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critique - Page 46

  • Avant-première – Critique de « Comme des frères » de Hugo Gélin avec Pierre Niney, François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry…

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    Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année  (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…

     « Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.

    Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d'ailleurs présentait aussi cette qualité:  « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l'homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.

     Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache  lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…

     Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.

     Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité  de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.

     Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.

    De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n'en  savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu'une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.

    Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d'ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et riche d'espoirs, cet hymne à l'amitié et la comédie tendrement mélancolique de l’année.

    En salles le 21 novembre 2012

  • Avant-première - Critique d’« Animal kingdom » de David Michôd

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    Vous l’aurez peut-être remarqué, ces derniers temps, j’ai publié moins de critiques de films à l’affiche sur inthemoodforcinema.com, d’abord faute de coups de cœur cinématographiques sur lesquels j’ai décidé, plus que jamais, de me concentrer mais aussi parce que je me consacre désormais surtout à mon blog In the mood for Cannes afin qu’il soit le plus exhaustif possible et afin de  vous permettre de suivre ce 64ème Festival de Cannes le mieux possible, que vous y soyez ou non.

    J’avais néanmoins très envie de vous parler d’un premier film australien qui sort en salles mercredi prochain et qui a reçu le grand prix du jury au Festival de Sundance 2010 et le prix de la critique internationale au Festival de Beaune 2010 (ce qui confirme d’ailleurs la qualité de la sélection de ce festival et mon envie d’y faire un tour l’année prochaine).

    Direction l’Australie donc, plus précisément Melbourne, là où vit la famille Cody, criminelle de son état. Josh, (James Frecheville) un neveu éloigné, vient de perdre sa mère d’une overdose. Il va aller vivre chez les Cody  avec qui sa mère avait coupé les liens et qu’il ne connaît pas.

    Cette première scène nous plonge d’emblée dans l’atmosphère du film. Josh, en apparence impassible, regarde la télévision tandis que sa mère, morte d’une overdose, git à ses côtés. Il va alors se retrouver parmi ses oncles Pope (Ben Mendelsohn), Craig (Sullivan Stapleton) et Darren (Luke Ford), et sa grand-mère Smurf (Jacki Weaver), animal égaré parmi ces prédateurs dont la grand-mère est la reine incontestée.

    James Frecheville, dans ce qui est son premier rôle, campe un adolescent maladroit, velléitaire, peu loquace, à l’apparence d’un homme et au regard d’enfant,  qui va se retrouver plongé dans un cercle infernal. Il devra choisir son camp. Sortir de la violence, de ce cercle infernal justement, en aidant la police et en trahissant sa famille. Ou défendre sa famille jusqu’au bout. A moins qu’il n’y ait une troisième voie… David Michôd fait de cet anti-héros en apparence imperturbable, presque fantomatique, un personnage aussi opaque qu’étrangement attachant, incarnant une sorte d’innocence brute.

    Vous le savez si vous suivez ce blog, j’affectionne tout particulièrement le polar et ne supporte pas qu’on le massacre comme ce fut le cas avec un film français récemment. Le scénariste et réalisateur David Michôd, fasciné par la criminalité à Melbourne, qui a porté son sujet pendant 9 ans, ne cherche heureusement pas ici à singer ses prédécesseurs mais il s’en imprègne pour nous plonger dans son propre univers, celui d’une ville de Melbourne, sous la photographie remarquable d’Adam Arkapaw, une ville en apparence ensoleillée, mais glaciale à l’image de cette famille en apparence normale mais glaçante.  La grand-mère, mélange de louve qui couve ses fils et de lionne aux griffes acérés, a une apparence chaleureuse, affable et souriante mais ne s’en révèle que plus redoutable et diabolique.

    Si, malgré cela, je n’ai pas été totalement embarquée, c’est sans doute en raison de la bande-annonce (un modèle du genre, d’une force émotionnelle redoutable) et en raison d’un synopsis officiel que j’avais eu le malheur de lire avant la projection et qui, je trouve, fait attendre un film différent, un mélange entre « Les Infiltrés » et le cinéma de James Gray (dont il n’a pas la force lyrique) créant une déception, non en raison de ce que le film lui-même serait décevant mais différent de ce à quoi la bande-annonce et le synopsis nous font attendre. Ils laissent également entendre une relation plus étroite entre la police et Josh. D’ailleurs, dommage que le personnage de Guy Pearce (qui incarne l’inspecteur Leckie) ne soit pas plus développé.

