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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Ce 8 septembre sortira en DVD et Blu-Ray le formidable MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan. Les deux éditions contiennent de nombreux bonus, dont la conférence de presse au Festival de Cannes 2019 et dix minutes de scènes coupées inédites. L'occasion de vous parler à nouveau de ce film qui fut un de mes grands coups de cœur de l'année 2019 et que j'avais eu le plaisir de découvrir dans le cadre du Festival de Cannes 2019.
Cette critique a été écrite suite à la projection du film dans le cadre du Festival de Cannes 2019.
L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée. Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.
Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix. Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.
Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.
Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences.
Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.
Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.
Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.
"J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.
Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.
Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime, jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.
Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria. Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.
Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.
Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare… Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».
La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".
Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle. Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.
Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.
En cette période pendant laquelle il est absolument vital de rester chez soi, mais aussi nécessaire de s'évader (en restant chez soi surtout), j’ai décidé de vous proposer chaque jour de découvrir un film, un film récent disponible en VOD ou un classique du cinéma à voir en VOD ou à la télévision.
C'est aujourd'hui l'anniversaire de Jean-Paul Belmondo. A cette occasion, j'ai choisi donc de vous parler de La Sirène du Mississipi de François Truffaut et de Itinéraire d'un enfant gâté de Claude Lelouch.
CRITIQUE - La Sirène du Mississipi de François Truffaut
Après mes critiques deBaisers volés (1969) et La Femme d’à côté (1981), je poursuis le cycle consacré à François Truffaut en remontant un peu dans le temps, avec La Sirène du Mississipi , un film sorti en 1969. Dédié à Jean Renoir, adapté, scénarisé et dialogué par Truffaut d’après un roman de William Irish intitulé Waltz into Darkness (pour acquérir les droits François Truffaut dut emprunter à Jeanne Moreau, Claude Lelouch et Claude Berri), c’est davantage vers le cinéma d’Alfred Hitchcock, que lorgne pourtant ce film-ci, lequel Hitchcock s’était d’ailleurs lui-même inspiré d’une nouvelle de William Irish pour Fenêtre sur cour. Truffaut avait lui-même aussi déjà adapté William Irish pour La mariée était en noir, en 1968.
Synopsis : Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo) fabrique des cigarettes à La Réunion. Il doit épouser Julie Roussel qu’il a rencontrée par petite annonce et dont il doit faire la connaissance le jour du mariage. Lorsqu’elle débarque à La Réunion, d’une beauté aussi froide que ravageuse, elle ressemble peu à la photo qu’il possédait d’elle. Elle lui affirme ainsi lui avoir envoyé un faux portrait, par méfiance. Peu de temps après le mariage, l’énigmatique Julie s’enfuit avec la fortune de Louis. Louis engage alors le solitaire et pointilleux détective Comolli (Michel Bouquet) pour la rechercher, et il rentre en France. Après une cure de sommeil à Nice, il retrouve Julie qui se nomme en réalité Marion (Catherine Deneuve) par hasard, elle travaille désormais comme hôtesse dans une discothèque. Il est déterminé à la tuer mais elle l’apitoie en évoquant son enfance malheureuse et ses sentiments pour lui qui l’aime d’ailleurs toujours… Commence alors une vie clandestine pour ce singulier couple.
Ce film connut un échec à sa sortie. Truffaut l'expliqua ainsi : « Il est aisé d’imaginer ce qui a choqué le monde occidental. La Sirène du Mississipi montre un homme faible (en dépit de son allure), envoûté par une femme forte (en dépit de ses apparences) ». Voir ainsi Belmondo ravagé par la passion qui lui sacrifie tout explique pour Truffaut l’échec du film. C’est vrai que ce film peut dérouter après Baisers volés, quintessence du style Nouvelle Vague. Son romantisme échevelé, sombre, voire désespéré (même si Doinel était déjà un personnage romantique) mais aussi son mélange des genres (comédie, drame, film d’aventures, film noir, policier) ont également pu dérouter ceux qui voyaient avant tout en Truffaut un des éminents représentants de la Nouvelle Vague.
Comme chacun des films de Truffaut La Sirène du Mississipi n’en révèle pas moins une maîtrise impressionnante de la réalisation et du sens de la narration, des scènes et des dialogues marquants, des références (cinématographiques mais aussi littéraires) intelligemment distillées et le touchant témoignage d’un triple amour fou : de Louis pour Marion, de Truffaut pour Catherine Deneuve, de Truffaut pour le cinéma d’Hitchcock.
Truffaut traite ainsi de nouveau d’un de ses thèmes de prédilections : l’amour fou, dévastateur, destructeur. Malgré la trahison de la femme qu’il aime, Louis tue pour elle et la suit au péril de sa propre existence… Après les premières scènes, véritable ode à l’île de La Réunion qui nous laisse penser que Truffaut va signer là son premier film d’aventures, exotique, le film se recentre sur leur couple, la troublante et trouble Marion, et l’amour aveugle qu’elle inspire à Louis. Truffaut traitera ce thème de manière plus tragique, plus subtile, plus précise encore dans L’Histoire d’Adèle.H, dans La Peau douce (réalisé avant La Sirène du Mississipi) notamment ou, comme nous l’avons vu, dans La Femme d’à côté ,où, là aussi, Bernard (Gérard Depardieu) emporté par la passion perd ses repères sociaux, professionnels, aime à en perdre la raison avec un mélange détonant de douceur et de douleur, de sensualité et de violence, de joie et de souffrance dont La sirène du Mississipi porte déjà les prémisses.
Bien qu’imprégné du style inimitable de Truffaut, ce film est donc aussi une déclaration d’amour au cinéma d’Hitchcock, leurs entretiens restant le livre de référence sur le cinéma hitchcockien (si vous ne l’avez pas encore, je vous le conseille vivement, il se lit et relit indéfiniment, et c’est sans doute une des meilleures leçons de cinéma qui soit). Les Oiseaux , Pas de printemps pour Marnie, Sueurs froides, Psychose, autant de films du maître du suspense auxquels se réfère La Sirène du Mississipi. Et puis évidemment le personnage même de Marion interprétée par Catherine Deneuve, femme fatale ambivalente, d’une beauté troublante et mystérieuse, d’une blondeur et d’une froideur implacables, tantôt cruelle, tantôt fragile, emprunte beaucoup aux héroïnes hitchcockiennes, à la fois à Tippie Hedren dans Pas de printemps pour Marnie ou à Kim Novak dans Sueurs froides notamment pour la double identité du personnage dont les deux prénoms (Marion et Julie) commencent d’ailleurs comme ceux de Kim Novak dans le film d’Hitchcock- Madeleine et Judy-.
A Deneuve, qui vient d'accepter le film, Truffaut écrivit : « Avec La Sirène, je compte bien montrer un nouveau tandem prestigieux et fort : Jean-Paul, aussi vivant et fragile qu'un héros stendhalien, et vous, la sirène blonde dont le chant aurait inspiré Giraudoux. » Et il est vrai qu’émanent de ce couple une beauté ambivalente et tragique, un charme tantôt léger tantôt empreint de gravité. On retrouve Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo dans des contre-emplois dans lesquels ils ne sont pas moins remarquables. Elle en femme fatale, vénale, manipulatrice, sirène envoûtante mais néanmoins touchante dont on ne sait jamais vraiment si elle aime ou agit par intérêt. Lui en homme réservé, follement amoureux, prêt à tout par amour, même à tuer.
A l’image de l’Antiquaire qui avait prévenu Raphaël de Valentin dans La Peau de chagrin à laquelle Truffaut se réfère d’ailleurs, Louis tombant par hasard sur le roman en question dans une cabane où ils se réfugient ( faisant donc de nouveau référence à Balzac après cette scène mémorable se référant au Lys dans la vallée dans Baisers volés), et alors que la fortune se réduit comme une peau de chagrin, Marion aurait pu dire à Louis : « Si tu me possèdes, tu possèderas tout, mais ta vie m'appartiendra ».
Enfin ce film est une déclaration d’amour de Louis à Marion mais aussi et surtout, à travers eux, de Truffaut à Catherine Deneuve comme dans cette scène au coin du feu où Louis décrit son visage comme un paysage, où l’acteur semble alors être le porte-parole du cinéaste. Le personnage insaisissable, mystérieux de Catherine Deneuve contribue largement à l’intérêt du film, si bien qu’on imagine difficilement quelqu’un d’autre interprétant son rôle.
Comme souvent, Truffaut manie l’ellipse avec brio, joue de nouveau avec les temporalités pour imposer un rythme soutenu. Il cultive de nouveau le hasard comme dans Baisers volés, film dans lequel il était le principal allié de Doinel, pour accélérer l’intrigue.
Alors, même si ce film n’est pas cité comme l’un des meilleurs de Truffaut, il n’en demeure pas moins fiévreux, rythmé, marqué par cette passion, joliment douloureuse, qui fait l’éloge des grands silences et que symbolise si bien le magnifique couple incarné par Deneuve et Belmondo. Avec La Sirène du Mississipi qui passe brillamment de la légèreté au drame et qui dissèque cet amour qui fait mal, à la fois "joie et souffrance", Truffaut signe le film d’un cinéaste et d’un cinéphile comme le fit par exemple également Pedro Almodovar avec Les Etreintes brisées.
La Sirène du Mississipi s’achève par un plan dans la neige immaculée qui laisse ce couple troublant partir vers son destin, un nouveau départ, et nous avec le souvenir ému de cet amour fou que Truffaut, mieux que nul autre cinéaste, a su retranscrire à l'écran.
Dix ans plus tard, Catherine Deneuve interprétera de nouveau une Marion dans un film de Truffaut, Le dernier métro, et sera de nouveau la destinataire d’ une des plus célèbres et des plus belles répliques de Truffaut, et du cinéma, que Belmondo lui adresse déjà dans La Sirène du Mississipi :
« - Quand je te regarde, c'est une souffrance.
- Pourtant hier, tu disais que c'était une joie.
- C'est une joie et une souffrance.''
Je vous laisse méditer sur cette citation et sur le chant ensorcelant et parfois déroutant de cette insaisissable « Sirène du Mississipi ».
