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film - Page 57

  • Critique - LES EMOTIFS ANONYMES de Jean-Pierre-Améris, ce soir, sur France 3, à 20H45

    Ce soir, sur France 3, à 20H45, je vous recommande "Les Emotifs anonymes" de Jean-Pierre Améris, l'occasion aussi de vous inciter à (re)voir le dernier film du cinéaste, "L'homme qui rit" dont vous pourrez également retrouver ma critique, ci-dessous.

    Critique - "Les émotifs anonymes" de Jean-Pierre Améris

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    La comédie française se porte bien : après le réjouissant « Tout ce qui brille », le pétillant « De vrais mensonges », le romantique « L’Arnacoeur », le décalé « La reine des pommes », le sucré acide « Potiche » cette année 2010 s’achève par une comédie qui n’est pas la plus clinquante ni la plus formatée mais sans aucun doute la plus attachante à des années lumière d’une « comédie » désolante, démagogique et opportuniste comme « Fatal ».

    Le gérant d’une chocolaterie au prénom aussi improbable que ses costumes démodés est un grand émotif. Jean-René (Benoît Poelvoorde) donc, puisque tel est ce fameux prénom suranné, cherche à employer une nouvelle commerciale. Angélique (Isabelle Carré) est la première à se présenter. Chocolatière de talent, elle est au moins aussi émotive que Jean-René, participant même à des séances des «Emotifs anonymes ». Entre eux le charme opère immédiatement, malgré leurs maladresses, leurs hésitations, leurs regards fuyants. Seulement leur timidité maladive tend à les éloigner…

    Quant la mode est aux cyniques célèbres, un film qui s’intitule « Les Emotifs anonymes » est déjà en soi rafraîchissant et j’avoue avoir d’emblée beaucoup plus de tendresse pour les seconds. Cela tombe bien : de la tendresse, le film de Jean-Pierre Améris en regorge. Pas de la tendresse mièvre, non. Celle qui, comme l’humour qu’il a préféré judicieusement employer ici, est la politesse du désespoir. Jean-Pierre Améris connaît bien son sujet puisqu’il est lui-même hyper émotif. J’en connais aussi un rayon en émotivité et évidemment à l’entendre je comprends pourquoi son film (me) touche en plein cœur et pourquoi il est un petit bijou de délicatesse.

    La première grande idée est d’avoir choisi pour couple de cinéma Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré déjà réunis dans « Entre ses mains », le très beau film d’Anne Fontaine. Poelvoorde donne ici brillamment corps (mal à l’aise, transpirant, maladroit), vie (prévoyante et tétanisée par l’imprévu) et âme (torturée et tendre) à cet émotif avec le mélange de rudesse involontaire et de personnalité à fleur de peau caractéristiques des émotifs et Isabelle Carré, elle aussi à la fois drôle et touchante, sait aussi nous faire rire sans que jamais cela soit aux dépends de son personnage. L’un et l’autre sont pour moi parmi les plus grands acteurs actuels, capables de tout jouer et de nous émouvoir autant que de nous faire rire. Ici ils font les deux, parfois en même temps. Poelvoorde en devient même beau à force d’être touchant et bouleversant, notamment lorsqu’il chante, dans une scène magnifique que je vous laisse découvrir. Le film de Jean-Pierre Améris est ainsi à l’image de l’entreprise de chocolaterie vacillante de son personnage principal : artisanal mais soigné, à taille humaine, et terriblement touchant.

    La (première) scène du restaurant est un exemple de comédie et symptomatique du ton du film, de ce savant mélange de sucreries, douces et amères, de drôlerie et de tendresse. Cette scène doit (aussi) beaucoup au jeu des acteurs. Leur maladresse dans leurs gestes et leurs paroles (leurs silences aussi), leurs mots hésitants, leurs phrases inachevées, leurs regards craintifs nous font ressentir leur angoisse, l’étirement du temps autant que cela nous enchante, nous amuse et nous séduit.

    Le deuxième est le caractère joliment désuet, intemporel du film qui ne cherche pas à faire à la mode mais qui emprunte ses références à Demy ou à des pépites de la comédie comme « The shop around the Corner » de Lubitsch avec ses personnages simples en apparence, plus compliqués, complexes et intéressants qu’il n’y paraît sans doute à ceux qui préfèrent les cyniques célèbres précités.

    Avec son univers tendrement burlesque, avec ses couleurs rouges et vertes, Jean-Pierre Améris nous embarque dans ce conte de noël qui se déguste comme un bon chocolat à l’apparence démodée mais qui se révèle joliment intemporel. Un film tout simplement délicieux, craquant à l’extérieur et doux et fondant à l’intérieur qui vous reste en mémoire...comme un bon chocolat à la saveur inimitable.

    Jean-Pierre Améris m’avait déjà bouleversée avec « C’est la vie » et « Poids léger », maintenant en plus il nous fait rire. Vivement le prochain film du cinéaste et vivement le prochain film avec Isabelle Carré ET Benoît Poelvoorde ! Si vous n’avez pas encore vu ce film allez-y de préférence le 25 décembre, vous ferez en plus une bonne action. Un film qui fait du bien comme celui-ci, c'est vraiment l'idéal un jour de noël et vous auriez tort de vous en priver.

    En bonus, regardez le clip de "Big jet lane" d'Angus et Julia Stone, très belle bo qui prolonge le film.