    « Animal factory » vaut néanmoins largement le détour pour sa galerie de portraits, pour son atmosphère de violence insidieuse (jamais esthétisée néanmoins, souvent brutale mais sans effusions de sang)  et sa tension latente : la menace plane, l’étau se resserre, la tragédie implacable tisse sa toile, le royaume des animaux est sauvage et sans pitié, prédateurs indomptés, indomptables mais aussi apeurés dont le roi est une reine que vous n’oublierez pas de si tôt comme la fin, certes sans surprises, mais non moins d’une suffocante et implacable évidence. Dans ce royaume-là, une vraie jungle : dévorer ou être dévoré, il semble n’y avoir d’autre choix. Allez voir ce polar désespéré (tout de même nommé 18 fois aux AFI Awards 2010, équivalent australien de nos César) largement au-dessus de la moyenne, un premier film qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Un réalisateur à suivre.

    A suivre : un concours vous permettant de remporter 10x2 places pour découvrir « Animal kingdom » en salles.

     

  • Critique de "La femme d'à côté" de François Truffaut ce soir sur Ciné Cinéma Star à 20H40

    Ce soir, ne manquez pas un classique de François Truffaut de 1981: "La femme d'à côté", à 20H40 sur CinéCinémaStar .

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    François Truffaut, avec Alain Resnais, Claude Sautet,  Woody Allen, Alfred Hitchcock fait partie de ces cinéastes dont j’aime tous les films sans exceptions. J’ai d’abord découvert « Le Dernier Métro », « La Femme d’à côté », « L’Histoire d’Adèle.H »,  « La Mariée était en noir » avant la série des Antoine Doinel, puis « La Peau douce »  et je me souviens encore à quel point « La Femme d’à côté » m’avait marquée la première fois. Je l’ai revu bien souvent depuis et notamment avant-hier, à l’occasion de sa rediffusion sur Arte. Cette critique est la première d’une série que je consacrerai au cinéaste.

    Bernard Coudray (Gérard Depardieu) et Mathilde Bauchard (Fanny Ardant) se sont connus et aimés follement, passionnément, douloureusement, et séparés violemment, sept ans plus tôt. L’ironie tragique du destin va les remettre en présence lorsque le mari de Mathilde, Philippe Bauchard (Henri Garcin), qu’elle a récemment épousé, lui fait la surprise d’acheter une maison dans un hameau isolé, non loin de Grenoble, dans la maison voisine de celle qu’occupent Bernard, son épouse Arlette (Michèle Baumgartner), et leur jeune fils. (Une fenêtre sur cour que l’admirateur et grand connaisseur d’Hitchcock qu’était Truffaut n’a d’ailleurs certainement pas choisie innocemment.) Bernard et Mathilde taisent leur  passé commun à leurs époux respectifs et vont bientôt renouer avec leur ancienne passion.

    A mon sens,  personne d’autre que Truffaut n’a su aussi bien transcrire les ravages de la passion, sa cruauté sublime et sa beauté douloureuse, cette « joie » et cette « souffrance » entremêlées. Si : dans un autre domaine, Balzac peut-être, dont Truffaut s’est d’ailleurs inspiré, notamment pour « Baisers volés » (« Le Lys dans la vallée ») ou « La Peau douce » (Pierre Lachenay y donne ainsi une conférence sur Balzac). L’amour chez Truffaut est en effet presque toujours destructeur et fatal.

    La femme d’à côté est cette étrange étrangère au prénom d’héroïne de Stendhal, magnifiquement incarnée par la classe, l’élégance, le mystère, la voix ensorcelante et inimitable de Fanny Ardant, ici impétueuse et fragile, incandescente, ardente Fanny.

