignant alors la forme puisqu’il interprète son rôle) dont il va peu à peu dénouer les fils pour apprendre à savoir qui il est et aime vraiment...
Cela débute dans la loge d’un théâtre, celle de Guillaume Gallienne qui se (dé)maquille, enlève son masque de clown (triste ?) avant d’entrer en scène. A nu. La salle retient son souffle. Nous aussi. Dès le début, il happe notre attention et emporte notre empathie, par son autodérision, son écriture précise, cinglante, cruelle et tendre à la fois, ne ressemblant à aucune autre. Puis sa voix, posée et précise comme s’il lisait une partition, nous emporte dans son tourbillon de folie, de dérision, de lucidité tendre et caustique : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »
Et s’il ne s’est pas facilité la tâche, c’est parce que non seulement il interprète le rôle de sa mère, aimante (trop ou mal peut-être), sachant rester élégante tout en étant vulgaire, masquant sa tendresse derrière un air revêche et des paroles (fra)cassantes, mais parce qu’il joue aussi son propre rôle… à tous les âges ! Avec un talent tel qu’on oublie d’ailleurs rapidement et totalement qu’il n’a pas l’âge du personnage. La magie du cinéma. Et le talent d’un grand acteur, à tel point qu’il en devient follement séduisant malgré son allure parfois improbable.
Gallienne multiplie les mises en abyme et effets narratifs suscitant ainsi un comique de situation en plus de celui du langage qu’il manie avec une dextérité déconcertante et admirable, et qu’il aime visiblement d’un amour immodéré, comme sa mère, à la folie même, avec pour résultat un rythme effréné, un film sans temps mort, d’une drôlerie ravageuse au moins autant que la tendresse et l’émotion qui nous cueillent aux moments parfois les plus inattendus, à l’image d’un autre clown, à la canne et au chapeau melon, qui savait nous bouleverser autant que nous faire rire.
Dommage que deux scènes cèdent à la facilité, notamment une avec Diane Krüger, alors que, auparavant, jamais le film n’essayait d’être consensuel ou de répondre aux codes de la comédie. L’interprétation réjouissante nous les fait néanmoins regarder avec indulgence tant la performance de Gallienne est exceptionnelle, y compris dans cette scène et du début à la fin, avec des scènes d’anthologie, sans parler de rôles secondaires tout aussi réjouissants notamment celui incarné par Françoise Fabian, la grand-mère fantasque et doucement folle.
Ce film est aussi et avant tout une déclaration d’amour fou à sa mère (quel personnage !) et aux femmes dont il aime et scrute jusqu’à la respiration, mais aussi aux mots, avec lesquels il jongle admirablement, et au théâtre, qui libère, et même au cinéma avec les codes duquel il s’amuse ici. Même s’il lorgne parfois du côté d’Almodovar, Woody Allen ou de Wilder (avec une réplique finale comme un écho à son « nobody’s perfect »), ce film peut difficilement être plus personnel tout en étant universel et il faut sans aucun doute une tonne de talent et de sensibilité pour transformer son mal être en film burlesque, en ce rafraichissant plaidoyer pour la différence (qui n’est jamais militant), en film aussi atypique, inclassable que celui qui en est l’auteur et l’acteur. Un grand auteur et un très grand acteur. Et une comédie tendre et caustique à voir absolument.
Alors qu’il y a quelques jours encore j’évoquais mon peu d’appétence pour le cinéma d’animation, c’est en toute logique que je vais vous faire part aujourd’hui de mon enthousiasme et de mon émotion pour…un film d’animation. Un film d’animation d’un genre très particulier néanmoins. En compétition lors du Festival de Cannes 2008 où il a fait figure de favori, il est reparti sans un prix mais avec un écho médiatique retentissant. C’est donc avec impatience que j’avais attendu sa sortie en salles l’ayant manqué à Cannes.
Cela commence par la course d’une meute de chiens face caméra. L’image nous heurte de plein fouet : féroce, effrayante, belle et terrifiante. Une meute de chiens par laquelle, dans ses cauchemars, un ami d’Ari est poursuivi. 26 chiens exactement. Le nombre de chiens qu’il a tués durant la guerre du Liban, au début des années 1980, ce poste lui ayant été attribué parce qu’il était incapable de tuer des humains. Il raconte ce cauchemar récurrent à Ari mais ce dernier avoue n’avoir aucun souvenir de cette période, ne faire aucun cauchemar. Le lendemain, pour la première fois, 20 ans après, un souvenir de cette période niée par sa mémoire surgit dans la conscience (ou l’inconscient) d’Ari : lui-même alors jeune soldat se baignant devant Beyrouth avec deux autres jeunes soldats sous un ciel lunaire en feu d’une beauté terrifiante. Il lui devient alors vital de connaître ce passé enfoui, ces pages d’Histoire et de son histoire englouties par sa mémoire. A cette fin, il va aller à la rencontre de ses anciens compagnons d’armes, neuf personnes interrogées au total (dont deux ont refusé d’apparaître à l’écran sous leur véritable identité.) A l’issue de ces témoignages il va reconstituer le fil de son histoire et de l’Histoire et l’effroyable réalité que sa mémoire a préféré gommer…
Un film d’animation d’un genre très particulier donc. D’abord parce qu’il est autobiographique : cette histoire, le troisième long-métrage du réalisateur (après « Sainte Clara » en 1996 et « Made in Israël » en 2001) est en effet celle du réalisateur israélien Ari Folman pour qui ce film a tenu lieu de thérapie. Ensuite parce que ce sont de vrais témoignages, poignants, et les voix de ces témoins donnent un aspect très documentaire à ce film hybride et atypique : d’abord tourné en vidéo, monté comme un film de 90 minutes, puis un story board en 2300 dessins ensuite animés, c’est un mélange d’animation Flash, d’animation classique et de 3D. Ce mode filmique si particulier n’est nullement un gadget mais un parti pris artistique au service du propos auquel il apporte sa force et sa portée universelle. Un documentaire d’animation sur la guerre du Liban : oui, il fallait oser. Ari Folman s’affranchit des règles qui séparent habituellement documentaire et fiction et dans ce sens, et aussi parce que ce film se déroule également au Liban, néanmoins à une autre époque, il m’a fait penser à l’un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2008 : « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ).