CRITIQUE de Itinéraire d'un enfant gâté de Claude Lelouch
Sam Lion (Jean-Paul Belmondo) a été élevé dans le milieu du cirque puis a dû faire une reconversion forcée comme chef d’entreprise. Mais la cinquantaine passée, il se lasse de ses responsabilités et de son fils, Jean-Philippe, dont la collaboration ne lui est pas d’un grand secours. Il décide d’employer les grands moyens et de disparaître en Afrique, après avoir simulé un naufrage lors de sa traversée de l’Atlantique en solitaire. Mais son passé va l’y rattraper en la personne d’Albert Duvivier (Richard Anconina), un de ses anciens employés licencié qu’il retrouve par hasard en Afrique et qui le reconnaît…
« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». La citation d’Albert Cohen qui ouvre le film le place sous le sceau du pessimisme et de la solitude, impression que renforce la chanson de Nicole Croisille qui ouvre le film. « Qui me dira, les mots d’amour qui font si bien, du mal ? Qui me tiendra, quand tu iras décrocher toutes les étoiles ? Qui me voudra, avec le nez rouge, et le cœur en larmes ? Qui m’aimera, quand je n’serai plus que la moitié d’une femme ? » La musique est reprise en chœur tandis qu’un petit garçon seul sur un manège attend désespérément sa mère. Un homme s’occupe de lui, découvre le carton qu’il a autour du cou et qui indique que sa mère l’a abandonné. La musique épique, flamboyante, lyrique, accompagne ensuite les premières années et les numéros de cirque étourdissants qui défilent (sans dialogues juste avec la musique pour établir le lien) jusqu’à l’accident fatidique. Les flashbacks alternent avec les vagues sur lesquelles flotte le navire de Sam Lion, des vagues qui balaient le passé. Les premières minutes sont bouleversantes, captivantes, montées et filmées sur un rythme effréné, celui sur lequel Sam Lion (ainsi appelé parce qu’il a été élevé dans un cirque) va vivre sa vie jusqu’à ce qu’il décide de disparaître.
Rares sont les films qui vous émeuvent ainsi, dès les premiers plans et qui parviennent à maintenir cette note jusqu’au dénouement. Pour y parvenir, il fallait la subtile et improbable alliance d’ une musique fascinante comme un spectacle de cirque, d’acteurs phénoménaux au sommet de leur art, de dialogues jubilatoires magistralement interprétés, un scénario ciselé, des paysages d’une beauté à couper le souffle, des histoires d’amour (celles qui ont jalonné la vie de Sam Lion, avec les femmes de sa vie, son grand amour décédé très jeune, sa seconde femme, sa fille Victoria pour qui il est un héros et un modèle et qui l’aime inconditionnellement, mais aussi celles d’Albert avec Victoria), jouer avec nos peurs (l’abandon, la disparition des êtres chers, le besoin de reconnaissance), nos fantasmes (disparaître pour un nouveau départ, le dépaysement) et les rêves impossibles (le retour des êtres chers disparus).
Sam Lion va par hasard rencontrer un employé de son entreprise (entre-temps, il a construit un empire, une entreprise de nettoyage), ce jeune homme maladroit et qui manque de confiance en lui va devenir l’instrument de son retour et sa nouvelle famille. Cela tombe bien : il commence à s’ennuyer.
Peu à peu, le puzzle de la vie et des déchirures de Sam Lion, grâce aux flashbacks, se reconstitue, celui des blessures de cet homme qui l’ont conduit à tout quitter, écrasé par les responsabilités sans avoir le temps de penser à ses blessures, ni de les panser, porté par la soif d’ailleurs, de vérité, de liberté.
Alors, bien sûr, il y a la si célèbre et irrésistible scène du bonjour, toujours incroyablement efficace, tant la candeur d’Albert est parfaitement interprétée par Anconina, tant la scène est magistralement écrite, tant les comédiens sont admirablement dirigés mais chaque scène (les acteurs sont filmés en gros plan, au plus près des émotions) sont des moments d’anthologie de comédie, d’humour, de poésie, d’émotion (parfois tout cela en même temps lorsque Victoria est conduite à son père grimé en pompiste et qu’on lui présente comme le sosie parfait de son père qu’elle croit mort, lors de la demande en mariage…) et toujours ces moments qui auraient pu être de simples saynètes contribuent à faire évoluer l’intrigue et à nous faire franchir un cran dans l’émotion, dans ces parfums de vérité qu’affectionne tant le réalisateur. Claude Lelouch ne délaisse aucun de ses personnages ni aucun de ses acteurs. Chacun d’entre eux existe avec ses faiblesses, ses démons, ses failles, ses aspirations. Et puis quelle distribution : Marie-Sophie L, Michel Beaune, Pierre Vernier, Daniel Gélin… !
Jean-Paul Belmondo, plusieurs années après Un homme qui me plaît retrouvait ici Claude Lelouch qui lui offre un de ses plus beaux rôles en lui permettant d'incarner pour la première fois un homme de son âge au visage marqué par le temps mais aussi un personnage non moins héroïque. En choisissant Anconina pour lui faire face, il a créé un des duos les plus beaux et les plus touchants de l’histoire du cinéma.
Itinéraire d’un enfant gâté est une magnifique métaphore du cinéma, un jeu constant avec la réalité : cette invention qui nous permet d’accomplir nos rêves et de nous faire croire à l’impossible, y compris le retour des êtres disparus. Belmondo y interprète l’un de ses plus beaux rôles qui lui vaudra d’ailleurs le César du Meilleur Acteur, césar que le comédien refusera d’aller chercher.
On sort de la projection, bouleversés de savoir que tout cela n’était que du cinéma (le temps malheureusement reste assassin), mais avec la farouche envie de prendre notre destin en main et avec, en tête, la magnifique et inoubliable musique de Francis Lai : « Qui me dira… » et l’idée que si « chaque homme est seul », il possède aussi les clefs pour faire de cette solitude une force, pour empoigner son destin. Et ce dernier plan face à l’horizon nous laisse à la fois bouleversés et déterminés à regarder devant, prendre le large ou en tout cas décider de notre itinéraire. Un grand film intemporel, réjouissant, poignant.
La sortie VOD de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan a été avancée de quelques semaines. Il est désormais disponible. Je vous donne quelques bonnes raisons de le découvrir, ci-dessous. Cette critique a été écrite suite à la projection du film dans le cadre du Festival de Cannes 2019.
L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée. Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.
Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix. Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.
Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.
Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences.
Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.
Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.
Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.
"J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.
Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.
Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime, jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.
Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria. Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.
Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.
Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare… Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».
La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".
Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle. Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.
Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.
Cette critique a été publiée lors de la sortie du film...
C’est avec impatience que j’attendais ce film : parce qu’il est réalisé par Safy Nebbou dont j’avais tant aimé l’adaptation du livre éponyme de Sylvain Tesson, « Dans les forêts de Sibérie » et apprécié les précédentes réalisations, parce qu’il s’agit d’une adaptation (du livre éponyme de Camille Laurens), parce qu’un film avec Juliette Binoche n’est jamais synonyme de déception mais plutôt synonyme de choix clairvoyants et audacieux. Après « Comme un homme » en 2012 et « Dans les forêts de Sibérie » en 2016, le nouveau long-métrage de Safy Nebbou est ainsi une nouvelle adaptation après l’adaptation libre du récit de l'aventurier Sylvain Tesson.
Nous suivons ici Claire Millaud (Juliette Binoche), 50 ans, qui, pour épier son amant Ludo (Guillaume Gouix), crée un faux profil sur les réseaux sociaux et devient Clara, une magnifique jeune femme de 24 ans. Alex (François Civil), l’ami de Ludo, est immédiatement séduit. Claire, prisonnière de son avatar, tombe éperdument amoureuse de lui. Si tout se joue dans le virtuel, les sentiments sont bien réels. Une histoire vertigineuse où réalité et mensonge se confondent.
Le film débute avec Juliette Binoche qui s’immerge dans sa baignoire. Puis, nous la retrouvons chez sa nouvelle psychiatre (Nicole Garcia) à laquelle, la voix chevrotante et le regard perdu dans le vide, elle livre sa (première) version de sa tortueuse histoire.
Si le film est bien sûr une réflexion sur les jeux de manipulation et les « Liaisons dangereuses » (Claire est professeure de littérature comparée à l'université et étudie d’ailleurs l’œuvre de Laclos avec ses élèves) qui peuvent se nouer sur internet et à travers les réseaux sociaux, c’est aussi une habile réflexion sur la place que la société accorde aux femmes qui n’ont plus vingt ans, a fortiori dans une société qui en glorifie l’image, et sur cet ogre impitoyable : le temps. Les phrases de Duras que Claire cite dans un de ses cours résument d’ailleurs très bien cela : « Très vite, dans ma vie, il a été trop tard. Cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse les temps les plus célébrés de la vie ».
Safy Nebbou et Julie Peyr, sa coscénariste, ont réalisé un habile travail d’adaptation pour aboutir à ce film qui, d’une certaine manière, dépeint une facette de notre époque qui répond à celle décrite dans « Dans les Forêts de Sibérie ». Raphaël Personnaz y incarnait en effet Teddy, un chef de projet multimédia qui, pour assouvir un besoin de liberté, décide de partir loin du bruit du monde, et s’installe seul dans une cabane, sur les rives gelées du lac Baïkal, en Sibérie loin de ce monde virtuel dans lequel, au contraire, Claire dans « Celle que vous croyez » va se réfugier, se (re)trouver et se perdre. Dans « Dans les Forêts de Sibérie », nous vivons avec Teddy cette expérience hors du temps, hors de nos réalités, presque hors de notre époque où notre attention est constamment sollicitée, où le silence et l’espace deviennent des luxes suprêmes là où au contraire Claire nous ramène à cette réalité, nous et s’y enferme.
Safy Nebbou, à chaque film, explore, un univers différent et prouve ainsi l’étendue de son talent même si on peut y retrouver des thématiques ou éléments récurrents comme l'importance des mots, ceux de Dumas et ceux de Gilles Taurand dans « L'Autre Dumas » ou encore l’idée de double, d’altérité qui est d’autant plus présente ici que Claire incarne aussi une autre version d’elle-même, comme un personnage de fiction qu’elle aurait créé.
« Maitriser le temps, vivre intensément chaque instant » entendait-on comme un leitmotiv dans « Dans les Forêts de Sibérie ». Un véritable défi dans une société ultra connectée qui nous procure souvent le rageant sentiment d’avoir perdu la capacité à vivre et saisir l’instant présent alors que, paradoxalement, nous ne l’avons jamais autant immortalisé. Et surtout un leitmotiv qui pourrait aussi être celui de Claire.
Claire vit dans un appartement dont les grandes baies ouvrent sur la ville d’une modernité froide et impersonnelle. Un peu à l’image de ce qu’est devenue son existence. Claire, après avoir failli se noyer dans la dépression, va se noyer dans ce monde virtuel qu’elle se crée, qui devient pour elle comme une drogue qui lui fait perdre toute notion de réalité : « Pour les gens comme moi, c'est à la fois le naufrage et le radeau, les réseaux sociaux, on surnage dans le virtuel. » Plusieurs scènes le montrent ainsi. Lorsqu’elle est au téléphone avec Alex, elle est dans une sorte d’ailleurs qui la coupe du monde. Qu’elle soit au supermarché ou dans une bibliothèque, elle parle fort comme s’ils étaient seuls au monde, comme si elle était isolée du monde.