    Truffaut dira ainsi : "J'ai volontairement gardé les conjoints à l'arrière-plan, choisissant d'avantager un personnage de confidente qui lance l'histoire et lui donne sa conclusion : "Ni avec toi, ni sans toi ".  De quoi s'agit-il dans la "La Femme d'à côté" ? D'amour et, bien entendu, d'amour contrarié sans quoi il n'y aurait pas d'histoire. L'obstacle, ici, entre les deux amants, ce n'est pas le poids de la société, ce n'est pas la présence d'autrui, ce n'est pas non plus la disparité des deux tempéraments mais bien au contraire leurs ressemblances. Ils sont encore tous deux dans l'exaltation du "tout ou rien" qui les a déjà séparés huit ans plus tôt. Lorsque le hasard du voisinage les remet en présence, dans un premier temps Mathilde se montre raisonnable, tandis que Bernard ne parvient pas à l'être. Puis la situation, comme le cylindre de verre d'un sablier, se renverse et c'est le drame."

    Le rapport entre les deux  va en effet se renverser à deux reprises. Bernard va peu à peu se laisser emporter par la passion, à en perdre ses repères sociaux, professionnels et familiaux, à en perdre même la raison, toute notion de convenance sociale alors bien dérisoire. Le tourbillon vertigineux de la passion, leurs caractères exaltés, leurs sentiments dans lesquels amour et haine s’entremêlent, se confondent et s’entrechoquent vont rendre le dénouement fatal inévitable.  Chaque geste, chaque regard, chaque parole qu’ils échangent sont ainsi empreints de douceur et de douleur, de joie et de souffrance, de sensualité et de violence.

    Truffaut y démontre une nouvelle fois une grande maîtrise scénaristique et de mise en scène. Après « Le Dernier Métro » , la fresque sur l’Occupation avec ses nombreux personnages, il a choisi ce film plus intimiste au centre duquel se situe un couple, sans pour autant négliger les personnages secondaires, au premier rang desquels Madame Jouve (Véronique Silver), la narratrice, sorte de double de Mathilde, dont le corps comme celui de Mathilde porte les stigmates d’une passion destructrice. Elle donne un ton apparemment neutre au récit, en retrait, narrant comme un fait divers cette histoire qui se déroule dans une ville comme il y en a tant, entre deux personnes aux existences en apparence banales, loin de la grandiloquence d’Adèle.H, mais qui n’ en a alors que plus d’impact, de même que ces plans séquences dans lesquels le tragique se révèle d’autant plus dans leur caractère apparemment anodin et aérien. A l’image des deux personnages, la sagesse de la mise en scène dissimule la folie fiévreuse de la passion, et ce qui aurait pu être un vaudeville se révèle une chronique sensible d’une passion fatale. D’ailleurs, ici les portes ne claquent pas: elles résonnent dans la nuit comme un appel à l’aide, à l’amour et à la mort.

     Deux personnages inoubliables, troublants et attachants, interprétés par deux acteurs magnifiques. Truffaut aurait songé à eux pour incarner cette histoire, en les voyant côte-à-côte lors du dîner après les César lors desquels  « Le Dernier Métro » avait été largement récompensé.

    Il fallait un talent démesuré pour raconter avec autant de simplicité cette histoire d’amour fou, de passion dévastatrice, qui nous emporte dans sa fièvre, son vertige étourdissant et bouleversant, comme elle emporte toute notion d'ordre social et la raison de ses protagonistes. Un film qui a la simplicité bouleversante d’une chanson d’amour, de ces chansons qui « plus elles sont bêtes plus, elles disent la vérité ».

    Ce film sorti le 30 septembre 1981 est l’avant-dernier de Truffaut, juste avant « Vivement Dimanche » dans lequel Fanny Ardant aura également le rôle féminin principal.

    Un chef d’œuvre d’un maître du septième art : à voir et à revoir.

     Pour retrouver d’autres critiques de classiques du septième art sur « In the mood for cinema », rendez-vous dans la rubrique « Gros plan sur des classiques du septième art ».

  • Critique de « The Town » de Ben Affleck : l’étau de Charlestown

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    Il y a deux ans, Ben Affleck présentait son premier film en tant que réalisateur, en avant-première, à Deauville :« Gone baby gone »  inspiré du roman éponyme de Denis Lehane relatant l’enquête après la disparition d’une petite fille de 4 ans dans une banlieue pauvre de Boston, plus exactement à Dorchester, le plus grand et le plus hétéroclite des quartiers de Boston, à travers le regard de deux jeunes détectives privés interprétés par Casey Affleck et Michelle Monaghan. Avec ce premier film, Ben Affleck avait choisi d’explorer les bas-fonds voire les tréfonds obscurs et secrets de ce quartier de Boston.

    Etrangement, malgré un passage à Paris, ce n’est pas à Deauville mais à Venise et uniquement que son deuxième film en tant que réalisateur, le très attendu « The town » a été présenté (hors compétition), malgré l’accueil chaleureux qui avait été réservé au premier en Normandie en 2007 et malgré le thème de ce second film parfaitement en adéquation avec ceux de cette édition 2010 du Festival de Deauville : des films  relevant souvent de l’étude sociologique. Par ailleurs, « The town » aurait amené cette petite touche événementielle qui faisait cruellement défaut à cette 36ème édition du Festival du Cinéma Américain.

    C’est de nouveau à Boston que nous entraîne Ben Affleck, plus précisément dans le quartier de « Charlestown » surnommé « The town », un quartier réputé pour son nombre record de braquages de banques et dans lequel la population se divise entre ceux qui y contribuent et ceux qui font régner la loi. Doug MacRay (Ben Affleck), comme beaucoup d’habitants du quartier a été choisi par le crime plus qu’il ne l’a choisi, son père étant lui-même un ancien braqueur.  Lors d’un casse, Doug et sa bande prennent en otage la directrice de la banque, Claire Keesey (Rebecca Hall, découverte dans « Vicky Cristina Barcelona » de Woody Allen.)
    Relâchée indemne mais profondément marquée, Claire sait qu’elle risque des représailles mais elle ignore que le jeune Doug qu’elle rencontre à la laverie automatique est un de ses ravisseurs…. Pendant que le FBI mène l’enquête et se rapproche de plus en plus de la piste de Doug et sa bande, ce dernier et Claire se rapprochent aussi de plus en plus.

    The Town est adapté du best-seller de Chuck Hogan, Prince of the thieves.

    Dès les premiers plans, la camera tourne autour du quartier de Charlestown l’emprisonnant dans son cadre comme les protagonistes le sont par  ce lieu qui les a vu naitre et grandir et qui les condamne à y mourir, souvent prématurément. Condamnés à une vie plus subie que choisie qui les dédouane d’une part de responsabilité, Charlestown incarne le déterminisme social et Doug la possibilité d’y échapper. C’est sa rencontre avec Claire qui va le conduire sur le chemin de la rédemption après une première chance avortée et une carrière de hockeyeur brisée par la violence. James (Jeremy Renner) incarne (brillamment) son double, celui qui choisira l’autre route et pour qui il n’en existe aucune autre.

     Des thèmes que l’on retrouve notamment dans le cinéma de James Gray même si Ben Affleck n’atteint pas toujours la même subtilité dans les scènes les plus intimistes, notamment dans l’histoire d’amour qui manque parfois de subtilité mais dont l’impossibilité apparente et la tension (il semble impossible qu’elle puisse être amoureuse de celui qui est la cause de la terreur de sa vie) apportent piment et originalité.  Lorsqu’il s’agit de courses poursuites ou de susciter le sentiment d’urgence, l’adrénaline, le danger, la maîtrise du réalisateur est en revanche flagrante et la tension palpable.

     « The town » est certes moins âpre et angoissant que « Gone baby gone » mais on retrouve cette  réalisation sobre et parfaitement maîtrisée et ce même souci de réalisme. Ben Affleck confirme être un des réalisateurs de polars avec qui il va falloir compter, avec une mise en scène de facture certes classique mais respectant les codes du genre et bien ancrée dans un lieu et son époque.  On retrouve cette même étanchéité entre le bien et le mal, le crime et l’innocence que dans « Gone baby gone » qui écarte pareillement « the town » du classique thriller manichéen.

    Comme dans « Gone baby gone », Ben Affleck soigne ses rôles secondaires aux visages marqués par la violence, la souffrance, l’aigreur. On pourrait lui reprocher quelques baisses de rythme qui sont néanmoins davantage la marque de son style (la mise en relief des personnages et intrigues secondaires) que de réelles lacunes.

    Gageons qu’avec son prochain film «  Arizona », Ben Affleck parviendra lui aussi à s’échapper de Boston, prendre son envol, et tirer profit d’un horizon riche de possibles que laisse entrevoir ce deuxième film plus que prometteur.

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2010 Pin it! 2 commentaires
  • Critique de « Amore » (Io sono l’amore) de Luca Guadagnino: peinture sublime, haletante et bouleversante d'un cinéaste cinéphile

    « Amore » (Io sono l’amore) de Luca Guadagnino était projeté en avant-première du Festival Paris Cinéma 2010, un film sublime, haletant, bouleversant pour lequel j'ai eu un véritable coup de coeur. Il ne sort que mercredi prochain (22 septembre) en salles mais je tenais à vous en parler dès maintenant. Vous n'aurez aucune excuse pour passer à côté de ce petit bijou, déjà sélectionné à Sundance à Venise.

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    Pour la première avant-première publique du Festival Paris Cinéma 2010, les organisateurs nous avaient réservé une belle surprise avec ce film italien qui débute dans la demeure des Recchi, grande famille industrielle lombarde, à l’heure d’un tournant pour la famille puisque le fondateur de l’entreprise lègue l’affaire familiale à son fils Tancredi et à l’un de ses petits fils, Edouardo. Emma (Tilda Swinton), l’épouse de Tancredi, qui l’a épousé des années auparavant pour échapper à sa vie en Russie, rencontre Antonio, un cuisinier, ami de son fils par lequel elle va être immédiatement attirée…

    Dès les premiers plans : la ville de Milan alors inhabituellement grisâtre et enneigée, ce repas aux rituels et au rythme d’un autre temps, les plans silencieux et les couloirs interminables qui évoquent la monotonie suffocante de l’existence d’Emma…, Luca Guadagnino nous plonge dans une atmosphère d’une intemporelle étrangeté. Elégante, digne, laissant à peine affleurer sa  mélancolie, Emma semble être à la fois présente et absente, un peu différente (malgré son souci apparent des conventions sociales). Sa rencontre avec Edouardo, et d’abord avec sa cuisine filmée avec sensualité qu’elle déguste avec gourmandise, va progressivement la transformer. Une passion irrépressible va s’emparer d’elle : pour cette cuisine qui réveille ses sens et pour Antonio, le jeune cuisinier.

    « Amore » est un film foisonnant : de références, de sensations, d’intentions, de styles. Brillantes références puisque « Amore » cite ostensiblement  «Le  Guépard » de Visconti que ce soit par le nom d’un des personnages « Tancredi » qui rappelle Tancrède (le personnage d’Alain Delon dans « Le Guépard ») , la famille Recchi rappelant celle des Salina, mais aussi par l’opportunisme et la fin d’une époque que symbolise Tancredi qui vend son entreprise pour cause de globalisation à des Indiens pour qui « Le capitalisme c’est la démocratie » tout comme le Prince de Salina laissait la place à Tancrède et à une nouvelle ère dans « Le Guépard ». A ce capitalisme cynique et glacial s’oppose la cuisine généreuse et colorée par laquelle Emma est tellement séduite.

     Puis de Visconti nous passons à Hitchcock. Le film glisse progressivement vers un autre genre. La musique de John Adams se fait plus présente, la  réalisation plus nerveuse. Emma arbore un chignon rappelant celui de Kim Novak dans « Vertigo » auquel une scène fait explicitement référence. La neige laisse place à un éblouissant soleil. Emma est transfigurée, libérée, moins lisse mais enfin libre comme sa fille qui comme elle échappera aux archaïques principes familiaux et sera transformée par l’amour.

    Malgré ses maladresses (métaphore florale un peu trop surlignée à laquelle Jean Renoir –comme bien d’autres- avait déjà pensé dans « Une Partie de campagne »), ce film m’a littéralement happée dans son univers successivement étouffant puis lumineux, elliptique et énigmatique et même onirique. Il est porté par Tilda Swinton, qui interprète avec retenue et classe ce personnage mystérieux que la passion va faire revivre, renaitre, retrouver ses racines, sa personnalité enfouies et par la richesse de son personnage qui va se libérer peu à peu de toutes contraintes : vestimentaires, physiques, familiales, sociales.