Dès ces premiers plans de chiens en furie, nous sommes donc happés, happés par la violence sublime des images, ces couleurs noirs et ocre diaboliquement envoûtantes, oniriques et cauchemardesques, happés par une bande originale d’une force saisissante (signée Max Richter), happés par l’envie et la crainte de savoir, de comprendre, nous aussi, en empathie avec la quête identitaire d’Ari. C’est d’abord la beauté formelle et la poésie cruelle qui en émane qui accroche notre regard, notre attention. Cette beauté ensorcelante rend supportable l’insupportable, rend visible l’insoutenable, créant à la fois une distance salutaire avec la violence de ces témoignages et événements réels mais nous aidant aussi à nous immerger dans cette histoire. Si la violence est atténuée, l’émotion ne l’est pas. Ari Folman n’a pas non plus voulu rendre la guerre lyrique mais son lyrisme visuel exacerbe encore l’absurdité de cette guerre, de ces hommes égarés que la peur fait tirer, sans savoir sur qui, et sans savoir vraiment pourquoi.
Peu à peu, au fil des témoignages, les pièces du puzzle de la mémoire disloquée d’Ari vont s’assembler jusqu’à l’atrocité ultime, celle qui a sans doute provoqué ce trou noir, celle volonté inconsciente d’oublier, de faire taire ses souvenirs de ces jours de 1982 : le massacre de Palestiniens par les Phalangistes chrétiens, les alliés d’Israël, suite à l’assassinat du président de la République libanaise Bachir Gemayel, dans les camps de Sabra et Shatila, deux camps de Beyrouth-ouest, dont il a été le témoin impuissant (il ne nie pas pour autant la responsabilité d’Israël, du moins son inaction coupable). Au dénouement de ce poème tragique, Ari Folman a alors choisi de substituer des images réelles aux images d’animation pour rappeler, sans doute, la réalité de la guerre, sa violence, son universelle absurdité, sa brutalité. Des images d’une violence nécessaire. Qui nous glacent le sang après tant de beauté d’une noirceur néanmoins sublime.
Plus qu’un film d’animation c’est à la fois un documentaire et une fiction sur la mémoire et ses méandres psychanalytiques et labyrinthiques, sur l’ironie tragique et les échos cyniques de l’Histoire, l’amnésie tragique de l’Histoire-collective- et de l’histoire-individuelle- (si Ari a effacé cette période de sa mémoire c’est aussi parce qu’elle est un écho pétrifiant à l’histoire tragique de sa famille, victime des camps nazis, ceux d’une autre époque, un autre lieu mais avec la même violence et horreur absurdes, presque les mêmes images des décennies après, et horreur ultime : les protagonistes ayant changé de rôle), sur l’absurdité de la guerre que ce film dénonce avec plus d’efficacité que n’importe quel discours. La poésie au lieu de nier ou d’édulcorer complètement la violence en augmente encore l’atrocité : comme ce chant d’une ironie dévastatrice sur le Liban pendant qu’un char écrase des maisons, des voitures, lentement, presque innocemment. Comme cette couleur rouge qui se mue d’un objet anodin en sang qui coule. Ou comme cette valse avec Bashir, celle d’un tireur qui danse avec les balles qu’il tire devant le portrait de Bachir Gemayel sur fond de Chopin, qui joue avec le feu, qui danse avec la mort dans une valse d’une sensualité violente: cette scène résume toute la beauté effroyable de ce film magnifique. Tragique et magnifique. Cette valse est aussi à l’image de la forme de ce film : entraînante, captivante comme si une caméra dansante nous immergeait dans les méandres virevoltants de la mémoire d’Ari.
Une œuvre atypique qui allie intelligemment forme et force du propos, où la forme, sublime, est au service du fond, brutal. Une valse étourdissante d’un esthétisme d’une effroyable beauté. Une valse fascinante, inventive. Entrez dans la danse, sans attendre une seconde. Elle vous entraînera dans cette histoire, dans l’Histoire, avec une force renversante, saisissante, poignante.
Alors, oui sans doute le grand oublié du palmarès de ce 61ème Festival de Cannes (qui me satisfaisait néanmoins pleinement), tout simplement peut-être parce que cette œuvre tellement atypique qui invente même un nouveau genre cinématographique (dont elle sera d’ailleurs certainement le prototype et l’unique exemplaire tant une copie lui ferait certainement perdre sa force) ne correspondait à aucune des catégories du palmarès à moins que le jury n’ait pas osé, n’ait pas eu la même audace que celle dont Ari Folman a fait preuve dans son film, une œuvre qui répondait d’ailleurs aux exigences du président Sean Penn témoignant de la conscience du monde dans lequel son réalisateur vit, un monde si souvent absurde et amnésique, enfouissant son Histoire dans les tréfonds de sa mémoire tragiquement et criminellement sélective.
Merci pour vos messages suite à celui que j'avais publié ici le 31 octobre, merci à ceux qui ont pris le temps d’appeler, de « textoter », de laisser quelques mots sur Facebook, pour certains témoignages aussi de personnes ayant malheureusement vécu une expérience similaire, pour les messages d'inconnus ou de lecteurs venus de loin qui m'ont beaucoup touchée, et pour les trois téméraires qui en ont laissé directement sur le blog…
Vous ne pouvez savoir à quel point quelques mots peuvent être parfois salutaires dans de telles circonstances et je crois plus que jamais en la force et au pouvoir magnifiques des mots et de l'écriture. Il y a aussi ceux dont "on" m'a dit que ce message les avait touchés et qui, sans doute, n'ont pas osé m'écrire directement. Il n'est jamais trop tard et je suis bien placée pour savoir que la vie est trop courte pour ne pas oser.
Je reparlerai peut-être un jour de tout ceci mais probablement ailleurs et autrement.
Je vais donc essayer de revenir progressivement à des infos futiles :
-d’abord, la bonne nouvelle (qui n’est d’ailleurs pas une info futile pour moi et même la réalisation d'un vieux rêve) que j’avais déjà brièvement évoquée ici : la présence confirmée de mon éditeur Numeriklivres au Salon du Livre de Paris 2014 et donc la mienne cette fois en tant qu'auteur et non plus en tant que presse
-ensuite, 3 critiques de films en avant-première, à ne surtout pas manquer :
Le cinéma et l’écriture restent plus que jamais mes priorités et mes passions dévorantes… Vous pouvez ainsi suivre l’actualité des mes romans publiés sur ma "page Facebook auteur" que je vous invite à rejoindre si ce n'est déjà fait (http://facebook.com/inthemoodforwriting ) et je vous dis également tout sur mon actualité « romanesque » dans cet article : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2013/09/20/lettre-ouverte-aux-lecteurs-d-ombres-paralleles-mon-recueil.html , une écriture romanesque qui ne m’empêchera pas non plus de continuer à développer mes deux sites précités sur le luxe qui continuent à prendre leur envol.