Ainsi dit-elle : « Quand j'étais avec lui je me sentais vivante. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Je ne faisais pas semblant d'avoir 24 ans. J'avais 24 ans. » Ou encore « ce n’était pas une autre vie » mais « la mienne, enfin ». Il fallait une actrice à l’étendue du talent, immense, comme celui de Juliette Binoche pour incarner Claire/Clara. Ses attitudes, sa voix, ses gestes, son énergie, ses espoirs fous qui illuminent son regard sont soudain ceux d’une jeune femme de 24 ans. Puis elle redevient devant sa psy la femme de cinquante ans, blessée par la vie, épuisée, désillusionnée. Comme dans le chef-d’œuvre de Kiarostami « Copie conforme » dans lequel elle incarnait un personnage certes très différent mais dont le jeu si riche et habité pouvait se prêter à plusieurs interprétations.
Le film de Safy Nebbou met en scène un magnifique portrait de femme de 50 ans, loin des stéréotypes, une femme dévorée de désirs, d’envies, de rêves, de blessures aussi, une femme « hors du rôle prédéfini par la société », qui refuse de se « soumettre aux normes dans lesquelles on nous enferme » et la singularité de ce personnage, hors des cadres et clichés habituels qui ne font pas souvent honneur à la complexité de l'âme féminine, fait un bien fou, un personnage « trop passionné » qui a cru « mourir de chagrin ». Une femme à la fois libre et enchaînée à ses douleurs et sa solitude. Une femme qui a droit aux rêves, d’écrire sa vie certes pour « l’illusion d’éternelle jeunesse », pour « s’éloigner » de la « perspective » de « la mort ».
C’est aussi un hommage sublime à la littérature, au pouvoir des mots, comme l’étaient aussi « Dans les forêts de Sibérie » et « L’autre Dumas ». Des mots qui libèrent et emprisonnent, des mots qui évadent (elle dit ainsi « J'ai repris mon ancienne vie comme on referme un roman »), des mots en apparence futiles mais dangereux, des mots qui pourraient la trahir (quand elle emploie un vocabulaire de sa génération qui n’est pas celui d’Alex). Elle lui lit d’ailleurs « Lettres à un jeune poète » de Rilke (au passage aussi cité dans « Le grand bain » de Gilles Lellouche). Rilke pour qui la création artistique était l’acceptation de soi mais aussi l’expérience de la solitude, de l'amour, de la mélancolie qui sont aussi à l’œuvre ici.
C’est en effet aussi un film sur le pouvoir de l’imaginaire, prison et évasion, qui est illustré par cette magnifique phrase qu’elle prononce devant sa psychiatre : « Il n'y a pas d'âge pour être petite. J'avais besoin qu'on s'occupe de moi, qu'on me berce, même d'illusions. » « Dans un monde imaginaire où vous voulez vous blesser encore et encore » luit dit aussi cette dernière.
Nicole Garcia, parfaite, comme toujours, incarne une psychiatre dont le retrait et la distance apparents se fragilisent peu à peu quand son empathie envers cette femme l’emporte sur la frontière professionnelle qui se fissure progressivement. « Je ne suis que le dépositaire provisoire de message qui ne m'est pas directement destiné. », « On apprend quelque chose de nous-mêmes avec tous nos patients » affirme-t-elle ainsi, pourtant lorsqu’elle dit « vous seriez surprise par ce qui me passe par la tête », par son intonation, entre fougue et retenue, on image aisément une femme aussi passionnée et complexe que Claire.
Il est d’ailleurs amusant de retrouver l’actrice/réalisatrice dans ce film après son splendide « Mal de Pierres », autre adaptation, cette fois du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus. Marion Cotillard y incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère. Nicole Garcia une fois de plus se penchait sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Cette digression pour souligner que ces thèmes sont aussi au cœur de ce film de Safy Nebbou comme la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse. Ces deux films ont en commun de sublimer les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma. Ici Claire est à la fois démiurge du personnage qu’elle se construit, mais aussi victime de cet imaginaire.
François Civil, même s’il a un rôle moins « physiquement » présent arrive néanmoins à imposer son magnétisme, et sa fragilité.
Tout comme « Dans les forêts de Sibérie », Gilles Porte est le directeur de la photographie et apporte ce qu’il faut de mystère, de lumière et de froideur à ce film remarquable, qui lorgne du côté d’Hitchcock et de Truffaut, entre drame intime et thriller psychologique, un détonant et prestigieux mélange qui donne un film qui se joue des apparences et de la réalité jamais finalement telle « que vous croyez », palpitant de la première à la dernière seconde notamment grâce à Juliette Binoche et au personnage, magnifique et troublant, complexe, inquiétant et séduisant qu’elle incarne à la perfection procurant d’autant plus toute sa force au pouvoir de l’imaginaire que le film exalte. De son imaginaire et de notre imaginaire.
Les polémiques et l’actualité ont éclipsé le César 2020 de la meilleure actrice attribué (à juste titre) à Anaïs Demoustier, ainsi que son discours enthousiaste et brillant sur la scène de Pleyel. C’est déjà au moins une bonne raison pour vous parler de cette fable politique de Nicolas Pariser (a fortiori à quelques jours des élections Municipales), lequel avait déjà notamment réalisé le prenant « Grand jeu ».
Alice et le Maire. Voilà un titre qui résonne comme celui d’une Fable de La Fontaine. Ou comme un titre d’un film de Rohmer. Ou comme un titre d’un film de Claude Sautet. Il y a un peu de toutes ces influences dans ce film qui nous embarque à Lyon où le Maire, Paul Théraneau, va mal. Son problème ? Un manque violent, étourdissant, abyssal d’idées. Il ne parvient plus à penser. Il se sent vide. Alors, il demande à une jeune femme, Alice Heiman, de l’aider. Elle est à peu près aussi velléitaire que lui qui, les yeux dans le vague, le bâillement au bord des lèvres, et le sommeil au bord des yeux, écoute distraitement les délibérations du conseil municipal et ânonne machinalement ses réponses. Elle ne sait pas bien ce qu’elle veut faire de sa vie. Leurs échanges vont ébranler leurs certitudes et un peu plus encore leurs incertitudes.
Peut-être moins mordant que l’irrésistible « Quai d’Orsay » même si l’adjectif « mordant » est ici souvent employé, « Alice et le Maire » n’en est pas moins une critique, passionnante et acerbe, non pas tant des politiques d’ailleurs puisque le maire est ici sincèrement engagé (« J'ai tout sacrifié à ma passion ». « La politique c’est comme la musique ou la peinture, c’est tout le temps ou rien » déclare-t-il ainsi à Alice) que des communicants qui les entourent. Alice est une ex-étudiante en littérature et philosophie, qui n’appartient pas au cénacle, nullement impressionnée par les ors de la République dans le décor desquels elle déambule en jeans, avec assurance. La première note de la toute nouvelle collaboratrice du Maire est consacrée à la nécessité de la modestie. Tout un programme.
Malgré cela ou grâce à cela, Alice devient peu à peu indispensable pour le Maire pour qui elle est « une tête pensante brillante, pas dans le prêt-à-penser », jusqu’à même recueillir ses confidences, et susciter ainsi la jalousie de son entourage. Le rôle et les paroles parfois ubuesque des communicants sont savamment croqués, et les dialogues souvent savoureux. D’un mot ou d'un regard, on souligne la mysoginie ou la condescendance dont Alice est l'objet.
Ajoutez à cela la musique de Debussy , les rêveries (partagés) du promeneur solitaire, la rencontre furtive et marquante de deux solitudes égarées, un long plan séquence où la magie opère où tout est dit au-delà des mots dans les gestes, des dialogues chorégraphiés dans un mouvement constant, une absence salutaire de cynisme et vous obtiendrez un film d’une ironie tendrement cruelle, qui nous captive, porté par une comédienne d’une rare justesse qui incarne un magnifique personnage qui (comme ce film) sort des cases et des cadres. En effet loin du prêt-à-penser. Comme ce film là aussi. Qui invite au dialogue, à la confrontation des idées. Et dans une époque sourde et assourdissante, cela fait un bien fou !
L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée. Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.
Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix. Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.
Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.
Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences.
Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.
Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.
Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.
"J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.
Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.
Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime, jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.
Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria. Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.
Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.
Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute. Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses. Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare… Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».
La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".
Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle. Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.
Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.
Entre glamour et engagement. Entre rêves fragiles, âpres réalités et espoirs tenaces.
« Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité ce qu’enferme un homme dans les illusions de son cœur. »
« Ces rêveries servirent un temps d'exutoire à son imagination ; elles étaient une allusion satisfaisante à l'irréalité de la réalité, l'assurance que ce rocher, le Monde, solidement reposait sur l'aile d'une fée. »
Ces deux citations sont extraites de « Gatsby le magnifique » de Francis Scott Fitzgerald. Pourquoi Gatsby pour commencer cet article sur le Festival du Cinéma Américain de Deauville, me direz-vous ! Sans doute parce que c’était le prénom du personnage principal du film d’ouverture de ce 45ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, l’ensorcelant « Un jour de pluie à New York » et sans doute parce que ces citations font écho à une de celles du film en question : « C’est la vraie vie. Laisse-la à ceux qui ne trouvent pas mieux ».
Certainement aussi parce que les rêveries et les illusions sont indissociables du cinéma, et de la mélancolie de Gatsby et de Deauville. Le cinéma que nous a donné à voir ce Festival du Cinéma Américain de Deauville, aussi passionnant fut-il, nous a pourtant néanmoins ancrés dans la réalité même si le rêve et le glamour étaient incarnés par la présidente du jury, l’interprète des chefs-d’œuvre que sont « Les parapluies de Cherbourg », « Le Dernier Métro », « Le choix des armes », « Hôtel des Amériques », « Les Demoiselles de Rochefort », « Indochine », « Belle de jour », « Fort Saganne », « Drôle d'endroit pour une rencontre », « Un conte de noël »,« Elle s’en va », « Ma saison préférée, » « La tête haute », « La Sirène du Mississipi », « Je veux voir »… Avec elle, c’est une partie de la mythologie du cinéma qui était présente chaque jour dans la salle du CID. Les hommages (notamment à Geena Davis, Pierce Brosnan, Johnny Depp) étaient aussi des fenêtres ouvertes sur les rêves car l’occasion à chaque fois de la diffusion d’un montage des films dans lesquels ils jouèrent, réminiscences de tant d’émotions de cinéphiles.