    De chronique sociale, le film se transforme en thriller dont on sait le drame imminent mais qui ne nous surprend pas moins. Les dix dernières minutes sont réellement sublimes et d’une intensité inouïe. Riches de symboles (comme cette chaussure que Tancrèdi remet à Emma, la renvoyant à cette contrainte sociale, alors que Edouardo lui avait enlevé avec sensualité l’y faisant échapper),  de douleurs sourdes (d’Emma mais aussi du troisième enfant de la famille, que la caméra comme le reste de la famille tient à l’écart), de révoltes contenues que la musique (qui rappelle alors celle d’Hermann dans les films d’Hitchcock), les mouvements de caméra saccadés, les visages tendus portent à leur paroxysme, nous faisant retenir notre souffle.

    La caméra d’abord volontairement distante puis sensible puis sensuelle de Guadagnino épouse les atermoiements du cœur d’Emma et crée intelligemment une empathie du spectateur pour cette dernière. Un film de sensations (visuelles, sonores -que ce soit dans l’utilisation judicieuse de la musique ou des silences-, et presque gustatives) visuellement magnifique, envoûtant, sensible, sensuel, onirique,  prenant, l’œuvre d’un cinéphile et d’un cinéaste qui nous enserre dans son univers avec une rare maestria. A voir absolument.

    Sortie nationale : 22/09/2010

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  • Critique de « Johnny Guitar » de Nicholas Ray (1954) -actuellement sur TCM- : western atypique et flamboyant

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    Etonnamment, par un ignominieux oubli de ma part, aucun western ne figure encore dans la rubrique « Gros plan sur des classiques du septième art », bien que les westerns soient pourtant (avec les films policiers) à l’origine de ma passion pour le cinéma. J’ai donc décidé d’y remédier en commençant par un des chefs d’œuvre du genre : « Johnny Guitar », un western  de Nicholas Ray (« La fureur de vivre »…) datant de 1954.

    Tout commence dans une de ces vallées aussi majestueuses qu’hostiles. Un homme assiste à une attaque de diligence. Il n’intervient pas. Il porte en bandoulière une guitare d’où son surnom de « Johnny Guitar » (Sterling Hayden).  Il se rend dans un saloon (Que serait un western sans saloon et sans ses clients aux visages patibulaires affalés sur le bar derrière lequel se trouve toujours un barman –en général vieux, suspicieux et maugréant- ?) où il a été engagé pour jouer de la guitare. Là, pas de clients aux visages contrariés ni de barman antipathique. Un barman, certes, mais plutôt sympathique, et des croupiers. Et une femme dont le saloon porte le nom et qui en est la propriétaire : Vienna (Joan Crawford).  Le frère d’Emma, une riche propriétaire, (Mercedes McCambridge), a été tué dans l’attaque de la diligence. Emma et d’autres propriétaires terriens, viennent au saloon pour arrêter Vienna, accusant la bande du Dancing kid (Scott Brady), à laquelle Vienna est très liée, d’être à l’origine de l’attaque. Ils donnent 24h à Vienna et ses amis pour partir. Mais pour Vienna ce saloon représente toute sa vie et elle refuse de quitter les lieux. Johnny Guitar se révèle avoir été l’amant d’Emma cinq ans auparavant tandis que le Dancing kid est amoureux d’elle. La situation se complique encore quand la bande du Dancing kid attaque la banque. Vienna, suspectée d’en être la complice, devient alors le bouc-émissaire des fermiers en furie, menés par Emma qui voit là l’occasion rêvée d’abattre sa rivale…

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    Dans ce simple résumé, on peut déjà voir que « Johnny Guitar » s’affranchit des règles du western classique. Contrairement à ce que son titre pourrait indiquer, le véritable protagoniste n’est pas un homme et ce n’est pas ici l’éternel duel entre deux hommes liés par une haine farouche, immédiate ou séculaire, mais entre deux femmes : Vienna et Emma.

