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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Melville. Verneuil. Deray. Corneau. Les cinéastes qui ont donné ses lettres de noblesse au cinéma policier français. Un cinéma de codes, de genre, parfois manichéen, à dessein. Un cinéma avec ses héros, flics ou gangsters. Le cinéma que j’aime, parfois aveuglément, parfois pour ses défauts, pour ce manichéisme justement, réjouissant. Autant dire que j’attendais avec énormément d’impatience « La French » qui renouait avec ce cinéma d’antan, essentiellement à l’honneur dans les années 1970.
C’est justement dans les années 1970 que débute « La French », plus exactement en 1975, à Marseille. Pierre Michel incarné par Jean Dujardin est un jeune magistrat venu de Metz avec femme et enfants, nommé juge du grand banditisme à Marseille. Il décide de s’attaquer à la French Connection (dite « La French »), organisation mafieuse qui exporte l’héroïne dans le monde entier et en particulier à Gaëtan Zampa (Gilles Lellouche), figure emblématique du milieu et parrain intouchable contre lequel le juge Michel va partir en croisade.
Tous les ingrédients d’un grand film policier sont là : une fiction librement inspirée d’une histoire vraie connue et encore malgré tout auréolée de zones d’ombres, un décor très cinématographique, -Marseille-, le combat entre deux (anti)héros, le gangster et le juge, des seconds rôles forts, de vraies « gueules » de cinéma, une histoire placée sous le sceau de la tragédie.
Pour son deuxième long-métrage de fiction après « Aux yeux de tous » (Il a également réalisé un documentaire intitulé « Who’s the Boss : Boss of Scandalz Strategyz »), Cédric Jimenez s’est attelé à un projet pour le moins ambitieux, et pas seulement financièrement (21 millions d’euros). Toute la qualité du scénario écrit par celui-ci et sa compagne Audrey Diwan réside dans l’alternance de scènes spectaculaires et de scènes intimes, de scènes d’action et de scènes d’émotion, pareillement réussies. Les scènes d’émotion parsèment le film et n’en sont que plus touchantes quand le juge ou Zampa (plus rarement) baissent la garde.
Si le héros de l’histoire est indéniablement le juge, un homme droit, intègre jusqu’à l’obsession, son parcours est mis en parallèle avec celui de Zampa : intelligente construction dichotomique du film qui croise constamment ces deux destinées devenues indissociables. Leurs deux rencontres, dont l’une est filmée de telle sorte qu’elle semble avoir lieu dans les cieux, n’en ont que plus d’impact. Le Marseille des années 1970 est magnifiquement reconstitué et mis en lumière par Laurent Tangy. Le réalisateur, Cédric Jimenez, sait d’ailleurs d’autant mieux ce dont il parle qu’il est lui-même originaire de la cité phocéenne.
Lellouche et Dujardin sont parfaits, l’un dans le rôle du juge intègre, humain mais obstiné, faisant passer son devoir avant son intérêt, l’autre dans le rôle du « parrain » charismatique, Gilles Lellouche tout en puissance, impressionnant. Dujardin prouve une nouvelle fois sa capacité à incarner des personnages très différents mais surtout à être une figure du cinéma qui, justement, avait un peu disparu, celle qu’incarnaient Belmondo ou Delon, celle du personnage qui, flic ou voyou, emporte d’emblée la sympathie du public qui n’allait plus voir un film de Verneuil ou Deray mais le dernier Belmondo ou Delon ou Ventura tout comme, sans aucun doute, j’irai voir le prochain Dujardin. Dans les rôles secondaires, Benoît Magimel, Guillaume Gouix, Céline Sallette, Mélanie Doutey, Moussa Maaskri, Cyril Lecomte sont parfaits sans oublier Bernard Blancan, trop rare et qui trouve ici un nouveau rôle à sa (dé)mesure (pour ceux qui l’auraient oublié : prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2006 pour « Indigènes »).
Un « french » film doté des qualités que certains prêtent uniquement au cinéma américain, oubliant un peu vite ou méconnaissant l’histoire du cinéma français, riche de chefs d’œuvre du cinéma policier. Plus qu’un film policier, une page de notre Histoire (passionnantes scènes avec Gaston Defferre, sur son rôle trouble), un récit à la fois intime et spectaculaire palpitant, le film qui réconcilie les années 1970 avec le cinéma contemporain et qui plaira autant aux amateurs de l’un qu’aux amateurs de l’autre, mais aussi aux amoureux du cinéma de Scorsese (vers lequel lorgne évidemment Jimenez autant de par ses mouvements de caméra, la construction du film, son univers que l’usage de la musique, notamment, à noter, une bo remarquable) qu’à ceux de celui de Deray ou Verneuil. Bref, 2H15 à consacrer à « La French » et que vous auriez tort de ne pas passer dans la ville de « Borsalino » avec un face-à-face qui a la force du duo/duel Delon/Belmondo.
Synopsis : Après une dizaine d’années de non-productivité, Orel et Gringe, la trentaine, galèrent à écrire leur premier album de rap. Leurs textes, truffés de blagues de mauvais goût et de références alambiquées, évoquent leur quotidien dans une ville moyenne de province. Le problème : impossible de terminer une chanson. À l’issue d’une séance houleuse avec leurs producteurs, ils sont au pied du mur : ils ont 24h pour sortir une chanson digne de ce nom. Leurs vieux démons, la peur de l’échec, la procrastination, les potes envahissants, les problèmes de couple, etc. viendront se mettre en travers de leur chemin.