La réalité donc. Celle des Etats-Unis de Trump. Celle d’une époque impatiente et carnassière aussi. Comme ce plan du retentissant « American skin » de Nate Parker l’illustrait si bien, ces quelques mots lapidaires au journal télévisé pour traduire et trahir la complexité d'un drame humain, la mort d’un jeune garçon noir suite à un contrôle de police. Mots auxquels succèdent les louanges sur les performances d'un sportif noir énoncées par un présentateur guilleret. « Cachez ces crimes racistes que je ne saurais voir » semble nous dire Nate Parker du moment que l'apparence et les clichés soient saufs. Je vais y revenir. Telle est l'Amérique de Trump reflétée par les films de cette édition. En proie à la paranoïa, la violence, éprise de liberté, de résistance. Des films militants. Des films qui brandissent le poing. Des films coups de poing. Des films qui mettent en scène des personnages enfermés, des femmes surtout, souvent prisonnières d’un carcan social ou familial, d’un drame, avides de vérité, d’émancipation, de liberté. Quand il s’agit d’hommes, ils sont aussi prisonniers d’atmosphères claustrophobiques, que ce soit d’un phare, d’un foyer, d’un milieu ou d’une amitié étouffante. Comme vous le verrez dans les extraits vidéos, les propos des cinéastes, acteurs et actrices étaient souvent salutairement engagés, voire militants à l'image des films projetés.
« De nombreux films de ce Deauville 2019 défient Trump » avait ainsi annoncé le directeur du festival, Bruno Barde, lors de la conférence de presse d’annonce de sélection du festival du 22 août. Le tableau de l’Amérique, vue à travers ces films, n’est pas glorieux entre résurgences d’idéologies nazies et populations abandonnées. Le portrait d’une Amérique qui broie les plus fragiles. « Il est important de reconnaître que nous avons à la Maison-Blanche quelqu'un de raciste et de sexiste, dont il faut essayer d'éviter qu'il soit réélu », a ainsi déclaré Carlo Mirabella-Davis le réalisateur de « Swallow » en recevant son prix.
L’année 2018, celle de l’après #MeToo, si la noirceur était aussi au rendez-vous dans les films présentés à Deauville, le pouvoir était déjà pris par les femmes. Deux titres des films de la compétition étaient ainsi des prénoms féminins (Nancy et Diane) et six d’entre eux avaient pour personnages principaux des protagonistes féminines. Des femmes souvent condamnées par l’existence, engluées ou même enfermées dans leur quotidien, leur passé, confrontées à la solitude, à la maladie, à la mort, aux traumatismes et même enfermées au sens propre et condamnées à mort dans le douloureux « Dead women walking ». Des femmes fortes et combattives qui s’emparaient néanmoins de leurs destins. Les films s’achevaient ainsi souvent par un nouveau départ (au sens propre). En route vers un lendemain peut-être plus joyeux. Une note d’espoir malgré tout. « Une Amérique où règne le désenchantement et la mélancolie, où l'espoir est tenace », comme l’avait très bien résumé la regrettée présidente du jury de la critique 2018, l’enthousiaste Danièle Heymann (à laquelle le festival a eu la louable idée de rendre hommage lors de l’ouverture de cette édition 2019). Le jury de la critique de l'édition 2018, lors de la cérémonie du palmarès, avait d’ailleurs également tenu à saluer « la quasi-parité de la compétition avec 6 films de femmes. » Ce fut a fortiori le cas cette année avec des films de femmes, des thématiques féminines, voire féministes, des portraits de femmes qui s’émancipent, prennent leurs destins en main, contre vents et marées et qui, là aussi, souvent, au dénouement prennent la route pour un nouveau départ.
Les titres des films nous en disaient déjà long : « Skin », « American Skin », « Knives and skin », « American woman », « Seberg », « Waiting for the Barbarians », « Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ». La barbarie. Les femmes. Et cette peau qui souvent condamne aux préjugés iniques ou à un destin tragique. Le festival dans sa programmation était ouvertement féministe. Même si aujourd’hui il semble y avoir une sorte de surenchère pour savoir qui s’autoproclamera le plus féministe (ou quel festival présentera le plus de film de femmes), ce festival avait le mérite, plus que dans le choix de ses invités, de nous donner à voir d’autres visages féminins, des personnages de femmes plus nuancés ou moins caricaturaux. Quatorze films « ambitieux et réussis » (selon la présidente du jury Catherine Deneuve) étaient ainsi en compétition, dont neuf premiers films et six réalisés par des femmes. Par ailleurs, dix mettaient en scène des héroïnes souvent broyées par l’existence ou par les hommes mais des héroïnes combattives, et trouvant seules le chemin de la liberté.
Cette année 2019, Bruno Barde avait d’emblée annoncé un festival féminin, non seulement dans les thématiques des films présentés mais aussi dans les deux jurys. Deux femmes les présidaient en effet, Catherine Deneuve et Anna Mouglalis. Catherine Deneuve succédait ainsi dans ce rôle à une autre actrice de grand talent, Sandrine Kiberlain. Le festival avait par ailleurs choisi cette année d’attribuer des prix spéciaux à quatre actrices : Kristen Stewart (venue présenter « Seberg », de Benedict Andrews), Geena Davis (venue quant à elle présenter le documentaire « This Changes Everything », de Tom Donahue), Sienna Miller (venue avec « American Woman », de Jake Scott, dans lequel elle incarne le rôle principal) et Sophie Turner (l’héroïne de « Game of Thrones » dont l’Intégrale était projetée à Deauville).
Cette édition 2019 était aussi nostalgique avec la soirée des 25 ans de la compétition et les formidables petits films de l’INA diffusés chaque soir, l’occasion d’entendre Kirk Douglas dire qu’il aimerait tourner avec Truffaut, Lelouch, Sautet ou encore d’entendre De Palma dire avec malice que personne n'est incorruptible et de se rappeler que toutes les stars du cinéma américain ou presque foulèrent un jour les planches de Deauville, en pleine gloire, ou à leurs débuts. L'INA, à l'occasion de cette soirée anniversaire, a également remis à Catherine Deneuve une distinction numérique (l'ensemble de sa carrière sur support numérique, distinction reçue auparavant notamment par De Niro ou Depardieu).
Cette année, Deauville célébrait ains les 25 ans de la compétition de films indépendants, une compétition qui a révélé tant de cinéastes et de films devenus cultes : Chloé Zhao (« The Rider », 2017) Spike Jonze («Dans la peau de John Malkovich», 1999), Jeff Nichols («Take Shelter», 2011) Damien Chazelle («Whiplash »), Joshua Marston (« Maria, pleine de grâce », 2004), Paul Haggis (« Collision », 2005), Benh Zeitlin (« Les bêtes du sud sauvage », 2012)…
Quelques films néanmoins nous parlaient de rêves, ceux qu’il faut se construire. Le générique de ce festival renouant avec le glamour d’antan, nous y invitait d’ailleurs : Kristen Stewart, Sienna Miller, Geena Davis, Sophie Turner, Pierce Brosnan, Catherine Deneuve, Anna Mouglalis, Johnny Depp sans oublier les anciens présidents de jurys présents pour l’anniversaire des 25 ans de la compétition.
Comme chaque année la compétition (mais aussi une partie des Premières) nous proposait d’ausculter l’Amérique contemporaine, ses meurtrissures et ses élans. S’il est soucieux de vérité, ce festival protéiforme n’oublie pas non plus le glamour de ses origines. Cette année plus que jamais, flamboyance et noirceur, glamour et actualité, engagement et festivités s’entrelaçaient.
LA COMPETITION ET LE PALMARES
Le jury présidé par Catherine Deneuve a attribué le Grand Prix à « Bull », le premier film de la réalisatrice Annie Silverstein (qui fut lauréate de la Cinéfondation, toujours un vivier de talents), un gros plan sur l’âpre réalité de l'Amérique de Donald Trump (déjà en lice à Cannes dans la section « Un Certain Regard »).
Ce premier film a d’ailleurs fait l’unanimité des trois jurys puisqu’il a également reçu le prix de la Révélation Louis Roederer et celui de la Critique. « Ce premier film « dresse un tableau extrêmement juste et troublant de l'Amérique de Donald Trump, cette Amérique abandonnée par ses politiques que ce soit dans l'école ou dans la santé », a ainsi ajouté Anna Mouglalis, la présidente du jury Révélation Louis Roederer. « C'est un film politique sans jamais être dogmatique », a-t-elle également précisé. Gérard Lefort, président du jury de la critique a évoqué « une histoire captivante, une actrice sidérante de maturité malgré son jeune âge, des situations dérangeantes et imprévisibles » spécifiant que ce film « invente un territoire tant par son cadrage, son montage, son scénario, sa façon d'entremêler le documentaire à la fiction ». « Bull », c’est l’histoire de la rédemption de Kris, une adolescente de 14 ans qui vit dans la banlieue pauvre de Houston et qui donne l'impression de suivre le chemin de sa mère, qui purge une peine de prison. Après avoir saccagé la maison de son voisin dans un acte purement gratuit, elle doit faire amende honorable, et prêter main-forte au propriétaire de la maison vandalisée qui est une ancienne gloire du rodéo. Elle se découvre alors une passion pour l'art de monter les taureaux à cru. Mais les mauvaises fréquentations ne sont jamais bien loin. La réalisatrice a choisi de montrer l’Amérique des laissés-pour-compte, celle des citoyens en colère mais qui n'ont parfois comme la jeune Kris que la violence ou la rébellion pour l'exprimer parce qu’on n’a pas même pris le temps de leur poser une main, consolatrice et apaisante sur leur front, comme le taciturne Abe le fait avec les taureaux. La rencontre de ces deux solitudes qui s’apprivoisent comme ils apprivoisent les taureaux, c’est celle de deux visages de l’Amérique, deux figures que l’Amérique a abandonnées. Bien sûr, « Bull » n’est pas sans rappeler « The Rider » de Chloé Zhao, vainqueur du Grand Prix à Deauville en 2017.