    Vienna, c’est donc Joan Crawford, d’une beauté étrange et irréelle, au seuil de son déclin,  dont les lignes du visage, non moins splendides, ressemblent à des lames tranchantes et fascinantes. Indomptable (en général dans les westerns les femmes sont des faire-valoir destinés à être « domptés »), déterminée, fière, forte, indépendante, aventurière, c’est Vienna la véritable héroïne du film que Joan Crawford incarne brillamment. Face à elle, Emma, aigrie, jalouse, enfermée dans ses principes.

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    Mais là n’est pas la seule originalité de « Johnny Guitar ». Derrière l’apparente opposition classique et manichéenne des westerns des bons contre les méchants se cache une subtile critique du Maccarthysme dont Nicholas Ray fut lui-même victime. Les fermiers en furie qui lynchent  aveuglément symbolisent la commission Mac Carthy souvent aveuglée par la haine et la suspicion. Sterling Hayden était lui-même passé devant la commission. Nicholas Ray aurait même délibérément  confié  à Ward Bond le rôle de chef des lyncheurs. Ce dernier était ainsi lui-même membre de "Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals" qui avait activement participé à la « chasse aux sorcières ».

    Mais, même sans cela, « Johnny Guitar » serait un chef d’œuvre. Dès les premières minutes, la tension est palpable, renforcée par l’intensité du jeu et de la présence de Joan Crawford, et elle ne cessera de croître jusqu’au dénouement : classique duel final, mais non pas entre deux hommes donc mais entre les deux femmes. Les dialogues sont aussi des bijoux de finesse où s’exprime toute la nostalgie poignante d’un amour perdu qui ne demande qu’à renaitre de ses cendres. A côté de Vienna, Johnny Guitar représente une présence douce et forte, qui n’entrave pas sa liberté et non le macho cynique conventionnel des westerns.

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     Et que dire de ces plans, somptueux, ensorcelants, d’une beauté littéralement à couper le souffle : celui de Joan Crawford, dans sa robe blanche, virginale, jouant du piano, tel un animal sauvage et impérial réfugié dans son saloon assimilé à une grotte, face à la population vêtue de noir, des « vautours » prêts à fondre sur elle (une scène magistrale à la fois violemment et cruellement sublime) ; celui où elle apparaît pour la première fois en robe dans l’encadrement d’une fenêtre, soudainement à fleur de peau et fragile ; où de cette scène au clair de lune, réminiscence mélancolique de leur amour passé. Ou encore de ce brasier qui consume le saloon en même temps que leur amour tacitement se ravive. Des scènes d’une rare flamboyance (au propre comme au figuré)  pendant lesquelles les hommes et la nature se déchaînent avec des couleurs étonnantes (liées au procédé Trucolor qui fut ensuite abandonné).

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    Drame, splendide histoire d’amour, parabole politique, bien plus qu’un western, « Johnny Guitar » est un chef d’œuvre atypique, lyrique et baroque, sombre et flamboyant. D’ailleurs de Godard à Almodovar en passant par Truffaut, nombreux sont les cinéastes à l’avoir cité dans leurs films. Je vous laisse deviner lesquels… En attendant profitez de sa diffusion sur TCM pour le voir ou le revoir.

    Prochaines diffusions de « Johnny Guitar » sur TCM :

    Mardi 31 août à 18H45

    Vendredi 3 septembre à 11H35

    Dimanche 5 septembre à 20H40

    Mardi 7 septembre à 18H45

    Dimanche 12 septembre à 13H55

  • Critique – « Tête de turc » de Pascal Elbé avec Roschdy Zem, Pascal Elbé, Ronit Elkabetz…

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    Il y a quelques semaines, dans les locaux de la Warner, en partenariat avec Allociné, était organisée une projection en avant première de « Tête de turc » suivie d'une Master class avec Pascal Elbé et Roschdy Zem (voir toutes mes vidéos de la master class en cliquant ici).

