Programme du 1er Festival de cinéma Effervescence de Mâcon (du 6 au 9 octobre 2016)
Voilà un nouveau festival qui devrait, dès sa première édition, trouver son public d'épicuriens et cinéphiles. Je vous ai souvent parlé ici du formidable Festival d’Annonay (il sert même de cadre à une des nouvelles de mon recueil, disponible en librairie dès demain). Le coordonnateur de ce nouveau festival joliment nommé Effervescence, est ainsi le directeur artistique du Festival International d’Annonay, Gaël Labanti, ce qui est aussi de très bon augure.
Le Festival Effervescence aura lieu à Mâcon au Cinémarivaux et débutera le jeudi 6 octobre au soir avec le film d’ouverture pour s’achever le dimanche 9 octobre par une cérémonie de clôture qui aura lieu à 20h. Ce Festival aura lieu tous les deux ans à la même époque (début octobre) selon le principe d’une biennale. Il a pour objectif de mettre en exergue les spécificités de son territoire, région d’eau, de vin, de bonne chère, de couleurs et de culture… qui constitue également la thématique centrale du festival : la qualité de la vie perceptible à travers nos cinq sens. Une certaine vision du bonheur…
Ce festival éclectique et épicurien (que rêver de mieux comme concept ?) aura donc pour principale thématique « les cinq sens au cinéma » et programmera tout au long de ces quatre jours des films visuellement impressionnants (de par leur photographie, décors, montage, costumes, …) ou bénéficiant d’une bande sonore et/ou musicale remarquable, ou bien encore des œuvres qui célèbrent la gastronomie sous toutes ses formes en mettant littéralement l’eau à la bouche des spectateurs.
Ce festival a pour objectif non seulement de faire découvrir aux spectateurs des œuvres de qualité (avec un souci de mêler films du patrimoine et films récents inédits, grands classiques et découvertes, le tout avec une exigence permanente de diversité dans les nationalités et les genres représentés), mais également leur permettre de rencontrer et d’échanger avec des professionnels du cinéma : réalisateurs, comédiens mais aussi des corps de métiers moins médiatisés mais tout aussi capitaux : décorateurs, directeurs de la photo, compositeurs de musiques de films, ingénieurs du son,…
Le festival propose également une expérience immersive au qui pourra non seulement voir des films mais également déguster des mets locaux ou en relation directe avec la programmation lors de buffets ou bien alors venir écouter des artistes de la scène musicale lors de soirées « after ». Bref, les spectateurs auront pleinement l’opportunité de mettre leurs cinq sens en action durant ces quatre jours organisés autour des notions de découverte, de curiosité et de plaisir.
Chaque film sera projeté en moyenne 2 fois, la programmation du Festival comportera donc 25 à 30 longs métrages. Pour cette première édition, une quinzaine de personnalités sera invitée. Issus du milieu du cinéma, Ils interviendront pour présenter leurs films et échanger avec le public directement dans la salle ou lors de master-class spécifiques.
Vous pourrez aussi vous amuser avec les joutes cinématographiques nationales ou encore assister à des concerts, master class. Bref, ne manquez pas ce bel évènement!
Voici ce beau programme, l’occasion de revoir des classiques ou de découvrir de nouveaux films que l’œil aiguisé de Gaël Labanti aura débusqué.
En bonus, à la fin de cet article, après le programme, mes critiques des excellents « Mr. Turner » et « Le temps de l’aventure » projetés dans le cadre du festival.
LA VUE / LE TOUCHER
« Plein les yeux »
Une sélection de films visuellement impressionnants. Rencontres avec des directeurs de la photo, chefs décorateur, monteurs, costumiers, responsables des effets spéciaux, restaurateurs, etc. Projections de films en 3D
BLIND / Norvège OF HORSES AND MEN / Islande 3000 NUITS / Palestine (avant-première) TAKE SHELTER / États-Unis JE ME TUE À LE DIRE / Belgique THE NEON DEMON / États-Unis / Danemark + BLANCANIEVES / Espagne (en amont du Festival)
L’OUIE
« L’oreille est hardie »
Une sélection de films avec une dimension sonore et /ou musicale remarquable. Rencontres avec des ingénieurs du son, bruiteurs, compositeurs de musiques, etc. Programmation d'un ciné-concert
NO LAND’S SONG / Iran THE BLUES BROTHERS (copie restaurée) / États-Unis MAX ET LENNY / France MERCENAIRE / France GIMME DANGER / États-Unis (avant-première) ALABAMA MONROE / Belgique FRANK / Irlande BLUE VELVET / États-Unis
L'ODORAT / LE GOÛT
« À s’en lécher les bobines »
Une sélection de films qui mettent « l'eau à la bouche ». Rencontres avec des chefs cuisiniers. Séances « projection / dégustation » Séances expérimentales en odorama
ENTRE LES BRAS / France VENDANGES / France TAMPOPO (copie restaurée) / Japon SUCRÉ SALÉ (copie restaurée) / Taiwan
SÉANCE QUINTESSENCE (en ouverture)
Projection d'un film qui arrive à combiner harmonieusement toutes ces facettes.