Là aussi l’animal en furie sur lequel il fallait tenir était une métaphore de cette vie chaotique, de ces âmes tourmentées qui devaient trouver leur équilibre malgré l’âpreté et les secousses de l’existence. Brady, un jeune cow-boy, entraîneur de chevaux et étoile montante du rodéo, voyait sa vie basculer après un tragique accident de rodéo. On lui annonçait alors qu’il ne pourrait plus jamais faire d’équitation. De retour chez lui, il était confronté au vide qu’était devenue sa vie : celle d’un cow-boy qui ne peut désormais ni faire de rodéo ni même monter à cheval. Pour reprendre son destin en mains, Brady se lançait alors dans une quête identitaire en cherchant à comprendre ce que c’est vraiment qu’être un homme au cœur même de l’Amérique. Brady Jandreau, qui jouait son propre rôle aux côtés de sa famille et de ses amis est vraiment une jeune star du rodéo qui a vu sa vie basculer suite à un accident et cette véracité renforçait bien sûr l’émotion qui émane de chacun des plans. Brady devait faire face à un avenir sans espoir, à un parent immature, et lui aussi incarne de nombreux contrastes à l’image de cette Amérique pétrie de contradictions. La violence de l’arène dans laquelle il évoluait contrastait avec la tendresse dont il faisait preuve avec sa jeune sœur handicapée ou son ami victime d’un accident de rodéo. Les immenses plaines évocatrices de liberté contrastaient avec la blessure et l’arène qui l’enfermaient. Et c’est en renonçant au rodéo que le cowboy devenait un homme. On retrouve ce même contraste dans « Bull ». Le jury qui avait attribué le grand prix à « The Rider » avait salué sa poésie et son humanité. Sans doute, pour ces raisons, avais-je préféré ce film à « Bull » qui n’en dresse pas moins un portrait édifiant et sensible de cette Amérique des oubliés à travers cette amitié improbable, porteuse d’espoir malgré l’âpreté du quotidien qui en a permis l’éclosion.
Le jury présidé par Catherine Deneuve a également décerné un Prix spécial du 45ème anniversaire du Festival à « Swallow » (qui signifie « avale »), de Carlo Mirabella-Davis. Le film raconte l’histoire d’Hunter qui mène une vie parfaite (en apparence, seulement en apparence) aux côtés de son mari qui vient de reprendre l’entreprise familiale. Mais dès lors qu’elle tombe enceinte, elle développe un trouble compulsif du comportement alimentaire, le Pica, caractérisé par l’ingestion d’objets dangereux. Son époux et sa belle-famille décident alors de contrôler ses moindres faits et gestes pour éviter le pire : qu’elle ne porte atteinte à la lignée des Conrad… Mais cette inquiétante et incontrôlable obsession ne cacherait-elle pas un secret plus terrible encore ?
« Swallow », c’est le portrait d’une femme enfermée dans ses douleurs enfouies, dans son carcan social, dans son mariage illusoirement parfait et sa maison même, sorte de prison de verre aseptisée tout autour de laquelle la nature semble l'épier, comme un musée dont elle serait une pièce, condamnée à n'être qu'un objet que l'on admire mais à qui on refuse le droit de penser. La mise en scène épouse judicieusement les états d'âme de cette femme qui peu à peu s'émancipe et se découvre. Pour garder le contrôle sur cette vie qu'elle ne maîtrise pas et qui l'étouffe, elle va s'enfermer dans des troubles compulsifs alimentaires qui lui procurent la trompeuse sensation de maitriser son existence. Un moyen de se réapproprier son corps aussi, ce à quoi la réduit son mari, lui niant toute capacité à penser. « Je vois vraiment ce film comme un film féministe. Le film a été inspiré de la vie de ma grand-mère qui a vécu dans les années 50, alors femme au foyer. Pour essayer de s'accrocher, elle avait des rituels comme se laver les mains de manière compulsive. Elle a été internée et a perdu le sens du goût et de l'odorat. Elle a été punie car elle ne rentrait pas dans le carcan des femmes au foyer dans les années 50 », a ainsi déclaré le réalisateur en conférence de presse. Il s'est également dit « fasciné par Malick et la manière dont il nous introduit dans l'esprit des personnages par le paysage ». « J'aime beaucoup ses films et je les ai tous vus de nombreuses fois. Son travail sur la nature est fascinant. J'ai essayé d'approcher cela dans le film notamment par la relation presque mystique entre Hunter et les objets » a-t-il ajouté. En tentant d'organiser son monde chaotique, d'enfouir en elle ces objets comme son traumatisme l'est, le monde d’Hunter va peu à peu s'ébranler et le visage de chacun se révéler. Son monde parfait va se fissurer. Les couleurs chatoyantes de ses tenues vont se ternir pour se fondre dans le décor et elle va presque être absorbée par celui-ci. Le monde réel, la vie même, vont peu à peu reprendre leurs droits. Le cinéaste peut revendiquer sans rougir ses références citées en conférence de presse : Chantal Akerman, Todd Haynes, Douglas Sirk et Alfred Hitchcock pour ce film passionnant du premier du dernier plan, brillamment pensé, mis en scène et interprété (par une actrice magnétique, Haley Bennett). Un beau portrait de femme qui s'émancipe. Intemporel et universel.
Le Prix du public de la Ville de Deauville a été attribué à « The Peanut Butter Falcon » de Tyler Nilson et Michael Schwartz. Ce premier film raconte l'histoire de Zak, un jeune homme de 22 ans atteint de trisomie qui s’enfuit de son foyer de personnes âgées pour réaliser enfin son rêve : rejoindre l’école de catch de Salt-Walter Redneck, une vieille gloire de ce sport, et devenir catcheur professionnel répondant au nom du « faucon au beurre de cacahuète ». Il rencontre Tyler, un petit voyou en cavale, qui va devenir son improbable coach et compagnon de route. Ils vont remonter ensemble les rivières, échapper à leurs poursuivants. Ils vont aussi convaincre Eleanor, une aide-soignante dévouée trimballant ses propres démons, de les accompagner en chemin. Ce film jubilatoire, à la fois tendre et drôle, est d’abord remarquable par sa distribution : Shia LaBeouf, Dakota Johnson, John Hawkes, Thomas Haden Church, Bruce Dern. « Nous avons écrit ce film pour un ami trisomique, qui rêvait de jouer dans un long métrage », a ainsi expliqué le coréalisateur Michael Schwartz. Tyler, dont on découvre par bribes qu’il a tragiquement perdu son frère, trouve en Zack un frère de substitution et avec lui va renouer avec les plaisirs simples auxquels cette épopée en pleine nature les confronte. Une ode à l’amitié, la fraternité, la nature, comme pansements sur les âmes blessées. Un prix du public mérité pour ce film rempli de bons sentiments (au sens noble) et de bienveillance.
Également au palmarès, couronné du prix du jury, une autre histoire d’hommes, beaucoup plus conflictuelle celle-ci, celle de « The Lighthouse » de Robert Eggers, « l’histoire hypnotique et hallucinatoire de deux gardiens de phare sur une île mystérieuse et reculée de la Nouvelle-Angleterre dans les années 1890 » nous dit ainsi le synopsis officiel. Là aussi, il s’agit d’un monde oppressant et âpre dont on ne peut s’échapper. Oppressante, l’expérience l’est aussi pour le spectateur qui a l’impression de sombrer peu à peu dans la folie avec les protagonistes de ce huis-clos incarnés par Willem Dafoe (en vieux marin irascible) et Robert Pattinson (son nouveau collègue qui semble dissimulé un lourd secret), isolés sur ce phare et dans ce format carré qui nous enserre et enterre avec eux dans cet enfer maritime. C’est sans doute la performance des deux acteurs et la forme qui ont séduit le jury, quoique le terme de séduction convienne mal à ce film qui ne cherche justement jamais à séduire mais plutôt à nous confronter, à heurter. Entre « les Oiseaux » d’Hitchcock et « Nosferatu » de Murnau, le réalisateur rend un hommage appuyé au cinéma muet, au noir et blanc et à l’expressionisme jouant constamment avec les ombres et la lumière, les plongées et contre plongées et les gros plans très expressifs. Un voyage effroyable aux confins de la folie, aux frontières des légendes et des mythes, après lequel on retrouve la sérénité et la lueur du jour avec soulagement.
Dans « The Climb » de Michael Angelo Covino, l’autre prix du jury, il s’agit aussi de l’histoire de deux hommes. Cette fois, ce n’est pas un phare mais une amitié qui les enferme dans une relation singulière. Là aussi, l’originalité de la forme n’est certainement pas pour rien dans le prix obtenu par ce film. Dans ce premier film, Kyle et Mike sont deux meilleurs amis aux tempéraments très différents, cependant leur amitié a toujours résisté aux épreuves de la vie. Jusqu’au jour où Mike avoue à Kyle avoir eu une relation avec la femme que ce dernier s’apprête à épouser. « Presque un film de Claude Sautet » avait dit Bruno Barde en conférence de presse pour qualifier ce film, sans doute en référence à l’amitié au cœur de chefs-d’œuvre du cinéaste français comme « Vincent, François, Paul et les autres », néanmoins ici il s’agit d’une amitié plus toxique, de personnages plus pathétiques, une tragi-comédie cruelle sur deux amis qui ne se séparent jamais réellement. Les deux acteurs qui les incarnent ont coscénarisé le film dont le réalisateur Michael Angelo Covino. Le début de la première séquence qui nous laisse voir deux cyclistes deviser au loin en plein effort sur les routes escarpées françaises donne le ton. Après quelques boutades, l’un des deux avoue à l’autre avoir eu une relation avec sa future épouse (incarnée par Judith Godrèche). Le récit est divisé en 8 chapitres et autant de plans-séquence (d’où la prouesse technique) que séparent de judicieuses ellipses qui permettent de suivre la relation entre Kyle et Mike sur une quinzaine d’années. « The Climb» avait déjà été récompensé du prix de la mise en scène de la section Un Certain Regard à Cannes.
Ce film n’est pas sans rappeler le Grand prix de l’édition 2018, « Thunder road » de Jim Cummings qui était aussi l’œuvre d’un réalisateur auteur (avec fantaisie et énergie débordantes) qui incarnait le rôle principal, un personnage englué dans une quotidienneté étouffante. Tout commençait d’ailleurs là aussi par un sidérant plan-séquence de plus de dix minutes qui était au départ le sujet d’un court-métrage de Jim Cummings qui lui valut une récompense à Sundance en 2016. La caméra passe fugacement sur l’assemblée d’un enterrement avant de s’attarder sur le fils de la défunte vêtu de son uniforme de policier. Il commence alors un long monologue tandis qu’un lent travelling avant nous rapproche doucement comme pour mieux débusquer les fêlures de plus en plus apparentes au fur et à mesure que le discours fantasque se déroule. Et comme tout le reste du film, autant dans son montage que dans les réactions de son personnage, « Thunder road » nous embarque toujours là où on ne l’attend pas. Tenter de danser devant un cercueil, quelle belle et déchirante métaphore de l'existence, non ? Cette digression pour vous recommander à nouveau ce bouleversant et fantasque portrait d’un homme désorienté et, au-delà, d’une Amérique déboussolée de laquelle une évasion semble possible, ou en tout cas un lendemain plus joyeux comme nous le dit cette ultime scène et ce regard final dans lequel passe une multitude d’émotions.
