Quinzaine des Réalisateurs 2022 - Critique de REVOIR PARIS de Alice Winocour
C’est dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs qu’a été projeté ce cinquième long-métrage d’Alice Winocour (également scénariste, de talent, notamment de Ordinary people et Mignonnes). En 2016, elle avait également fait partie du jury de la Semaine de la Critique.
A Paris, Mia (Virginie Efira) est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.
Cela commence par une fenêtre ouverte sur le monde (comme aurait dit Bazin) ou plutôt en l’occurrence une fenêtre ouverte sur les toits de Paris. Une femme arrose ses plantes, casse un verre. Elle répond à peine au « ça va » de son compagnon, semble mélancolique. Elle sursaute quand un jeune homme se jette sur une vitre du café dans lequel elle se trouve, comme si cela préfigurait le drame à venir. Il surviendra quelques minutes plus tard, terrassant, filmé à hauteur de victimes, sans jamais montrer les visages des assaillants. Tout juste nous dira-t-on qu’un des tueurs avait « une gueule d’ange ». Les bruits de mitraillettes sont terribles et assourdissants.
Nous retrouvons ensuite Mia. « La vie a repris ». Un gâteau d’anniversaire lui en rappelle un autre, celui qu’on avait apporté à un homme à la table en face de la sienne, juste avant que ne survienne l’horreur indicible. La mémoire traumatique est là, insatiable, épuisante, surgissant au moment les plus inattendus ou incongrus. Le temps est distordu. Pour les autres, Mia est devenue une « sorte de distraction », ou bien ils évacuent le sujet d’un lapidaire « Tu as l’air en pleine forme, cela fait plaisir. » Elle, tout ce qui lui reste de cette 1H48 cachée, ce dont des images et des sons épars, et le souvenir d’un tatouage de l’homme qui lui a tenu la main à la recherche duquel elle va partir.
Alors forcément, impossible de ne pas être bouleversée par ce Revoir Paris qui résonne en nous, que nous ayons vécu ce traumatisme ou un autre. Nous pensons à toutes ces âmes blessées pour qui « revoir Paris » doit être encore si difficile et qui y déambulent, anonymes, comme si de rien n’était, mais blessés dans leur chair et dans leur âme. La grande force de ce film est sa pudeur. L’émotion n’en est pas moins palpable. Quand on balaie les fleurs déposées en mémoire des victimes Place de la République, comme s’il s’agissait de vulgaires détritus, ou quand une jeune fille qui a perdu ses parents dans l’attentat cherche à retrouver dans le tableau éponyme le détail des Nymphéas figurant sur la carte qu’ils lui avaient envoyée, avant de mourir dans l’attentat.
Mais ce film, ce n’est pas seulement celle d’êtres brisés, c’est aussi celle d’êtres qui ensemble cheminent vers la reconstruction, qui tissent des liens et un chemin vers la lumière, qui après cela se posent les questions sur le bonheur, ou qui encore sans se connaître se sont tenus la main, au sens propre comme au sens figuré.
Si Mia « revoit » Paris, c’est aussi parce qu’elle la voit autrement, mais aussi qu’elle voit sa vie autrement. Elle souffre du trouble de « la mémoire récurrente involontaire » et va essayer de reconstituer les fils de cette effroyable soirée. Revoir Paris, c’est avant tout une histoire de résilience. Une fois de plus, Virginie Efira est troublante de justesse, de nuance, d’émotions, de force et fragilités mêlées. Force et fragilité mêlées, c’est aussi ce qui définit le personnage de Benoît Magimel.
Un film d’une rare sensibilité, celle qu’il fallait pour traiter de ce sujet si récent et présent dans les mémoires. Mais aussi un film sur la mémoire traumatique qui donne des visages à cette épreuve collective avec délicatesse et dignité. Un poignant élan de vie, de réconciliation (avec soi, le passé) et d’espoir.