Avec les évènements tragiques de cette année, je n'ai pas publié mon compte rendu de Cannes et Deauville. Me restent de nombreux brouillons d'articles, des archives d'images et de vidéos aussi que vous trouverez progressivement ici.
Je développerai aussi davantage Inthemoodfordeauville.com laissé un peu à l’abandon ces derniers temps avec une actualité deauvillaise qui ne se cantonnera plus à celle des festivals de cinéma qui en constitueront bien sûr toujours l'essence.
Je vais donc essayer de replonger « in the mood for cinema », car comme le disait et y aspirait avec ses -sublimes- films un de mes cinéastes préférés, Claude Sautet, le cinéma est là pour nous « faire aimer la vie », sans doute même lorsqu’elle prend une tournure révoltante.
Projeté en compétition officielle du 66ème Festival de Cannes, The Immigrant de James Gray décidément à l’honneur cette année puisqu’il est aussi le coscénariste de Blood ties réalisé par Guillaume Canet (également présenté à Cannes) est, seulement, le cinquième long-métrage du cinéaste américain ( après Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two lovers) et nous avons bien du mal à le croire tant chacun de ses films précédents était déjà maîtrisé, et James Gray comptant, déjà, comme un des plus grands cinéastes américains contemporains. The Immigrant a apparemment déçu bon nombre de ses admirateurs alors que, au contraire, c’est à mon sens son film le plus abouti, derrière son apparente simplicité. Il s’agit en effet de son film le plus sobre, intimiste et épuré mais quelle maîtrise dans cette épure et sobriété!
On y retrouve les thèmes chers au cinéaste: l’empreinte de la Russie, l’importance du lien fraternel, le pardon mais c’est aussi son film le plus personnel puisque sa famille d’origine russe est arrivée à Ellis Island, où débute l’histoire, en 1923.
L’histoire est centrée sur le personnage féminin d’Ewa interprétée par Marion Cotillard. 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine et Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando (Jeremy Renner), illusionniste et cousin de Bruno (Joaquin Phoenix), lui redonne confiance et l'espoir de jours meilleurs. Mais c'est sans compter sur la jalousie de Bruno...
James Gray a écrit le rôle en pensant à Marion Cotillard (très juste et qui aurait mérité un prix d’interprétation) qui ressemble ici à une actrice du temps du cinéma muet, au visage triste et expressif. The Immigrant est ainsi un mélo assumé qui repose sur le sacrifice de son héroïne qui va devoir accomplir un véritable chemin de croix pour (peut-être…) accéder à la liberté et faire libérer sa sœur. Les personnages masculins, les deux cousins ennemis, sont en arrière-plan, notamment Orlando. Quant à Bruno interprété par l’acteur fétiche de James Gray, Joaquin Phoenix, c’est un personnage complexe et mystérieux qui prendra toute son ampleur au dénouement et montrera aussi à quel point le cinéma de James Gray derrière un apparent manichéisme est particulièrement nuancé et subtil.
Le tout est sublimé par la photographie de Darius Khondji (qui avait d’ailleurs signé la photographie de la palme d’or du Festival de Cannes 2012, Amour de Michael Haneke) grâce à laquelle certains plans sont d’une beauté mystique à couper le souffle.
James Gray a par ailleurs tourné à Ellis Island, sur les lieux où des millions d’immigrés ont débarqué de 1892 à 1924, leur rendant hommage et, ainsi, à ceux qui se battent, aujourd’hui encore, pour fuir des conditions de vie difficiles, au péril de leur vie. C’est de dos qu’apparaît pour eux la statue de la liberté au début du film. C’est en effet la face sombre de cette liberté qu’ils vont découvrir, James Gray ne nous laissant d’ailleurs presque jamais entrevoir la lumière du jour. Si le film est situé dans les années 1920, il n’en est pas moins intemporel et universel. Une universalité et intemporalité qui, en plus de ses très nombreuses qualités visuelles, ne lui ont pas permis de figurer au palmarès cannois auquel il aurait mérité d’accéder.
Tout comme dans La Nuit nous appartient qui en apparence opposait les bons et les méchants, l’ordre et le désordre, la loi et l’illégalité, et semblait au départ très manichéen, dans lequel le personnage principal était écartelé, allait évoluer, passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres, ici aussi le personnage de Bruno au cœur qui a « le goût du poison », incarne toute cette complexité, et le film baigné principalement dans des couleurs sombres, ira vers la lumière. Un plan, magistral, qui montre son visage à demi dans la pénombre sur laquelle la lumière l’emporte peu à peu, tandis qu’Ewa se confesse, est ici aussi prémonitoire de l’évolution du personnage. L’intérêt de Two lovers provenait avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. C’est aussi le cas ici même si le thème du film et la photographie apportent encore une dimension supplémentaire. James Gray s’est inspiré des photos « quadrichromes » du début du XXe siècle, des tableaux qui mettent en scène le monde interlope des théâtres de variétés de Manhattan. Il cite aussi comme référence Le Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson.
James Gray parvient, comme avec Two lovers, à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Longtemps après, en effet, j’ai été éblouie par la noirceur de ce film, une noirceur de laquelle émerge une lueur de clarté sublimée par une admirable simplicité et maitrise des contrastes sans parler du dernier plan, somptueux, qui résume toute la richesse et la dualité du cinéma de James Gray et de ce film en particulier.
Critique de TWO LOVERS de James Gray
Direction New York, ville fétiche du cinéma de James Gray, où, après avoir tenté de se suicider, un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle, fragile et inconstante, dont il est tombé éperdument amoureux, un amour dévastateur et irrépressible.
L’intérêt de « Two lovers » provient avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. Si James Gray est avant tout associé au polar, il règne ici une atmosphère de film noir et une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente.
Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…
Il éprouve ainsi un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».
Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne ( plan de Michelle derrière des barreaux de son appartement, les appartements de Leonard et Michelle donnant sur la même cour rappelant ainsi « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock de même que la blondeur toute hitchcockienne de Michelle), et qui exalte et détruit.
James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudique et la magnifique photographie crépusculaire de Joaquin Baca-Asay qui procurent des accents lyriques à cette histoire qui aurait pu être banale, mais dont il met ainsi en valeur les personnages d’une complexité, d’une richesse, d’une humanité bouleversantes. James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père etc).
Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d'une drôlerie désenchantée, un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Irrépressiblement. Ajoutez à cela la bo entre jazz et opéra ( même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » que dans le chef d’œuvre de Woody Allen « Match point » dans lequel on retrouve la même élégance dans la mise en scène et la même "opposition" entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski… : les ressemblances entre les deux films sont trop nombreuses pour être le fruit du hasard ), et James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Trois ans après sa sortie : d’ores et déjà un classique du cinéma romantique.