Je regrette l’absence au palmarès de ce Festival de Deauville 2019 de « The wolf hour » d’Alistair Banks Griffin.New York. Juillet 1977. Naomi Watts incarne June Leigh, une ancienne romancière à succès en panne d’inspiration, retranchée dans son appartement du Bronx. Alors qu’un tueur en séries sévit dans la ville et que de violentes émeutes et des pillages plongent la ville dans le chaos, June est harcelée par un mystérieux individu. A nouveau il est question d’enfermement, d’une femme prisonnière, cette fois de ses propres démons. A l’inverse de « Swallow » ce n’est pas sa famille mais elle-même qui l’enferme. Dans les deux cas pourtant un drame est à l’origine de cette pathologie, ici la paranoïa. Là où l’une « avalera » (des objets, ses émotions), l’autre devra au contraire retrouver le désir pour « recracher » ses émotions. Le film s’ouvre sur le regard de June et l’enferme comme elle le sera dans cet environnement, son appartement dans nous ne sortirons qu’à la fin, ne voyant le monde extérieur que par sa fenêtre ou par le truchement d’informations anxiogènes, cet extérieur qui ne semble représenter que menaces comme cette sonnerie intempestive de l’interphone. L’angoisse ne cessera de croître après ses rencontres avec un policier inquiétant et immoral, un jeune livreur dont on ne sait s’il représente une aide ou une menace, une amie réprobatrice… mais de l’une de ces rencontres naitra aussi le désir de reprendre le pouvoir sur son existence et sur ses mots (et ses maux). La menace est-elle existante ou le fruit du cerveau perturbé de June, menace qui semble exacerbée par cette chaleur suintante qui plonge même la ville dans le noir ? Peu importe, « The wolf hour », grâce au jeu habité de Naomi Watts est palpitant de la première à la dernière seconde et est une habile réflexion sur le processus, douloureux et libératoire, de création.
« Skin » de Guy Nattiv était annoncé comme le film choc de cette compétition. C’est encore d’une autre forme d’enfermement que doit se sortir le protagoniste dont le corps porte les marques. Les marques d’un passé ultraviolent. « Skin » relate l’histoire vraie d’un jeune homme désorienté, élevé par un groupe de skinheads suprémacistes blancs, qui décide de renoncer à toute haine et violence pour une nouvelle vie. Bien que soutenu par un activiste noir et la femme qu’il aime, trahir ceux qui lui ont tout donné, y compris la colère, le mènera dans une situation inextricable. Guy Nattiv avait reçu l’Oscar du court métrage pour un film s’intitulant déjà « Skin », sur un sujet similaire. Dans la peau du skinhead repenti, Jamie Bell, dans un rôle aux antipodes de Billy Eliott qui le fit connaître. Le film est dédié à la mémoire du grand-père du réalisateur, survivant des camps de concentration. Ou quand les barbaries d’hier résonnent tristement avec celles d’aujourd’hui, avec la résurgence des groupes suprémacistes blancs et de groupuscules nazis. Dès les premiers plans, nous est montrée la douleur que suscite l’effacement des tatouages sur son corps, douleur à laquelle fait écho la douleur infligée aux populations que les skinheads persécutent. Il faut effacer ce passé. A tout prix. Le film décortique en parallèle les mécanismes de la déshumanisation, puis de sa rédemption et de son retour à un visage humain (et à une humanité). Embrigadé dès son plus jeune âge dans un camp dirigé par un couple qui ne répond qu’aux noms de « Ma » et « Pa » il n’a eu d’autre perspective que cette violence dévastatrice, à l’image de l’adolescent isolé Gavin (Russell Posner), qui revit les mêmes étapes de ce terrible embrigadement quasiment sectaire. C’est par l’amour et en fondant sa propre famille qu’il trouvera la voie de la rédemption. Malgré la force du propos et de cette plongée presque documentaire au milieu des suprémacistes, dommage que cette rédemption nous apparaisse presque artificielle et trop soudaine, sans réelle explication (si ce n’est la rencontre amoureuse), un comble pour une histoire vraie dont le cinéaste s’est peut-être senti prisonnier, de crainte de la trahir.
LES PREMIERES
C’est par l’hommage à Pierce Brosnan et par la nouvelle pépite de Woody Allen, « Un jour de pluie à New York » qu’avait débuté ce 45ème Festival du Cinéma Américain de Deauville.
En 2016 avec, « Café Society » (également diffusé cette année à Deauville dans le cadre de l’hommage à Kristen Stewart), Woody Allen nous avait emmenés dans les années 30, et nous avait laissés à la joie factice du réveillon dans ce fameux café. Le film éponyme, empreint d’une féroce nostalgie, était ainsi une chronique acide sur Hollywood, son vain orgueil et sa superficialité, et un nouvel hommage à la beauté incendiaire de New York mais c’était aussi un hymne aux amours impossibles qui auréolent l’existence d’une lumineuse mélancolie. Ensuite avec « Wonder wheel » il nous avait transportés deux décennies plus tard dans un lieu d’évasion qui s’apparente aussi à une prison, Coney Island, parc d’attraction, péninsule située à l'extrême sud de Brooklyn au centre de laquelle trône une grande roue qui tourne irrémédiablement sur elle-même, métaphore des destinées des personnages de « Wonder Wheel » et surtout de celle de Ginny (Kate Winslet). Comme avec, Cate Banchett dans « Blue Jasmine », la réussite de ce film devait beaucoup à l’écriture de ce personnage féminin et à sa remarquable interprétation. Cate Blanchett était parvenue à nous faire aimer son personnage horripilant, snob, condescendant, inquiétant même parfois mais surtout très seul, perdu, et finalement touchant, comme l’est Ginny. Jasmine maquillait ses failles derrière un culte de l’apparence, Ginny par un culte du passé. Dans « Un jour de pluie à New York » c’est Elle Fanning qui crève l’écran dans ce nouveau film de Woody Allen dont la sortie américaine n’a pourtant jamais eu lieu. Mars Films a en revanche choisi de sortir ce film qu’il aurait été dommage de ne pas découvrir. C’est l’histoire de deux étudiants, Gatsby et Ashleigh, qui envisagent de passer un week-end en amoureux à New York. Pas le New York de Coney island, non, plutôt le New York idyllique et mythique de « Manhattan ». Mais le projet tourne court, aussi vite que la pluie succède au beau temps. Bientôt séparés, les deux tourtereaux enchainent chacun de leur côté les rencontres fortuites et situations insolites. Comme d’habitude, ce nouveau Woody Allen débute par une brillante scène d’exposition qui nous présente les protagonistes : l’étudiant décalé, surdoué, romantique Gatsby Welles le bien nommé (Timothée Chalamet) – Gatsby pour le romantisme et la mélancolie, Welles peut-être pour le pouvoir de création - , sorte de double de Woody Allen, et sa petite amie, Ashleigh Enright (Elle Fanning), étudiante naïve, apprentie journaliste en cinéma, qui va interviewer le grand cinéaste Roland Pollard (Liev Schreiber) pour son journal universitaire sauf que ce dépressif va s’échapper et conduire Ashley à travers New York tandis que Gatsby l’attend pour leur virée romantique et déambule dans New York où il fera une rencontre qui modifiera le cours de son destin, celle de Chan (Selena Gomez). « Un jour de pluie à New York ». Un titre à la Claude Sautet, qui affectionnait tant les scènes de pluie pour rapprocher les êtres. Une promenade romantique à New York, pleine de charme, avec des personnages « pittoresques » comme toujours remarquablement brossés. Oui, « Laissons la réalité à ceux qui n'ont rien d'autre ». Alors osons rêver nos vies comme nous y invite cette escapade mélancolique dans New York, teintée d'humour cinglant et de dialogues ciselés. Une promenade à l’image des personnages, pleine de charme (décidément, mais le charme est vraiment ce qui définit ce film qui vous envoûte et enlace progressivement de son voile de mélancolie), riche de scènes marquantes comme celle lors de laquelle la mère de Gatsby (Cherry Jones) part dans un monologue inattendu qui est un film en soi, dévoilant un autre visage de cette mère possessive, ou comme lorsque Gatsby se met au piano. Soudain, la magie opère. Un film empreint de nostalgie, étonnamment jeune aussi, qui nous donne envie de déambuler sous la pluie, d’observer la beauté captivante de la ville, de croire aux rencontres impromptues, bref à la magie du cinéma. Une fable savoureuse qui nous donne envie de croire à ce qui arrive « dans les films, pas dans la vraie vie ».
Autre invitation au rêve avec « Music of my life » de Gurinder Chadha à qui l’on doit notamment le réjouissant « Joue-la comme Beckham ». 1987. Angleterre. Javed, adolescent d’origine pakistanaise, grandit à Luton, une petite ville qui n’échappe pas à un difficile climat social. Il se réfugie dans l’écriture pour échapper au racisme et au destin que son père, très conservateur, imagine pour lui. Mais sa vie va être bouleversée le jour où l’un de ses camarades lui fait découvrir l’univers de Bruce Springsteen. Il est frappé par les paroles des chansons qui décrivent exactement ce qu’il ressent. Javed va alors apprendre à comprendre sa famille et trouver sa propre voie. Un film porté par la musique du « Boss » et dont le sujet tourne en plus autour de celle-ci pouvait difficilement être mauvais. A l’image de ses musiques, la légèreté n’est qu’apparente et on évoque ici aussi bien le décalage culturel, la résistance et l’intégration qui donnent lieu à des situations savoureuses. Le film est d’abord et avant tout un hymne à la création. Javed écrit. Mais c’est cette rencontre avec l’œuvre de Springsteen qui va le porter et l’aider dans l’Angleterre nationaliste et raciste de Thatcher, gangrénée par le chômage. A la fois feel good movie et chronique sociale, cette adaptation du roman autobiographique « Greetings from Bury Park : Race, Religion and Rock’n’Roll » du journaliste britannique Sarfraz Manzoor raconte comment ce jeune homme d’origine pakistanaise mal dans sa peau va s’émanciper grâce à la musique et l’écriture. Il veut en effet devenir écrivain mais sa « famille est coincée dans une autre époque ». Cela va lui permettre de « bâtir un pont » vers ses « ambitions » parce que ce que raconte le Boss de sa vie dans le New Jersey fait écho à la vie de ce jeune homme d’origine pakistanaise dans une ville anglaise, Bruce est pour lui « le lien direct vers la vérité ». Les paroles, universelles, dépassent les frontières, et vont l’aider à affronter son père. Vous quitterez le film avec en tête les musiques de Bruce Springsteen, l’envie de chanter (certaines chansons sont joliment mises en scène sous forme de comédie musicale) et cette phrase : « Ecris un rêve Fais en sorte qu’il se réalise ». Tout un programme. Une bulle d’optimisme non dénuée de fond, voilà qui fait beaucoup de bien.