Je l’avoue, le talent incontestable des deux compères pour la procrastination, la nonchalance et le phrasé si singulier d’Orelsan m’ont plus d’une fois amusée et même il faut avouer que de certaines scènes se dégage une incongruité touchante comme celle dans laquelle intervient la propre grand-mère d’Orelsan. Elle n’est d’ailleurs pas la seule proche d’Orelsan à intervenir, il a également fait appel à ses amis d’enfance de Caen. Caen où se déroule l’intrigue (ou la non intrigue) devient un personnage à part entière et les deux anti-héros adoptent sa lenteur, ou inversement. Signalons aussi que Orelsan a été fortement aidé pour le scénario (par Stéphanie Murat) et par le célèbre chef opérateur Christophe Offenstein (aussi réalisateur de « En solitaire »)
Les deux anti-héros ne sont pas sans nous rappeler d’autres anti-héros du cinéma français comme dans « Marche à l’Ombre » de Michel Blanc. Dix titres originaux accompagneront la sortie du film le 9 décembre 2015. Même si quelques jours après, il ne me reste pas grand-chose de ce film, si ce n’est le bon rap final, forcément attendu tout au long du film, ce film parlera sans doute à une génération désabusée ou désenchantée, drôlement lucide ou lucidement drôle, qui rêvait en grand et qui a dû se résoudre à une « médiocrité » honnie pour tenter de vivre tant bien que mal dans une société qui ne permet pas toujours aux rêves de se concrétiser même si la fin nous montre qu’il ne faut jamais cesser de persévérer et d’y croire. Le duo de compères fonctionne indéniablement. Dommage que les personnages féminins ne soient que de pathétiques faire-valoir. Un film de génération qui, sans doute, ravira les fans du duo.
Spectre. 24ème James Bond. Le quatrième James Bond incarné par Daniel Craig après « Casino Royale » en 2006, « Quantum of solace » en 2008, « Skyfall » en 2012 en attendant le cinquième puisque Daniel Craig a déjà annoncé avoir signé pour le prochain. A nouveau, pour la deuxième fois après "Skyfall", c'est le réalisateur (notamment) du chef d'œuvre "Les Noces rebelles", Sam Mendes, qui est à la réalisation. Avec un budget estimé à 300 millions de dollars, Spectre est le James Bond le plus cher, ce qui devrait être rapidement rentabilisé au regard de son succès en salles (le meilleur démarrage en France avec ses 900 000 entrées comptabilisées le jour de sa sortie en France) et cela malgré de nombreuses critiques mitigées qui me laissent perplexe au regard de la réussite de ce « Spectre » dont je n’ai réalisé qu’une fois sortie de la salle qu’il durait 2H30 tant le temps a passé vite… Sans doute ces critiques s’expliquent-elles par une exigence de surenchères et rebondissements scénaristiques (que contenait le meilleur scénario de la franchise, « Casino Royale »), une lacune relative pourtant largement compensée par tout ce que contient ce 24ème Bond. Il ne faut pas oublier non plus que les producteurs du film ont été forcés de faire réécrire le script après le piratage de Sony, ce qui a radicalement changé le déroulement de l’intrigue, la transformant en une judicieuse mise en abyme puisque la surveillance mondialisée se trouve au centre de ce Bond palpitant et ombrageux aux ramifications arachnéennes.
Comme toujours haletant, le pré-générique se déroule en plan-séquence et sur les chapeaux de roue, dans une contrée lointaine, cette fois le Mexique lors de la fête des morts. Bond au bras d’une sublime créature se faufile à toute allure dans les rues grouillantes et animées de Mexico, affublé d’un masque de squelette, environné de simulacres de morts. D’emblée, le ton de ce nouveau Bond est donné. Sombre et sensuel. Sur lequel plane l’ombre de la mort. De spectres menaçants. (pléonasme?)
A Mexico, Bond tue un célèbre criminel, le mari de Lucia Sciarra (Monica Bellucci) avant d’infiltrer une réunion secrète révélant une redoutable organisation qui répond au doux nom de Spectre pour les intimes (signifiant "Service Pour l'Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l'Extorsion", en VO :"Special Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion") après avoir été démis de ses fonctions. Pendant ce temps, à Londres, Max Denbigh, le nouveau directeur du Centre pour la Sécurité Nationale, remet en cause les actions de Bond et l’existence même du MI6, dirigé par M (Ralph Fiennes).
Bond persuade alors Moneypenny (Naomie Harris) et Q (Ben Whishaw) de l’aider secrètement à localiser Madeleine Swann (Léa Seydoux), la fille de son vieil ennemi, Mr White, qui pourrait détenir le moyen de détruire Spectre. Fille de tueur et solitaire, Madeleine comprend Bond mieux que personne… Sa Madeleine (de Proust ?) qui lui rappelle ses propres blessures.
Depuis qu’il est incarné par Daniel Craig, James Bond est plus tourmenté, plus sombre, plus viril, plus glacial. Paradoxalement, plus humain, aussi. Le personnage a gagné en épaisseur en délaissant les stéréotypes du svelte dandy au sourire ravageur et carnassier aussi collectionneur de gadgets que de James Bond girls. Sixième acteur à incarner le célèbre héros de Ian Flemming, Daniel Craig est aussi à mon avis le meilleur, celui qui a apporté le plus d’épaisseur, de séduction brute, et de complexité au personnage. C’est ici dans cette complexité et non dans un scénario acadabrantesque que réside l’intérêt de ce nouveau James Bond. Un homme seul, un orphelin (doublement puisqu’il a aussi perdu M dans « Skyfall ») hanté par les démons du passé, par les morts et les ennemis qui ont jalonné sa route.