Critique de LA NUIT NOUS APPARTIENT de James Gray
La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au Festival de Cannes. Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène...) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…
Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?) a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000) qui se déroule à New York, à la fin des années 80, la police en est un personnage à part entière. C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille : Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout, et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile, vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.
Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé, considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire...)
Les bons et les méchants. L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé, va évoluer, va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.
« La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages. Un film noir sur lequel plane la fatalité : fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.
Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.
C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…
C’est lors du dernier Festival de Cannes où il était présenté en sélection officielle mais hors compétition que j’ai eu le plaisir de découvrir « All is lost » de J.C Chandor en présence de Robert Redford qui a également donné une conférence de presse dont je vous parle ci-dessous et dont vous pourrez retrouver quelques images. C’était un de mes coups de coeur de cette édition cannoise 2013, il figurait également en compétition du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix du jury. Cette critique, ci-dessous, a aussi été publiée dans le journal de l’ENA en août (vous retrouverez l’article en intégralité en bas de cette page). Je vous en parle à nouveau aujourd'hui puisque vient d'être dévoilée sa sublime affiche.
All is lost est le deuxième film du réalisateur J.C Chandor après Margin Call, avec un unique interprète, et non des moindres, Robert Redford, dont la mythique présence a cette année illuminé la Croisette. Quel contraste entre le vacarme, la foule cannois et le silence, la solitude de All is lost.
Lors de la conférence de presse cannoise, Robert Redford, a notamment parlé, avec autodérision et simplicité, de son amour de la nature et de son inquiétude pour celle-ci, rappelant son engagement en faveur de l’environnement qu’il juge dans une situation « carrément catastrophique, désastreuse ». »A mon avis, la planète essaie de nous parler », a-t-il ajouté, évoquant « les ouragans, les tremblements de terre et les tornades », deux jours après la tornade dévastatrice de Moore, près d’Oklahoma City. Il a aussi évoqué son envie de continuer à jouer, de la difficulté de faire des films aujourd’hui. Il a évoqué le défi que représentait ce film pour lui : « C’est un défi qui m’a beaucoup attiré en tant qu’acteur. Je voulais me donner entièrement à un réalisateur ». Il a aussi abordé l’importance du silence « Je crois dans l’intérêt du silence au cinéma. Je crois aussi dans l’intérêt du silence dans la vie car on parle car on parle parfois trop. Si on arrive à faire passer le silence dans une forme artistique, c’est intéressant ». « Ce film est en plein contraste avec la société actuelle. On voit le temps qu’il fait, un bateau et un homme. C’est tout ». « Il y a évidemment des similitudes avec Jeremiah Johnson » a-t-il également répondu.
Dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, Robert Redford fuyait ainsi les hommes et la civilisation pour les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses. Ici, dans All is lost, au cours d’un voyage en solitaire dans l’Océan Indien, au large de Sumatra, à son réveil, il découvre que la coque de son voilier a été heurtée et endommagée par un container flottant à la dérive. Privé de sa radio, il doit affronter seul les éléments mais malgré toute sa force, sa détermination, son intelligence, son ingéniosité, il devra bientôt regarder la mort en face. Ici, aussi, c’est finalement la civilisation (incarnée par ce container rouge au milieu de l’horizon bleutée et qui transportait d’ailleurs des chaussures, incarnation de la société de consommation mondialisée ) qui le rattrape (alors que, peut-être, il voulait la fuir, nous ne le saurons jamais…), contraint à se retrouver ainsi « seul au monde », comme dans le film éponyme de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, même si je lui préfère, et de loin, ce film de J.C Chandor.
Pendant 1H45, il est en effet seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.
Le seul «dialogue », est en réalité un monologue en ouverture du film, une sorte de testament qui s’écoute comme le roulement poétique, doux et violent, des vagues, et qui place ce qui va suivre sous le sceau de la fatalité : « Ici, tout est perdu, sauf le corps et l’âme ».
Progressivement il va se voir dépouillé de ce qui constitue ses souvenirs, de tout ce qui constitue une chance de survie : radio, eau… Son monde va se rétrécir. La caméra va parfois l’enfermer dans son cadre renforçant le sentiment de violence implacable du fracas des éléments. Avec lui, impuissants, nous assistons au spectacle effrayant et fascinant du déchainement de la tempête et de ses tentatives pour y survivre et résister.
Le choix du magnétique Robert Redford dans ce rôle renforce encore la force de la situation. Avec lui c’est toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui est malmenée, bousculée, et qui tente de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout.
La mise en scène et la photographie sobre, soignée, épurée, le montre (et sans le moindre artifice de mise en scène ou flashback comme dans L’Odyssée de Pi) tantôt comme une sorte de Dieu/mythe dominant la nature (plusieurs plongées où sa silhouette se détache au milieu du ciel), ou comme un élément infime au milieu de l’Océan. La musique signée Alex Ebert (du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zeros) apporte une force supplémentaire à ces images d’une tristesse et d’une beauté mêlées d’une puissance dévastatrice. Inexistante au début du film, elle prend de l’ampleur a fur et à mesure que la tragédie se rapproche et qu’elle devient inéluctable, sans jamais être trop grandiloquente ou omniprésente.
Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle, comme ces requins en contre-plongée qui semblent danser, le défier et l’accompagner ou comme cette fin qui mélange les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore cette lune braquée sur lui comme un projecteur.
Comme l’a souligné Robert Redford, il s’agit d’un « film presque existentiel qui laisse la place à l’interprétation du spectateur » et cela fait un bien fou de « regarder quelqu’un penser » pour reprendre les termes du producteur même si cette définition pourrait donner une image statique du film qui se suit au contraire comme un thriller.
En conférence de presse, Robert Redford avait révélé ne pas avoir vu le film et qu’il allait le découvrir le même soir lors de la projection officielle cannoise dans le Grand Théâtre Lumière. On imagine aisément son émotion, à l’issue de cette heure quarante. Face à lui-même. Face à cette fable bouleversante d’une beauté crépusculaire
All is lost a été présenté hors compétition du 66ème Festival de Cannes. Il aurait indéniablement eu sa place en compétition et peut-être même tout en haut du palmarès.