     

     

    Critique de "L'homme qui rit" de Jean-Pierre Améris

    cinéma, film, avant-première, Gérard Depardieu, livre, Victor Hugo, L'homme qui rit, marc-André Grondin, Gwynplaine, Christa Théret, Emmanuelle Seigner

    Comme étais-je passée à côté de ce roman de Victor Hugo ? Mystère… La sortie du film a pour moi été l’occasion de cette magnifique découverte, d’un texte ardu mais passionnant, riche de multiples digressions, d’une langue admirable (évidemment), et surtout d’un personnage monstrueusement séduisant auquel tous ceux qui se sont un jour sentis différents pourront s’identifier : Gwynplaine sur lequel Jean-Pierre Améris a eu la bonne idée de centrer son film.

    Alors que la tempête de neige fait rage, Ursus (Gérard Depardieu), le forain  en apparence revêche mais généreux, recueille deux orphelins dans sa roulotte. Le premier de ces deux orphelins, c’est Gwynplaine, un jeune garçon dont une cicatrice qui ressemble à un rire insolemment triste barre le visage, l’œuvre des Comprachicos (un mot qui est une invention de Victor Hugo provenant de l'espagnol comprar -qui signifie acheter- et chicos -qui signifie enfant- signifiant donc «acheteurs d’enfants»), spécialisés dans le commerce d'enfants, qu'ils achètent ou volent et revendent après les avoir mutilés. L’autre enfant, c’est Déa une petite fille aveugle que ce dernier a trouvée sur son chemin. Quelques années plus tard, ils sillonnent toujours les routes et présentent un spectacle dont Gwynplaine (Marc-André Grondin) alors adulte, est devenu la vedette, accompagné de Déa (Christa Théret), également sur scène. Partout, on souhaite voir « L’homme qui rit » celui qui fait rire et émeut les foules mais un autre théâtre, bien plus redoutable, celui de l’aristocratie, va l’éloigner de ceux qu’il aime et qui l’aiment…

    Hugo a écrit « L’homme qui rit » entre 1866 et 1869 durant son exil politique dans les îles Anglo-Normandes. Adapter les 750 pages de ce roman était un véritable défi tant le roman est foisonnant, allégorique aussi, et tant l’auteur digresse sur la politique, la philosophie et même l’architecture. Jean-Pierre Améris et Guillaume Laurant (notamment scénariste de films de Jean-Pierre Jeunet dont « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ») ont réalisé un incroyable travail d’adaptation et ont eu l’excellente idée de transposer le roman qui se déroule dans l’Angleterre du XVIIème sicèle dans un lieu et une époque imprécis (le film a été tourné en studios à Prague) et surtout d’en faire un conte sombre, et ainsi fascinant. Pour rendre l’histoire plus moderne et accessible, Jean-Pierre Améris a volontairement utilisé des éléments plus contemporains, pour les dialogues mais aussi pour les costumes, comme l'avaient fait Baz Luhrmann pour "Roméo et Juliette" ou Sofia Coppola pour "Marie-Antoinette".

    Dès les premiers plans dans la neige et la tempête, la poésie lugubre et la féérie sombre des images captivent. Du roman baroque d’Hugo Jean-Pierre Améris a fait une fable intemporelle d’une beauté triste mais ensorcelante. C’est un magnifique roman (et film) sur la différence, la dualité, entre blancheur et noirceur, entre beauté et laideur, entre théâtre et réalité, entre aveuglement et clairvoyance, des contrastes que l’esthétique du film souligne magnifiquement et dont elle souligne aussi les paradoxes. « Qu’est-ce que ça veut dire être laid ? Laid c’est faire le mal ! Toi tu me fais du bien », résume si bien l’aveugle et sensible Déa. 

    La vie est à la fois sublimée et plus réelle sur les planches comme elle peut l’être dans « Le Carrosse d’or », « Les enfants du paradis », « Le dernier métro » et c’est là que l’amour impossible de Déa (la jeune aveugle qui voit la beauté de l’âme, allégorie simple et tellement magnifique) et Gwynplaine est le plus éclatant. La monstruosité, le théâtre, la noirceur se situent finalement dans la réalité et du côté de l’aristocratie comme dans le « Ridicule » de Patrice Leconte. « Ne quitte jamais les planches. Ici les gens t’aimeront, mais dans la vie réelle, ils te feront souffrir » le prévient pourtant Ursus mais pour son plus grand malheur, Gwynplaine ne l’écoutera pas…

    Jean-Pierre Améris (dont j’ai découvert le cinéma avec « C’est la vie » et « Poids léger » que je vous recommande vivement et dont le dernier film « Les Emotifs anonymes » était une comédie très réussie), pour son 12ème film, est une nouvelle fois attiré par une histoire de marginaux qu’il sait si bien comprendre et pour lesquels il sait si bien susciter de l’empathie. Il a ainsi fait de Gwynplaine un personnage éminemment séduisant : innocent, révolté, libre, d’une laideur attrayante.  Gwynplaine est moins connu que Quasimodo et pourtant sa belle monstruosité a énormément inspiré les artistes, à commencer par Tim Burton pour « Edward aux mains d’argent ». Le film de Jean-Pierre Améris, sans jamais le singer, m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à l’univers du cinéaste américain par sa beauté baroque, entre rêve et cauchemar, par ses personnages d’une beauté étrange et fascinante (très felliniens, aussi), par sa mise en scène inspirée. Tim Burton n’était d’ailleurs pas le seul à avoir été inspiré par Gwynplaine. Les dessinateurs Jerry Robinson et Bob Kane reconnaissaient ainsi volontiers s’être inspirés de Gwynplaine pour le personnage du Joker, dans les comics Batman. Et le roman d’Hugo est longuement évoqué dans  « Le Dahlia noir » de James Ellroy, présent également dans l'adaptation cinématographique de Brian De Palma.