La mort, la solitude, la noirceur président ainsi à ce nouveau James Bond, plus tourmenté et ombrageux que jamais. Cela n’en est pas moins un flamboyant divertissement. Bond est ici « un cerf volant qui danse dans un ouragan ». L’accent est en effet plus que jamais mis sur sa solitude, soulignée par la réalisation inspirée de Sam Mendes. Bond traversant une place vide et grisâtre. Bond pour la première fois dans son appartement où sur le sol gisent des tableaux qu’il n’a pas pris le temps d’accrocher. Bond au milieu de grandes étendues désertiques. Bond passant sous des arbres décharnés. Bond qui traverse constamment des décors qui font écho à ses démons et sa solitude.
« Spectre » s’inscrit ainsi dans la continuité de « Skyfall », le retour aux sources qui, pour la première fois, évoquait l’enfance de Bond qui alors n’était plus une sorte de machine de guerre mais qui apparaissait pour la première fois comme un être de chair et de sang, construit par une blessure d’enfance. A nouveau, comme dans "Skyfall", il se retrouve confronté à un homme assoiffé de vengeance incarné par Christoph Waltz, manichéen comme tout méchant de Bond qui se respecte.
L’élégance de la réalisation, la pénombre et les ombres du passé qui planent constamment (a fortiori celles de M et Vesper) rendent ce « Spectre » particulièrement nostalgique et mélancolique. Dès le prégénérique, nous étions prévenus, « les morts sont vivants ». Cette mélancolie annoncée est corroborée par un générique tentaculaire étourdissant de noirceur et sensualité mêlées avec la voix déchirée et déchirante de Sam Smith qui interprète "Writing's on the Wall". Danse funèbre enivrante qui m’a immédiatement transportée dans l’univers sombrement envoûtant de ce nouveau Bond.
Les destinations plus ou moins exotiques qui caractérisent les James Bond n’ont pas été oubliées et nous passons en un rien de temps du Mexique à Londres, de Londres à Rome, de Rome à l’Autriche, de l’Autriche au Maroc…avant de revenir à Londres. La psychologie des personnages féminins n’atteint pas celle de Vesper dans « Casino Royale » mais Bond pour la première fois depuis Vesper se laisse attendrir. L’amour face à un monde qui se meurt. Les scènes avec Léa Seydoux (7ème française à incarner une James Bond girl) n’égalent ainsi pas la joute verbale entre Bond et Vesper dans « Casino Royale » et leur duel sensuel inoubliable mais apportent une touche d’émotion et de glamour. De même pour la scène d’amour avec Belluci dans la pénombre délicieusement inquiétante d’un palais romain, baigné d’opéra et de mort.
Ce Bond est aussi l’histoire d’une confrontation au passé. Le passé de son organisation. Le passé de Bond et ses fantômes qui ressurgissent. Son avenir n'est guère plus réjouissant, annoncé par son nom écrit en lettres rouges sang sur un mur, ajouté à une liste de morts.
Comme toujours l’interprétation de Daniel Craig mêle élégance et dureté, avec une pointe d'humour, même si la carapace se fissure doucement. Glamour, sombre, spectaculaire, sensuel, nostalgique, mélancolique, dominé par un personnage plus torturé, élégant, ténébreux et donc séduisant que jamais et par la réalisation particulièrement brillante de Sam Mendes, ce James Bond est un divertissement de qualité en plus d’un hommage aux anciens James Bond. Laissez-vous enserrer par cette pieuvre spectrale qui vous embarquera dans un périple sombrement fascinant et divertissant, une grisant tourbillon d'amour et de morts.
Sombre et solaire, ainsi pourrait-on définir « Le Prophète » de Roger Allers. Au programme du dernier Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (dont vous pouvez retrouver mon compte rendu, ici) figurait ainsi également un film d’animation que j’attendais de voir avec d’autant plus d’impatience que j’en avais découvert les premières images, dont la poésie m’avait captivée et fascinée, lors du Festival de Cannes. Cette séance « jeune public » a autant marqué les adultes que les enfants qui en ont certainement eu une lecture différente.
Synopsis : Sur l’île fictionnelle d’Orphalese, Almitra, une petite fille de huit ans, rencontre Mustafa, prisonnier politique assigné à résidence. Contre toute attente, cette rencontre se transforme en amitié. Ce même jour, les autorités apprennent à Mustafa sa libération. Des gardes sont chargés de l’escorter immédiatement au bateau qui le ramènera vers son pays natal. Sur son chemin, Mustafa partage ses poèmes et sa vision de la vie avec les habitants d’Orphalese. Almitra, qui le suit discrètement, se représente ces paroles dans des séquences oniriques visuellement éblouissantes. Mais lorsqu’elle réalise que les intentions des gardes sont beaucoup moins nobles qu’annoncées, elle fait tout son possible pour aider son ami. Arrivera-t-elle à le sauver ?
« Le Prophète » est un best-seller, universel et intemporel, de l’auteur libanais Khalil Gibran, c’est un recueil de 26 essais philosophiques rédigés en anglais dans une prose poétique. Ce livre a été traduit en plus de 40 langues et vendu à plus de 100 millions d’exemplaires ne cessant d’être réédité depuis sa première publication en 1923. Les sujets sont pourtant terriblement actuels, parfois tristement intemporels: l'intolérance, la libre pensée politique condamnée au silence quand elle dérange le régime en place, le choc émotionnel lié au deuil (la petite Almitra a perdu son père et, depuis, ne parle plus -tout cela est évoqué en filigrane-) mais aussi des thèmes plus fédérateurs comme l'amitié ou l'amour d'une mère pour sa fille.