Comme l'affiche vient d'être dévoilée, c'est pour moi l'occasion de vous parler à nouveau de la comédie de l'année, en salles le 20 novembre.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Guillaume Gallienne, vous pourrez difficilement l’oublier après avoir vu « Les Garçons et Gauillaume, à table ! ». « Jet set », « Fanfan la tulipe », « Narco », « Fauteuils d’orchestre », « Le concert », « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », « Sagan », « Marie-Antoinette » , tels sont quelques-uns des films dans lesquels ce Sociétaire de la Comédie Française a joués jusqu’à présent mais rien de comparable avec « Les garçons et guillaume, à table ! », adaptation du spectacle éponyme de Guillaume Gallienne qui en est le chef d’orchestre…et l’orchestre puisqu’il en signe le scénario, la mise en scène…et deux des rôles principaux (dans son spectacle, il incarnait tous les rôles). Pour son premier film, il ne s’est donc pas facilité la tâche.
Guillaume Gallienne a déjà reçu de multiples récompenses pour ce film, notamment à la Quinzaine des réalisateurs, où je l’ai vu la première fois, et où il a été acclamé, puis au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix Michel d’Ornano, où je l’ai vu, et avec au moins autant de plaisir, une deuxième fois…et où il a été à nouveau ovationné (cf ma vidéo ci-dessus). Il a également reçu le prix du public au Festival du Film francophone d’Angoulême.
Ne vous arrêtez donc pas à ce titre de série B qui ne vous semblera plus du tout l’être une fois que vous aurez vu le film, le titre se justifiant alors parfaitement. C’est ainsi que sa mère les appelait, son frère et lui, pour qu’ils viennent dîner : « Les Garçons ET Guillaume, à table ! ». A part déjà. Tout un programme. Très efféminé, il a toujours été considéré par tout le monde comme la fille que sa mère n’a jamais eue, enfin surtout par lui-même, fasciné par cette mère à qui il aurait tant aimé ressembler. Un amour fusionnel (le fond rejoignant alors la forme puisqu’il interprète son rôle) dont il va peu à peu dénouer les fils pour apprendre à savoir qui il est et aime vraiment...
Cela débute dans la loge d’un théâtre, celle de Guillaume Gallienne qui se (dé)maquille, enlève son masque de clown (triste ?) avant d’entrer en scène. A nu. La salle retient son souffle. Nous aussi. Dès le début, il happe notre attention et emporte notre empathie, par son autodérision, son écriture précise, cinglante, cruelle et tendre à la fois, ne ressemblant à aucune autre. Puis sa voix, posée et précise comme s’il lisait une partition, nous emporte dans son tourbillon de folie, de dérision, de lucidité tendre et caustique : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »
Et s’il ne s’est pas facilité la tâche, c’est parce que non seulement il interprète le rôle de sa mère, aimante (trop ou mal peut-être), sachant rester élégante tout en étant vulgaire, masquant sa tendresse derrière un air revêche et des paroles (fra)cassantes, mais parce qu’il joue aussi son propre rôle… à tous les âges ! Avec un talent tel qu’on oublie d’ailleurs rapidement et totalement qu’il n’a pas l’âge du personnage. La magie du cinéma. Et le talent d’un grand acteur, à tel point qu’il en devient follement séduisant malgré son allure parfois improbable.
Gallienne multiplie les mises en abyme et effets narratifs suscitant ainsi un comique de situation en plus de celui du langage qu’il manie avec une dextérité déconcertante et admirable, et qu’il aime visiblement d’un amour immodéré, comme sa mère, à la folie même, avec pour résultat un rythme effréné, un film sans temps mort, d’une drôlerie ravageuse au moins autant que la tendresse et l’émotion qui nous cueillent aux moments parfois les plus inattendus, à l’image d’un autre clown, à la canne et au chapeau melon, qui savait nous bouleverser autant que nous faire rire.
Dommage que deux scènes cèdent à la facilité, notamment une avec Diane Krüger, alors que, auparavant, jamais le film n’essayait d’être consensuel ou de répondre aux codes de la comédie. L’interprétation réjouissante nous les fait néanmoins regarder avec indulgence tant la performance de Gallienne est exceptionnelle, y compris dans cette scène et du début à la fin, avec des scènes d’anthologie, sans parler de rôles secondaires tout aussi réjouissants notamment celui incarné par Françoise Fabian, la grand-mère fantasque et doucement folle.
Ce film est aussi et avant tout une déclaration d’amour fou à sa mère (quel personnage !) et aux femmes dont il aime et scrute jusqu’à la respiration, mais aussi aux mots, avec lesquels il jongle admirablement, et au théâtre, qui libère, et même au cinéma avec les codes duquel il s’amuse ici. Même s’il lorgne parfois du côté d’Almodovar, Woody Allen ou de Wilder (avec une réplique finale comme un écho à son « nobody’s perfect »), ce film peut difficilement être plus personnel tout en étant universel et il faut sans aucun doute une tonne de talent et de sensibilité pour transformer son mal être en film burlesque, en ce rafraichissant plaidoyer pour la différence (qui n’est jamais militant), en film aussi atypique, inclassable que celui qui en est l’auteur et l’acteur. Un grand auteur et un très grand acteur. Et une comédie tendre et caustique à voir absolument.
Je tenais en préambule à remercier à nouveau l’équipe de belles personnes en charge de l’organisation du festival de Saint-Jean-de-Luz pour leur accueil, une fois de plus, leur passion communicative du cinéma et pour avoir facilité mon départ. Même si j’ai dû abréger mon séjour en raison de dramatiques évènements personnels (d’où également ce compte rendu retardataire), y aller a été un réel bonheur, que ce soit en découvrant la presque totalité de la compétition d’un éclectisme et d’une qualité rares (malgré des thématiques communes, j’y reviendrai), ou que ce soit encore en écoutant les équipes de films visiblement toutes satisfaites d’être là (comme je les comprends !) et disponibles pour parler avec le public dans et en dehors de la salle, ou encore en écoutant la passion, l’empathie et l’enthousiasme avec lesquels le délégué artistique du festival Patrick Fabre présente les films et anime les débats d’après films et partage ses coups de cœur pour ceux-ci, ou en allant chaque jour au cinéma Le Sélect avec impatience et y recevant toujours un accueil souriant, ou en déambulant dans les rues de Saint-Jean-de-Luz ou sur le front de mer et me laissant éblouir par sa douce lumière teintée d’une légère et réjouissante mélancolie, ou en appréciant l’accueil des Luziens, et me disant que la passion du cinéma, décidément, est tellement précieuse, salutaire et universelle. Il y a aussi tous ces films que je n’ai pu voir qui étaient présentés les deux derniers jours mais que j’irai voir dès que possible, une sélection a Saint-Jean-de-Luz étant pour moi un gage de qualité indéniable. Ces quelques jours de quiétude et de découvertes cinématographiques au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz (qui fut aussi mon 3ème) m'ont à nouveau réservé de magnifiques surprises cinématographiques que je partage aujourd'hui avec vous. Inutile de vous dire que je vous encourage à courir les voir en salles quand ils sortiront (je vous avertirai bien entendu au moment de leurs sorties).