DELICATESSEN / France précédé du court-métrage UNE VIE ORDINAIRE de Sonia Rolland
SECTION « ADOLÉ-SENS »
HUGO CABRET (version 3D) / États-Unis LES SAPHIRS / Australie DANCING IN JAFFA / Israël LE GARÇON INVISIBLE / Italie LE GARÇON ET LE MONDE / Brésil MA VIE DE COURGETTE / France (avant-première)
LE SIXIÈME SENS
COMPÉTITION AVEC JURY
Une sélection de films inédits dont on pressent un succès possible. Attribution d'un Prix du public
QUAND JE NE DORS PAS / France REKORDER (inédit en France) / Philippines TAPIS ROUGE (inédit en France) / Suisse PIKADERO (inédit en France) / Espagne WEDDING DOLL (inédit en France) / Israël
SENS INTERDIT
GRAVE / France (avant-première)
LE SENS CACHÉ
Projection et analyse d'un film du patrimoine par un critique en partenariat avec Marcynéma
CLÉÔPATRE (copie restaurée) / États-Unis
UN FILM CARTE BLANCHE À L’EMBOBINÉ
MR TURNER / Royaume Uni
CÉLÉBRATION DES 40 ANS DES FICHES DE MONSIEUR CINÉMA
Films possibles selon le choix de Jérôme Bonnell : LE TEMPS DE L’AVENTURE ou À TROIS ON Y VA L’INVITATION (avant-première / à confirmer)
SÉANCE DES MEMBRES DU JURY
LE CHANT DU MERLE (France + 2 COURTS-MÉTRAGES : MATCH de Fanny Sidney et MON AMOUREUX de Daniel Metge
Autres événements hors Cinémarivaux
EXPOSITION D’AFFICHES à La Station des Sens SUR L’ÂGE D’OR DU PEPLUM (en partenariat avec Marcynéma)
MASTER CLASS / salle de conférence Hôtel Mercure Autour des métiers de l’image (vendredi 7) Autour des métiers du son (samedi 8)
AU CRESCENT / VENDREDI 7 OCTOBRE CINÉ-CONCERT ARFI LES RAISINS DE LA DÉRAISON précédé du court-métrage AU PAYS DE LAMARTINE (partenariat CINÉ MÉMOIRE)
A LA MAISON DES VINSDE MACON, le samedi 7 octobre Joutes cinématographiques ,de 9h à 12h et de 14h30 à 18 h
À LA CAVE À MUSIQUE / SAMEDI 8 OCTOBRE CONCERT DU GROUPE MAZALDA (en lien avec la projection du film NO LAND’S SONG)
À LA MÉDIATHÈQUE DE MÂCON / MARDI 4 OCTOBRE CONFÉRENCE AGORA SUR LA THÉMATIQUE « CUISINE ET CINÉMA »
AU THÉÂTRE - SCÈNE NATIONALE / MERCREDI 5 OCTOBRE ATELIER AUTOUR DU BRUITAGE SPECTACLE « BLANCHE NEIGE ET LA CHUTE DU MUR DE BERLIN » À LA MÉDIATHÈQUE DE MÂCON Ouverture documentaire sur la thématique des sens / tables de présentation + bibliothèque éphémère sur place (hall du cinéma ou lieu de convivialité)
SÉANCES DÉCENTRALISÉES EN AVAL DU FESTIVAL À TOURNUS ET À MATOUR
Invités:
SONIA ROLLAND / comédienne, réalisatrice (sous réserve) MARC CARO / réalisateur JEAN-PIERRE JEUNET / réalisateur (sous réserve) DARIUS KHONDJI / directeur photo ALINE BONETTO / accessoiriste (sous réserve) JEAN-CLAUDE DREYFUS / comédien DOMINIQUE PINON / comédien (sous réserve) GILLES PORTE / directeur photo SAMUEL LAHU / directeur photo FRED NICOLAS / réalisateur LUC MEILLAND / ingénieur son et compositeur SACHA WOLFF / réalisateur (sous réserve) ANNE GRANGE / productrice PAUL LACOSTE / réalisateur XAVIER SERON / réalisateur ADÉLAÏDE LEROUX / comédienne et membre du jury FANNY SIDNEY / comédienne et membre du jury SALOMÉ STÉVENIN / comédienne et membre du jury JÉRÔME BONNELL / réalisateur CÉDRIC KLAPISCH / réalisateur (sous réserve) FABRICE SOMMIER / sommelier JEAN-MICHEL CARRETTE / cuisinier PATRICK PRÉJEAN / comédien MICHAËL COHEN / réalisateur (sous réserve) FRÉDÉRIC BAILLIF / réalisateur (sous réserve) TOMMY WEBER / réalisateur JULIA DUCOURNAU / réalisatrice (sous réserve) NORBERT TARAYRE / chef cuisinier / séance décentralisée à Tournus (sous réserve) CLAIRE DIXSAUT / universitaire, écrivain, bloggeuse
Pour en savoir plus, retrouvez le festival sur sa page Facebook, ici, et bientôt son site internet: www.festivaleffervescence.fr.