    C’est aussi un très bel hymne à la différence,  et à ceux qui se battent pour les autres (Hugo était un écrivain engagé, Jean-Pierre Améris, l’est aussi à sa manière dans chacun de ses films ou même teléfilms comme « Maman est folle »). Magnifique scène de la tirade au Parlement ! Il s’agit d’un discours exalté dans lequel Marc-André Grondin met beaucoup d’éloquence et de conviction : « Ce qu’on fait à ma bouche, c’est ce qu’on fait au peuple. On le mutile » dit-il notamment (le texte, magnifique, est là repris de Hugo). Marc-André Grondin apporte toute sa beauté, sa fraîcheur à ce homme bouleversant caché derrière ce masque tragiquement rieur, se mettant ainsi à nu, dévoilant son visage mais surtout sa belle âme, face à la vraie monstruosité.

     Le film bénéficie aussi d’un casting impeccable : outre Marc-André Grondin, Gérard Depardieu impose sa force tranquille et sa générosité (au passage, que les pseudo-politiquement corrects laissent tranquille cet homme terriblement libre, vivant, cet immense artiste, plutôt que d’utiliser sa vie personnelle pour, probablement, exprimer une certaine rancœur, voire jalousie, et qu’ils s’engagent et mettent leur énergie vindicative au service de causes qui en sont vraiment). J’espère que cela permettra aussi à certains de découvrir Swann Arlaud que j’avais découvert au Festival de Cabourg dans le court-métrage   « Alexis Ivanovich vous êtes mon héros » de Guillaume Gouix dans lequel il incarne admirablement un personnage radieux et joyeusement désinvolte qui, en une fraction seconde, blessé dans son orgueil, va tout remettre en question, découvrant ne pas être le héros qu’il aurait aimé être aux yeux de son amoureuse.  Emmanuelle Seigner est une incarnation sublime de la tentation diabolique et finalement, malgré tout, touchante (comme chez Hugo, même ou car monstrueux, ses personnages restent humains),  et comme elle le dit elle-même, le visage de Gwynplaine est le reflet de son âme sombre. Enfin, Christa Théret dont le visage est si expressif (à voir aussi absolument dans « Renoir », dans un rôle très différent dans lequel elle excelle également) est la tentation angélique, incarnation du mélange de force et de fragilité, d’aveuglement et de clairvoyance.

    Mon seul reproche concerne le montage, et la durée, l’impression que la fin est un peu brusque…et que sans digresser autant que le fait Hugo dans son livre, le film aurait encore gagné en densité en gagnant un peu en longueur.

    Ce film est néanmoins vraiment un enchantement, un enchantement mélancolique, la forme reflétant ainsi le fond et toutes les sublimes dualités que l’histoire recèle. C’est aussi un opéra moderne ( la musique a été enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens et elle apporte une force lyrique au film) . C’est également une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle (elles sont trop rares au cinéma pour s’en priver). C’est enfin un film universel au dénouement bouleversant. N’ayez pas peur de l’humour grinçant, la noirceur, la tragédie, ils sont sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (pour peu que nous nous sentions un tout petit peu différents) et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant. La très belle surprise de cette fin d’année.

    Quelques citations extraites du livre « L’homme qui rit » de Victor Hugo, pour terminer :

    « Les aristocrates ont pour orgueil ce que les femmes ont pour humiliation, vieillir. »
    « De telles innocences dans de telles ténèbres, une telle pureté dans un tel embrassement, ces anticipations sur le ciel ne sont possibles qu'à l'enfance, et aucune immensité n'approche de cette grandeur des petits. »
    « Ca doit se fourrer dans des trous, le bonheur. Faites-vous encore plus petits que vous n'êtes, si vous pouvez. Dieu mesure la grandeur du bonheur à la petitesse des heureux. Les gens contents doivent se cacher comme des malfaiteurs. »
    « Deux coeurs qui s'aiment, n'allez pas chercher plus loin la poésie; et deux baisers qui dialoguent, n'allez pas chercher plus loin la musique. »

    L’homme qui rit a été présenté en clôture de la 69ème Mostra de Venise.

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  • Critique de GRAND CENTRAL de Rebecca Zlotowski

    Ce mercredi, ne manquez pas la sortie de "Grand Central" de Rebecca Zlotowski que j'ai découvert dans le cadre de la section Un Certain Regard du dernier Festival de Cannes.

    Retrouvez ma critique, ci-dessous.

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     "Grand Central" sera projeté dans le cadre du Champs-Elysées Film Festival dont vous pouvez retrouver le programme, ici.