18 ans. 18 ans déjà pour ce beau festival qui, avant de prendre lui aussi son envol, et d’entrer dans sa majorité, permet à de nombreux cinéastes d’émerger et de s’envoler, souvent vers une très belle carrière. Chaque édition, ce sont les meilleurs films de l’année à venir que j’y découvre : « Louise Wimmer », « Syngue Sabour », « J’enrage de son absence » pour n’en citer que quelques-uns ont ainsi été projetés dans ce festival bien avant leurs sorties en salles et souvent bien avant que d’autres festivals les sélectionnent. Le Président du jury de cette 18ème édition, André Dussolier, lors de la cérémonie d’ouverture, après avoir vu les premiers films en compétition, a d’ailleurs fait remarquer qu’il était stupéfait par la qualité des films sélectionnés.
A Saint-Jean-de-Luz, pas de surbadges, de files vip, non juste l’envie et le plaisir communicatifs de voir des films. Le cinéma est roi. Pas de cynisme ou de condescendance mais de la passion et de la bienveillance. L’écrin rêvé pour de jeunes cinéastes venus présenter leurs premiers ou deuxièmes films. Rien d’étonnant donc à ce que le très (trop) rare André Dussolier ait accepté de présider le jury, visiblement avec beaucoup d’enthousiasme, en plus de l’humilité et de l’élégance qui le caractérisent, à l’entendre lors de l’ouverture (cf vidéo ci-dessus).
Lors de l’ouverture, des extraits des films dans lesquels il a joués nous ont rappelé l’éclectisme de sa carrière, et ses choix judicieux, le tout projeté sur la musique d’"Amélie Poulain" dont il fut la si reconnaissable voix off. Parmi ces films, plusieurs autres chefs d’œuvre dont mon film préféré (bon, d’accord, cela varie selon les jours, mais disons un de mes cinq films préférés), « Un cœur en hiver » de Claude Sautet. Une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images (vous pouvez retrouver la critique complète en cliquant ici, vraiment si ce n’est déjà fait, voyez-le) ou encore « On connaît la chanson » d’Alain Resnais qui est un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération et dont vous pouvez retrouver ma critique, ici. Deux exemples parmi tant d’autres…
Après une présentation du jury également composé d’Alice David, Pascal Demolon, Audrey Estrougo, Sarah Kazemy, Anne Le Ny, Aurélien Recoing, place à celle du film d’ouverture, « En solitaire » premier long métrage en tant que réalisateur du chef opérateur Christophe Offenstein qui a notamment éclairé tous les films de Guillaume Canet (qui fait également partie de la distribution du film). François Cluzet (également présent, comme vous le verrez dans la vidéo ci-dessus) y incarne Yann Kermadec, un navigateur qui voit son rêve se réaliser quand il remplace au pied levé, son ami Franck Drevil, au départ du Vendée Globe, le tour du monde à la voile en solitaire. Déterminé à gagner, alors qu’il est en pleine mer, il découvre à son bord un jeune passager… S’il est repéré, Yann Kermardec censé faire la course « en solitaire », sera disqualifié. A l’image de Yann Kermardec, Christophe Offenstein a dû affronter des conditions difficiles pour mener à bien son « navire ». Cela en valait la peine. Cela aurait là aussi pu être l’histoire d’un « géant égoïste » qui va comprendre que la plus belle des victoires n’est pas forcément d’arriver premier. A l’image des éléments qu’il va devoir affronter, parfois féroces et déchaînés, et qui laissent place à des levers ou couchers de soleil éblouissants, la rage va peu à peu laisser place à des sentiments plus « lumineux ». François Cluzet est une fois de plus remarquable pour incarner cet homme face à ses propres faiblesses et aux forces redoutables et éblouissantes de la nature ( et donc de sa nature). Face à lui, le jeune Samy Seghir ne démérite pas. « En solitaire » sortira en salles le 6 novembre 2013. Je vous le recommande, au passage de même qu’un autre film, une fable d’une beauté crépusculaire et bouleversante dans lequel un homme se retrouve également « en solitaire » face au cruel éclat de la nature, « All is lost » de J.C Chandor (en salles le 11 décembre 2013).
Le jury d’André Dussolier a décerné un palmarès singulier et nuancé, à l’image de ce dernier (et un palmarès justifié pour les films qui y figurent que j’ai pu voir).
Le jury a en effet décerné le Chistera du meilleur réalisateur à Ritesh Batra pour le film indien « The Lunchbox » dont l’acteur principal Irrfan Khan a également été récompensé pour son interprétation, et celui du meilleur film au « Géant égoïste » de Clio Barnard dont je vous ai déjà parlé récemment puisque ce film a également reçu le Hitchcock d’or au dernier Festival du Film Britannique de Dinard. Le jury jeunes, quant à lui, a récompensé « La pièce manquante » de Nicolas Birkenstock.
Solitude, deuil, absence, errance, envie d’ailleurs et d’évasion, telles étaient les thématiques communes des films en compétition qui, contrairement à ce que ces thèmes pourraient laisser croire, étaient souvent remplis d’espoir plus ou moins ténu. Confrontés à des situations ou des univers âpres, les personnages des films en compétition, s’ils n’étaient dans l’ensemble pas d’emblée sympathiques, dissimulaient leurs failles et douleurs derrière une certaine rugosité et n’en étaient bien souvent que plus intéressants et attachants.
C’est le cas du personnage principal de « The Lunchbox » (présenté également à la Semaine de la Critique), premier film de Ritesh Batra. Une erreur dans le service pourtant très efficace de livraison de lunchboxes (les « Dabbawallahs » de Bombay) met en relation Ila, une jeune femme au foyer délaissée par son mari, et un homme plus âgé, Saajan. Ils s’inventent un autre monde, une évasion, grâce aux notes qu’ils s’échangent par le biais de ces boîtes à repas. Progressivement, ce rêve menace de prendre le dessus sur leur réalité. « The lunchbox » est un film atypique dans le cinéma indien, à la fois réaliste, film d’auteur tout en restant grand et tout public sans être non plus un film « bollywoodien ». Il renouvelle aussi le genre de la comédie romantique et celui de la liaison épistolaire avec un mélange de fraîcheur, d’humour, de réalisme et grâce à toute une galerie de personnages secondaires attachants. Des âmes seules (ré)unies par cette solitude dans un Bombay tentaculaire, grouillant et paradoxalement glacial. Une mise en scène judicieusement répétitive fait écho à la routine des personnages de laquelle va peu à peu les sortir cette lunchbox providentielle. Hanté par la mort de son épouse, Saajan, derrière une apparence revêche, laisse peu à peu se révéler sa vraie personnalité. A déguster sans modération. Irrfan Khan, vu dans « Slumdog millionaire » ou « L’odyssée de Pi » a reçu le prix d’interprétation pour ce film.