Pour les producteurs, seule l’animation était capable de rendre le lyrisme intemporel du livre à l’écran. «L’animation nous semble être en quelque sorte la forme cinématographique la plus proche de la poésie » ont-ils ainsi déclaré. Au départ, le film était conçu comme une suite de courts-métrages animés, mais l’actrice et productrice Salma Hayek-Pinault, quand elle a rejoint le projet, s’est prononcée en faveur d’une trame narrative unique pour établir le lien entre chacun des « chapitres » inspirés par le chef-d’œuvre de Khalil Gibran. « Je voulais que le film soit encore plus important, encore plus unique », dit-elle. « J’ai proposé d’utiliser une histoire principale pour accompagner les poèmes et rendre ainsi le film plus accessible, plus familial." L’histoire permet de relier une suite de courts-métrages animés dont l’un est notamment réalisé par Joann Sfar (sur le mariage et le couple avec un tango chorégraphié par Philippe Découflé) et huit autres des plus grands noms de l’animation internationale que sont Tomm Moore, Michal Socha, Joan Gratz, Nina Paley, Bill Plympton, Mohammed Harib ainsi que Paul et Gaëtan Brizzi. Le long-métrage est une galerie de tableaux où les animateurs ont puisé dans les techniques picturales les plus anciennes. Huit des 26 poèmes du livre composent ainsi le scénario: L’Amour, le Travail, la Liberté, les Enfants, le Manger et le Boire, le Mariage, le Bien et le Mal et la Mort.
Pour imaginer ce fil conducteur, les producteurs se sont tournés vers Roger Allers, un scénariste-réalisateur plébiscité et réputé pour son travail sur certains dessins animés Disney qui ont remporté le plus de succès. Après avoir signé le scénario de « La Belle et la Bête » et d’ « Aladdin », il a réalisé le blockbuster « Le Roi Lion ». Il l’a également adapté pour la comédie musicale éponyme donnée à Broadway depuis de nombreuses années.
Le livre de Gibran aborde toutes les grandes questions de l’existence et prend une résonance toute particulière ces jours-ci. Il évoque ainsi l’amour et de la mort, les enfants et le travail. Voici quelques citations extraites du film :
« L’amour ne possède pas, ni ne veut être possédé. »
« Car la liberté n’est possible que lorsqu’elle n’est plus un but. »
« Le travail, c’est l’amour rendu visible. »
« Aimez- vous mais ne faites pas un lien d’amour : qu’il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de votre âme. »
« Car qu’est- ce que le mal sinon le bien torturé par sa propre faim et sa propre soif ? »
« La vie et la mort ne font qu’un, comme ne font qu’un la rivière et la mer. »
« Quand le bien a faim il cherche partout de quoi se nourrir. »
« Que me reste-t-il si je renie mes convictions les plus profondes. »
« Lorsqu’on aime un ami, on ne doit pas pleurer car ce qu’on aime en lui peut être plus clair en son absence. En amitié seule compte la profondeur de l’âme. »
La musique douce et envoûtante de Gabriel Yared (notamment) permet de lier ces différents chapitres et souligne magistralement le lyrisme et la poésie des mots et des images. J’ai entendu parfois (de la part d’adultes -sans doute insensibles à la poésie- et non d’enfants) que ce film était ennuyeux. Il est tout le contraire. Il nous touche en plein cœur et nous met du baume à l’âme, il nous emporte et nous élève. La musique, les personnages, les textes, tout contribue à l’ensorcellement du spectateur. A l’image d’Almitra, le spectateur effectue un parcours initiatique dont chaque étape exhale une poésie lyrique et fascinante. La fin, bouleversante, intelligemment polysémique, fera sourire les enfants et pleurer les adultes. Ajoutez à cela la voix douce du talentueux Mika, celle délicate de Salma Hayek et celle de Nicolas Duvauchelle et vous obtiendrez un divertissement brillant, passionnant, lyrique et poétique. Une adaptation qui était un vrai défi, relevé sans aucun doute avec pour résultat un film d'une grande délicatesse et des messages de paix, de tolérance qu'il est plus que jamais nécessaire de véhiculer. Une vibrante ode à la paix, à la tolérance et à la liberté à voir absolument.
Je vous laisse imaginer l’effet que produit ce texte magnifique prononcé par la voix de Mika (voir ci-dessous) et qui est à l'image de ce bijou d'animation, de bienveillance, d'humanisme et de poésie:
« Je vais te dire un secret, je me suis souvent envolé loin d’ici. Nous ne sommes emprisonnés ni par des murs ni par nos corps. Nous sommes des esprits, libres comme l’air. Pour être libres, il faut briser les liens avec lesquels on s’est soi-même enchainés. Quand l’amour te fait signe, il faut le suivre même si la route est difficile et abrupte. Les mots sont mes ailes et toi tu es mon messager. »
Sortie en salles: le mercredi 2 décembre 2015
A propos de Mika:
Je vous parle (trop) rarement de musique ici et je vais y remédier, le dernier article à ce sujet remontant au concert du groupe Archimède à Laval en début d'année mais je ne pouvais pas ne pas évoquer le nouvel album après avoir eu le plaisir d'assister à son concert privé à Paris au 1515 en 2010, 45 minutes de spectacle inoubliables, un concert lors duquel il avait déployé une énergie incroyable, un enthousiasme communicatif et bondissant, faisant oublier l'étroitesse de la scène où il était pourtant a priori impossible de danser ! (enfin pas pour lui...) Et quelle danse, toujours si savamment singulière, décalée et entraînante!
Ce furent 45 minutes de flamboyance entrecoupées, avec humour, de quelques allusions au volcan qui paralysait alors l'Europe ou d'incitation à chanter et danser, même auprès de Bernadette Chirac à qui il s'était directement adressé, présente en tant que représentante de la Fondation Hôpitaux de Paris au profit de laquelle était donné le concert.
Au-delà de sa voix éblouissante aux capacités vertigineuses (dont la tessiture couvrirait 4 octaves), au-delà de ses chansons pop qui se retiennent après une seule écoute et vous embarquent dans leur arc-en-ciel de couleurs et leur joie de vivre, au-delà et de son univers ludique, psychédélique, haut en couleurs, entre enfance et adolescence, ce qui me marque à chacune de ses interviews, c'est un sourire d'une belle candeur (un pudique masque pour dissimuler la mélancolie sous-jacente peut-être -que reflètent ses plus beaux titres-, et peut-être des blessures d'enfance et d'adolescence) mais surtout son humilité ainsi que son professionnalisme servi par une culture musicale époustouflante qu'il a si bien démontré dans "The Voice" dont il est un des 4 coachs. Il a ainsi notamment étudié au Royal College of Music de Londres.
"Life in Cartoon Motion", son premier album, fut en France l'album le plus vendu en 2007 et, en 2009, il avait vendu plus de 19 millions de disques dans le monde.
Par ailleurs, il ne prend pas de posture et assume pleinement ce que d'autres (les cyniques, les aigris) jugeront certainement obscène: un aspiration au bonheur et une envie de le transmettre d'une apparente naïveté (alors que d'autres se complaisent dans la morosité et le cynisme) et que, d'ailleurs, plus que le reflet d'une naïveté enfantine sont certainement, au contraire, davantage celui d'une maturité et d'une générosité.
Je me souviens de ce concert, volcanique, comme d'un bel instant dont l'éphémère a renforcé l'intensité et le plaisir, bref, un condensé métaphorique de l'existence en somme... Un concert qui donnait envie de faire de l'existence un film coloré avec, comme bande originale, le titre le plus connu ( qui avait terminé ce concert décidément trop court): "Relax".
Alors, évidemment, je ne pouvais que me précipiter sur son quatrième album sorti le 15 juin 2015, "No Place in Heaven" (qui succède au magnifique "The Origin of love", sorti en 2012 qui comprenait notamment le splendide "Underwater"), un nouvel album dont vous avez certainement d'ores et déjà entendu le single "Talk about you" (qui, systématiquement, me donne le sourire et une irrésistible envie de danser, allez voir le clip une fois de plus très cinématographique et coloré si vous ne l'avez pas encore visionné) et "Boum boum boum", le single sorti près d'un an avant la sortie de l'album.
Ce nouvel album a été enregistré à Londres et Los Angeles, co-réalisé par Gregg Wells. ll comprend 4 titres en français. Il a encore gagné en maturité et, plus que jamais, intègre son impressionnante culture musicale et la richesse de ses différentes cultures (Mika est britannico-libanais et a étudié au lycée français de Londres, il a également résidé en France), s'assumant pleinement.
Au fil des 14 titres de l'album, j'y retrouve ce mélange subtile de musiques pop et entraînantes ( réjouissant "No place in heaven") et de ballades mélancoliques, même romantiques (sublimes "Last party" et "Hurts" porté par le son envoûtant du piano, magnifique "Les baisers perdus"), et cette voix, toujours si inimitable, qui se fait cristalline, ensorcelante...
Alors, vous savez ce qu'il vous reste à faire si vous voulez assister à un vrai spectacle et voir en concert une des rares stars du 21ème siècle, terme souvent usurpé quand il en qualifie d'autres qui n'en sont que des simulacres mais dont il est pour moi l'incarnation. Allez le voir en concert, chanter, danser comme personne et vous ne pourrez qu'acquiescer et avoir envie de le suivre dans ce feu d'artifices musical...
C'était en 1970. 4, 7 millions de spectateurs avaient alors vu ce film produit par Alain Delon. Un film alors très médiatisé. Et pour cause : deux mythes du cinéma s'y retrouvaient pour la première fois, 28 ans avant que Patrice Leconte les réunisse à nouveau pour « Une chance sur deux ». Belmondo avait d'ailleurs reproché à Delon d'être deux fois sur l'affiche, en tant que producteur et en tant qu'acteur. Ce jeu et cette apparente concurrence entre les deux acteurs avaient même conduit Jacques Deray à s'arranger pour qu'ils aient exactement le même nombre de plans et il est vrai que les deux acteurs y sont autant l'un que l'autre à leur avantage...
Basé sur le roman « Bandits à Marseille » d'Eugène Saccomano, « Borsalino » est inspiré de l'histoire des bandits Carbone et Spirito dont les noms avaient finalement été remplacés en raison de leurs rôles pendant l'Occupation. On y retrouve, outre Delon et Belmondo, Nicole Calfan, Françoise Christophe, Corinne Marchand, Mireille Darc (qui fait une apparition remarquée) mais aussi Michel Bouquet, Julien Guiomar, Mario David, Laura Adani. Les dialogues sont signés Jean-Claude Carrière, co-scénariste avec Claude Sautet, Jacques Deray, Jean Cau. Rien de moins !
Début des années 30 à Marseille. Roch Siffredi (Alain Delon) sort de prison. Venu retrouver son amie Lola (Catherine Rouvel) il rencontre par la même occasion son nouvel amant François Capella (Jean-Paul Belmondo). S'ensuit une bagarre entre les deux rivaux, elle scellera le début d'une indéfectible amitié. Capella cherche à se faire une place dans la pègre marseillaise. Les deux truands vont ainsi se trouver et se respecter. De cette réunion va naître une association de malfaiteurs florissante puis une amitié à la vie, à la mort qui va leur permettre de gravir les échelons de la Pègre marseillaise !
D'un côté, Capella/Belmondo séducteur, désinvolte, bon vivant, aux goûts clinquants et aux manières cavalières. De l'autre Siffredi/Belmondo élégant, ambitieux, taciturne, froid, implacable, presque inquiétant. Deux mythes du cinéma face à face, côte à côte qui jouent avec leurs images. Parfois avec dérision (ah la scène de la baignade, ah la bagarre...), démontrant ainsi d'ailleurs l'humour dont ils savaient et savent faire preuve même celui dont ses détracteurs l'accusaient à tort d'en être dépourvu, même si dans le DVD on reconnaît plus volontiers cette qualité à Jean-Paul Belmondo et à Delon... sa générosité. Jouant avec leur image encore lorsqu'ils deviennent des gangsters stars sur le passage desquels on se détourne, et applaudis par la foule, comme ils le sont en tant qu'acteurs.
C'est aussi un hommage aux films de gangsters américains, aux films de genre, avec leurs voitures rutilantes, leurs tenues élégantes parfois aussi clinquantes (dont le fameux Borsalino qui inspira le titre du film), leurs femmes fatales mystérieuses ou provocantes, leurs lieux aussi folkloriques et hauts en couleurs que les personnages qui les occupent. En toile de fond la pittoresque Marseille, Marseille des années 30, sorte de Chicago française, Marseille luxueusement reconstituée que Deray filme avec minutie, chaleur, avec l'allégresse qui illumine son film influencé par l'atmosphère ensoleillée et chaleureuse de Marseille. Sa caméra est alerte et virevoltante et elle accompagne avec une belle légèreté et application quelques scènes d'anthologie comme celle de la fusillade dans la boucherie. Tout cela donne au film une vraie « gueule d'atmosphère » qui n'appartient qu'à lui. Et s'il n'y a pas réellement de suspense, Deray nous fait suivre et vivre l'action sans penser à la suivante, à l'image de Siffredi et Capella qui vivent au jour le jour; il ne nous embarque pas moins avec vivacité dans cette ballade réjouissante, autant teintée d'humour et de second degré (dans de nombreuses scènes mais aussi dans les dialogues, savoureux) que de nostalgie, voire de mélancolie suscitée par la solitude du personnage de Delon dont la majesté de fauve, parfois la violence, semblent être les masques de la fragilité. Et dont la solitude fait écho à celle de l'acteur, auréolé d'un séduisant mystère. Celui d'un fauve blessé.
Un film que ses deux acteurs principaux font entrer dans la mythologie de l'Histoire du cinéma, et qui joue intelligemment avec cette mythologie, ce film étant par ailleurs avant tout un hymne à l'amitié incarnée par deux prétendus rivaux de cinéma. Ce sont évidemment deux rôles sur mesure pour eux mais c'est aussi toute une galerie de portraits et de personnages aussi pittoresques que la ville dans laquelle ils évoluent qui constitue d'ailleurs un véritable personnage (parmi lesquels le personnage de l'avocat magistralement interprété par Michel Bouquet). Un film avec un cadre, une ambiance, un ton, un décor, deux acteurs uniques. Et puis il y a l'inoubliable musique de Claude Bolling avec ses notes métalliques parfois teintées d'humour et de violence, de second degré et de nostalgie, d'allégresse et de mélancolie, de comédie et de polar entre lesquels alterne ce film inclassable.
« Borsalino » fut nommé aux Golden Globes et à l'ours d'or. Quatre ans plus tard Jacques Deray réalisera Borsalino and co, de nouveau avec Alain Delon, sans connaître le même succès auprès du public et de la critique. Reste un film qui, 40 ans après, n'a rien perdu de son aspect jubilatoire et semble même aujourd'hui encore, pour son habile mélange des genres, en avoir inspiré beaucoup d'autres. Imité, rarement égalé. En tout cas inimitable pour ses deux personnages principaux que ses deux acteurs mythiques ont rendu à leur tour mythiques, les faisant entrer dans la légende, et dans nos souvenirs inoubliables, inégalables et attendris de cinéphiles.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Guillaume Gallienne, vous pourrez difficilement l’oublier après avoir vu « Les Garçons et Gauillaume, à table ! ».
« Jet set », « Fanfan la tulipe », « Narco », « Fauteuils d’orchestre », « Le concert », « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », « Sagan », « Marie-Antoinette » , tels sont quelques-uns des films dans lesquels ce Sociétaire de la Comédie Française a joués jusqu’à présent mais rien de comparable avec « Les garçons et guillaume, à table ! », adaptation du spectacle éponyme de Guillaume Gallienne qui en est le chef d’orchestre…et l’orchestre puisqu’il en signe le scénario, la mise en scène…et deux des rôles principaux (dans son spectacle, il incarnait tous les rôles). Pour son premier film, il ne s’est donc pas facilité la tâche.
Guillaume Gallienne a déjà reçu de multiples récompenses pour ce film, outre ses César, notamment à la Quinzaine des réalisateurs, où je l’ai vu la première fois, et où il a été acclamé, puis au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix Michel d’Ornano, où je l’ai vu, et avec au moins autant de plaisir, une deuxième fois…et où il a été à nouveau ovationné (cf ma vidéo ci-dessus). Il a également reçu le prix du public au Festival du Film francophone d’Angoulême.
Ne vous arrêtez donc pas à ce titre de série B qui ne vous semblera plus du tout l’être une fois que vous aurez vu le film, le titre se justifiant alors parfaitement. C’est ainsi que sa mère les appelait, son frère et lui, pour qu’ils viennent dîner : « Les Garçons ET Guillaume, à table ! ». A part déjà. Tout un programme. Très efféminé, il a toujours été considéré par tout le monde comme la fille que sa mère n’a jamais eue, enfin surtout par lui-même, fasciné par cette mère à qui il aurait tant aimé ressembler. Un amour fusionnel (le fond rejoignant alors la forme puisqu’il interprète son rôle) dont il va peu à peu dénouer les fils pour apprendre à savoir qui il est et aime vraiment...
Cela débute dans la loge d’un théâtre, celle de Guillaume Gallienne qui se (dé)maquille, enlève son masque de clown (triste ?) avant d’entrer en scène. A nu. La salle retient son souffle. Nous aussi. Dès le début, il happe notre attention et emporte notre empathie, par son autodérision, son écriture précise, cinglante, cruelle et tendre à la fois, ne ressemblant à aucune autre. Puis sa voix, posée et précise comme s’il lisait une partition, nous emporte dans son tourbillon de folie, de dérision, de lucidité tendre et caustique : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »
Et s’il ne s’est pas facilité la tâche, c’est parce que non seulement il interprète le rôle de sa mère, aimante (trop ou mal peut-être), sachant rester élégante tout en étant vulgaire, masquant sa tendresse derrière un air revêche et des paroles (fra)cassantes, mais parce qu’il joue aussi son propre rôle… à tous les âges ! Avec un talent tel qu’on oublie d’ailleurs rapidement et totalement qu’il n’a pas l’âge du personnage. La magie du cinéma. Et le talent d’un grand acteur, à tel point qu’il en devient follement séduisant malgré son allure parfois improbable.
Gallienne multiplie les mises en abyme et effets narratifs suscitant ainsi un comique de situation en plus de celui du langage qu’il manie avec une dextérité déconcertante et admirable, et qu’il aime visiblement d’un amour immodéré, comme sa mère, à la folie même, avec pour résultat un rythme effréné, un film sans temps mort, d’une drôlerie ravageuse au moins autant que la tendresse et l’émotion qui nous cueillent aux moments parfois les plus inattendus, à l’image d’un autre clown, à la canne et au chapeau melon, qui savait nous bouleverser autant que nous faire rire.
Dommage que deux scènes cèdent à la facilité, notamment une avec Diane Krüger, alors que, auparavant, jamais le film n’essayait d’être consensuel ou de répondre aux codes de la comédie. L’interprétation réjouissante nous les fait néanmoins regarder avec indulgence tant la performance de Gallienne est exceptionnelle, y compris dans cette scène et du début à la fin, avec des scènes d’anthologie, sans parler de rôles secondaires tout aussi réjouissants notamment celui incarné par Françoise Fabian, la grand-mère fantasque et doucement folle.
Ce film est aussi et avant tout une déclaration d’amour fou à sa mère (quel personnage !) et aux femmes dont il aime et scrute jusqu’à la respiration, mais aussi aux mots, avec lesquels il jongle admirablement, et au théâtre, qui libère, et même au cinéma avec les codes duquel il s’amuse ici. Même s’il lorgne parfois du côté d’Almodovar, Woody Allen ou de Wilder (avec une réplique finale comme un écho à son « nobody’s perfect »), ce film peut difficilement être plus personnel tout en étant universel et il faut sans aucun doute une tonne de talent et de sensibilité pour transformer son mal être en film burlesque, en ce rafraichissant plaidoyer pour la différence (qui n’est jamais militant), en film aussi atypique, inclassable que celui qui en est l’auteur et l’acteur. Un grand auteur et un très grand acteur. Et une comédie tendre et caustique à voir absolument.
Walt Kowalski ( oui, Kowalski comme Marlon Brando dans « Un tramway nommé désir » ), Walt Kowalski (Clint Eastwood) donc, ancien vétéran de la guerre de Corée et retraité de l’usine Ford de Détroit, a tout pour plaire : misanthrope, raciste, aigri, violent, cynique, irascible, intolérant. Et très seul. D’autant plus que lorsque débute l’intrigue, il enterre sa femme méprisant autant ses enfants et petits-enfants que ceux-ci le dédaignent. Enfin, seul… ou presque : il est toujours accompagné de la fidèle Daisy, son labrador, de son fusil, de sa voiture de collection, une splendide Gran Torino qu’il ne se lasse pas d’admirer depuis la terrasse de son pavillon de Détroit, de ses bières et ses douloureux souvenirs indicibles. La dernière volonté de sa femme était qu’il aille se confesser mais Walt ne fait confiance à personne ni à un prêtre (Christopher Carley) qui va le poursuivra inlassablement pour réveiller sa bonne (ou mauvaise) conscience pour susciter sa confession, ni à sa famille et encore moins ses voisins, des immigrants asiatiques qu’il méprise et qui lui rappellent de cruelles blessures. Jusqu’au jour où, sous la pression d’un gang, un adolescent Hmong, le fils de ses voisins, le jeune, timide -et lui aussi solitaire et incompris- Thao (Bee Vang), tente de lui voler sa voiture, ce à quoi il tient le plus au monde. Et lorsque le gang s’attaque à Thao, Walt s’attaque au gang non pas pour le défendre mais pour les chasser de son jardin. Sur ce malentendu, ayant ainsi défendu Thao, malgré lui, il devient ainsi le héros du quartier. Sue (Ahney Her), la sœur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Ce dernier va alors lui confier des travaux d’intérêt général. Et peu à peu, en apprenant à se comprendre, le timide adolescent aux prémisses de son existence, et le misanthrope, aux dernières lueurs de la sienne, vont révéler un nouveau visage, et emprunter une nouvelle route…
« Gran Torino » est un film multiple et fait partie de ces films, rares, qui ne cherchent pas l’esbroufe et à vous en mettre plein la vue mais de ces films qui vous enserrent subrepticement dans leur univers pour vous asséner le coup de grâce au moment où vous y attendiez le moins, ou plutôt alors que vous vous y attendiez. Mais pas de cette manière. Oui la grâce. Coup de grâce dans tous les sens du terme.
Multiple parce qu’il est aussi drôle que touchant, passant parfois de l’humour à l’émotion, du comique au tragique en un quart de seconde, dans une même scène. La scène où son fils et sa belle-fille viennent fêter son anniversaire est à la fois redoutablement triste et drôle.
Multiple parce qu’il réunit tous les clichés du film manichéen pour subtilement et mieux s’en départir. Et après le justement très manichéen et excessivement mélodramatique « L’Echange » on pouvait redouter le pire, surtout que ce sujet pouvait donner lieu aux pires excès.
Multiple parce que derrière cette histoire de vétéran de la guerre de Corée c’est aussi celle d’un mythe du cinéma américain qui fait preuve d’autodérision, répondant à ses détracteurs, exagérant toutes les tares qui lui ont été attribuées et les faisant une à une voler en éclats mais créant aussi un personnage, sorte de condensé de tous ceux qu’il a précédemment interprétés. Souvent des hommes en marge, solitaires, sortes de cowboys intemporels. Et ce Kowalski ressemble un peu à l’entraîneur de « Million Dollar Baby », lui aussi fâché avec sa famille et la religion. Mais aussi à l’inspecteur Harry. Ou même au Robert Kincaid de « Sur la route de Madison » dont il semble pourtant être aux antipodes.
Multiple parce que c’est à la fois un film réaliste (les acteurs Hmong sont non professionnels, « Gran Torino » est ainsi le premier scénario de Nick Schenk –coécrit avec Dave Johannson- qui a travaillé longtemps dans des usines au milieu d’ouvriers Hmong, peuple d’Asie répartie dans plusieurs pays avec sa propre culture, religion, langue) et utopique dans son sublime dénouement. C’est aussi à la fois un thriller, une comédie, un film intimiste, un drame, un portrait social, et même un western.
Evidemment nous sommes dans un film de Clint Eastwood. Dans un film américain. Evidemment nous nous doutons que cet homme antipathique va racheter ses fautes, que la Gran Torino en sera l’emblème, qu'il ne pourra rester insensible à cet enfant, à la fois son double et son opposé, sa mauvaise conscience (lui rappelant ses mauvais souvenirs et ses pires forfaits) et sa bonne conscience (lui permettant de se racheter, et réciproquement d'ailleurs), que la morale sera sauve et qu’il finira par nous séduire. Malgré tout. Mais c’est là tout l’immense talent de Clint Eastwood : nous surprendre, saisir, bouleverser avec ce qui est attendu et prévisible, faire un film d’une richesse inouïe et polysémique à partir d’une histoire qui aurait pu se révéler mince, univoque et classique, voire simpliste. D’abord, par une scène de confession qui aurait pu être celle d’un homme face à un prêtre dans une Eglise, scène qui aurait alors été convenue et moralisatrice. Une scène qui n’est qu’un leurre pour que lui succède la véritable scène de confession, derrière d’autres grilles. A un jeune garçon qui pourrait être le fantôme de son passé et sera aussi le symbole de sa rédemption. Scène déchirante, à la fois attendue et surprenante. Ensuite et surtout, avec cette fin qui, en quelques plans, nous parle de transmission, de remords, de vie et de mort, de filiation, de rédemption, de non violence, du sens de la vie. Cette fin sublimée par la photographie crépusculaire de Tom Stern (dont c’est la septième collaboration avec Clint Eastwood, cette photographie incomparable qui, en un plan, vous fait entrevoir la beauté évanescente d'un instant ou la terreur d'un autre) qui illumine tout le film, ou l’obscurcit majestueusement aussi, et par la musique de Kyle Eastwood d’une douceur envoûtante nous assénant le coup fatal.
Deux bémols : la VF que j’ai malheureusement dû subir est assez catastrophique et le grognement de chien enragé qu’émet inlassablement Walt, probablement excessif dans la VO devient totalement ridicule dans la VF. Et cette scène inutilement explicative face au miroir dans laquelle Walt dit qu’il se sent plus proche de ses voisins asiatiques que de sa famille. Les scènes précédant celle-ci avaient suffi à nous le faire comprendre. Dommage d’avoir ici dérogé à l’implicite et l’économie de dialogue que Clint Eastwood sait aussi bien manier.
Mais ces deux "défauts" sont bien vite oubliés tant vous quittez ce film encore éblouis par sa drôlerie désenchantée, à la fois terrassés et portés par sa sagesse, sa beauté douloureuse, sa lucidité, sa mélancolie crépusculaire, entre ombre et lumière, noirceur et espoir, mal et rédemption, vie et mort, premières et dernières lueurs de l'existence. Le tout servi par une réalisation irréprochable et par un acteur au sommet de son art qui réconciliera les amateurs de l’inspecteur Harry et les inconditionnels de « Sur la route de Madison » et même ceux qui, comme moi, avaient trouvé « Million dollar baby » et « L’Echange » démesurément grandiloquents et mélodramatiques. Si, les premières minutes ou même la première heure vous laissent, comme moi, parfois sceptiques, attendez…attendez que ce film ait joué sa dernière note, dévoilé sa dernière carte qui éclaireront l’ensemble et qui font de ce film un hymne à la tolérance, la non violence (oui, finalement) et à la vie qui peut rebondir et prendre un autre sens (et même prendre sens!) à chaque instant. Même l'ultime. Même pour un homme seul, irascible, cynique et condamné à mort et a priori à la solitude. Même pour un enfant seul, timide, a priori condamné à une vie terne et violente.
Un film qui confirme le talent d’un immense artiste capable de tout jouer et réaliser et d’un homme capable de livrer une confession, de faire se répondre et confondre subtilement cinéma et réalité, son personnage et sa vérité, pour nous livrer un visage à nu et déchirant. Une démonstration implacable. Un film irrésistible et poignant. Une belle leçon d’espoir, de vie, d’humilité. Et de cinéma…