Parmi les premières marquantes de cette 45ème édition il y eut indéniablement « Waiting for the barbarians » de Ciro Guerra, une première précédée de l'hommage à Johnny Depp, l’occasion de revoir des extraits de films inoubliables : « Edward aux mains d’argent », « Arizona dream », « Gilbert grape », « Dead man », « Las Vegas parano », « Sleepy hollow » … « Waiting for the barbarians » pourrait s’ajouter à cette liste. Une fois de plus, Johnny Depp est là où on ne l’attend pas, dans un rôle antipathique au possible. Dans un désert sans nom à une époque incertaine, un magistrat (Mark Rylance) gère un fort qui marque la frontière de l’Empire. Le pouvoir central s’inquiète d’une invasion barbare et dépêche sur les lieux le colonel Joll (Johnny Depp), un tortionnaire de la pire espèce (qui nomme sa méthode « patience »). Parmi les hommes et les femmes ramenés au fort et torturés, une jeune fille blessée attire l’attention du magistrat qui finit par contester les méthodes employées par le colonel et prendre fait et causes pour les soi-disant barbares. « Waiting for the barbarians » est une passionnante réflexion sur les mécanismes de l'abus de pouvoir, l'oppression, une métaphore à petite échelle des totalitarismes qui traversent les lieux et les époques, qu'ils soient dans le cadre d'une entreprise (ou même d'un cercle plus restreint social ou familial) ou étatiques. Évidemment il était judicieux pour incarner « le mal » de choisir un acteur plutôt habitué à des rôles de héros pour montrer que la monstruosité peut avoir tous les visages, que le masque arboré n'est pas forcément celui du Rhinocéros comme dans la pièce éponyme de Ionesco. La monstruosité n’en est pas moins là. Adaptée du roman éponyme de l’écrivain sud-africain J. M. Coetzee, lauréat du prix Nobel de littérature en 2003, cette fable terrifiante à l'image de la pièce de Ionesco précitée est un vibrant plaidoyer pour la résistance. Pour s’agrandir, l’Empire paranoïaque (voilà qui rappelle les thématiques de films précédemment évoqués) va vouloir soumettre les peuples nomades considérés comme barbares et va aussi transformer les foules en masses grégaires et haineuses. Ce fort qui pourrait faire songer à ceux du Far west avec certains plans (notamment d’embrasures de portes) à la John Ford et l’intemporalité de l’histoire la rendent d’autant plus universelle, forte et terrifiante.
Johnny Depp a ainsi évoqué son personnage qui, à l'image de son interprète tout au long de la conférence de presse, porte en permanence des lunettes, manière sans doute de se préserver des regards inquisiteurs. et de garder « la communication profonde » pour ceux à qui il souhaite lui aussi montrer son vrai visage ». « La vraie communication, la communication profonde se fait à travers les yeux. Il a construit des murs vraiment très forts. Il est juste une armure, stratégie. Il ne sera jamais rien d'autre que ce qu'il est. Cela vient d'une enfance cassée. Il se sert de sa colère pour faire mal aux autres », a ainsi déclaré Johnny Depp à propos de son personnage. Notons la délicatesse de Mark Rylance qui a pris soin de poser des questions aux deux producteurs du film pendant la conférence de presse à défaut de questions posées à ces derniers par les journalistes. Qui mieux que cet acteur élégant pouvait incarner ce magistrat qui s'élève contre la barbarie ? Cette barbarie aux mille visages et qui prend parfois celui fallacieux de la bonté.
Mark Rylance a ainsi expliqué à propos de son personnage et la réaction de rejet que lui témoigne la jeune femme à qui il vient pourtant en aide : « nous victimisons les femmes chacun à notre manière. » Dans l’absence de manichéisme de ce personnage (au contraire de celui de Depp qui est l’archétype du « méchant », archétype qui n’est pas ici un défaut mais une nécessité pour appuyer le propos) réside tout l’intérêt de ce film marquant d’une force et d’une originalité incontestables.
La plus longue standing ovation à Deauville cette année fut néanmoins celle à l’issue de la projection d’ « American skin » de Nate Parker. Produit par Spike Lee, ce film est de ceux de ce festival annoncés comme « défiant Trump » ou en tout cas l'Amérique de Trump, une Amérique enfermée dans des préjugés par définition étriqués, dans la peur et ses conséquences, l'oppression de l'autre. Lincoln est un ancien combattant de la Marine. Aujourd'hui, il travaille comme concierge au sein d'une école et tente d’améliorer ses relations avec son fils. Un jour, lors d'un contrôle de police de routine, le jeune garçon est tué. Cependant, l'officier coupable d'avoir tiré sur lui est déclaré innocent. Lincoln (incarné par Nate Parker lui-même) choisit alors de faire justice lui-même. L'enfermement, l'aspiration à la liberté, à pouvoir être soi-même sans entraves était décidément le thème récurrent de cette édition. Là encore en effet il est question d’enfermement. D’enfermement dans une société de préjugés qui conduit à ce que certains hommes se sentent moins libres que d’autres. D’enfermement pour faire surgir la vérité. Paradoxalement, les multiples moyens de communication (sous leurs nombreuses formes) et de filmer et donc supposément de s'ouvrir à l'autre sont aussi omniprésents et servent aussi le style faux documentaire du film mais également à montrer que dans nos sociétés ultra connectées tout est filmé constamment sans pour autant permettre de faire éclater la vérité ou de s'ouvrir l'autre et de communiquer posément. Vérité glaçante. Cela permet bien sûr aussi d'impliquer le spectateur, de susciter son empathie. Le film fait d’ailleurs l’éloge du documentaire comme moyen d’éveil des consciences, limité d’ailleurs puisqu’il est ici au service de la vérité mais peut tout aussi bien la trahir et non la traduire. Prenant de la première seconde (début sur le vif lors d'un contrôle de police tragique) au dénouement (qui rappelle cette première scène comme si tout cela n'était qu'un cycle infernal, condamnant tout espoir d'un lendemain meilleur où chacun s'écouterait et se libérerait de la peur dictée par les préjugés), ce faux documentaire fourmille d'idées brillantes. Comme de s'inspirer de « 12 hommes en colère », le face à face auquel ce « procès » improvisé donne lieu n’est d’ailleurs pas sans rappeler certaines scènes des « Misérables » (Prix d’Ornano-Valenti de cette édition dont je vous parle plus bas) en ce que l’un et l’autre de ces deux films montrent que la violence, dictée par la peur, exacerbe les tensions. Comme encore ces quelques mots lapidaires au journal télévisé pour traduire et trahir la complexité d'un drame humain. Mots auxquels succèdent les louanges sur les performances d'un sportif noir énoncées par un présentateur guilleret. « Cachez ces crimes racistes que je ne saurais voir », semble nous dire Nate Parker du moment que l'apparence et les clichés soient saufs. Telle est l'Amérique de Trump. Résultat : un film poignant, bouleversant, un coup de poing et un coup au cœur. Un plaidoyer aussi convaincant que nécessaire qui a bouleversé les festivaliers.
Parmi les évènements de cette édition, il y eut également l’hommage à Geena Davis venue présenter « Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood » de Tom Donahue. Tout peut changer est un documentaire qui révèle ce qui se cache derrière l'une des aberrations de l'industrie du cinéma américain : la sous-représentation des femmes à Hollywood. Le réalisateur Tom Donahue met en avant des décennies de discrimination à l'égard des femmes derrière et devant la caméra, grâce notamment à une méthode inédite d’étude des données chiffrées, avec, à l’appui, des centaines de témoignages accablants. Plus important encore, le film cherche et propose des solutions qui vont au-delà de l'industrie du cinéma et bien au-delà des frontières américaines, à travers les témoignages de nombreuses voix d'Hollywood, dont Meryl Streep, Cate Blanchett, Natalie Portman, Reese Witherspoon, Jessica Chastain, Chloë Grace Moretz ou encore, Geena Davis, également productrice exécutive du film ; pour mettre en exergue ce qui peut et doit changer. Dommage que le message soit noyé parmi une floppée de chiffres et d’énonciations didactiques, une manière d’infantiliser le spectateur (en surlignant bien certaines données au cas où il n’aurait pas compris), un ton vindicatif voire guerrier en totale contradiction avec le propos, et une dispersion des sujets qui méritaient pourtant d’être traités. Il était cependant intéressant de voir le rôle majeur occupé par les femmes au temps du muet et comment celles-ci ont peu à peu été évincées de l’industrie cinématographique ou encore comment ces dernières sont enfermées (encore l’enfermement) dans des personnages stéréotypés. L’intention était donc louable même si le résultat n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Geena Davis, qui a fondé un institut d'études sur la représentation des femmes à l'écran, l'Institute of gender in media, démontre que la discrimination est toujours d’actualité pour les femmes, qu’elles se trouvent devant ou derrière la caméra, que ce soit dans la manière dont elles sont représentées sur l’écran ou traitées sur les tournages. Ainsi, « En Amérique, seuls 4% des films produits sont réalisés par des femmes » alors que ce « chiffre est de 24% en France. »
Finalement plus parlant, militant, efficace était le film « American Woman » de Jake Scott, projeté après la remise du Deauville Talent Award à Sienna Miller, sans aucun doute le rôle de sa carrière, « le plus beau rôle de ma carrière » a-t-elle d’ailleurs elle-même déclaré, suite logique de judicieux choix pour celle qui a notamment tourné pour Clint Eastwood dans « American sniper », James Gray dans « The lost city of Z » ou encore Bennett Miller dans « Foxcatcher ». Un rôle beaucoup plus nuancé que ce qu’il paraît être dans les premières minutes du film où elle incarne une sorte de caricature de bimbo frivole, mère aimante d’une fille mère, laquelle adolescente disparaît mystérieusement. Le tout dans une ville rurale de Pennsylvanie. Deb Callahan (Sienna Miller donc), est ainsi une mère de 31 ans qui travaille comme caissière dans un supermarché. Elle se retrouve alors seule à élever son petit-fils encore bébé. Elle va devoir affronter ses errements passés pour se construire une nouvelle vie d'adulte. Mais sa quête est remise en question le jour où la vérité sur la disparition de sa fille éclate. Philippe Augier, le maire de Deauville, a ainsi rendu l’hommage à l’actrice : « Les femmes sont beaucoup représentées dans le cinéma, particulièrement à Deauville cette année, et c’est notre volonté d’affirmer leur émancipation de tous les carcans qui leurs sont imposés, souvent par erreur, par méconnaissance, par incompréhension de la beauté du genre qu’elles incarnent. » « American Woman » est un film remarquable en ce qu’il déjoue et démonte les clichés qu’il semble de prime abord mettre en scène. Il évite aussi tous les écueils. Plutôt que de dresser un portrait larmoyant d’une mère éplorée qui a perdu sa fille ou de s’axer sur l’enquête, il se concentre sur la reconstruction de cette femme qui passe par son émancipation. Au fur et à mesure que son visage se démaquille, elle devient elle-même, prend peu à peu son destin en main. Le film n’a rien du thriller contrairement à ce que pourraient laisser entendre son pitch et son affiche. Ou alors un thriller de l’intime, une enquête sur la profondeur d’un être en apparence superficiel. Cette disparition est finalement le prétexte à dresser le portrait de cette femme dans la tourmente. « La parole s’est libérée et s’il y a un problème, on peut le signaler en moins de cinq minutes. Aujourd’hui, je n’accepterais pas certaines choses que j’ai pu accepter par le passé, et je me félicite de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes », a ainsi déclaré Sienna Miller en conférence de presse.