« The selfish giant » de Clio Barnard (le Géant égoïste) qui a reçu le Chistera du meilleur film est l'histoire âpre et poignante de deux adolescents, Arbor et Swifty renvoyés de l'école et qui collectent des métaux usagés pour un ferrailleur local, le « Géant égoïste », au péril de leur amitié...et de leur vie. A l’image du premier plan, obscur et étrangement poétique, surgissent des lueurs d’humanité au milieu d’un environnement hostile et grisâtre, des éclairs tendres et presque poétiques (« Le géant égoïste" est une libre adaptation d’un conte d’Oscar Wilde). L’environnement et l’image sont nimbés de teintes grisâtres desquelles émerge une rare lueur (au propre comme au figuré) qui n’en est que plus émouvante. La force de l’amitié des jeunes garçons et la beauté de la nature, en particulier des chevaux auxquels se raccroche le jeune Swifty contrastent avec l’univers glacial, presque carcéral, dans lequel ils évoluent : usines, lignes à haute tension, amas de ferrailles comme autant d’ombres menaçantes (autres géants) qui planent sur eux. Un mélange de violence et de naïveté à l’image de Swifty et Arbor. La vivacité du montage, de la réalisation, des deux jeunes protagonistes (époustouflants) donnent la sensation qu’ils sont constamment sur le fil, que le drame est inéluctable. Il révèlera pourtant une part d’humanité inattendue et d’autant plus bouleversante. Un prix du meilleur film entièrement justifié.
Dans « Youth », absent du palmarès, un thriller dramatique israélien de Tom Shoval, ce sont également deux jeunes protagonistes, deux frères jumeaux qui échafaudent un kidnapping avec demande de rançon afin de renflouer les dettes contractées par leur père et qui mettent en péril toute la famille, menacée de perdre son appartement. Pour ce faire ils vont kidnapper une lycéenne d’un milieu plus aisé. Le film débute par une remarquable scène de filature qui pourrait être un mélange du cinéma d’Hitchcock et de Gus Van Sant avant de nous dresser le portrait d’une jeunesse inconsciente, immature, et d’une société en crise (sociale et morale) dans laquelle la violence est de fait banalisée. Deux jeunes acteurs, David et Eitan Cunio, frères à l’écran comme dans la vie, et une mise en scène brillants pour un film qui avait toute sa place au sein de cette belle sélection.
Dans « Passer l’hiver », un film d’Aurélia Barbet avec Gabrielle Lazure et Lolita Chammah, il est à nouveau question de solitudes, de personnages égarés, ravagés par la dureté de l’existence. La solitude de Claire (Gabrielle Lazure) dont la mère est à l’agonie et qui part soudain avec un inconnu qui lui propose une virée au bord de la mer et celle de Martine (Lolita Chammah), sa collègue plus jeune, restée à la station-service puis partie sur ses traces. Adapté d’une nouvelle d’Olivier Adam, « passer l’hiver » nous propose des fragments de vie à la fois doux et âpres, gris et lumineux, de ces moments où la vie devient plus intense quand la mort rôde et que tout devient essence et essentiel. Un film judicieusement lent (et non ennuyeux comme l’a trouvé et fait remarquer une spectatrice indélicate lors du débat après la projection) avec deux belles actrices qui ne craignent pas de mettre leur âme à nu pour ces beaux rôles (avec une mention spéciale pour Gabrielle Lazure, bouleversante, mon prix d’interprétation féminine). On en ressort apaisé avec l’image de ce Cap Frehel, tristement beau.
Dans « Celui qui pleure a perdu », Marion Lefeuvre nous parle aussi de deuil, d’absence …avec une originalité et une maturité indéniables. Des tests, un médecin, une salle, 10 minutes pour revoir une personne décédée et tout bouleverser. Une larme et tout se fige. Celui qui pleure a perdu. Edouard et Sarah se rencontrent dans les couloirs de cette curieuse entreprise, paumés, détachés de tout. Prêts à briser ceux qui les entourent, ils se laissent doucement embarquer dans cette illusion. « Celui qui pleure a perdu », premier long métrage de Marion Lefeuvre évoque de manière particulièrement originale l’intolérable douleur de l’absence et le chemin que chacun emprunte pour y faire face, fut-il en apparence totalement incongru. Le tout est porté par des comédiens inconnus mais exceptionnels, un sens du rythme et de l’écriture et une bande originale remarquable. Une jeune cinéaste très déterminée à suivre !
Dans « La belle vie » de Jean Denizot, il est également question d’escapade, de solitudes, d’errance. Ce dernier raconte une histoire vraie, un fait divers qui avait fait la une de l’actualité, l’histoire des frères Fortin, deux jeunes garçons kidnappés avec leur consentement par leur père en 1998. Une décision prise alors que la justice venait d’accorder à leur mère le droit de garde. Pendant 11 ans, les deux enfants ont vécu avec leur père en cavale, jusqu’à ce que la police les retrouve en 2009. Le film est porté par une photographie splendide qui exalte la beauté de la nature synonyme aussi paradoxalement d’enfermement, la liberté devenant ici la prison du fils qui va vivre un parcours initiatique (remarquable Zacharie Chasseriaud) pour trouver sa propre définition de « la belle vie ». Une histoire racontée avec beaucoup de justesse.
Dans « La pièce manquante », de Nicolas Birkenstock, prix du jury jeunes, et un autre de mes coups de cœur de cette édition, un homme (Philippe Torreton), abandonné par sa femme, tente de dissimuler l'absence de celle-ci à son entourage. Il contraint également ses propres enfants au silence. Dès les premières minutes, la précision et l’intelligence de la mise en scène et de l’écriture happent notre attention, avec les images d’un bonheur familial dont l’inexplicable interruption n’apparaîtra alors que plus cruelle. Mêlant chagrin et légèreté avec beaucoup de délicatesse et de subtilité, Nicolas Birkenstock signe un film lumineux et émouvant sur la tristesse ravageuse de l’absence, porté par Philippe Torreton incarnant un personnage plus velléitaire que ceux auxquels il est habitué mais non moins magistralement interprété.