    Dans ce nouveau film de Rebecca Zlotowski, Tahar Rahim incarne Gary, un jeune homme agile, frondeur, qui apprend vite, embauché dans une centrale nucléaire, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus fortes et dangereuses. Là, où le danger est constant. Il va y trouver ce qu’il cherchait, de l’argent, une équipe à défaut d’une famille (on ne verra de sa vraie famille qu’une sœur dont le conjoint le rejette visiblement, et une grand-mère dont la porte restera impitoyablement fermée) même si elle le devient presque, mais aussi Karole ( Léa Seydoux), la femme de son collègue Toni (Denis Menochet). Tandis que les radiations le contaminent progressivement, une autre forme de chimie (ou d’alchimie), l’irradie, puisqu’il tombe amoureux de Karole. Chaque jour, la menace, de la mort et de la découverte de cette liaison, planent.

    La première bonne idée du film est de nous faire découvrir cet univers dans lequel des hommes côtoient le danger et la mort chaque jour, dans des conditions terrifiantes que Rebecca Zlotowski parvient parfaitement à transcrire notamment par un habile travail sur le son, des bruits métalliques, assourdissants qui nous font presque ressentir les vibrations du danger. A l’image d’un cœur qui battrait trop fort comme celui  de Gary pour Karole.  J’ignore ce qui est réel dans sa retranscription des conditions de vie des employés de la centrale nucléaire tant elles paraissent iniques et inhumaines mais j’imagine qu’elles sont tristement réelles puisque  Claude Dubout, un ouvrier qui avait écrit un récit autobiographique, « Je suis décontamineur dans le nucléaire », a été le conseiller technique du  film. Le film a par ailleurs été tourné dans une centrale nucléaire jamais utilisée, en Autriche, ce qui renforce l’impression de réalisme.

    Ne vous y trompez pas, « Grand Central » n’est néanmoins pas un documentaire sur les centrales nucléaires. C’est aussi et avant tout une histoire d’amour, de désirs dont la force est renforcée par la proximité d’un double danger. C’est un film sensuel, presque animal qui pratique une économie de dialogues et qui repose sur de beaux parallèles et contrastes. Parallèle entre l’amour de Gary pour Karole  qui se laisse irradier par elle et pour rester auprès d’elle. Parallèle entre le sentiment amoureux, presque violent, impérieux, qui envahit lentement et irrémédiablement celui qui l’éprouve comme la centrale qui contamine. Parallèle entre les effets du désir amoureux et les effets de la centrale : cette dose qui provoque « la peur, l’inquiétude », les jambes « qui tremblent », la « vue brouillée » comme le souligne Karole. Parallèle entre ces deux dangers que Gary défie, finalement malgré lui. Contraste entre cette centrale clinique, carcérale, bruyante et la nature dans laquelle s’aiment Gary et Karole et que Rebecca Zlotowski filme comme une sorte d’Eden, ou comme dans « Une partie de campagne » de Renoir, même si elle n’élude rien des difficiles conditions de vie des ces ouvriers/héros qui habitent dans des mobile-homes près des centrales, telle une Ken Loach française.

    Rebecca Zlotowski dresse le portrait de beaux personnages incarnés par d’excellents comédiens ici tout en force et sensualité au premier rang desquels Tahar Rahim, encore une fois d’une justesse irréprochable, Denis Menochet, bourru, clairvoyant et attendrissant, un beau personnage qui échappe au manichéisme auquel sa position dans le film aurait pu le réduire, ou encore Olivier Gourmet ou Johan Libéreau (trop rare).

    Encore un film dont je vous reparlerai qui à la fois nous emporte par la beauté de ses personnages, leur rudesse tendre, la radieuse force des sentiments (amitié, amour) qui les unit … et qui nous glace d’effroi en nous montrant les conditions de travail de ceux qui risquent chaque jour leur vie dans l’une de ces 19 centrales françaises.

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2013 Pin it! 1 commentaire
  • Critique de J'AIME REGARDER LES FILLES de Frédéric Louf avec Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge ..., à 20H45, sur Ciné plus Emotion

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    L’été est désormais l’occasion pour les majors de sortir certaines de leurs grosses productions …mais c’est aussi et  heureusement l’occasion pour des films aux budgets et à la promotion moins conséquents d’émerger. Ce fut le cas pour « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon en 2008 et j’aurais vraiment aimé que ce fut le cas l'été 2011 pour « J’aime regarder les filles », premier long-métrage de Frédéric Louf, un film que j’avais découvert dans le cadre du  Festival du Film de Cabourg où il était présenté, dans la section Panorama. Mon coup de cœur du festival. Un coup de foudre même. Une belle évidence. Pas de budget ni de promotion pharaoniques mais un film écrit et réalisé avec sincérité, et brillamment interprété.  Et indéniablement le film le plus romantique de ce festival : celui qui évoquait le mieux les tourments de l’âme et du cœur, et qui fait preuve  de sensibilité (agréablement) exacerbée. Et vous faire découvrir et partager mon enthousiasme pour des films comme celui-ci est sans doute la plus belle raison d’être de ce blog.

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    L’action du film  débute la veille du 10 mai 1981, en plein bouillonnement électoral. C’est ce jour-là que Primo (Pierre Niney) et Gabrielle (Lou de Laâge) se rencontrent, suite à la belle audace et inconscience de Primo qui s’immisce dans une fête à laquelle il n’était pas invité. Ils ont 18 ans. L’âge de tous les possibles. Tous les excès. Toutes les audaces. Primo va bientôt passer le bac. Gabrielle fait partie de la bourgeoisie parisienne. Lui est fils de petits commerçants de province. Primo est ébloui par le charme de Gabrielle. Il va s’inventer une vie qui n’est pas la sienne… Et puis, dans l’ombre, il y a Delphine, amie de Gabrielle (Audrey Bastien)…

    Frédéric Louf arrive à transcrire la fébrilité et la fougue de la jeunesse, cet âge où tout est possible, à la fois infiniment grave et profondément léger, où tout peut basculer d’un instant à l’autre dans un bonheur ou un malheur pareillement excessifs, où les sentiments peuvent éclore, évoluer ou mourir d’un instant à l’autre, où tout est brûlant et incandescent. De son film et de ses interprètes se dégagent toute la candeur, la fraîcheur mais aussi parfois la violence et l’intransigeance de cet âge décisif.