    Pour cette première réalisation, Pascal Elbé s'est confronté à un genre particulièrement délicat : le film choral. S'y côtoient un adolescent de 14 ans, Bora ( Samir Makhlouf), un médecin urgentiste, Simon (Pascal Elbé), un flic en quête de vengeance, Atom (Roscdhy Zem), une mère qui se bat pour les siens, Sibel qui est aussi la mère de Bora (Ronit Elkabetz), un homme anéanti par la mort de sa femme (Simon Abkarian).

    Pascal Elbé est parti d'un fait divers tragique qui avait marqué les esprits : Mama Galledou, passagère d'un bus, brûlée vive à Marseille, en 2006. Ici, ce n'est pas la passagère d'un bus mais Simon, médecin urgentiste qui est grièvement blessé suite à un jet de cocktail molotov sur sa voiture. Le jeune qui le sauve, Bora, est aussi un de ceux responsables de « l'accident ». Emmené aux urgences, Simon ne peut donner suite à l'appel qu'il venait de recevoir ; celui d'un homme dont la femme vient d'avoir un grave malaise et qui décèdera faute d'intervention. Le veuf n'a ensuite plus qu'une idée en tête :  se venger, de même que le frère de Simon, flic dont le passé n'est pas non plus exempt de zones d'ombres et qui veut retrouver ceux par qui sont frère a été agressé...

    Par un tragique engrenage de la fatalité, ces destins vont être liés les uns aux autres et dépendre les uns des autres. Derrière les masques de chacun; Pascal Elbé laisse entrevoir les fêlures et parvient à rendre ses personnages particulièrement attachants, aidé en cela par un choix d'interprètes particulièrement soigné : de Simon Abkarian (dont le talent qui n'est plus à prouver nous fait regretter que son rôle ne soit pas plus étoffé), en mari vengeur aveuglé par le chagrin, à Ronit Elkabetz, en mère fière et digne, prête à tout pour que ses fils changent de condition en passant par Florence Thomassin qui interprète une amie de Sibel, mère découragée.

    Si le début nous laisse espérer un vrai thriller, le film s'oriente progressivement davantage vers le thriller social. Pascal Elbé a d'ailleurs rencontré des travailleurs sociaux, des urgentistes, des policiers pour donner à sa vision une couleur aussi juste possible même si l'objectif n'était pas le naturalisme. Que ce soit par la musique (signée Bruno Coulais) ou la photographie, son film révèle une vraie atmosphère visuelle et sonore. Même si, visuellement, « Tête de Turc » n'atteint pas le niveau de James Gray qu'il cite en brillante référence,  on retrouve ici les thèmes qui lui sont chers : la famille, le pardon, la trahison, le sentiment de culpabilité. Des hommes face à leur conscience.

    Pascal Elbé ne prend pas vraiment parti, délibérément, il dresse un constat dont une scène de dialogue dans une voiture entre les deux frères est particulièrement révélatrice mais aussi emblématique de l'image nuancée  que Pascal Elbé donne de la société contemporaine (il égratigne au passage l'emballement médiatique).  C'est à la fois la force et la faiblesse de son film. La force de donner la parole à chacun, de ne pas émettre un avis tranché, voire caricatural. La faiblesse de ne pas être allé plus loin, de ne pas oser davantage d'ailleurs à l'image du dénouement qui n'est pas à la hauteur d'une première partie pleine d'intensité et de promesses (que Pascal Elbé avait d'ailleurs su tenir jusqu'au bout dans ses scénarii précédents comme « Mauvaise foi » coécrit avec Roscdhy Zem ou « Père et fils »).  Peut-être n'a-t-il pas eu l'audace (mais aussi tout simplement l'envie) d'achever son film dans la noirceur. Avec un zeste d'audace et d'expérience supplémentaires, et avec la même bonne foi et conviction, son prochain film devra être suivi de très près. Avec d'aussi brillantes influences revendiquées (Gray, Inarritu, Haggis),  il ne lui reste qu'à approfondir son propre univers pour confirmer l'essai imparfait (mais à l'image de ses personnages, c'est aussi ce qui le rend attachant) et non moins prometteur.

     « Tête de Turc » a reçu le prix du cinéma 2010 de la Fondation Diane et Lucien Barrière.

    Le reste de l'actualité, c'est sur "In the mood for Cannes", "In the mood for Deauville", "In the mood for luxe".

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