Enfin, dans « Le Sens de l'humour » de Maryline Canto (qui aurait d’ailleurs pu aussi s’appeler « Celui qui pleure a perdu »), le premier long métrage de la comédienne qui reçut le César du meilleur court métrage en 2005, cette dernière interprète Elise, une femme qui vit seule avec son fils, et avec le souvenir indélébile d'un homme trop vite disparu qui a laissé un vide et une tristesse immenses auxquels elle s’accroche quand le bonheur est à portée de main, un bonheur qui prend les traits d’un nouvel homme, Paul. Il s’accroche, Pau,l malgré ses paroles dures et définitives, celles d’une femme meurtrie par la perte et l’absence qui lui dit qu’elle ne l’aimera jamais. Mais Paul a le sens de l’humour, en plus de celui de l’amour, sans doute, et c’est ce qui le fera rester. Un sujet certes difficile mais traité avec beaucoup de délicatesse, évitant tout pathos, et n’en étant que plus bouleversant. Lors de l’avant-première, Maryline Canto a révélé que c’était en partie autobiographique, ce qui ne l’empêche pas d’avoir réalisé un film universel sur un sujet personnel, celui d’une femme libre, violente presque, parce que ivre de douleur, et d’autant plus bouleversante. Un personnage d’autant plus passionnant qu’il n’est pas immédiatement sympathique. Antoine Chappey, qui tient le rôle de Paul, possède toute la ferme douceur et la bonhomie nécessaires pour incarner cet homme charmant. Ce film est à mon sens le grand oublié du palmarès…
Le court métrage de Pierre Niney « Pour le rôle » a reçu une mention spéciale Ciné plus et le prix du jury jeunes. Ce court avait été réalisé dans le cadre de l’opération Talents Cannes Adami. Je vous ai souvent parlé de Pierre Niney, à ses débuts même, lors de son premier grand rôle dans « J’aime regarder les filles » puis dans « Comme des frères » et au théâtre dans « Un chapeau de paille d’Italie » et dans « Phèdre ». En plus de ses talents de comédien, il se révèle brillant scénariste et metteur en scène. Dans ce film, François se présente pour passer un casting. Au terme d’un entretien très étrange, il découvre qu'il est en réalité au cœur d'une mise en scène mystérieuse à laquelle il va être forcé de prendre part... La réalisation met avant tout en valeur les jeunes comédiens François Civil, Yann Sorton, Brice Hillairet, Noémie Merlant qui, tous, en quelques minutes, grâce à une judicieuse écriture, montrent toute une palette de jeu et excellent dans ce jeu de mise en abyme, double mise en abyme même, brillamment absurde, décalé (jusque dans le décor qui n’aurait pas déplu à Jacques Tati), un jeu de rôles (au propre comme au figuré) à la fois drôle et caustique, ludique et cruel, qui possède toute l’intelligence, l’acuité du regard de son jeune et talentueux auteur.
Je vous reparlerai bien entendu de ces films au moment de leurs sorties, ainsi que de deux programmés au festival que j’ai manqués et que j’irai voir en salles. Vous l’aurez compris, je vous recommande tous ceux précités…et de venir découvrir ce festival même s’il changera de dénomination l’année prochaine devenant le Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz (notez-le dès à présent dans vos agendas, la prochaine édition aura lieu du 7 au 11 octobre 2014), car l’essence, j’en suis certaine « restera ».
PALMARÈS DU 18e FESTIVAL INTERNATIONAL DES JEUNES RÉALISATEURS DE SAINT-JEAN-DE-LUZ
Du 8 au 12 octobre 2013 - 18e édition
Samedi 12 octobre 2013, à 19h00, a eu lieu la cérémonie de Clôture du 18e Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz, au cinéma Le Sélect.
Cette année le festival a encore battu son record d'affluence en comptabilisant plus de 5.000 entrées.
Le jury, présidé par André Dussollier, entouré des comédiens Alice David, Pascal Demolon, Sarah Kazemy et Aurélien Recoing, de la réalisatrice Audrey Estrougo et de la comédienne et réalisatrice Anne Le Ny a décerné les prix suivants :
CHISTERA DU MEILLEUR RÉALISATEUR
Ritesh BATRA
Pour le film THE LUNCHBOX (Inde)
Distribué par Happiness Distribution - Sortie en salles le 11 décembre 2013
CHISTERA DU MEILLEUR FILM
LE GÉANT ÉGOÏSTE de Clio Barnard (Royaume-Uni)
Distribué par Pyramide Distribution - Sortie en salles le 18 décembre 2013
CHISTERA DE LA MEILLEURE INTERPRÉTATION FÉMININE
Juliane KOHLER
Pour le film D'UNE VIE À L'AUTRE de Georg Maas (Allemagne)
Distribué par Sophie Dulac Distribution - date de sortie non déterminée
CHISTERA DE LA MEILLEURE INTERPRÉTATION MASCULINE
Irrfan KHAN
Pour le film THE LUNCHBOX de Ritesh Batra (Inde)
Distribué par Happiness Distribution - Sortie en salles le 11 décembre 2013
CHISTERA DU COURT MÉTRAGE
VÉHICULE ECOLE de Benjamin Guillard (France)
Le public s'est aussi exprimé à travers deux votes :
CHISTERA DU PUBLIC LONG MÉTRAGE
D'UNE VIE À L'AUTRE de Georg Maas (Allemagne)
Distribué par Sophie Dulac Distribution - date de sortie non déterminée
CHISTERA DU PUBLIC COURT MÉTRAGE
CE SERA TOUT POUR AUJOURD'HUI d'Elodie Navarre (France)
Le jury jeune, composé de 7 lycéens de la région, a choisi de décerner ses prix à :
CHISTERA DU JURY JEUNE LONG MÉTRAGE
LA PIÈCE MANQUANTE de Nicolas Birkenstock (France)
Produit par Juliette Sol / Stromboli Films / Le Bureau Films
CHISTERA DU JURY JEUNE COURT MÉTRAGE
POUR LE RÔLE de Pierre Niney (France)
Ciné + a choisi de distinguer :
CHISTERA + DU COURT MÉTRAGE
Parrainé par Ciné + qui achète le court-métrage pour diffusion
CLEAN de Benjamin Bouhana (France)
Mention spéciale POUR LE RÔLE de Pierre Niney (France)
site officiel : www.jeunes-realisateurs.com
Facebook du festival : Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz