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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Quatrième long métrage de Spike Jonze après « Dans la peau de John Malkovich» (1999), « Adaptation » (2002) et « Max et les maximonstres » (2009), à l’image du premier que j’avais découvert avec jubilation au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il fut primé en 1999, « Her » nous embarque dans les réjouissants méandres d’un imaginaire débridé, celui du cinéaste et de son personnage. A ses risques et périls.
Direction Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), écrivain public des temps modernes, est inconsolable suite à une rupture difficile, en effet en instance de divorce avec sa femme Catherine (Rooney Mara) et vit seul dans un appartement sans âme. Il fait alors l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il répond à de brèves questions, choisit une voix féminine et fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et dotée d’humour et même d’ironie. Peu à peu, l’impensable va survenir : l’homme et la machine vont tomber amoureux…
La cristallisation amoureuse est sans aucun doute un éternel et non moins passionnant sujet romanesque et même romantique, pour la littérature aussi bien que pour le cinéma. Un sujet maintes fois abordé que Spike Jonze modernise ici en le liant à la solitude des vies et villes contemporaines même s’il s’agit ici (en apparence) de science-fiction. Spike Jonze ou le Stendhal des temps modernes…
A l’image de l’affiche, c’est avant tout l’histoire d’un homme seul face à nous, miroir de nos solitudes modernes, et surtout face à lui-même, et dont le métier consiste à envoyer des lettres pour et à des inconnus avant de retrouver son appartement glacial donnant sur les lignes verticales et froides de la ville, avec l’hologramme d’un jeu vidéo pour seule compagnie. Dans la première scène, il dit des mots d’amour face caméra. Puis, nous découvrons qu’il est en réalité sur son lieu de travail, seul face à un ordinateur. Comme une prémonition.
Nommé dans cinq catégories à la 86ème cérémonie des Oscars (meilleur film, meilleure musique, meilleure chanson, meilleur décor et meilleur scénario original), « Her » est un film d’une indéniable originalité, dans son écriture (il a obtenu le Golden Globe et l’Oscar du meilleur scénario) et dans sa réalisation. Originalité et perspicacité puisque, en exacerbant le rôle des technologies, en nous faisant accepter pour réalité cette histoire d’amour aux frontières de la folie et de l’absurde (pléonasme ?), il porte à son paroxysme ce que nous inspirent les nouvelles technologies : le sentiment amoureux, cette « forme de démence acceptée par la société » (magnifique définition), qu’il dépeint magistralement dans sa sublime exaltation.
Dans cette ville intemporelle et universelle (Spike Jonze a tourné à Shangai et Los Angeles) se croisent des êtres qui vivent dans leur bulle imaginaire, soliloquant, emmurés dans leurs solitudes comme ils le sont dans cette ville tentaculaire. La technologie froide et déshumanisée va s’humaniser pour devenir l’âme sœur au sens propre, un amour désincarné, cristallisé. Her. Elle qui devient son univers au point qu’il se teinte du rouge qui la caractérise, biaise sa vision du monde, l’embellit, le transcende. La description de l’état amoureux est particulièrement réussie, cette ivresse insensée, cette idéalisation démente, cette projection, cette réécriture de la réalité, ce cinéma, finalement. Le vrai bonheur semble dans l’ailleurs, l’insaisissable, l’imaginaire, ou alors le passé, cette « histoire qu’on se raconte » et la forme et le fond se répondent intelligemment puisque le passé idéalisé est ici raconté par des flashbacks silencieux auréolés de lumière et de bonheur.
Spike Jonze a fait appel aux réalisateurs David O.Russell et Steven Soderbergh, pour que ces derniers confient leurs impressions sur la première version du film. Soderbergh aurait même fait des coupures radicales, peut-être que cette multiplicité de points de vue est à l’origine de l’unique défaut du film : l’impression de ruptures de rythme.
Scarlett Johansson réussit le pari de donner corps à cette voix (elle a même remporté le Prix d’Interprétation Féminine au 8ème Festival International du Film de Rome, en novembre 2013) et de faire exister ce personnage invisible. Quant à Joaquin Phoenix, il est une nouvelle fois d’une justesse étonnante qui contribue à nous faire croire à l’existence de ce personnage invisible dont il tombe amoureux. Un rôle majeur de plus après déjà tant de rôles marquants, que ce soit dans « La nuit nous appartient » de James Gray dans lequel il avait cet incroyable regard lunatique, fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté, film dans lequel il est un magistral écorché vif dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère de claustrophobie du film ou encore dans le fascinant « I’m still here » , objet filmique singulier posant des questions passionnantes sur le statut de l’image (au double sens du terme d’ailleurs : image cinématographique et image de l’artiste) et évidemment en incarnant l’inoubliable fragile Leonard dans « Two lovers ».
Les décors et les costumes sont également particulièrement ingénieux s’inspirant du style des années 30 : Theodore porte une moustache et des pantalons tailles hautes, jamais de jeans, pas de revers, ni de col. Un univers singulier à la fois proche et lointain. L’omniprésence du rouge, la lumière naturelle dont est baigné l’appartement, tout contribue à cette impression de bulle irréelle et aveuglante que suscite le sentiment amoureux et nous transporte dans cet ailleurs vertigineux, fascinant, étourdissant et parfois effrayant.
Un film à la fois salutaire, parce qu’il montre le redoutable et magique pouvoir de l’imaginaire et fait appel à celui du spectateur ( par exemple pendant la scène d’amour, seul demeure un écran noir), et terrifiant en ce qu’il nous montre un univers d’une tristesse infinie avec ces êtres « lost in translation » prêts à tout pour ressentir la chaleur rougeoyante d’un amour fou, sublimé, un univers pas si éloigné du nôtre ou ce qu’il pourrait devenir.
Une fable poétique envoûtante, terriblement mélancolique, sublimée par la musique du groupe Arcade Fire, par une réalisation inspirée et élégante mais dont la tristesse et la suffocante solitude qui en émane m’ont terrassée malgré un magnifique plan de fin qui fait intelligemment écho à celui du début et qui nous incite à regarder vers l’horizon, à ressentir de vraies émotions, ou peut-être à regarder la vie telle qu’elle est : avec ses aspérités mais toujours riche de promesses.
« Winter Sleep » a remporté la Palme d’or du 67ème Festival de Cannes, voilà qui complètait le (déjà prestigieux) palmarès cannois de Nuri Bilge Ceylan, un habitué du festival, après son Grand Prix en 2003, pour « Uzak », celui de la mise en scène en 2008 pour « Les Trois Singes » et un autre Grand Prix en 2011 pour « Il était une fois en Anatolie ». En 2012, il fut également récompensé d’un Carrosse d’Or, récompense décernée dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs par la Société des Réalisateurs de Films à l’un de leurs pairs. Son premier court-métrage, « Koza », fut par ailleurs repéré par le festival et devint le premier court turc qui y fut sélectionné, en 1995. Il fut par ailleurs membre du jury cannois en 2009, sous la présidence d’Isabelle Huppert. Son film « Les Climats » reçut le prix FIPRESCI de la critique internationale en 2006.
J’essaie de ne jamais manquer les projections cannoises de ses films tant ils sont toujours brillamment mis en scène, écrits, et d’une beauté formelle époustouflante. « Winter sleep » ne déroge pas à la règle…et c’est d’autant plus impressionnant que Nuri Bilge Ceylan est à la fois réalisateur, scénariste (coscénariste avec sa femme), coproducteur et monteur de son film…et qu’il semble pareillement exceller dans tous ces domaines.
Inspiré de 3 nouvelles de Tchekhov, se déroulant dans une petite ville de Cappadoce, en Anatolie centrale, « Winter sleep » raconte l’histoire d’Aydin (Haluk Bilginer), comédien à la retraite, qui y tient un petit hôtel avec son épouse de 20 ans sa cadette, Nihal (Melisa Sözen) dont il s’est éloigné sentimentalement, et de sa sœur Necla (Demet Akbağ ) qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements… Et dire que tout avait commencé par la vitre d’une voiture sur laquelle un enfant avait jeté une pierre. La première pierre…
Sans doute la durée du film (3H16) en aura-t-elle découragé plus d’un et pourtant…et pourtant je ne les ai pas vues passer, que ce soit lors de la première projection cannoise ou lors de la seconde puisque le film a été projeté une deuxième fois le lendemain de la soirée du palmarès, très peu de temps après.
La durée, le temps, l’attente sont toujours au centre de ses films sans que jamais cela soit éprouvant pour le spectateur qui, grâce à la subtilité de l’écriture, est d’emblée immergé dans son univers, aussi rugueux puisse-t-il être. Une durée salutaire dans une époque qui voudrait que tout se zappe, se réduise, se consomme et qui nous permet de plonger dans les tréfonds des âmes qu’explore et dissèque le cinéaste. Nuri Bilge Ceylan déshabille en effet les âmes de ses personnages.
Le premier plan se situe en extérieur. Au loin, à peine perceptible, un homme avance sur un chemin. Puis images en intérieur, zoom sur Aydin de dos face à la fenêtre, enfermé dans sa morale, ses certitudes, son sentiment de supériorité, tournant le dos (à la réalité), ou le passage de l’extérieur à l’intérieur (des êtres) dont la caméra va se rapprocher de plus en plus pour mettre à nu leur intériorité. « Pour bien joué, il faut être honnête », avait dit un jour Omar Sharif à Aydin. Aydin va devoir apprendre à bien jouer, à faire preuve d’honnêteté, lui qui se drape dans la morale, la dignité, les illusions pour donner à voir celui qu’il aimerait -ou croit-être.
Homme orgueilleux, riche, cultivé, ancien comédien qui se donne « le beau rôle », Aydin est un personnage terriblement humain, pétri de contradictions, incroyablement crédible, à l’image de tous les autres personnages du film (quelle direction d’acteurs !) si bien que, aujourd’hui encore, je pense à eux comme à des personnes réelles tant Nuri Bilge Ceylan leur donne corps, âme, vie.
Pour Aydin, les autres n’existent pas et, ainsi, à ses yeux comme aux nôtres, puisque Nihal apparaît au bout de 30 minutes de film seulement. Il ne la regarde pas. Et quand il la regarde c’est pour lui demander son avis sur une lettre qui flatte son ego. C’est à la fois drôle et cruel, comme à diverses moments du film, comme lorsqu’il raconte à sa sœur une pièce dans laquelle elle ne se souvient visiblement pas l’avoir vu jouer : « La pièce où je jouais un imam. J’entrais en cherchant les toilettes ».
Que de gravité et d’intensité mélancoliques, fascinantes, dont il est impossible de détacher le regard comme s’il s’était agi de la plus palpitante des courses-poursuites grâce au jeu habité et en retenue des comédiens, au caractère universel et même intemporel de l’intrigue, grâce à la beauté foudroyante et presque inquiétante des paysages de la Cappadoce, presque immobile comme un décor de théâtre. L’hôtel se nomme d’ailleurs « Othello ». Dans le bureau d’Aydin, ancien acteur de théâtre, se trouvent des affiches de « Caligula » de Camus, et de « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare. La vie est un théâtre. Celle d’Aydin, une représentation, une illusion que l’hiver va faire voler en éclats.
« Winter sleep », à l’image de son titre, est un film à la fois rude, rigoureux et poétique. Il est porté par des dialogues d’une finesse exceptionnelle mêlant cruauté, lucidité, humour, regrets (« j’ai voulu être ce grand acteur charismatique dont tu rêvais »), comme ces deux conversations, l’une avec sa sœur, l’autre avec Nihal, qui n’épargnent aucun d’eux et sont absolument passionnantes comme dans une intrigue policière, chacune de ces scènes donnant de nouveaux indices sur les caractères des personnages dont les masques tombent, impitoyablement : « Avant tu faisais notre admiration » », « On croyait que tu ferais de grandes choses », « On avait mis la barre trop haut », « Ce romantisme sirupeux », « Cet habillage lyrique qui pue le sentimentalisme », « Ton altruisme m’émeut aux larmes.», « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier ».
Ces scènes sont filmées en simples champs/contre-champs. La pièce est à chaque fois plongée dans la pénombre donnant encore plus de force aux visages, aux expressions, aux paroles ainsi éclairés au propre comme au figuré, notamment grâce au travail de Gökhan Tiryaki, le directeur de la photographie. Nuri Bilge Ceylan revendique l’influence de Bergman particulièrement flagrante lors de ces scènes.
Les temps de silence qui jalonnent le film, rares, n’en sont que plus forts, le plus souvent sur des images de l’extérieur dont la beauté âpre fait alors écho à celle des personnages. Sublime Nihal dont le visage et le jeu portent tant de gravité, de mélancolie, de jeunesse douloureuse. Pas une seconde pourtant l’attention (et la tension ?) ne se relâchent, surtout pas pendant ces éloquents silences sur les images de la nature fascinante, d’une tristesse éblouissante.
Nuri Bilge Ceylan est terriblement lucide sur ses personnages et plus largement sur la nature humaine, mais jamais cynique. Son film résonne comme un long poème mélancolique d’une beauté triste et déchirante porté par une musique parcimonieuse, sublimé par la sonate n°20 de Schubert et des comédiens exceptionnels. Oui, un long poème mélancolique à l’image de ces personnages : lucides, désenchantés, un poème qui nous accompagne longtemps après la projection et qui nous touche au plus profond de notre être et nous conduit, sans jamais être présomptueux, à nous interroger sur la morale, la (bonne) conscience, et les faux-semblants, les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver. Un peu les nôtres aussi. Et c’est ce qui est le plus magnifique, et terrible.
Spectre. 24ème James Bond. Le quatrième James Bond incarné par Daniel Craig après « Casino Royale » en 2006, « Quantum of solace » en 2008, « Skyfall » en 2012 en attendant le cinquième puisque Daniel Craig a déjà annoncé avoir signé pour le prochain. A nouveau, pour la deuxième fois après "Skyfall", c'est le réalisateur (notamment) du chef d'œuvre "Les Noces rebelles", Sam Mendes, qui est à la réalisation. Avec un budget estimé à 300 millions de dollars, Spectre est le James Bond le plus cher, ce qui devrait être rapidement rentabilisé au regard de son succès en salles (le meilleur démarrage en France avec ses 900 000 entrées comptabilisées le jour de sa sortie en France) et cela malgré de nombreuses critiques mitigées qui me laissent perplexe au regard de la réussite de ce « Spectre » dont je n’ai réalisé qu’une fois sortie de la salle qu’il durait 2H30 tant le temps a passé vite… Sans doute ces critiques s’expliquent-elles par une exigence de surenchères et rebondissements scénaristiques (que contenait le meilleur scénario de la franchise, « Casino Royale »), une lacune relative pourtant largement compensée par tout ce que contient ce 24ème Bond. Il ne faut pas oublier non plus que les producteurs du film ont été forcés de faire réécrire le script après le piratage de Sony, ce qui a radicalement changé le déroulement de l’intrigue, la transformant en une judicieuse mise en abyme puisque la surveillance mondialisée se trouve au centre de ce Bond palpitant et ombrageux aux ramifications arachnéennes.
Comme toujours haletant, le pré-générique se déroule en plan-séquence et sur les chapeaux de roue, dans une contrée lointaine, cette fois le Mexique lors de la fête des morts. Bond au bras d’une sublime créature se faufile à toute allure dans les rues grouillantes et animées de Mexico, affublé d’un masque de squelette, environné de simulacres de morts. D’emblée, le ton de ce nouveau Bond est donné. Sombre et sensuel. Sur lequel plane l’ombre de la mort. De spectres menaçants. (pléonasme?)
A Mexico, Bond tue un célèbre criminel, le mari de Lucia Sciarra (Monica Bellucci) avant d’infiltrer une réunion secrète révélant une redoutable organisation qui répond au doux nom de Spectre pour les intimes (signifiant "Service Pour l'Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l'Extorsion", en VO :"Special Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion") après avoir été démis de ses fonctions. Pendant ce temps, à Londres, Max Denbigh, le nouveau directeur du Centre pour la Sécurité Nationale, remet en cause les actions de Bond et l’existence même du MI6, dirigé par M (Ralph Fiennes).
Bond persuade alors Moneypenny (Naomie Harris) et Q (Ben Whishaw) de l’aider secrètement à localiser Madeleine Swann (Léa Seydoux), la fille de son vieil ennemi, Mr White, qui pourrait détenir le moyen de détruire Spectre. Fille de tueur et solitaire, Madeleine comprend Bond mieux que personne… Sa Madeleine (de Proust ?) qui lui rappelle ses propres blessures.
Depuis qu’il est incarné par Daniel Craig, James Bond est plus tourmenté, plus sombre, plus viril, plus glacial. Paradoxalement, plus humain, aussi. Le personnage a gagné en épaisseur en délaissant les stéréotypes du svelte dandy au sourire ravageur et carnassier aussi collectionneur de gadgets que de James Bond girls. Sixième acteur à incarner le célèbre héros de Ian Flemming, Daniel Craig est aussi à mon avis le meilleur, celui qui a apporté le plus d’épaisseur, de séduction brute, et de complexité au personnage. C’est ici dans cette complexité et non dans un scénario acadabrantesque que réside l’intérêt de ce nouveau James Bond. Un homme seul, un orphelin (doublement puisqu’il a aussi perdu M dans « Skyfall ») hanté par les démons du passé, par les morts et les ennemis qui ont jalonné sa route.
La mort, la solitude, la noirceur président ainsi à ce nouveau James Bond, plus tourmenté et ombrageux que jamais. Cela n’en est pas moins un flamboyant divertissement. Bond est ici « un cerf volant qui danse dans un ouragan ». L’accent est en effet plus que jamais mis sur sa solitude, soulignée par la réalisation inspirée de Sam Mendes. Bond traversant une place vide et grisâtre. Bond pour la première fois dans son appartement où sur le sol gisent des tableaux qu’il n’a pas pris le temps d’accrocher. Bond au milieu de grandes étendues désertiques. Bond passant sous des arbres décharnés. Bond qui traverse constamment des décors qui font écho à ses démons et sa solitude.
« Spectre » s’inscrit ainsi dans la continuité de « Skyfall », le retour aux sources qui, pour la première fois, évoquait l’enfance de Bond qui alors n’était plus une sorte de machine de guerre mais qui apparaissait pour la première fois comme un être de chair et de sang, construit par une blessure d’enfance. A nouveau, comme dans "Skyfall", il se retrouve confronté à un homme assoiffé de vengeance incarné par Christoph Waltz, manichéen comme tout méchant de Bond qui se respecte.
L’élégance de la réalisation, la pénombre et les ombres du passé qui planent constamment (a fortiori celles de M et Vesper) rendent ce « Spectre » particulièrement nostalgique et mélancolique. Dès le prégénérique, nous étions prévenus, « les morts sont vivants ». Cette mélancolie annoncée est corroborée par un générique tentaculaire étourdissant de noirceur et sensualité mêlées avec la voix déchirée et déchirante de Sam Smith qui interprète "Writing's on the Wall". Danse funèbre enivrante qui m’a immédiatement transportée dans l’univers sombrement envoûtant de ce nouveau Bond.
Les destinations plus ou moins exotiques qui caractérisent les James Bond n’ont pas été oubliées et nous passons en un rien de temps du Mexique à Londres, de Londres à Rome, de Rome à l’Autriche, de l’Autriche au Maroc…avant de revenir à Londres. La psychologie des personnages féminins n’atteint pas celle de Vesper dans « Casino Royale » mais Bond pour la première fois depuis Vesper se laisse attendrir. L’amour face à un monde qui se meurt. Les scènes avec Léa Seydoux (7ème française à incarner une James Bond girl) n’égalent ainsi pas la joute verbale entre Bond et Vesper dans « Casino Royale » et leur duel sensuel inoubliable mais apportent une touche d’émotion et de glamour. De même pour la scène d’amour avec Belluci dans la pénombre délicieusement inquiétante d’un palais romain, baigné d’opéra et de mort.
Ce Bond est aussi l’histoire d’une confrontation au passé. Le passé de son organisation. Le passé de Bond et ses fantômes qui ressurgissent. Son avenir n'est guère plus réjouissant, annoncé par son nom écrit en lettres rouges sang sur un mur, ajouté à une liste de morts.
Comme toujours l’interprétation de Daniel Craig mêle élégance et dureté, avec une pointe d'humour, même si la carapace se fissure doucement. Glamour, sombre, spectaculaire, sensuel, nostalgique, mélancolique, dominé par un personnage plus torturé, élégant, ténébreux et donc séduisant que jamais et par la réalisation particulièrement brillante de Sam Mendes, ce James Bond est un divertissement de qualité en plus d’un hommage aux anciens James Bond. Laissez-vous enserrer par cette pieuvre spectrale qui vous embarquera dans un périple sombrement fascinant et divertissant, une grisant tourbillon d'amour et de morts.
Combien de fois vous ai-je parlé de ce chef-d'œuvre de Claude Lelouch? Je ne les compte plus de même que je ne compte plus le nombre de fois où j'ai revu ce film qui, à chaque fois, m'emporte dans son tourbillon d'émotions... Un film qui m'a tant accompagnée que vous le croisez au fil des lignes de mes deux livres "L'amor dans l'âme" et "Les illusions parallèles" (et j'ai d'ailleurs eu le plaisir de faire transmettre ce dernier à Claude Lelouch lors du dernier Festival du Film Britannique dont il présidait le jury). Je n'ai pas non plus résisté au plaisir de le revoir lors des 50 ans du film au dernier Festival de Cannes (section Cannes Classics, photo ci-dessous).
Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontrait aussi magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.
Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr « Un homme et une femme », palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme », la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires. C’est une des histoires qu’il a à nouveau raconté lors de cette master class.
Vous trouverez de nombreuses critiques des films de Claude Lelouch au fil de mes blogs. En bonus, retrouvez également, après ma critique de "Un homme et une femme" ma critique de "Un + Une" et de "Salaud, on t'aime", les deux derniers films de Claude Lelouch. J'en profite pour vous dire que le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule projettera "Itinéraire d'un enfant gâté" à l'occasion de la présence dans le jury de Richard Anconina. Lors de sa première édition du festival, Claude Lelouch y avoir d'ailleurs donné une passionnante master class en compagnie de son fidèle complice, Francis Lai.
Critique de UN HOMME ET UN FEMME de Claude Lelouch
Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après que mon premier séjour à Deauville, il y a 23 ans, ait modifié le cours de mon « destin »... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur comme celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point qu'il y a 10 ans, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.
Alors sans doute faîtes-vous partie de ceux qui adorent ou détestent Claude Lelouch, ses « instants de vérité », ses hasards et coïncidences. Rares sont ceux qu'il indiffère. Placez son nom dans une conversation et vous verrez. Quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, peut-être ce film « d'auteur » vous mettra-t-il d'accord...
Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu'à épuisement en allant vers Deauville où il s'arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».
Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...
J'ai vu ce film un grand nombre de fois, tout à l'heure encore et comme à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.
Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer. Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.
Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...
Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.
Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.
Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes. Je vous en parle très bientôt.
Critique de UN + UNE de Claude Lelouch
En 1966, avec « Un homme et une femme », sa sublime histoire de la rencontre de deux solitudes blessées avec laquelle il a immortalisé Deauville, Claude Lelouch recevait la Palme d’or, l’Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement ! Ce 45ème film de Claude Lelouch, presque cinquante ans plus tard raconte à nouveau l’histoire d’un homme et d’une femme et les années et les films qui séparent ces deux longs-métrages semblent n’avoir en rien entaché la fougue communicative, la réjouissante candeur, le regard enthousiaste, la curiosité malicieuse du cinéaste. Ni la fascination avec laquelle il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Bien que les critiques ne l’aient pas toujours épargné, il est en effet toujours resté fidèle à sa manière, singulière, de faire du cinéma, avec passion et sincérité, et fidélité, à la musique de Francis Lai, aux fragments de vérité, aux histoires d’amour éblouissantes, à sa vision romanesque de l’existence, à son amour inconditionnel du cinéma et de l’amour, à ses phrases récurrentes, à ses aphorismes, aux sentiments grandiloquents et à la beauté parfois terrible des hasards et coïncidences.
Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même n’avait «pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot, Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui m’ont fait aimer le cinéma. Avec son film « Roman de gare », les critiques l’avaient enfin épargné, mais pour cela il avait fallu que le film soit au préalable signé d’un autre nom que le sien. Peu m’importe. Claude Lelouch aime la vie. Passionnément. Sous le regard fiévreux et aiguisé de sa caméra, elle palpite. Plus qu’ailleurs. Et ce nouveau film ne déroge pas à la règle.
Après Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Sandrine Bonnaire dans « Salaud, on t’aime », c’est un autre trio charismatique qui est à l’honneur dans ce nouveau film : Jean Dujardin, Elsa Zylberstein et Christophe Lambert (voire un quatuor avec Alice Pol). Son dernier film « Salaud, on t’aime » se rapprochait de « Itinéraire d’un enfant gâté », du moins en ce qu’il racontait l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, n’allait pas fuir sa famille mais tenter de la réunir. Ici, c’est finalement aussi d’un homme passé à côté non pas de sa vie mais de lui-même dont Lelouch nous raconte l’histoire, une histoire que j’attendais de découvrir depuis que j’avais vu cette affiche du film orner les murs de Cannes, lors du festival, en mai dernier.
La manière dont le film est né ressemble déjà à un scénario de film de Claude Lelouch. Jean Dujardin et Elsa Zylberstein ont ainsi plusieurs fois raconté sa genèse. Le hasard qu’affectionne tant Claude Lelouch les a réunis sur le même vol entre Paris et Los Angeles lors duquel ils ont parlé de cinéma pendant des heures et notamment d’un film de Claude Lelouch, « Un homme qui me plaît », qu'ils adorent tous les deux. L'histoire d'amour entre un compositeur incarné par Jean-Paul Belmondo et une actrice incarnée par Annie Girardot qui tombent amoureux à l'autre bout du monde. Elsa Zylberstein a appelé Claude Lelouch et l’histoire était lancée, une histoire d’amour qui, eux aussi, les a emmenés à l’autre bout du monde…
Jean Dujardin incarne ici le séduisant, pragmatique, talentueux Antoine. Antoine est compositeur de musiques de films. Antoine regarde la vie avec distance, humour et légèreté. Antoine est comme un enfant joueur et capricieux. D’ailleurs, il porte le prénom du petit garçon dans « Un homme et une femme ». Hasard ? Ou coïncidence ? Il part en Inde travailler sur une version très originale de « Roméo et Juliette » intitulée « Juliette et Roméo » et alors que sa compagne (Alice Pol) le demande en mariage par téléphone. A l’occasion d’une soirée donnée en son honneur à l’Ambassade de France, il rencontre la pétillante Anna (Elsa Zylberstein), la femme de l’ambassadeur (Christophe Lambert), aussi mystique qu’il est pragmatique, une femme qui, en apparence, ne lui ressemble en rien, pourtant, dès ce premier soir, entre ces deux-là, semble régner une magnétique connivence. Cette rencontre va les entraîner dans une incroyable aventure. Et le spectateur avec eux.
Ce que j’aime par-dessus tout dans les films de Claude Lelouch, ce sont ces personnages, toujours passionnément vivants. Dans chacun de ses films, la vie est un jeu. Sublime et dangereux. Grave et léger. Un jeu de hasards et coïncidences. Le cinéma, son cinéma, l’est aussi. Et dans ce film plus que dans tout autre de Claude Lelouch. Le fond et la forme coïncident ainsi en une ludique mise en abyme. Le film commence par l’histoire d’un voleur qui va inspirer le film dont Antoine a composé la musique et dont les images jalonnent le film…de Lelouch. Le présent, le passé et le rêve s’entrelacent constamment pour peu à peu esquisser le portrait des deux protagonistes, pour se jouer de notre regard sur eux et sur la beauté troublante des hasards de la vie.
Cela commence par des images de l’Inde, fourmillante, colorée, bouillonnante de vie dont la caméra de Lelouch, admirative, caresse l’agitation multicolore. Prémisses d’un voyage au pays « du hasard » et « de l’éternité. » Un voyage initiatique. Puis, il nous raconte une première histoire. Celle du voleur qui sauve sa victime, et de leur histoire d’amour. Celle du film dans le film. Un miroir de celle d’Anne et d’Antoine. Presque un conte. D’ailleurs, devant un film de Lelouch, j’éprouve la sensation d’être une enfant aux yeux écarquillés à qui on raconte une fable. Ou plein d’histoires puisque ce film est une sorte de poupée russe. Oui, une enfant à qui on rappelle magnifiquement les possibles romanesques de l’existence.
Ensuite, Antoine rencontre Anna lors du dîner à l’ambassade. Antoine pensait s’ennuyer et le dit et le clame, il passe un moment formidable et nous aussi, presque gênés d’assister à cette rencontre, leur complicité qui crève les yeux et l’écran, leur conversation fulgurante et à l’image de l’Inde : colorée et bouillonnante de vie. Il suffirait de voir cet extrait pour deviner d’emblée qu’il s’agit d’un film de Lelouch. Cette manière si particulière qu’ont les acteurs de jouer. Ou de ne pas jouer. Vivante. Attendrissante. Saisissante de vérité. En tout cas une scène dans laquelle passe l’émotion à nous en donner le frisson. Comme dans chacun des tête-à-tête entre les deux acteurs qui constituent les meilleurs moments du film, dans lesquels leurs mots et leurs silences combattent en vain l’évidente alchimie. Ils rendent leurs personnages aussi attachants l’un que l’autre. Le mysticisme d’Anna. La désinvolture et la sincérité désarmante d’Antoine avec ses irrésistibles questions que personne ne se pose. Antoine, l’égoïste « amoureux de l’amour ».
Comme toujours et plus que jamais, ses acteurs, ces deux acteurs, la caméra de Lelouch les aime, admire, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque, exacerbe leur charme fou. Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Dans son précédent film « Salaud, on t’aime », les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy nous rejouaient « Rio Bravo » et c’était un régal. Et ici, chacun des échanges entre Antoine et Anna l’est aussi. Comme dans tout film de Lelouch aussi les dialogues sont parsemés de petites phrases dont certaines reviennent d’un film à l’autre, souvent pour nous rappeler les « talents du hasard » :
« Mon agent, c’est le hasard. »
« Mon talent, c’est la chance. »
« Le pire n’est jamais décevant. »
Ce film dans lequel l’amour est l’unique religion est une respiration salutaire a fortiori en cette période bien sombre. Un hymne à l’amour, à la tolérance, au voyage aussi bigarrés et généreux que le pays qu’il nous fait traverser. Un joyeux mélange de couleurs, de fantaisie, de réalité rêvée ou idéalisée, évidemment souligné et sublimé par le lyrisme de la musique du fidèle Francis Lai (retrouvez mon récit de la mémorable master class commune de Lelouch et Lai au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014, ici) et celle de la Sérénade de Schubert (un peu trop utilisée par les cinéastes ces temps-ci mais c’est celle que je préfère donc je ne m’en lasse pas), par des acteurs que le montage inspiré, la musique lyrique, la photographie lumineuse ( de Robert Alazraki), le scénario ingénieux (signé Valérie Perrin et Claude Lelouch), et l’imparable et incomparable direction d’acteurs de Lelouch rendent plus séduisants, convaincants, flamboyants et vibrants de vie que jamais.
Une « symphonie du hasard » mélodieuse, parfois judicieusement dissonante, émouvante et tendrement drôle avec des personnages marquants parce que là comme ils le sont rarement et comme on devrait toujours essayer de l’être : passionnément vivants. Comme chacun des films de Lelouch l’est, c’est aussi une déclaration d’amour touchante et passionnée. Au cinéma. Aux acteurs. A la vie. A l’amour. Aux hasards et coïncidences. Et ce sont cette liberté et cette naïveté presque irrévérencieuses qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. Vous l’aurez compris, je vous recommande ce voyage en Inde !
Critique de SALAUD, ON T'AIME de Claude Lelouch
Avec sa dernière fiction, « Ces amours-là », Lelouch signait une fresque nostalgique, une symphonie qui s’achevait sur une note d’espoir, la bande originale de son existence cinématographique (qui évitait l’écueil du narcissisme) en guise de remerciements au cinéma, à la musique, à son public, à ses acteurs. Un film qui mettait en exergue les possibles romanesques de l’existence. Un film jalonné de moments de grâce, celle des acteurs avant tout à qui ce film était une déclaration d’amour émouvante et passionnée.
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Cette dernière réalisation qu’est « Salaud, on t’aime » se rapproche peut-être davantage de « Itinéraire d’un enfant gâté », du moins en ce qu’elle raconte l’histoire d’un homme à l’automne de sa vie, un autre « enfant gâté » qui est peut-être passé à côté de l’essentiel et qui, contrairement au film précité, ne va pas fuir sa famille, mais au contraire tenter de la réunir.
Jacques Kaminsky (Johnny Hallyday) est ainsi un photographe de guerre et père absent, qui s'est plus occupé de son appareil photo (enfin plutôt de son impressionnante collection d’appareils photos) que de ses 4 filles (de 4 mères différentes) nommées Printemps (Irène Jacob), Eté (Pauline Lefèvre), Automne (Sarah Kazemy –révélée par le magnifique « En secret » de Maryam Keshavarz ) et Hiver (Jenna Thiam). Avec l’espoir de les réunir, il décide d’acquérir une maison dans les Alpes dont il tombe amoureux en même temps que de celle qui la lui fait visiter, Nathalie Béranger (Sandrine Bonnaire). Tout va se compliquer encore un peu plus quand son meilleur ami, Frédéric Selman (Eddy Mitchell) va tenter de le réconcilier avec sa famille en leur racontant un terrible mensonge.
Avec « Salaud, on t’aime », Claude Lelouch signe son 44ème film. Les réalisations et les années n’ont pourtant pas entamé la jeunesse et la modernité de son cinéma. Ni la curiosité, l’admiration, la fascination avec lesquelles il regarde et révèle les acteurs. Les acteurs et la vie qu’il scrute et sublime. Dès ce premier plan avec le beau visage buriné de Johnny Hallyday et derrière lui les pages d’un livre (écrit par sa fille) qui se consume, j’étais déjà happée. Et les pages de cet autre livre qui se tournent et montrent et rendent hommage au photographe de guerre qu’est Kaminsky, à tous les photographes de guerre et aux horreurs (et quelques bonheurs) de l’Histoire qu’ils ont immortalisées, souvent au péril de leur vie. Deux livres. Deux faces d’un même homme. Peut-être un peu le double de Claude Lelouch qui fut lui-même photographe de guerre à ses débuts.
Dès les premiers plans du film règne à la fois une atmosphère tranquille et inquiétante à l’image de celle de cette maison gardée par un aigle majestueux, sublime, clairvoyant, là comme une douce menace, comme si tout pouvait basculer d’un instant à l’autre dans le drame ou le thriller. Le cinéma de Claude Lelouch ne rentre dans aucune case, situé à la frontière des genres. Ou si: il rentre dans un genre, celui d’un film de Lelouch, tout simplement. Et c’est ce que j’aime par-dessus tout : celle liberté, cet atypisme que j’ai retrouvés dans ce film. Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même n’avait « pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot, Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ». Et tous ceux qui M’ont fait aimer le cinéma.
A l’image de ses autres films, sans doute celui-ci agacera-t-il ses détracteurs pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles il m’a enchantée. Ses citations sur la vie, la mort, l’amour, l’amitié :
- « Un ami c’est quelqu’un qui te connait très bien et qui t’aime quand même »,
-« Qu’est-ce que vous préférez le plus au monde, à part votre appareil photo ? Le juste milieu. L’équilibre. Vous savez comme ces types qui viennent de traverser le Grand Canyon sur un fil. »
C’est d’ailleurs ce qui pourrait définir le cinéma de Lelouch. Et ce film. La vie aussi. Et ce qui les rend si singuliers, palpitants et attachants. Cette impression d’être sur un fil, sur le fil, au bord du précipice.
Comme toujours chez Claude Lelouch, la musique est judicieusement choisie entre le sublime jazz d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, la chanson "Les eaux de mars" de Georges Moustaki, ou encore les "Quatre saisons" de Vivaldi repris par les compositeurs du film, le fidèle Francis Lai et Christian Gaubert.
Et puis il y a les acteurs. Ces acteurs que la caméra de Lelouch aime, scrute, sublime, magnifie, révèle, caresse presque. D’abord, Johnny Hallyday qui n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour être ce personnage. Son visage et sa prestance racontent déjà une histoire. Il n’a pas besoin d’en faire ou dire beaucoup pour imposer son personnage grâce à sa forte personnalité, un mélange de douceur, de douleur, de force, de fragilité, de liberté, d’humanité, de rudesse et de tendresse. Et pour l’avoir vu (et revu) sur scène, que ce rôle lui ait été attribué me semble une évidence tant il est et joue sur scène et sait capter et captiver l’attention d’un regard. Leconte dans « L’homme du train » (à mon avis le meilleur film avec Johnny Hallyday) avait déjà compris cet énorme potentiel. Johnny Hallyday avait d’ailleurs déjà tourné sous la direction de Claude Lelouch en 1972 pour « L’Aventure c’est l’Aventure » où il jouait son propre rôle aux côtés de Lino Ventura et Jacques Brel. Ce rôle de Kaminsky semble avoir été écrit pour lui et pourtant il n’était initialement pas pressenti pour jouer le rôle principal de « Salaud, on t'aime ». Le plus sidérant est que Lelouch a dû l’imposer: « Aucune chaîne de télévision ne voulait faire un film avec Johnny et moi, aucune assurance n’a voulu nous suivre, les coproducteurs, les distributeurs, tout le monde s’est montré frileux. » Il y a eu Annie Girardot dans « Les Misérables », Jean-Paul Belmondo dans « Itinéraire d’une enfant gâté » Tant d’autres… Il y aura désormais Johnny Hallyday dans « Salaud, on t’aime ». De fortes personnalités qui, plus que d’incarner des rôles, les imprègnent et les révèlent. Les réveillent même.
A ses côtés, il y a Sandrine Bonnaire avec qui il forme un couple évident. Solaire Sandrine Bonnaire avec son sourire lumineux et empathique et dont on comprend qu’il en tombe immédiatement amoureux.
Et puis les 4 « saisons » dont la photographie reflète judicieusement les caractères au premier rang desquelles Jenna Thiam (Hiver Kaminsky), révélation du film à qui sont dévolues les plus belles partitions. Le temps d’un dialogue dans une voiture qui pourrait constituer à elle seule un court-métrage, Lelouch nous montre quel directeur d’acteurs et quel conteur d’histoire il est. Les « seconds » rôles ne sont pas en reste : Isabelle de Hertogh, Rufus, Agnès Soral, Valérie Kaprisky, Jacky Ido, Antoine Duléry…
Enfin, dernier personnage ici (et non des moindres !): la nature, sublime et sublimée elle aussi, à laquelle ce film est aussi un véritable hymne et qui varie subtilement au gré des saisons.
« Chaque nouvelle invention modifie l’écriture cinématographique. Mes gros plans c’est ma dictature, et les plans larges c’est ma démocratie, et pas de plan moyen. » avait-il dit lors du débat succédant à la projection du documentaire « D’un film à l’autre ». Ce nouveau film ne déroge pas à la règle. Une scène de repas est ainsi particulièrement réussie me faisant songer à celles qu'affectionnait Claude Sautet qui lui aussi aimait tant ces scènes mais aussi, comme Lelouch, raconter la vie. Notre vie.
Ce film comme chaque film de Lelouch comporte quelques scènes d’anthologie. Celle pendant laquelle les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy refont « Rio Bravo » est un régal. Mais aussi, à l’opposé, ce brusque basculement du film (que je ne vous révélerai évidemment pas) qui m’a bouleversée. Il n’y a que lui pour oser. De même qu’il n’y a que lui pour oser appeler les 4 filles d’un personnage Printemps, Eté, Automne et Hiver. Et ce sont cette liberté presque irrévérencieuse, cette audace, qui me ravissent. Dans la vie. Au cinéma. Dans le cinéma de Lelouch qui en est la quintessence. La quintessence des deux.
Lelouch, dans ce nouveau film coécrit avec Valérie Perrin, raconte la vie, avec tout ce qu’elle comporte de beauté tragique ou de belle cruauté, de douleurs ineffables aussi, ses paradoxes qui la rendent si fragile et précieuse. En quelques plans, ou même en un plan d’une silhouette, il exprime la douleur indicible de l’absence. Mais c’est aussi et avant tout un film magnifique sur l’amitié et ses mensonges parfois nécessaires, sur le le pardon aussi…sans oublier ces « hasards et coïncidences » qu’affectionne le cinéaste. Ce hasard qui « a du talent » à l’image de celui qui en a fait un de ses thèmes de prédilection. Malgré son titre, peut-être son film le plus tendre, aussi.
Je ne sais pas si le cinéma comme "le bonheur, c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films nous la font voir en gros plans majestueux, parfois sans fards, avec une redoutablement sublime vérité, et qui nous la font aimer ardemment. Et ce nouveau film porté par des acteurs solaires, un montage ingénieux, une musique judicieuse, une photographie émouvante ne déroge par à la règle. Le juste milieu entre légèreté et gravité. Les fragments de vérité et les fragments de mensonges. La vie et le cinéma.
Nicole Garcia était cette année à nouveau en compétition au Festival de Cannes en tant que réalisatrice (elle a également souvent gravi les marches comme comédienne). Après avoir ainsi été en lice pour « L’Adversaire » en 2002 et pour « Selon Charlie » en 2005, elle l'était cette fois avec un film dans lequel Marion Cotillard tient le rôle principal, elle-même pour la cinquième année consécutive en compétition à Cannes. L’une et l’autre sont reparties sans prix de la Croisette même si ce beau film enfiévré d’absolu l’aurait mérité. « Mal de Pierres » est une adaptation du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus publié en 2006 chez Liana Lévi. Retour sur un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2016…
Marion Cotillard incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère. Ses parents la donnent à José parce qu’il semble à sa mère qu’il est « quelqu’un de solide » bien qu’il ne « possède rien », un homme que Gabrielle n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, un ouvrier saisonnier espagnol chargé de faire d’elle « une femme respectable ». Ils vont vivre au bord de mer… Presque de force, sur les conseils d’un médecin, son mari la conduit en cure thermale à la montagne pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres qui l’empêche d’avoir des enfants qu’elle ne veut d’ailleurs pas, contrairement à lui. D’abord désespérée dans ce sinistre environnement, elle reprend goût à la vie en rencontrant un lieutenant blessé lors de la guerre d’Indochine, André Sauvage (Louis Garrel). Cette fois, quoiqu’il advienne, Gabrielle ne renoncera pas à son rêve d’amour fou…
Dès le début émane de ce film une sensualité brute. La nature toute entière semble brûler de cette incandescence qui saisit et aliène Gabrielle : le vent qui s’engouffre dans ses cheveux, les champs de lavande éblouissants de couleurs, le bruit des grillons, l’eau qui caresse le bas de son corps dénudé, les violons et l’accordéon qui accompagnent les danseurs virevoltants de vie sous un soleil éclatant. La caméra de Nicole Garcia caresse les corps et la nature, terriblement vivants, exhale leur beauté brute, et annonce que le volcan va bientôt entrer en éruption.
Je suis étonnée que ce film n’ait pas eu plus d’échos lors de sa présentation à Cannes. Marion Cotillard incarne la passion aveugle et la fièvre de l’absolu qui ne sont pas sans rappeler celles d’Adèle H, mais aussi l’animalité et la fragilité, la brutalité et la poésie, la sensualité et une obstination presque enfantine. Elle est tout cela à la fois, plus encore, et ses grands yeux bleus âpres et lumineux nous hypnotisent et conduisent à notre tour dans sa folie créatrice et passionnée. Gabrielle incarne une métaphore du cinéma, ce cinéma qui « substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Pour Gabrielle, l’amour est d’ailleurs un art, un rêve qui se construit. Ce monde c’est André Sauvage (le bien nommé), l’incarnation pour Gabrielle du rêve, du désir, de l’ailleurs, de l’évasion. Elle ne voit plus, derrière sa beauté ténébreuse, son teint blafard, ses gestes douloureux, la mort en masque sur son visage, ses sourires harassés de souffrance. Elle ne voit qu’un mystère dans lequel elle projette ses fantasmes d’un amour fou et partagé. « Elle a parfaitement saisi la dimension à la fois animale et possédée de Gabrielle, de sa folie créatrice » a ainsi déclaré Nicole Garcia lors de la conférence de presse cannoise. « Je n’ai pas pensé à filmer les décors. Ce personnage est la géographie. Je suis toujours attirée par ce que je n’ai pas exploré » a-t-elle également ajouté.
Face à Gabrielle, les personnages masculins n’en sont pas moins bouleversants. Le mari incarné par Alex Brendemühl représente aussi une forme d’amour fou, au-delà du désamour, de l’indifférence, un homme, lui aussi, comme André Sauvage, blessé par la guerre, lui aussi secret et qui, finalement, porte en lui tout ce que Gabrielle recherche, mais qu’elle n’a pas décidé de rêver… « Ce personnage de femme m’a beaucoup touchée. Une ardeur farouche très sauvage et aussi une sorte de mystique de l’amour, une quête d’absolu qui m’a enchantée. J’aime beaucoup les hommes du film, je les trouve courageux et pudiques» a ainsi déclaré Marion Cotillard (qui, comme toujours, a d'ailleurs admirablement parlé de son personnage, prenant le temps de trouver les mots justes et précis) lors de la conférence de presse cannoise du film (ma photo ci-dessus). Alex Brendemühl dans le rôle du mari et Brigitte Roüan (la mère mal aimante de Gabrielle) sont aussi parfaits dans des rôles tout en retenue.
Au scénario, on retrouve le scénariste notamment de Claude Sautet, Jacques Fieschi, qui collabore pour la huitième fois avec Nicole Garcia et dont on reconnaît aussi l’écriture ciselée et l’habileté à déshabiller les âmes et à éclairer leurs tourments, et la construction scénaristique parfaite qui sait faire aller crescendo l’émotion sans non plus jamais la forcer. La réalisatrice et son coscénariste ont ainsi accompli un remarquable travail d’adaptation, notamment en plantant l’histoire dans la France des années 50 heurtée par les désirs comme elle préférait ignorer les stigmates laissées par les guerres. Au fond, ce sont trois personnages blessés, trois fauves fascinants et égarés.
Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ».
Rarement un film aura aussi bien saisi la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse et de la quête d’absolu. Un film qui sublime les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma. Un grand film romantique et romanesque comme il y en a désormais si peu. Dans ce rôle incandescent, Marion Cotillard, une fois de plus, est époustouflante, et la caméra délicate et sensuelle de Nicole Garcia a su mieux que nulle autre transcender la beauté âpre de cette femme libre qu’elle incarne, intensément et follement vibrante de vie.
La Barcarolle de juin de Tchaïkovsky et ce plan à la John Ford qui, de la grange où se cache Gabrielle, dans l’ombre, ouvre sur l’horizon, la lumière, l’imaginaire, parmi tant d’autres images, nous accompagnent bien longtemps après le film. Un plan qui ouvre sur un horizon d’espoirs à l’image de ces derniers mots où la pierre, alors, ne symbolise plus un mal mais un avenir rayonnant, accompagné d’ un regard qui, enfin, se pose et se porte au bon endroit. Un très grand film d’amour(s). A voir absolument.
De cette projection du film de Jérôme Salle, je suis sortie bouleversée et éblouie, bousculée aussi, avec l’envie de vous en parler immédiatement afin de vous inciter à courir voir et vivre cette « Odyssée » avant que le film ne disparaisse des écrans même si je pense qu’il devrait rester assez longtemps à l’affiche (il le mérite en tout cas).
Bien sûr, toute existence est intrinsèquement romanesque pour peu qu’on porte sur celle-ci un regard curieux et singulier mais certains rêvent et vivent avec une démesure telle que leurs vies sont des films en puissance, comme l’était celle de Jacques-Yves Cousteau. Sa longiligne et élégante silhouette surmontée d’un bonnet rouge, comme un personnage de fiction qu’il s’était créé, une esquisse immédiatement reconnaissable, a tellement accompagné mon enfance qu’il me semblait que, aujourd’hui encore, personne ne pouvait ignorer qui était ce personnage éminent du XXème siècle, pourtant le réalisateur Jérôme Salle précise ainsi que « En discutant autour de moi, j’ai réalisé qu’il était en train de tomber complètement dans l’oubli pour les moins de 20 ans, voire les moins de 30 ans. J’ai donc commencé à regarder ce qui était écrit sur lui. »
Ne vous fiez pas au pitch officiel qui ne vous donnera qu’un petit aperçu de toute la force et la richesse de ce film : « 1948. Jacques-Yves Cousteau (Lambert Wilson), sa femme, Simone (Audrey Tautou) et ses deux fils, vivent au paradis, dans une jolie maison surplombant la mer Méditerranée. Mais Cousteau ne rêve que d’aventure. Grâce à son invention, un scaphandre autonome qui permet de respirer sous l’eau, il a découvert un nouveau monde. Désormais, ce monde, il veut l’explorer. Et pour ça, il est prêt à tout sacrifier. »
Dès les premiers plans, magnifiquement captivants, alors que, dans son hydravion en péril, un des fils du Commandant Cousteau, Philippe (Pierre Niney), survole l’étendue bleutée tout est dit : le destin tragique, la beauté à couper le souffle des étendues maritimes, le souffle épique transcendé par la poignante musique d’Alexandre Desplat. Ensuite flashback sur les années qui ont précédé… Et nous voilà déjà envoûtés, embarqués dans une une aventure fascinante de plus de deux heures, une plongée en apesanteur.
Sont ainsi posées les bases de la construction scénaristique absolument parfaite de ce film qui, au lieu d’être l’hagiographie en laquelle il aurait pu se transformer, est à la fois un portrait passionnant d’un homme complexe, et de ses relations passionnelles à ses fils et à sa femme, mais aussi un hymne à la beauté étourdissante à la nature. Plutôt que d’écrire un biopic linéaire qui aurait été une glorification du héros Cousteau, Jérôme Salle et son coscénariste, Laurent Turner, ont eu la judicieuse idée d’ancrer leur scénario principalement autour de ses relations conflictuelles avec son fils Philippe, finalement le vrai héros du film, lumineux, impétueux, fougueux, ardent défenseur de la nature. Dès l’enfance, c’est le fils préféré, le plus téméraire, celui auquel son père prête le plus d’attentions, celui à qui il donne ses lunettes d’aviateur, vestige d’une première vie. Scellant ainsi son destin tragique.
Le scénario d’une efficacité redoutable en un seul plan parvient à faire passer une idée et une émotion : lorsque Philippe regarde les étoiles, réminiscence de ces instants d’enfance avec son père, lorsque Philippe regarde les déchets depuis le pont du bateau, hésite et finalement n’y jette pas son mégot de cigarette, début de sa conscience et de son engagement écologiques. C’est lui qui amènera ainsi son père à se préoccuper d’écologie, non sans batailler et se quereller. Cousteau était d’abord en effet un communicant, plus soucieux de son image que de la préservation de la nature. On apprend ainsi que le célèbre bonnet rouge était son idée pour qu’on reconnaisse les membres de la Calypso et parce que c’était « télégénique ». Il mettait en scène son équipage, sa famille, et même la nature (deux pauvres otaries en firent ainsi les frais). En toile de fond défile la vie riche et tumultueuse de Cousteau aux quatre coins de la planète : ses découvertes, sa palme d’or (en 1956 pour « Le monde du silence »), ses difficultés financières. En une image ou une phrase, un pan de sa vie est brillamment suggéré.
Certains plans nous font littéralement éprouver cette sensation d’apesanteur qu’évoque Cousteau, nous procurant la vertigineuse sensation de voler sous l’eau. Sublimes sont les images de ces raies filmées en contre-plongée. Fascinante est la majesté des léopards des mers. Et puis que dire du voyage en Antarctique « là où l’océan semble plus vaste que nulle part ailleurs ». Nous retenons notre souffle. Comme, aussi, lors de cette scène, haletante, où Philippe se retrouve au milieu des requins, où sa fascination l’emporte sur la peur, comme une danse onirique et macabre. Comme une métaphore de ses relations à son père, aussi, entre conflit et admiration.
Je m’insurge régulièrement contre ceux qui ne cessent de comparer le cinéma français et américain, toujours au détriment du premier. Et ce film plus qu’aucun autre prouve notre capacité à réaliser et produire des films ambitieux avec un rare sens du récit. Par ailleurs, tous les personnages existent quand trop de scénarios délaissent les personnages secondaires, que ce soit Bébert ou Jean-Michel, l’autre fils, pourtant condamné à l’ombre.
Cousteau n’apparaît pas en héros mais comme un homme dans toute sa complexité, pétri de contradictions, narcissique, séduisant et dur, s’enivrant autant de notoriété que de la beauté des océans, faisant même preuve d’inhumanité parfois, ne prenant ainsi pas la peine d’aller à l’enterrement de son père ou étant particulièrement exigeant avec ses fils sans compter que la fidélité n’était pas non plus sa qualité première. Les vrais héros ce sont finalement son fils Philippe et sa femme, Simone. Pudique et gouailleuse, tendre et rebelle, blessée et fière, la charismatique Simone est incarnée par Audrey Tautou dont on se demande toujours comment une apparence si fragile peut dégager autant de force et qui nous fait aussi bien croire à l’insouciance de la jeunesse qu’à l’amertume de la femme âgée, trompée, mais malgré tout digne et dont on découvre ici le rôle capital dans l’achat et la rénovation de La Calypso où elle vivait. Ensuite, Pierre Niney (encore à l’affiche de « Frantz » de François Ozon, à voir également absolument, ma critique ici), incarne remarquablement Philippe, un personnage, grâce à l'écriture et son interprétation sensibles, dénué de manichéisme, constitué de forces et de fragilités, de fougue et de failles, combattant et blessé par l’indifférence d’un père qu’il admirait tant et à côté duquel il était bien souvent difficile d'exister. Ses scènes de colère, toujours d’une sidérante justesse, me font penser à celles qui ont (parmi tant d’autres facettes de son talent) immortalisé Jean Gabin et me font penser que comme lui, plusieurs carrières l’attendent. Les premières minutes du film confirment aussi qu’il a un Anglais parfait (comme dans « Altamira » de Hugh Hudson vu au dernier Festival du Film Britannique de Dinard dont je vous parlerai demain dans mon compte rendu du festival). Lambert Wilson, sans singer le Commandant (même si, grâce à la mise en scène également, la ressemblance est parfois troublante et sa silhouette ressemble alors à s'y méprendre à celle de Cousteau), nous le rappelle par son élégance, son visage émacié, sa voix magnétique, sa détermination inébranlable et nous fait découvrir l’homme derrière l’image. La scène lors de laquelle ces deux caractères forts et orgueilleux se confrontent dans un restaurant aux Etats-Unis est d’une intensité rare et en procure encore plus à leurs retrouvailles (je ne vous en dis pas plus), pudiques et bouleversantes. Les scènes du début nous reviennent alors un mémoire comme un paradis perdu fait d’insouciance, de joie de vivre, de danse, au bord d’une Méditerranée, sorte d’Eden auquel ressemble d’ailleurs souvent l’enfance dans nos mémoires confrontées aux vicissitudes et tourments de l’existence qui lui succèdent.
Tout le film, sans jamais être péremptoire ou didactique, résonne comme un avertissement (sur les assauts subis par la nature, les espèces de baleine disparues, les océans où « on ne pourra plus se baigner car seuls les bactéries et les virus résisteront à la pollution »), mais cette résonance, cette alarme même, culmine dans les dernières minutes et c’est plus convaincant et bouleversant que n’importe quel discours lorsque Cousteau lui-même prend conscience de la nécessité d’agir et de préserver ce monde qui l’a tant fasciné, qu’il a aussi utilisé, l'amenant ainsi à fonder « La Cousteau Society ». «L’immensité, le silence, la pureté. J’ai découvert un nouveau monde puis j’ai voulu le montrer puis le conquérir alors qu’il fallait le protéger. »
Après ce voyage dans un monde d’une beauté sidérante, d’une pureté irréelle, apprendre que le Moratoire qu’a fait signer Cousteau en 1991 pour protéger le continent blanc pendant 50 ans, non seulement a subi des tentatives de remise en cause mais en plus expirera (et alors qu’adviendra-t-il quand les compagnies d’exploitation minière ne seront plus empêchées d’agir?), nous déchire le cœur. Et plus encore de savoir que les seuls effets numériques sont ceux qu’a nécessité le tournage à Marseille pour ajouter des poissons disparus. On imagine alors aisément l’épique aventure qu’a dû être ce tournage pour toute son équipe, et le défi qu’a été ce film tourné dans des conditions réelles et parfois difficiles. Et on se demande vers quelle aventure peut se tourner ensuite Jérôme Salle dont chaque réalisation témoigne de son sens admirable du romanesque et du récit (« Anthony Zimmer » qu’il a réalisé en 2005 était déjà un modèle du genre). Il sait aussi indéniablement s’entourer. La photographie de Matias Boucard reflète parfaitement l’éblouissante majesté de la nature. La musique d’Alexandre Desplat procure un souffle et une émotion supplémentaires à l’ensemble et nous plonge d’emblée dans l’atmosphère hypnotique du film. Le montage judicieusement elliptique est d’une limpidité et d’une efficacité incontestables. Et quant aux acteurs, ils sont tous parfaitement à leur place du plus grand au plus petit rôle.
Une leçon d’écriture scénaristique. Un film à l’image de celui dont il retrace la vie : complexe et élégant. Un coup de projecteur sur un homme et les dérives d’un siècle, époque narcissique, matérialiste, qui dévore tout, y compris ce qu’elle admire : « L’homme a plus détruit la planète au 20ème siècle qu’au cours de tous les autres siècles réunis ». Un hymne au monde du silence, à sa beauté époustouflante, à la vie aussi. Une épopée romanesque vibrante. Une belle histoire d’amour (entre un père et son fils, entre Jacques-Yves et Simone, entre l’homme et l’océan). Une valse étourdissante dont on ressort avec en tête des images et un message forts et cette phrase : « Nous sommes là le temps d’un battement de cils à l’échelle de l’univers alors profitez-en, c’est la vie qui est plus forte que tout ». Plus qu’un film, une aventure, un voyage, une bouffée de romanesque et de sublime, une croyance dans les rêves et en l’utopie. Je vous mets au défi de regarder la bande-annonce sans frissonner… Le film est à son image. Alors, qu’attendez-vous pour vivre cette bouleversante et éblouissante aventure à votre tour ?
Sur scène lors de la cérémonie de clôture avec Cédric Klapisch pour présenter le court-métrage lauréat.
Annonce de la dédicace lors de la cérémonie d'ouverture du festival.
Toutes les photos de cet article dont celles figurant ci-dessus sont à retrouver sur mon compte Instagram @sandra_meziere.
Un festival ressemble à s’y méprendre à un film : un concentré d’émotions exacerbées, de rencontres parfois insolites, sur les écrans et en dehors, un début, une fin, des rebondissements, le tout dans un court laps de temps. Les héros, comme dans « La rose pourpre du Caire » sortent et rentrent dans l’écran (dans votre réalité donc), si bien qu’il est parfois difficile de distinguer la réalité de la fiction. Si le Festival de Saint-Jean-de-Luz était un film, ce serait le mélange détonant entre le cinéma de Claude Sautet et celui de Federico Fellini, une célébration amicale du cinéma dans une atmosphère joyeusement surréaliste, bien sûr dans un décor de cinéma, celui de la belle ville de Saint-Jean-de-Luz, entre océan parfois tumultueux et montagne stoïque, à quelques pas de l’Espagne, si bien que vous entendez plus souvent la langue de Cervantès que celle de Molière, si bien que vous avez l’impression que, là-bas, dans ce doux ailleurs, l’actualité et ses innommables tragédies marquent une pause même si les films braquent parfois un projecteur sur celles-ci. Ce serait aussi un road movie qui cette année nous a emmenés au Cambodge,au Chili, en Finlande, au Liban,en Algérie, à Paris, en Bretagne ou encore dans une contrée imaginaire, cruelle et fascinante. Ce serait un film utopique où tout le monde est bienveillant, là pour l’amour du cinéma, un cinéma ouvert sur le monde et sur les autres. Ce serait un film dont on aimerait retarder le dénouement.
Rares sont les festivals à proposerune compétition de cette qualité (premiers et deuxièmes longs-métrages uniquement, mais aussi courts-métrages), à être un tel découvreur de talents, et cette année à nouveau ce furent de beaux films porteurs de messages forts, mettant en scènes des personnages en quête d’amour, d’émancipation, de bienveillance. Des cris de colère et d’amour. Une douleur sourde qui finit toujours par exploser en départ ou en renoncement. Des parcours initiatiques. Des adultes mais surtout des adolescents en proie à la violence de la vie. Des êtres qui prennent leur envol, qui empoignent leur destin. Des identités masquées qui ôtent leur masque. Et c’est bouleversant, souvent.
C’est le cas du film qui a reçu le prix du jury jeunes et le prix d’interprétation masculine (attribué par le jury présidé par le cinéaste Cédric Klapisch qui était entouré des personnalités suivantes: le réalisateur Louis-Julien Petit, l’actrice Alice Isaaz, le comédien et musicien Marco Prince, l’actrice et chanteuse Stéfi Celma,le producteur Maxime Delaunay et la comédienne Sophie Verbeeck.)Il s’agit de « Compte tes blessures » de Morgan Simon.
Vincent (Kevin Azaïs) n’est pas arrivé au tiers de sa vie qu’il a déjà tatoué la moitié de son corps et endurci sa voix avec son groupe de post-hardcore. Depuis la mort de sa mère, il partage son existence entre Bastille et Porte de Clignancourt, entre un boulot de perceur qui ne l’enchante guère et un père poissonnier (Nathan Willcocks) qui tente de refaire sa vie avec une femme plus jeune (Monia Chokri). Et ça le rend malade.
Du premier au dernier plan (et quel dernier plan, sublime, poignant, d’une force bouleversante !), le spectateur retient son souffle et ne quitte pas Vincent que la caméra suit, enferme, ne lui et nous laissant pas de répit.Tout semble pouvoir basculer d’un instant à l’autre dans la tragédie, la violence. Le film doit beaucoup à ses trois personnages principaux, riches de leurs contradictions, de leurs fêlures, de leurs blessures masquées. Lors du débat après le film (il faut en effet savoir que, à Saint-Jean-de-Luz, après chaque film, le directeur artistique du festival, Patrick Fabre échange avec les équipes de films et permet aux spectateurs de poser des questions), Morgan Simon a déclaré « Ce qui m’a intéressé : ce sont les liens complexes qui unissent les personnages ». Ce sont en effet ces liens, troubles et chargés de non dits, qui rendent ce film plus palpitant qu’un thriller. Le personnage de Vincent (interprété par Kevin Azaïs, magistral) est riche de ses touchantes contradictions : il crie et exulte sur scène, il proclame ses blessures sur son corps et dans sa musique mais il est incapable d’affronter son père (Nathan Willcocks qui en impose) et de les lui livrer. C’est un enfant en quête désespéré d’amour qui joue aux adultes face à des adultes eux-mêmes en perte de repères. L’affrontement entre le père et le fils se réalisera de manière totalement inattendue, lors d’une scène qui aurait pu être glauque ou totalement absurde. Morgan Simon, par son talent, indéniable, en fait un moment d’une force rare. Un film d’une douceur brute et sensuelle, d’une intensité unique, dans lequel la caméra épouse la douleur sourde des personnages et dont chaque plan est un coup au cœur. Tout simplement brillant. Et poignant. Et au dénouement le plus beau plan de ce festival qui symbolise aussi parfaitement ce qu’est ce festival. A voir aussi pour la lumineuse Monia Chokri qui parachève cet impressionnant trio d’acteurs, toujours sur le fil, mais d’une justesse rare. Sélectionné à l’Atelier de la Cinéfondation à Cannes, à Emergence et au Jerusalem International Film Lab, « Compte tes blessures » est le premier long-métrage de Morgan Simon et, espérons-le, le premier d’une longue série. En salles le 1er février 2017.
« Olli Mäki »,le personnage éponyme du film finlandais de Juho Kuosmanen, lui aussi, aimerait bien être entendu.
Été 1962, Olli Mäki tente de décrocher le titre de champion du monde de boxe poids plumes. De la campagne finlandaise aux lumières d’Helsinki, tout est prêt pour sa gloire et sa fortune. Olli n’a plus qu’à perdre du poids et à se concentrer. Mais il y a un problème, il est tombé amoureux de Raija…
A l’exception des films d’Aki Kaurismäki, le cinéma finlandais est malheureusement méconnu. Avec ce premier long- métrage, Juho Kuosmanen (dont le cinéma n’est pas dénué de points communs avec son illustre compatriote) pourrait bien changer la donne. Ses courts-métrages étaient déjà abonnés aux récompenses, notamment de la Cinéfondation à Cannes, décidément un vivier de grands cinéastes. Après avoir reçu le prix Un Certain Regard, il a donc reçu le grand prix du Festival de Saint-Jean-de-Luz. Avec ce premier long-métrage, Juho Kuosmanen ne réalise pas un film traditionnel sur la boxe (même si cela reste la meilleure métaphore du combat qu’est la vie) mais un film universel sur la manière de trouver sa liberté et la voie du bonheur. Le film est inspiré de l’histoire vraie du boxeur finlandais Olli Mäki. Avec beaucoup d’empathie, le cinéaste filme son boxeur comme un enfant instrumentalisé (plusieurs scènes sont particulièrement significatives comme celle lors de laquelle il attend à l’arrière de la voiture avec les enfants et que son « entraineur » s’adresse à lui comme s’il était l’un d’eux ou encore cette scène d’une beauté folle lorsqu’il joue avec un cerf-volant comme s’il empoignait son destin et sa liberté). Le noir et blanc renforce le sentiment d’universalité, de douceur presque paradoxale, de mélancolie qui se dégage de ce film ensorcelant. Jarkko Lahti se donne corps et âme à son rôle. Un film d’une douceur romantique et envoûtante sur l’éternel combat entre l’amour et la gloire, le bonheur et la vanité qui n’en est bien souvent que le simulacre…Entre le noir et le blanc. Magnifique !
Le grand prix attribué par le jury à ce film a été remis par le directeur de la société Blue Efficience qui parraine ce prix et qui permet de lutter contre le piratage et que je vous recommande de découvrir, ici.
En salles le 19 octobre 2016.
Au contraire d’Olli dont la brutalité du métier dissimule la douceur, « Fleur de Tonnerre » de Stéphanie Pillonca masque derrière sa douceur apparente une « activité » pour le moins…brutale.
En 1800, la Bretagne est à genoux, accablée par le régime en place et par le clergé omnipotent. Elle se meurt dans un marasme économique qui n’en finit pas et au milieu de cela, une fillette en souffrance pousse, tant bien que mal. Cette fillette c’est « Fleur de Tonnerre », une enfant isolée, malmenée par la vie et bercée par le morbide. Elle en deviendra la plus grande « serial killer » que la terre ait jamais porté et sèmera la mort, peut être juste pour être regardée et aimée.
La réalisatrice, Stéphanie Pillonca est documentariste et comédienne de formation, et cela se ressent. Après le Conservatoire d’Art dramatique de Toulon, elle a ainsi suivi la formation de La Classe Libre du Cours Florent, ainsi que celle du studio VO-VF dirigée par Andrzej Zulawski, John Berry et Bob Swaim. Sa caméra filme ses comédiens au plus près, ne les lâche pas, (et non, Monsieur qui êtes intervenu après la projection et qui avez qualifié cela d’erreur de mise en scène, il ne s’agit pas d’une « erreur » mais au contraire c’est là que réside l’intelligence de la réalisation), guette le moindre sursaut d’humanité. « Mon souci était d’être dans la justesse de l’émotion », « J’ai osé imaginer l’enfance chaotique, l’isolement, la douleur, la solitude . J’avais envie d’imaginer que des mains n’avaient pas été tendues. » a-t-elle ainsi déclaré, en citant notamment comme référence « Jeanne d’Arc » de Dreyer, Pialat n’est pas bien loin non plus. «J’avais peur de justifier les actes, ce ne sont pas parce que les gens ont des raisons qu’ils ont des excuses » a précisé la comédienne Déborah François. Le résultat est d’autant plus étonnant que la réalisatrice n’a disposé que de « 5 petites semaines pour faire le film » et 1,2 millions d’euros (avec l’aide d’un mécène nommé Dany Boon qui a mis son propre argent pour que le film puisse exister.). Ce choix (et non erreur) de mise en scène donne un sentiment d’intemporalité à cette histoire qui dissèque les mécanismes de la violence sans jamais la justifier. Cette adaptation du roman éponyme de Jean Teulé sur la plus grande tueuse en série française dans le Bretagne du 19ème siècle se distingue par ses partis pris : gros plans au plus près de la chair, des frémissements, et décors minimalistes, sans fioritures, pour aller à l’essentiel. Des images nous accompagnent longtemps après la projection comme celle la silhouette de Deborah François qui erre au milieu de la campagne bretonne, grande faucheuse menaçante. Son interprétation habitée, inquiétante, captive et même capture notre attention. Face à elle, Benjamin Biolay est parfait en sombre dandy. Sans oublier Jonathan Zaccaï et Miossec (en curé !).
« La jeune fille sans mains » de Sébastien Laudenbachelle aussi est confrontée à la violence dès son jeune âge mais plutôt que de s’en emparer à son tour elle choisit de tracer sa propre route.
En des temps difficiles, un meunier vend sa fille au Diable. Protégée par sa pureté, elle lui échappe mais est privée de ses mains. Cheminant loin de sa famille, elle rencontre la déesse de l’eau, un doux jardinier et le prince en son château. Un long périple vers la lumière…
Son réalisateur a expliqué porter ce projet depuis 15 ans. : « Ce qui me touchait c’était la trajectoire de cette jeune fille qui doit apprendre à s’isoler pour exister pleinement pour être entière. » Rarement un film aura accordé autant de confiance au spectateur et cela fait un bien fou à l’heure où, y compris dans les émissions (pseudo)politiques, règne la dictature de l’émotion pour attirer les spectateurs (petite parenthèse pour évoquer cette émission larmoyante et complaisante « Une ambition intime » qui me semble être le comble de l’indécence). Sébastien Laudenbach a fait le choix inverse : esquisser plutôt que de dessiner ou imposer, faire confiance à l’intelligence et à l’imaginaire du spectateur, accorder une large place au son, aussi. Et le résultat est d’une beauté inouïe et renversante. « Je n’ai pas écrit de scénario ni de story board. J’ai improvisé en faisant 10 à 15 secondes par jour. En le faisant, je me rendais compte que c’était singulier et peut-être novateur. », « Je suis allé sur Allociné en collant les voix des bandes annonces sur les dessins. » a-t-il également raconté pour expliquer le choix d’Anaïs Demoustier dont la voix douce, ensorcelante et déterminée colle parfaitement au personnage. « On ne doit pas faire des films adaptés aux enfants c’est aux enfants de s’adapter au monde. J’aime l’idée qui il y a des trous, des incertitudes, du mystère » a également déclaré le réalisateur et c’est ce mystère et ces incertitudes que le film exalte également qui contribuent aussi à en faire un moment d’une grâce ensorcelante mais aussi à édulcorer la cruauté ou à l’intensifier, selon la force de l’imaginaire du spectateur. Ce conte à la fois sombre et lumineux est un moment de poésie et de magie rare dont le trait aérien possède la grâce d’un tableau de Matisse. Une non voyante est ainsi intervenue à la fin de la séance pour déclarer : « par des sons vous avez réussi à faire parler les couleurs ».
Sortie en salles : le 1er décembre 2016
L’univers dans lequel évoluent les jeunes héros de « Diamond island » de Davy Choupourrait être celui d’un film d’animation.
Diamond Island est en effet une île sur les rives de Phnom Penh transformée par des promoteurs immobiliers pour en faire le symbole du Cambodge du futur, un paradis ultra-moderne pour les riches. Bora a 18 ans et, comme de nombreux jeunes originaires des campagnes, il quitte son village natal pour travailler sur ce vaste chantier. C’est là qu’il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers de son âge, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et favorisée, ses filles, ses nuits et ses illusions.
Davy Chou filme ainsi avec grâce (lui aussi) l’adolescence dans un décor à l’image de celle-ci: mélancolique, fascinant, entre 2 époques. En résulte un film au charme lancinant, hypnotique. Présenté à la Semaine de la Critique, ce premier long-métrage fait d’abord de son décor un personnage à part entière entre les immeubles de luxe en construction et les décors de fêtes foraines qui semblent emprisonner les personnages dans leurs griffes de bétons et métalliques où ils évoluent, leurs déambulations semblent chorégraphiées comme une danse triste à la lueur des néons, aussi factices que l’insouciance de l’adolescence qui finira par s’éclipser. « Diamond island », aussi contradictoire que son titre, est un beau portrait de l’adolescence cambodgienne, un judicieux écho entre ce pays en friche, fascinant et douloureux (ce diamant n’éblouit guère longtemps et ne cache pas le labeur qu’il nécessite à sa construction) et cette époque de la vie, où, un jour le décor s’écroule et les lumières éblouissantes s’éteignent pour laisser place à la réalité, souvent cruelle ou en tout cas médiocre, dans laquelle le véritable amour n’a plus sa place.
Dans «Souffler plus fort que la mer » de Marine Place(prix du public), c’est aussi un univers et un personnage en pleine mutation qui nous est dépeint. Un univers plus prochepuisque Julie et ses parents, Loïc et Louison, vivent de la pêche sur une petite île au large de la Bretagne. Afin d’échapper aux dettes, ils sont obligés de se séparer de leur bateau contre une prime à la casse. La famille peine à faire face à cette nouvelle vie sans bateau et Julie se réfugie dans sa passion pour le saxophone pour dépasser l’étrange sentiment de submersion qui l’envahit peu à peu…
« J’avais envie de faire un film sur une sensation » a ainsi expliqué la réalisatrice qui a également raconté aux festivaliers luziens que le titre provenait d’une chanson intitulée « chanter plus fort que la mer ». Avant ce premier long-métrage, la réalisatrice Marine Place a réalisé plusieurs documentaires. En résulte un souci d’authenticité et une volonté de nous présenter cet univers, celui des marins pêcheurs, sans le trahir, en restant fidèle à la réalité. Progressivement, le film gagne en gravité, en profondeur tout en s’auréolant de fantastique et de mythologie. Ce bateau qui symbolisait la passion et les liens familiaux, en étant condamné à la destruction vadésagréger cette famille et sa solidité. C’est beau et âpre comme un paysage breton et une scène de musique, à son image, nous serre le cœur et nous foudroie. La mer, l’amie d’hier devient l’ennemie, menaçante et tueuse. Là encore, un trio d’acteurs épatant porte le film sur ses épaules : Aurélien Recoing et Corinne Masiero en tête (découverte à Saint- Jean-de-Luz dans le formidable « Louise Wimmer » de Cyril Mennegin) et une découverte, Olivia Ross.
L’héroïne de « Paris la Blanche » de Lidia Leber Terki(France / Algérie), elle aussi empoigne son destin.
Sans nouvelles de son mari parti travailler en France dans les années 70, Rekia (Tassadit Mandi), quitte le village de Kabylie où elle vit. Elle traverse l’Algérie, la France et les banlieues parisiennes pour ramener Nour (Zahir Bouzerar) au village. Mais l’homme qu’elle finit par retrouver dans un foyer d’anciens travailleurs immigrés à la retraite a changé. Son héros, l’ancien combattant des maquis, celui qui était revenu au village pour la dernière fois il y a quatre ans, est devenu un étranger.
La réalisatrice qui a monté son film en 4 ans après de nombreuses difficultés était « intéressée par la mythologie à l’envers », « le voyage de Pénélope à l’envers », « Pour moi c’était plus un film sur le sacrifice que sur l’immigration », « J’avais envie de parler de ceux qui restent qui attendent », « J’ai voulu faire une utopie ». Pour nous faire éprouver l’importance cruciale de ce périple, la réalisatrice suit son héroïne depuis son départ de l’Algérie jusqu’à ses retrouvailles avec son mari, sa caméra ne la quittant presque jamais et elle aurait d’ailleurs eu tort de nous en priver tant la comédienne (qui a reçu le prix d’interprétation féminine qu’elle mérite amplement, le film a également reçu le prix France Bleu du long-métrage) crève littéralement l’écran et a fait fondre le cœur des festivaliers lors de la remise des prix où elle a lu un beau poème sur le déracinement. L’humanité qui se dégage de ces personnages, la tendre empathie avec laquelle les filme la réalisatrice procurent à ce film d’une belle utopie une douceur salutaire et un idéalisme revigorant. C’est avant tout un sublime portrait de femme amoureuse, déterminée, mais aussi le portrait de déracinés, celui de son mari, et ceux qui jalonnent la route de l’héroïne dans un Paris solidaire (très beau personnage de Karole Rocher). Et surtout ce film recèle le plus beau des témoignages d’amour : laisser la personne qu’on aime libre de ses proches choix. Face à la volcanique Tassadit Mendi, Zahir Bouzerar impose sa placide mélancolie. Un duo attachant plein d’émotion contenue qui saisit le spectateur au dénouement de ce film pudique et tendre. Lors de la clôture, en recevant son prix, Tassadit Mendi a magnifiquement parlé de son rôle, elle « qui ne devait pas faire ce film et qui a remplacé une comédienne qui s’est désistée 10 jours avant le début du tournage » et qui a été « émue par l’abnégation, le sacrifice, l’amour inconditionnel pour son mari et la sagesse » de son personnage.
Sortie en salles : printemps 2017
Le protagoniste de « You’ll never be alone » d’Alex Anwandter lui aussi est en pleine crise identitaire et subit une autre forme de déracinement. C’est en effet son identité profonde qu’il doit masquer. « You’ll never be alone » de Alex Anwandter (Chili), c’est l’autre coup de/au cœur de festival.
Santiago du Chili. Pablo, un jeune lycéen se découvre une passion pour le cabaret. Mais un jour il est victime d’une violente agression homophobe qui le laisse dans le coma. Désespéré Juan, son père, met tout en œuvre pour trouver les coupables…
A vrai dire, le pitch ne reflète pas toute la subtilité de ce film d’une âpreté déchirante qui met en scène une triste réalité. La mise en scène, entre les corps désincarnés des mannequins que le père répare dans le cadre de son travail (tandis qu’il ne soigne pas les bleus à l’âme de son propre fils), l’obscurité qui nimbe la plupart des scènes (le film est majoritairement filmé de nuit ou en intérieurs) comme Pablo doit masquer son identité, sa vérité, font intelligemment résonner la forme et le fond. Les scènes d’une beauté flamboyante sur une musique envoûtante comme de courtes incursions dans l’univers d’Almodovar contrastent avec l’univers grisâtre qui imprègne le reste du film et qui en renforce encorela beauté saisissante,ces scènes étant alors des instants de respiration où le jeune Pablo peut enfin être lui-même,justifiant aussi amplement le prix du meilleur réalisateur attribué à Alex Anwandter par Cédric Klapisch et son jury. Comme une résonnance avec « Compte tes blessures » dans lequel le personnage de Vincent exprimait son (mal)être à travers son art. Le titre illustre l’inverse de la réalité, Pablo étant condamné à la solitude par la lâcheté de ceux qui l’entourent, une lâcheté tristement ordinaire. Le plus percutant des plaidoyers contre la bêtise et une de ses formes, l’homophobie. Et un film bouleversant porté par un jeune acteur éclatant de justesse et sidérant de beauté. Et une fin qui nous balafre l’âme par satristesse ravageuse.
C’est aussi d’un amour impossible dont il est question dans le décalé « Drôles d’oiseaux » de Elise Girard, son deuxième film après « Belleville Tokyo ».
Deux personnages. Georges et Mavie. Mavie et ses 27 ans. Pleine de doutes et d’inquiétude, qui se cherche. Georges et ses 76 ans. Misanthrope, comme caché dans sa librairie, exaspéré par le monde, qui n’attend plus rien de la vie. A eux deux, ils forment le plus beau et le plus improbable des couples. Il ne veut rien, elle veut tout. Et pourtant grâce à lui, elle se trouve. Et grâce à elle, il renoue avec la vie. L’amour qu’ils ne feront jamais ensemble est le plus beau et le plus émouvant. Mais bientôt Georges doit fuir et ce qui doit arriver, arrive…
« Dans « Drôle d’oiseaux », l’idée était de de parler d’amour vraiment impossible et de l’idée que l’âge qu’on a n’est pas l’âge réel. « J’aime les longs plans », « Je filme les gens souvent d’assez loin en les laissant faire, j’aime plus le cinéma classiqueque le cinéma contemporain. », a ainsi déclaré la réalisatrice. Ces drôles d’oiseaux désignent bien entendu autant ceux qui tombent mystérieusement du ciel que les deux personnages principaux, entre le mystérieux septuagénaire misanthrope qui (décidément) lui aussi cache son identité et tient une librairie où personne n’entre jamais rien acheter (tout importun qui tente de faire une intrusion le dérangeant au plus haut point) et la jeune femme qui l’aime d’un amour platonique. Lolita Chammah (remarquable déjà notamment dans « Copacabana de Marc Fitoussi) et Jean Sorel jouent comme Jean-Pierre Léaud et semblent aussi décalés dans la vie que l’était Antoine Doinel. On retrouve avec plaisir la première et plus encore le second qui promène toujours son élégance digne, insidieusement dédaigneuse et aristocratique. La légèreté mélancolique et l’humour absurde finissent par nous emporter et nous faire aimer ces êtres qui, là aussi, derrière des masques, de misanthropie pour l’un, de gravité pour l’autre, dissimulent une séduisante folie et singularité.
Pour ouvrir et clore ce festival avec une compétition de haute voltige, il fallait deux films à la hauteur, en l’occurrence deux comédies sur l’adoption portées par des comédiens exceptionnels.
Dans le film d’ouverture, « Il a déjà tes yeux » de Lucien Jean-Baptiste, Paul est marié à Sali. Tout irait pour le mieux s’ils arrivaient à avoir un enfant. Jusqu’au jour où Sali reçoit l’appel qu’ils attendent depuis si longtemps : leur dossier d’adoption est approuvé. Il est adorable, il a 6 mois, il s’appelle Benjamin, il est blond aux yeux bleus. Et il est blanc,eux sont noirs. Par le truchement de cette comédie, Lucien Jean-Baptiste démonte les mécanismes du racisme dit ordinaire et que cette qualification conduit d’ailleurs à banaliser (comme cette fameuse manie de dire « black » qui a le don de m’horripiler) et les préjugés qui encore aujourd’hui sont trop souvent répandus. Le film vaut aussi et avant tout le déplacement pour ses numéros d’acteurs, parfois attendrissants, souvent hilarants. En tête, Vincent Elbaz (dont le personnage n’est pas sans rappeler l’ami envahissant de « Coup de foudre à Notting Hill ») irrésistiblement drôle en ami attachant, collant et qui ne craint pas du ridicule. Comme toujours, Zabou Breitman, est parfaite, ici dans un rôle d’assistante sociale suspicieuse, prête à tout pour prouver qu’elle a raison, surtout quelques manigances et beaucoup de mauvaise foi. Chaque apparition de l’actrice qui incarne la mère de la pétillante Aïssa Maïga est aussi d’une drôlerie irrésistible. Le film est produit par Nolita Cinema (avec à sa tête Maxime Delauney, membre du jury de ce Festival de Saint-Jean-de-Luz 2016) déjà à l’origine du savoureusement déjanté et décalé « Comment c’est loin » d’Orelsan.
En salles : le 18 janvier 2017
Le film de clôture résonnait évidemment avec celui de l’ouverture. En effet, dans « Comment j’ai rencontré mon père » de Maxime Motte, c’est la rentrée et dans la famille d’Enguerrand, petit garçon adopté d’origine africaine, l’ambiance est déjà assez tendue. L’arrivée de Kwabéna, un clandestin qu’Enguerrand prend pour son père biologique, ne va pas arranger les choses. Cet intrus va finalement se révéler être un formidable catalyseur et les multiples péripéties autour de sa présence vont enfin permettre à cette famille de se retrouver unie… Belle idée de terminer le Festival avec ce film qui comme « Il a déjà tes yeux » de Lucien Jean-Baptiste reflète la bienveillance et la générosité à l’honneur dans ce festival. Isabelle Carré et François-Xavier Demaison (en librairie immature et père aimant qui, comme Jean Sorel, dans « Drôles d’oiseaux » ne vend pas de livres et cherche l’amour de son père) forment un couple qui fonctionne parfaitement à l’écran et nous interroge tout en douceur, humour et émotion sur la nécessité de franchir les frontières de la loi, lorsque humanité et générosité sont en jeu. Et ce film plein de tendresse a judicieusement clos le festival en beauté.
Sortie en salles : janvier 2017
Lors de la rencontre avec les membres du jury en début de festival (une vidéo à retrouver sur le site officiel du festival), Alice Isaaz a ainsi noté que participer à un jury « rééduque notre regard de spectateur », pour Stefi Celma, cela permet de « découvrir de nouvelles cultures et voyager » quand pour Maxime Delauney « les festivals permettent d’être moins paresseux dans sa démarche culturelle », ce à quoi Marco Prince a ajouté « Ce que j’aime, c’est que ce festival soit familial, et d’avoir une vision de ce que sera le cinéma de demain. » Patrick Fabre, le directeur artistique du festival a complété en précisant : « Ce qu’on essaie aussi de provoquer dans un festival ce sont des rencontres », et les critères de choix du jury : « prendre des gens sympathiques, il faut que j’aime ce que font les gens et ce qu’ils sont. »
En bref, le festival projetait aussi en avant-première « Souvenir », de Bavo Defurne, un objet filmique non identifié jalonné de maladresses mais malgré tout attachant grâce à Isabelle Huppert toujours irrésistible (mais cela devient un pléonasme) et toujours là où on ne l’attend pas (un autre pléonasme), ici dans le rôle d’une chanteuse oubliée (bloquée dans les années 70) qui a autrefois participé à l’Eurovision, et qui rencontre un jeune boxeur qui va la convaincre de tenter un come-back. Un feel good movie qui se regarde sans déplaisir, ne serait-ce que pour voir la chorégraphie improbable d’Isabelle Huppert sur son titre tout aussi improbable et délicieusement suranné « je dis oui ».
Sortie en salles : le 21 décembre 2016
Au programme également, un forum du court-métrage, l’occasion de découvrir deux formidables courts et de recevoir plein de bons conseils pour ceux, comme moi, que la réalisation titille. Le forum était précédé en illustration de deux remarquables courts-métrages : « Pas de cadeau » de Marie Vernalde et « Maman(s) » de Maïmouna Doucouré. Le festival propose également chaque année une compétition de courts-métrages, un moment là aussi toujours synonyme de belles découvertes et d’univers forts et singuliers.
J’en ai retenu 4, à commencer par« Goliath » de Loïc Barchédans lequel Nicolas est follement amoureux de Charlotte, une fille qu’il connait à peine et qu’il fantasme à travers les photos qu’elle publie sur Facebook. Accompagné d’un ami, il décide de lui prouver son amour en accomplissant un exploit. La scène d’ouverture pourrait en rebuter plus d’un mais justement est un judicieux contrepoids et contrepied à cette dictature de l’immédiateté et de l’émotion qu’exigent aujourd’hui les réseaux sociaux et que le film démontre par l’excès finalement tristement réaliste. A voir aussi pour le toujours trop rare et si juste et talentueux Swann Arlaud.
Le deuxième court-métrage que j’ai choisi de retenir, c’est celui qui a reçu le prix du public, « Le bleu blanc rouge de mes cheveux » de Josza Anjembe. À dix-sept ans, Seyna, une adolescente d’origine camerounaise se passionne pour l’histoire de la France, le pays qui l’a vue naître et dont elle est profondément amoureuse. Son baccalauréat en poche et sa majorité approchant, Seyna n’aspire qu’à une chose : acquérir la nationalité française. Mais son père Amidou s’y oppose farouchement. Une démonstration bouleversante et implacable de l’importance et la force symbolique que représente cette nationalité pour l’héroïne interprétée par Grace Seri investie corps et âme dans son rôle auquel elle apporte toute sa force, sa détermination et sa douceur.
Le troisième court que j’ai voulu mettre en lumière est « Une vie ordinaire » de Sonia Rolland. Les mauvaises langues diront certainement que la sélection de ce film doit beaucoup à la notoriété celle qui le porte et ils auraient tort car elle témoigne ici d’un véritable engagement et talent de cinéaste en mettant en scène cette histoire en grande partie inspirée de sa propre vie. Nadia, 15 ans, doit s’occuper seule de l’éducation de son frère de 11 ans, de l’entretien de la maison et de ses études, sa mère étant en formation à l’autre bout de la France. Elle est totalement livrée à elle-même, aussi, lorsqu’un de ses camarades la provoque, Nadia explose ; résultat, elle est exclue de l’école… Cette fois-ci, pas d’échappatoire possible : elle va devoir affronter sa mère et faire des choix…
J’ai également eu un énorme coup de cœur pour « Pa Fuera » de Vica Zagreba(mention spéciale du jury) dans lequel la jeune Stella et ses fillettes vivent chez Corto, isolées. Elles s’ennuient et passent le temps en chantant, en dansant. Eddy, un ancien amoureux de Stella débarque. Il les invite à son concert. Stella ne peut y résister. De ce film se dégagent une véracité, une énergie, une émotion, qui jamais ne quittent l’écran et finissent par nous bouleverser.
Enfin, « Monsieur Hernst » de Vincent Cappello dans lequel un docteur poursuit monsieur Hernst dans les souvenirs de sa vie pour le guider à l’incident traumatique qui lui a fait oublier jusqu’à sa propre identité… Sans doute le film le plus maîtrisé de cette compétition, le scénario (en apparence tortueux) le plus maîtrisé également pour une démonstration là encore aussi implacable que bouleversante des mécanismes de la mémoire et de la force dévastatrice des traumatismes aussi anciens soient-ils sans oublier l’interprétation toujours impressionnante de Grégory Gadebois, a fortiori ici, dans un rôle aux multiples facettes et à différents âges de la vie auxquels son talent nous fait adhérer.
Le festival proposait également une master class sur l’animation, l’occasion de découvrir« L’espace d’un instant », réalisé dessiné et animé par Alexandre Athané(aussi auteur de génériques comme « Aimer, boire et chanter » de Resnais, « Max » de Stéphanie Murat ou « Compte tes blessures » et « Monsieur Ernst », en compétition à Saint-Jean-de-Luz) et écrit par Vincent Cappello (le réalisateur de « Monsieur Hernst » précédemment évoqué). Un sublime film d’animation qui montre comment l’imaginaire peut panser les blessures de la vie (et ainsi une métaphore des pouvoirs inestimables du cinéma), également un très beau film sur la transmission dans lequel la douceur des images et de la voix de Pierre Richard nous bercent comme un conte, sans oublier de très beaux dialogues : « C’est comme cela que le monde avance, d’abord il y a les rêveurs, une fois qu’une image les a traversés ils la révèlent à l’humanité et elle se met au travail », « Rien ne peut empêcher l’homme de prendre l’univers en flagrant délit de désobéissance ». Une ode au rêve, à l’imaginaire, un moment de poésie dont la musique d’Alex Beaupain exacerbe la force et la beauté. Une forêt enchanteresse que l’on quitte avec regrets et émotions.
Le festival proposait aussi une master class d’Ivan Calbéracsur l’adaptation que vous pouvez retrouver sur le site officiel du festival et dont sont extraites ces quelques phrases :
« L’écriture romanesque donne une grande place au dialogue intérieure » , « Ce qui est littéraire n’est souvent pas adaptable », « Adapter : en tirer la sève et la matière cinématographique », « On a un désir de réalisme très fort au cinéma, ce qui a une incidence sur l’écriture », « La salle ne représente que 25 à 30 % de l’amortissement d’un film »(pour expliquer l’exigence des chaînes de télévision quand il est question du casting), l’occasion aussi pour lui de revenir sur le formidable succès de « L’étudiante et M.Henri » en Allemagne avec 530000 entrées France et autant en Allemagne alors que, habituellement les entrées en Allemagne ne représentent que 10% de celles engrangées en France.
A l’image de son affiche (qui fait l’éloge d’un cinéma d’avenir avec, pour égérie, le comédien Amir El Kacem, devant l’objectif de Chris Huby) , ce festival met l’audace et la liberté à l’honneur et permet la rencontre entre un lieu et des acteurs du cinéma (au sens large) et parfois ces rencontres donnent naissance à de nouveaux projets à l’image de ce clip extraordinaire de David Cairol (« Crazy lazy ») réalisé par Sylvain Chomet et projeté lors de la clôture, David Cairoldont je vous invite vraiment à découvrir le travail, notamment sur sa page Facebook, ici.
Je quitte ce festival avec une multitude d’images de films, des images indélébiles, au premier rang desquelles : Deux mains qui se tendent et s’accrochent l’une à l’autre. Une danse enfiévrée et flamboyante. Un noir et blanc d’une douceur mélancolique et envoûtante. Des odes à la poésie, à l’imaginaire. Des gros plans sur des visages qui résonnent comme des reproches. La grande faucheuse, menaçante et esseulée, qui erre dans la campagne bretonne. Des déambulations à la lueur des néons. Hypnotiques. Une esquisse à la Matisse empreinte de noirceur et de luminosité, de la beauté et de la cruauté de la vie. Des voix, des musiques, dans un café en Bretagne, ou de Pierre Richard, d’Anaïs Demoustier, d’Alex Beaupain. Les interprétations saisissantes de Kevin Azaïs, Grégory Gdebois, Déborah François, Jarkko Lathi, Grace Seri, Sergio Hernandez, Jean Sorel, Aurélien Recoing, Corinne Masiero, Monia Chokri,Swann Arlaud, Nathan Willcocks, Vincent Elbaz, Zabon Breitman, Isabelle Carré, François-Xavier Demaison, Isabellle Huppert. Et bien sûr l’interprétation et la joie communicative de Tassadit Mendi. Et tant d’autres…Et Saint-Jean-de-Luz, sa beauté mélancolique, et de beaux souvenirs que j’emporte avec moi.
Pour terminer, un immense merci à Patrick Fabre pour son accueil chaleureux, sa bienveillance constante et rare envers les films et ceux qui les font, et l’enthousiasme et la passioncommunicatifs qui transpirent de chaque échange avec les équipes de films et qui contribuent beaucoup à l’exceptionnelle convivialité de ce festival et qui prouvent qu’ambiance familiale et professionnalisme peuvent se conjuguer. Chaque année, c’est là que le meilleur des premiers et deuxième films de l’année à venir se dévoile et cette année ne dérogeait pas à la règle, mêlant à nouveau films d’auteurs populaires et films populaires exigeants et respectueux du spectateur (c’est-à-dire des films qui ne se réduisent pas à de simples pitchs) mais aussi de vraies avant-premières (ce qui devient rare en festivals, les films sortant désormais souvent la semaine de leurs projections en festivals ou peu de temps après). J’espère vraiment que ce festival, indispensable, perdurera. Un grand merci aussi à Eric Soreau pour son accueil et la mise en avant de mon premier roman « L’amor dans l’âme » (ici, ci-dessous, à la cérémonie d’ouverture) et de mon recueil « Les illusions parallèles » (qui comprend 16 nouvelles sur les festivals de cinéma dont une qui se déroule intégralement dans le cadre du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, ces deux livres sont disponibles à la librairie Louis XIV de Saint-Jean-de-Luz), à Isabelle et l’équipe de l’office de tourisme pour leur accueil chaleureux. Et merci à l’hôtel Ohartzia également pour le sourire constant.
Au Loreamar…:
Ci-dessous, retrouvez également mes photos de l’hôtel Loreamar. En début de semaine prochaine, en partenariat avec l’hôtel, sur mon site Inthemoodforhotelsdeluxe.com, je vous ferai ainsi gagner (pour 2) un massage bien-être de 50 minutes dans le splendide Spa de l’hôtel, ainsi qu’un accès à l’espace thalasso et au spa-piscine d’eau de mer chauffée, sauna, hamman, douche expérience, fitness, salle de relaxation et un cocktail détox au bar.
Palmarès
Prix du Jury
Prix du meilleur film : Olli Mäki de Juho Kuosmanen
Prix du meilleur réalisateur : Alex Anwandter pour You’ll never be alone
Prix de la meilleure interprétation féminine : Tassadit Mandi dans Paris la blanche de Lidia Leber Terki
Prix de la meilleur interprétation masculine : Kévin Azaïs dans Compte tes blessures de Morgan Simon
Prix du court-métrage :La tortue de Thomas Blumenthal et Roman Dopouridis
Prix France Bleu
Jury présidé par Frédérique Albrecht
Long-métrage : Paris la Blanche de Lidia Leber Terki
Prix du Public
Long-métrage : Souffler plus fort que la mer de Marine Place
Court-métrage : Le bleu blanc rouge de mes cheveux de Josza Anjembe
Prix du jury jeune
Long-métrage : Compte tes blessures de Morgan Simon
Court-métrage : La tortue de Thomas Blumenthal et Roman Dopouridis
N’hésitez pas non plus à consulter l’excellent site internet du festival: une mine d’informations avec, notamment, de nombreuses vidéos du festival, et notamment celle de la cérémonie de clôture.
Vous pouvez également retrouver le festival sur les réseaux sociaux: Facebook, instagram (@fifsaintjeandeluz), twitter (@fifsaintjeandeluz).
Retrouvez ce même article sur mon blog http://inthemoodforcinema.com.