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    La littérature cristallise magnifiquement les sentiments avec notamment les références à une des œuvres les plus marquantes du romantisme « On ne badine pas avec l’amour » de Musset, judicieux parallèle pour cette histoire qui , dans une certaine mesure, peut rappeler celle de Camille et Perdican, mais aussi pour la présence de la violence sociale, présente dans l’œuvre de Musset et ici également en arrière-plan avec l’éveil de Primo à la politique grâce au personnage de Malik (là encore un choix judicieux : Ali Marhyar). C’est donc l’histoire (avant tout) d’une « éducation sentimentale » mais aussi d’une éducation politique, l’un et l’autre symbolisant un bel et fol espoir. Celui du 10 mai 1981. Et celui de cet amour naissant.

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    Au sommet de la distribution, Pierre Niney (que vous avez pu notamment voir dans « les Emotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris et « L’autre monde » de Gilles Marchand, plus jeune pensionnaire de la comédie française mais pas seulement, cf interview ci-dessous) qui incarne Pierre, personnage éminemment romantique capable notamment de se jeter par la fenêtre, d’une touchante maladresse et d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient…mais aussi Audrey Bastien (que vous avez déjà pu voir dans « Simon Werner a disparu ») qui incarne une Delphine à la fois forte et fragile, mystérieuse et déterminée.

     A eux deux, ils incarnent toutes les nuances, les excès, les passions, la vulnérabilité et la force de la jeunesse avec un naturel confondant et avec ce petit quelque chose en plus, si rare et précieux, qui se nomme la grâce. N’oublions pas non plus Lou de Lâage,  dont le personnage, à l’image de ceux précités, évite intelligemment l’écueil du manichéisme.  Michel Vuillermoz, Johan Libéreau, Ali Maryhar notamment complètent cette épatante distribution !

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    Le caractère de Primo (inconscient, follement romantique, maladroit, déterminé) rappelle Antoine Doinel et en particulier le Doinel de « Baisers volés ». La vitalité qui se dégage du film, les références à la littérature, cette apparente légèreté doublée d’une réelle profondeur procurent à ce film un bel air truffaldien.

    Le tout est  servi par des dialogues particulièrement bien écrits. Agnès Jaoui qui a écrit ce qui est à mon sens un des films avec les meilleurs dialogues qui soient (« Le goût des autres », chef d’œuvre du genre à voir absolument si ce n’est déjà fait) ne s’y est pas trompé: elle est la marraine du film.  Le film a par ailleurs reçu le label « Cinéaste de demain » décerné par Canal +, UGC et un collectif de cinéastes.

    Un film simple, touchant, drôle (je ne l’ai pas assez dit, mais oui, vraiment aussi drôle) qui a la grâce des 18 ans de ses personnages, à la fois fragiles et résolus, audacieux, d’une émouvante maladresse, insouciants et tourmentés et qui incarnent à merveille les héros romantiques intemporels même si le film est volontairement très ancré dans les années 80 à l’image du tube de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles » qui a donné son titre au film.

    Un film au romantisme assumé, imprégné de littérature, avec un arrière-plan politique, avec un air truffaldien, voilà qui avait tout pour me plaire, sans oublier ce petit plus indicible, le charme peut-être, la sincérité sans doute, et le talent évidemment, ingrédients d’un coup de foudre cinématographique comme celui-ci.

    Je crois que vous l’aurez compris : c’est LE film de cet été à ne pas manquer… Et quand ses jeunes interprètes seront nommés comme meilleurs jeunes espoirs aux prochains César et/ou le film comme meilleur premier film (je ne vois pas comment il pourrait en être autrement) vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus!

    Et juste pour le plaisir de la beauté et clairvoyance redoutables des mots de Musset :

    « Adieu Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'on empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois : mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » On ne badine pas avec l'amour (acte 2 scène V)- Alfred de Musset (1810-1857)

    INTERVIEWS DE PIERRE NINEY ET FREDERIC LOUF

     

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    Ci-dessus: Audrey Bastien, Pierre Niney et Frédéric Louf lors de la présentation du film en avant-première, au Festival du Film de Cabourg.

     Pour achever de vous convaincre, je vous propose ci-dessous de retrouver mes interviews du réalisateur Frédéric Louf et de l’acteur principal Pierre Niney. Je les remercie encore une fois  d’avoir pris le temps de me donner ces réponses précises et enthousiastes, qui, je pense, devront vous donner une idée du ton du film, à leur image…

    martineden.jpgUne petite parenthèse à propos de la référence à « Martin Eden » de Jack London (que vous pourrez lire dans l’interview de Pierre Niney), un chef d’œuvre parfois méconnu, un des trois romans que je relis le plus souvent et que je vous conseille vraiment de découvrir . Dès l’instant où mes yeux se sont posés sur ce roman, le ténébreux « Martin Eden », je n’ai pu les en détacher, le dévorant littéralement jusqu’à la dernière ligne. Pour ne pas en gâcher le plaisir de la découverte, je ne vous en résumerai pas l’histoire. C’est à la fois une brillante histoire romanesque et une peinture de la société, de son hypocrisie, de la superficialité de la réussite, des bas-fonds de San Francisco aux salons de la bourgeoisie. C’est l’itinéraire d’un être passionné et idéaliste qui sombrera dans le désappointement. C’est un roman d’un romantisme désenchanté empreint de passion puis de désillusions. C’est aussi et avant tout un roman sur la fièvre créatrice et amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent à la fois. Le roman le plus autobiographique de Jack London publié en 1909 et réédité aux Editions Phébus (collection Libretto). Je vous le recommande vivement.

     

     

    INTERVIEW DE PIERRE NINEY (Primo dans le film)

    niney3.jpgBiographie (source : Wikipédia et Allociné et interview/photo ci-contre: extraite du film "J'aime regarder les filles") Pierre Niney a débuté le théâtre à l'âge de onze ans en suivant  une formation avec la Compagnie Pandora et travaille sur des mises en scène avec Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault. Admis aux auditions de la Classe Libre des Cours Florent où il y étudie pendant deux ans, puis au Conservatoire National d'Art Dramatique (CNSAD). Il est engagé dans la troupe de la Comédie-Française en octobre 2010.

    Au théâtre : il joue sous la direction de Julie Brochen à la Cartoucherie de Vincennes, Vladimir Pankov au Théâtre Meyerhold à Moscou, et Emmanuel Demarcy-Mota. Après avoir travaillé pour des téléfilms et courts-métrages diffusés à la télévision (Nicolas Klotz...) il décroche plusieurs rôles au cinéma, il joue dans le long-métrage "LOL" de Lisa Azuelos et il tourne entre autres, dans l’excellent film de Robert Guédiguian intitulé "L'Armée du Crime", sélectionné au Festival de Cannes 2009 mais également dans « L’Autre monde » de Gilles Marchand (ma critique, ici) (sélectionné au Festival de Cannes 2010) puis dans "Les Émotifs anonymes" (ma critique, ici) avec Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré. Ces trois derniers films témoignent du caractère judicieux de ses choix.

    Pierre Niney rejoint la troupe de la Comédie-Française le 16 octobre 2010 en devenant le plus jeune pensionnaire actuel du lieu. Il créé actuellement un festival de court-métrage à Vanves pour 2012/2013 (je vous en reparlerai). Il jouera, début juin 2012, au théâtre de Vanves, une pièce qu’il a écrite et mise en scène « Si près de Ceuta ». Vous le retrouverez dans « Les neiges du Kilimandjaro » de Robert Guédiguian qui sort en salles le 16 novembre prochain. Et cet été, il tournera un long-métrage intitulé "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin avec également Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et Mélanie Thierry dans la distribution.

     1. Inthemoodforcinema.com : « J’aime regarder les filles » a été présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, dédié au cinéma romantique. Pour moi, c’était  le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de cinéma romantique (synonyme d’une grande sensibilité et des tourments de l’âme et du cœur). En quoi votre personnage, pour vous, l’est-il ? Cette caractéristique de votre personnage a-t-elle beaucoup orientée votre manière de l’interpréter ?

     Pierre Niney: Primo est un grand romantique. Mais pas dans sa forme la plus classique. C'est ce qui m'a beaucoup séduit dans le scénario de Fréderic Louf. Il aime de tout son cœur et il est capable de beaucoup quand il est dans cet état. Une porte fermée ne l'arrêtera pas tant qu'il pourra escalader la face de l'immeuble, peu importe l'étage.

    Il est aussi profondément sensible à la littérature et capable de retenir des vers entier d'Alfred de Musset qui parlent d'amour, cependant c'est aussi un personnage capable d'une vraie violence dans ses rapports aux autres, et d'un réel égoïsme, qu'il parvient a combattre au fur et a mesure du film et des différentes rencontres qu'il fait. Evidemment tout cela a influencé ma manière de jouer Primo car ces aspects du personnage le définissent en grande partie.

    2. Inthemoodforcinema.com: Même si votre jeu est très différent de celui de Jean-Pierre Léaud, j’ai beaucoup songé au cinéma de Truffaut de par le caractère de votre personnage, la présence de la littérature, la vitalité qui se dégage du film. Est-ce une référence pour vous en général et en était-ce une à la lecture du scénario ?

    Pierre Niney: Le lien entre l'univers de Truffaut et le film de Fréderic Louf me plait bien (évidemment!) et me parait justifié à certains niveaux.  Le ton de "J'aime Regarder Les Filles" ainsi que le personnage de Primo peut,  je pense, faire penser aux aventures du très "vivant" Antoine Doinel.

    L'image d'un Jean Pierre Léaud fougueux et maladroit m'a traversé l'esprit plus d'une fois à la lecture du scénario. Primo, le personnage que j'incarne dans le film, partage certains traits de caractère avec lui. Une certaine naïveté mêlée à une réelle détermination capable de surprendre le public mais aussi le personnage lui même, voilà ce qui pour moi faisait un écho possible entre les deux univers et les deux "héros" que sont Primo et Antoine Doinel.