Critique - LE TEMPS DE L'AVENTURE de Jérôme Bonnell
"Le temps de l'aventure" est le 5ème long métrage réalisé par Jérôme Bonnell, six ans après sa belle peinture des âmes, son exquise esquisse de la solitude, « J’attends quelqu’un », qui m’avait fait si forte impression (dans lequel jouait d’ailleurs déjà Emmanuelle Devos), un film sur les savoureuses palpitations de l’attente, le bonheur du possible plutôt que celui de la certitude. La possibilité du bonheur, aussi : ce pourrait être d’ailleurs le titre de ce « Temps de l’aventure ».
Cela commence à Calais, avant l’entrée sur une scène de théâtre d’Alix, comédienne, (Emmanuelle Devos), qui joue une pièce d’Ibsen. Quelques minutes, palpitantes et angoissantes, à retenir son souffle, avant de se jeter dans l’arène. Avant de mettre le masque. Avant de devenir quelqu’un d’autre. Avant le temps de l’aventure. C’est finalement la métaphore de ce qu’elle sera et vivra le reste du film. Elle prend ensuite un train en direction de Paris. Dans le train, elle échange de furtifs regards avec un homme triste, un Anglais (Gabriel Byrne). A cet instant, il est juste un homme triste. Alix se rend ensuite à une audition (un des deux magistraux plans-séquences du film). Une véritable mise à nu. Puis elle remet le masque du jeu, décide s’en trop savoir pourquoi, aimantée, de retrouver « l’homme du train » dont elle a entendu par hasard la destination, et de jouer, d’oser, de se lancer dans l’aventure, de laisser libre cours à ses désirs…
Jérôme Bonnell a réussi à retranscrire ce qu’il y a sans doute de plus beau et de plus fragile dans l’existence : ces moments rares et fugaces où n’existe que le temps présent. Le bonheur en somme qui, parfois, surgit aux moments les plus inattendus ou terribles, et en est alors que plus précieux et exalté. Il dresse un magnifique portrait de deux êtres dans une situation de fragilité, « lost in translation », de ces situations qui conduisent aux belles et redoutables audaces, où le passé et l’avenir cèdent devant la force du présent.
Alix est presque une étrangère dans sa propre ville, perdue et libre à la fois, une actrice dont Paris est alors la nouvelle scène de théâtre, une scène qui la conduira à jouer mais aussi à tomber progressivement le masque. C’est palpitant comme un thriller. Notre souffle est suspendu à leurs regards, à leurs silences, à leurs pas qui peut-être ne se recroiseront plus.
C’est une belle journée d’été, un soir de fête de la musique et ils sont là et nulle part au milieu de cette frénésie et ce tourbillon. Le temps court mais pour eux il semble s’être arrêté. Le film est d’ailleurs aussi une très belle variation sur le temps, en plus de l’être sur le mensonge et la vérité, et le bonheur. Ce sont effet les « 24 heures de la vie d’une femme » coupée de tout ce qui nous relie habituellement à la réalité ou un semblant de réalité : téléphone, carte bleue et qui, peut-être, nous éloigne de l’essentiel. Ne plus pouvoir utiliser l’un et l’autre l’ancre encore plus dans le temps présent.
Ce film est plein de fragilité, de sensibilité, à fleur de peau, plein de délicatesse, aussi lumineux et solaire que son actrice principale qui irradie littéralement et dont la caméra de Jérôme Bonnell est amoureuse. Elle arrive à nous faire croire à cette rencontre qui aurait pu être improbable et à la magie éblouissante de l’instant présent (aidée par la qualité de l’écriture, aussi). Face à elle, Gabriel Byrne impose sa belle présence, emmuré dans le silence, parfois peut-être un peu trop mutique mais cela contribue aussi à son charme mystérieux. De leurs faces-à-faces exhale une émotion incandescente.