Autre femme forte et de conviction, Jean Seberg incarnée par une autre femme forte et de conviction Kristen Stewart dans le film éponyme de Benedict Andrews qu’elle est venue présenter à l’occasion de l’hommage que lui a rendu le Festival de Deauville qui lui a décerné un Deauville Talent Award. Ce film qui oscille entre thriller, film politique et histoire d’amour est surtout là aussi un magnifique portrait de femme auquel Kristen Stewart apporte à la fois force, fragilité, et une palette d’expressions et d’émotions d’une rare diversité. Ce film, qui n’est pas un biopic mais inspiré de faits réels, relate une période de la vie de l’actrice emblématique de la Nouvelle Vague et d’« A bout de souffle », épouse de Romain Gary (Yvan Attal) et éclaire certaines ombres de sa vie (et mort). L’actrice américaine vit à Paris et se rend à Los Angeles pour un tournage. Dans l’avion, elle rencontre Hakim Jamal, activiste américain défenseur de la cause noire (ou plutôt ce dernier semble s’être arrangé pour qu’ils s’y rencontrent). Ils vont commencer une relation secrète tandis que Jean soutient publiquement la cause de Jamal. Seberg devient alors un des sujets de la surveillance du FBI qui surveillait déjà les agissements de Jamal et de son entourage. Cette surveillance va peu à peu se transformer en véritable harcèlement et détruire la jeune femme. Tout aussi intéressant est le personnage d’un jeune membre du FBI qui commence à douter de ses méthodes. Le film commence par la scène du bûcher de « Sainte Jeanne » d’Otto Preminger au cours de laquelle l’actrice fut blessée. Comme une marque indélébile présageant les souffrances morales à venir. Jean Seberg va peu à peu sombrer dans la paranoïa. Kristen Stewart prouve une nouvelle fois qu’elle peut tout jouer après notamment « Sils Maria » d’Olivier Assayas (c’est d’ailleurs ce dernier qui lui a rendu hommage avant de recevoir le lendemain le prix du 45ème festival pour "Cuban network", j’en profite pour vous recommander vivement ce film dans lequel Kristen Stewart est d’une justesse remarquable, un film sur l'étanchéité des frontières entre l'art et la vie, et l'implacable violence du temps qui passe) et « Café Society » de Woody Allen (elle est éblouissante dans ce film dans lequel en un instant son regard s’évade et se voile de tristesse), deux films dans lesquels elle incarnait des rôles très différents et dans lesquels elle excellait déjà. Avec ce rôle, elle donne une nouvelle fois raison à Olivier Assayas qui lui a rendu hommage par ces mots : « Kristen est une artiste qui possède ce don rare d’être à la fois hors du temps et d’incarner son époque au meilleur sens de ce terme. Son âme est dans ses films et elle donne aussi une âme à tout ce qu’elle approche. Si je suis si heureux de lui donner ce prix ce soir c’est parce que Kristen incarne spontanément, avec sincérité et pureté, ce que le cinéma peut susciter de meilleur, donnant chair à l’idée même d’indépendance et de liberté. Et que je lui suis infiniment reconnaissant de porter avec autant de courage ces valeurs, à la fois si fragiles et si précieuses, et de le faire non seulement pour elle mais pour chacun et pour chacune. » Le film « Seberg », passionnant et bouleversant est basé sur « des faits, et des documents du FBI ». Le destin tragique d’une actrice si lumineuse comme l’histoire du cinéma en connut tant. Et s’il se concentre sur la période de 1968 à 1971, difficile de ne pas établir de lien avec la résurgence du racisme aux Etats-Unis.
Enfin, j’ai délibérément choisi de terminer ce bilan du festival par deux films qui, chacun à leur manière, défendent des messages forts, l’un pour dresser le portrait d’un héros, l’autre pour nous raconter l’histoire de Misérables du 21ème siècle, empruntant pour cela à Victor Hugo certaines de ses figures emblématiques du chef-d’œuvre éponyme.
Il s’agit d’abord d’« Une vie cachée » de Terrence Malick, présenté en mai dernier en compétition dans le cadre du Festival de Cannes (8 ans après sa palme d’or pour « The tree of life ») et en Première à Deauville. Dans ce film inspiré de faits réels, Franz Jägerstätter, paysan autrichien, refuse de se battre aux côtés des nazis. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est passible de la peine capitale. Mais porté par sa foi inébranlable et son amour pour sa femme, Fani, et ses enfants, Franz reste un homme libre. Une vie cachée raconte l'histoire de ce héros qui vit dans le Tyrol autrichien, au milieu d’une nature que la caméra de Malick effleure et caresse délicatement, amoureusement, une nature idyllique où vivent Franz et sa famille. C’est le parcours christique de cet homme follement courageux que nous raconte Malick, filmant ce parcours avec le lyrisme qui le caractérise par d’amples travellings et des contre-plongées inspirées. C’est fascinant, beau et envoûtant, comme un poème tragique, comme un éloge funèbre. Son lyrisme grandiloquent rend le plus vibrant et flamboyant des hommages à ce fiévreux résistant. Enfiévré de son amour pour sa femme, porté par leurs souvenirs communs. De sa foi. De son combat qu’il sait juste et que seuls dieu et son épouse semblent pouvoir comprendre et accompagner. Un film méditatif sidérant d’éclat, de force. Une symphonie visuelle captivante qui rend un hommage bouleversant à cet homme qui trouve la lumière en combattant l’obscurantisme et dont la fin à la fois tragique, poignante et sublime nous laisse KO. Je vous reparlerai de ce film qui mérite plus que ces quelques lignes.
Terminons ce bilan subjectif et sélectif du Festival de Deauville 2019 par un film dont la fin m’a également laissée KO : « Les Misérables » de Ladj Ly dont nous venons d’apprendre qu’il représentera la France dans la course aux Oscars. C’est en tant que lauréat du prix d’Ornano-Valenti (qui récompense chaque année un film français dans le but d'aider à sa promotion et son exportation) qu’il était présenté à Deauville, succédant aux « Chatouilles » et recevant le même accueil enthousiaste auprès du public du festival. Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes. Ladj Ly nous plonge d’emblée dans le quotidien de ces policiers, et suscite notre empathie en nous mettant à la place de la nouvelle recrue qui, comme nous, découvre cet univers dans lequel la tension est palpable, constante et la réalité complexe. Loin de tout manichéisme, Ladj Ly filme en effet la réalité qu’il connait dans toute sa complexité, ses rouages, la perversité que cela engrange, obligeant la police à traiter avec les voyous pour solutionner certaines situations (ou parfois employant leurs méthodes, et franchissant allègrement la ligne rouge). La caméra à l’épaule nous donne la sensation d’être immergés dans cet enfer urbain dans lequel la corruption règne. Jamais le rythme ne faiblit. La tension est constante. Personne n’est idéalisé ou épargné et, dans leur intimité, les policiers apparaissent tout aussi misérables que ceux qu’ils poursuivent. Le titre qui se réfère à la ville de Montfermeil (où se situent des passages des « Misérables ») fait ainsi le lien et les réunit dans une même réalité après un début sur ce qui les réunit aussi, le drapeau, la coupe du monde. « Sans cohésion pas d’équipe et sans équipe on est seul », entend-on ainsi, ce qui s’applique alors à l’un et l’autre des deux « camps ». Avec Laurent nous découvrons cet équilibre précaire qu’un rien pour conduire à s’embraser jusqu’au chaos final, un final explosif, un piège qui se referme inexorablement. L’enfermement, encore. Une scène couper le souffle. Un final terrible et d’une logique implacable après un crescendo éreintant. Un final après lequel il était apaisant de retrouver la douceur des planches, la mélancolie charmante de Deauville qui n’a rien à envier à celle de « Un jour de pluie à New York » dont la phrase me revient aujourd’hui encore comme un leitmotiv : « C’est la vraie vie. Laisse-la à ceux qui ne trouvent pas mieux » et me donne l’envie de m’installer à une terrasse sur les planches. D’y observer le film de la vie. Ou d’y relire « Gatsby le magnifique ». Alors, en attendant de me replonger dans les livres de Francis Scott Fitzgerald, un peu de Victor Hugo :
Après cette édition 2019 qui a su allier glamour et exigence artistique, mythes et engagement (films, femmes et cinéastes engagés étaient à l'honneur cette année) et révéler de nouveaux talents, je vous donne rendez-vous en 2020 pour la 46ème édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville qui aura lieu du 4 au 13 septembre et, en attendant, dès vendredi au Festival du Film Britannique de Dinard.
Ci-dessous, quelques photos complémentaires de Deauville aux couleurs du Festival du Cinéma Américain.
Je suis l'auteure de toutes les vidéos et photos de cet article. Merci au photographe Dominique Saint pour les photos de tapis rouge à retrouver sur mon compte instagram @Sandra_Meziere. Merci au CID, au magazine Normandie Prestige 2019 (dans lequel vous pourrez notamment retrouver mon article bilan de l'édition 2018 du festival), et à la radio France Bleu Normandie pour l'interview rituelle en direct du festival. Je continue à vous parler de Deauville, en fiction cette fois, puisque, après mon recueil "Les illusions parallèles" (Editions du 38) qui comprend deux nouvelles se déroulant dans le cadre du festival, Short Edition vient de sortir cette semaine un recueil dans lequel figure une de mes nouvelles, lauréate d'un de leurs concours d'écriture dont l'intrigue se déroule à... Deauville.