    Au delà de ça, une fois sur le plateau je me suis beaucoup éloigné de cette référence (et des autres) et je n'ai jamais eu en tête les films de Truffaut quand il s'agissait de jouer les scènes. Le plus évident sur le tournage et dans le travail avec Frederic, était de se lancer dans les scènes avec pour seul but de réagir au présent, en lien direct avec la situation et les différents caractères des personnages. Rester vif et toujours dans une optique d'extrême, d'absolu qui est propre à la jeunesse.

    3. Inthemoodforcinema.com:  Votre personnage est assez complexe, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire. On a l’impression que votre jeu est très « fluide », évident. Quelles difficultés, s’il y en a eu, cela présentait-il ? Y a-t-il une manière de se préparer à un rôle comme celui-ci ?

    Pierre Niney: Primo ne m'est pas totalement inconnu. Son énergie, son goût pour " l'escalade d'immeubles en plein Paris", son obstination à obtenir quelque chose qui lui parait important, son indécision aussi parfois, sont autant d’aspects du personnage que je partage avec lui . Et ce fut la bonne surprise du scénario. Pour toutes les scènes qui faisaient appel à ces traits du personnage, je me suis donc rapidement amusé, dès les répétitions, à jouer avec, à les exagérer ou les cacher aux autres personnages.

    Lee Strasberg écrit une phrase que j'aime bien (au risque de me la péter un peu) :  "Il faut partir de soi...mais il faut partir." De cette même façon, mon travail s'est ensuite porté sur ce qui m'était plus étranger chez Primo (et ce qui est souvent captivant pour un acteur). J'ai posé des questions à Fréderic sur sa façon de voir la maladresse de Primo, je lui demandais "comment est ce qu'il pourrait marcher?", "Est ce qu'à table il est du genre à tripoter ses couverts ou sa serviette?" et nous avons avancé de cette manière, parfois à travers ce genre de détails qui nous plaisaient à tout les deux et capables de raconter le mal-être de Primo ou son réel romantisme...

    4. Inthemoodforcinema.com : J’ai été très impressionnée par la justesse de l’interprétation de toute la distribution, paradoxalement par la maturité nécessaire pour incarner des personnages parfois immatures mais qui reflètent aussi la fougue, la fébrilité, l’exaltation, les excès et les passions de la jeunesse. Au-delà du talent de chacun, la direction de Frédéric Louf n’y est sans doute pas étrangère. En quoi est-elle particulière ? Vous laissait-il improviser ? Ou tout était-il au contraire très écrit ?

    Pierre Niney: Fréderic a souhaité travailler de nombreuses scènes avec nous avant le début du tournage. Ce qui a permis de créer une réelle atmosphère de travail et de bienveillance entre Lou, Audrey, Ali, Victor et moi, avant même d'arriver le jour J sur le plateau du film.

    Cela a été une très bonne idée et nous avons pu explorer différentes pistes sur les scènes les plus riches du scénario et choisir ce qui plaisait le plus a Fred.

    Sur le plateau, au moment du tournage, Fred laisse une grande liberté de jeu car c'est un grand fan de comédie et un fin observateur d'acteurs en général. L'instant présent du jeu, de la situation et de l'échange entre les comédiens est très précieux pour lui. Il nous laissait donc parfois poursuivre la scène en impro, voir jusqu'ou nous pouvions amener la séquence : ainsi la scène de la bouteille à "1800 francs" est une prise où Ali et moi improvisons toute la fin de la scène : la dégustation du vin…etc.

    Fred a toujours une idée précise de ce qu'il veut raconter avec telle scène ou tel plan du film, il sait ce qu'il veut raconter mais il laisse l'instrument de l'acteur lui proposer des notes auxquelles il n'aurait pas forcément pensé, et c'est aussi là sa grande force. Il est réellement ouvert aux propositions tout en sachant où il veut aller.

    5. Inthemoodforcinema.com : La littérature est très présente, surtout Musset qui est une sorte de catalyseur ou d’élément cristallisateur notamment dans une scène entre Audrey Bastien et vous, pour moi une des plus belles du film. Frédéric Louf se référait-il à la littérature dans sa direction d’acteurs, en amont ou peut-être dans la façon de diriger votre jeu sur le tournage ? Et vous, cela a-t-il influé sur votre jeu d’une manière ou d’une autre? Aviez-vous des références littéraires en tête en incarnant votre personnage ?

    Pierre Niney: Le rapport de Fréderic à la littérature m'a beaucoup touché. Dès la lecture du scénario j'ai trouvé que c'était un point fort du film et de son personnage principal : Primo. Je suis un fan inconditionnel de Musset et de cette tirade, d'une lucidité et d'une beauté absolument parfaite, qui apparait dans le film : "Tout les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches..."

    Fred a évoqué le personnage de Martin Eden tiré du roman autobiographique de Jack London, a plusieurs reprises. Dans une première version du scénario je devais d'ailleurs offrir ce livre à la fin du film lorsque Primo reviens chez Delphine pour leur scène finale.

    Les personnages de "J'aime Regarder Les Filles" flirtent avec quelque chose d'éternel, d'intemporel grâce a cet aspect du scénario et, par exemple, à ce rapprochement avec un couple romantique comme celui de Camille et Perdican dans "On ne badine pas avec l'amour" de Alfred de Musset.

    6. Inthemoodforcinema.com : Le film débute la veille du 10 mai 1981 et est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Est- ce que cet ancrage temporel changeait quelque chose pour vous, dans votre manière d’interpréter Primo ?