Ajoutez à cela une scène aussi hilarante et burlesque que terrible et douloureuse avec la sœur d’Alix et vous obtiendrez un petit bijou non formaté quand le cinéma nous donne de moins en moins d’histoires d’amour ou d’histoires d’amour qui ne soient pas mièvres ou caricaturales et quand le cinéma tend de plus en plus, à mon grand désarroi, à rentrer dans des schémas et quand les médias (les dits traditionnels et les autres d’ailleurs), semblent se contenter d’évoquer ces films-là. Non, il n’y a pas que les profs, gamins et autres amours et turbulences aux titres aussi originaux et subtils que leurs contenus.
Un film sur une passion éphémère (ou peut-être pas…) porté par une actrice étincelante et qui nous prouve que le bonheur peut parfois être un présent, un film qui laisse un goût d’éternité et nous donne envie d’arrêter le temps ou en tout cas de croire que le temps parfois peut s’arrêter, même quand, ou a fortiori quand, la réalité est douloureuse et implacable. « Le temps de l’aventure » est un hymne subtile et délicat au présent, au jeu aussi, à la vie qui peut en être un aussi. Un film d’une mélancolie solaire, une belle réflexion sur le bonheur et la vérité, avec un air truffaldien (plane d’ailleurs l’ombre d’un certain Antoine) qui m’a emportée et m’a accompagnée longtemps après le générique de fin avec le goût persistant de cette parenthèse enchantée, de tristesse et d’espoir mêlés. Finalement une sorte de mise en abyme ou de métaphore du cinéma, et de sa magie : l’espace de quelques minutes, nous faire croire au vol du temps suspendu. Et au spectateur de décider s’il veut y croire, si cela modifiera le cours de l’existence (la sienne et celle des personnages) ou non…
Critique de MR. TURNER de Mike Leigh
Dans ce nouveau film de Mike Leigh, Timothy Spall interprète le peintre Turner. Sans doute certains trouveront-ils qu’il cabotine ou que son jeu est maniéré, sans doute des intimes du peintre Turner qui savent mieux que quiconque qu’il ne se comportait pas ainsi, lequel, rappelons-le, est décédé en 1851. Simplement Timothy Spall a-t-il décidé d’esquisser, de composer un personnage tout comme, pour esquisser le portrait de Turner, Mike Leigh a dessiné une suite de saynètes/toiles d’une beauté renversante, éblouissante, captivante malgré la longueur du film, recourant à une lenteur finalement judicieuse pour nous faire apprécier cet artiste comme un tableau qui n’offre pas d’emblée toutes ses richesses au regard mais se dévoile peu à peu, à l’image de cet éléphant à peine visible au premier regard sur cette toile de Turner.
Le film et le personnage se construisent de paradoxes : entre l’extrême sensibilité que cet homme met dans son art et la rudesse de ses manières, entre les tourments qu’il exprime dans ses toiles et ceux qu’il ne parvient pas à exprimer autrement, réussissant à peindre les tempêtes qui s’agitent sur les océans et dans son crane mais jamais à les expliciter.
Mike Leigh s’est concentré sur les dernières années de l’existence du peintre britannique qui fut un artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts, vivant entouré de son père (qui fut aussi son assistant), et de sa dévouée (c’est un euphémisme) gouvernante (fantastique Dorothy Atkinson). Un tableau d’autant plus intéressant que, au-delà de sa saisissante beauté picturale, le parallèle est évident entre l’artiste peintre et l’artiste cinéaste, en particulier lorsque celui-ci subit les sarcasmes de l’establishment. Toute relation avec la réalité serait évidemment purement fortuite.
Mike Leigh nous éclaire sur le travail de Turner tout en ne cherchant pas à rendre sympathique cet homme sombre et parfois même repoussant et glacial ou en tout cas incapable de s’exprimer autrement qu’au travers de ses toiles ou par des borborygmes « inhumains ». Ce film nous laisse avec le souvenir de peintures et de plans qui se confondent, en tout cas d’une beauté à couper le souffle, et le souvenir de ce premier plan étincelant avec ce soleil prometteur, ce moulin, ces deux paysannes qui marchent en parlant flamand tandis que seul et/ou isolé (Turner fait lui-même la distinction entre la solitude et l’isolement, sans doute ressent-il la première sans être victime du second), en marge de la toile/de l’écran, le peintre s’adonne à son art, comme un miroir de celui qui le portraiture pour le cinéma (des « Ménines » de Velasquez version 21ème siècle, finalement).
Un film et un personnages à la fois âpres, rudes et sublimes d’une belle exigence dans les nuances des âmes autant que dans celles des teintes et des peintures.