    Pierre Niney: A vrai dire, pas vraiment. Bien que "J'aime Regarder Les Filles" soit un film dont la trame de fond est politique et où certaines scènes ancrent très bien l'histoire dans l'ambiance et dans le renouveau politique que représente cette période, il s'agit d'un film entre jeunes gens, qui parle de leurs désirs (souvent contradictoires). En cela les enjeux sont accessibles pour un acteur sans prendre particulièrement en compte l'époque. Apres je me suis évidemment replongé dans Cindy Lauper, Jean Jacques Goldman, les vrais-faux meetings politiques de Coluche et les expressions des jeunes acteurs de La Boum pour me nourrir à fond de ces " vibes eighties! "

    7. Jean-Pierre Améris et Robert Guédiguian : vous avez notamment, tourné avec deux autres excellents directeurs d’acteurs (en plus d’être aussi de grands cinéastes). J’imagine que chacun d’entre eux vous a apporté quelque chose ? Que vous ont-ils appris, peut-être plus ou moins inconsciemment ? Et que vous a apporté cette expérience avec Frédéric Louf et en quoi changera-t-elle (peut-être) votre manière de jouer ou d’envisager les rôles à l’avenir ?

    Tourner avec Robert Guédiguian est toujours un réel plaisir et la sensation certaine de faire partie de quelque chose de "grand". Il y a sur son plateau l'idée d'une solidarité entre tout le monde, d'une famille presque, et souvent l'envie de défendre un scénario, une histoire entière et non pas une partition isolée.

    Dans "Les Emotifs Anonymes" avec Benoit Poelvoorde et Isabelle Carré, je pense avoir appris sur la façon de diriger un plateau de cinéma quand on est réalisateur. Jean-Pierre Améris est quelqu'un de relativement timide (d'où son film!) or il gérait son équipe avec une main de maître, et arrivait toujours à donner la dynamique qu'il voulait sur le plateau par le biais de l'humour ou autre…

    Je suis content d'avoir pu observer cela car j'aimerais vraiment passer à la réalisation dès que j'aurais un peu plus de temps pour m'occuper de mes projets sérieusement. Et je suis justement entrain de créer un Festival de court-métrage au Théâtre/Cinéma de Vanves pour 2012-2013, où je compte bien passer derrière la caméra, accompagné d'autres invités à moi : Guillaume Gouix, Grégoire Leprince Ringuet, Melvil Poupaud…(suite du "casting" a venir)…

    Sans changer foncièrement ma façon d'aborder un rôle et ma méthode de travail je peux dire que le tournage de "J'aime regarder les filles" m'a définitivement décidé à faire ce métier toute ma vie. Avec Fréderic je me suis senti dans une relation de confiance totale et donc dans le seul souci de raconter au mieux l'histoire de Primo. J'ai aussi réaliser qu' un rôle principal est un réel luxe pour un acteur : travailler son personnage dans le détail, gagner la confiance d'une équipe de tournage, d'un réalisateur…et c'est pourquoi je respecte encore plus qu'avant les performances des seconds rôles dans les films, qui est un défi toujours très délicat et superbe à voir quand il est réussi.

    8. Inthemoodforcinema.com :   Les émotifs anonymes, L’autre monde, L’armée du crime, nos 18 ans, LOL etc . Vous avez déjà tourné dans des films aux styles très divers et avez incarné des personnages très différents. Y a-t-il un type de rôle que vous reverriez d’incarner ou un cinéaste (ou plusieurs) avec qui vous rêveriez de tourner ?

    Pierre Niney: J'aime bien faire le caméléon et participer a un maximum de projets artistiques, tant qu'ils me plaisent et cela peut être pour des raisons très diverses.

    Pas de type de rôle particulier, mais des réalisateurs, oulaaa!…Beaucoup : Audiard, Inarritu (21 grammes est un pur chef d'oeuvre), Terry Gilliam, Michel Gondry (dans sa période "Eternal Sunshine"), et j'ai très envie de me frotter un jour a un gros projet type blockbuster américain! Voir l'ampleur de la machine et la place d'un acteur la dedans, ca doit être assez intéressant.

    9. Inthemoodforcinema.com : J’ai lu que vous aviez  écrit et mis en scène la pièce « Si près de Ceuta » que vous jouerez au Théâtre de Vanves en 2012. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?

    Pierre Niney: "Si près De Ceuta" est une pièce que j'ai écrite il y a 3 ans et que je continue d'écrire, d'agrémenter et que je veux encore construire quand je vais travailler avec les acteurs sur le plateau. Je la jouerai en effet début juin 2012 au Théâtre de Vanves. La pièce raconte la nuit de deux soldats qui surveillent une frontière et son mur de barbelés. Et de deux hommes qui vont tenter à tout prix de passer cette frontière.

     10. Inthemoodforcinema.com : Vous avez déjà eu pas mal de rôles au cinéma  et encore plus au théâtre. Vous êtes ainsi pensionnaire de la Comédie Française. Pourriez-vous envisager d’abandonner le théâtre pour vous consacrer uniquement au cinéma, ou inversement, ou les deux vous sont-ils aussi nécessaires ?

    Pierre Niney: Pour moi, le théâtre et le cinéma sont totalement complémentaires. Le rapport au travail, les valeurs et la technique demandée au théâtre sont des bonnes choses à apporter sur un plateau de cinéma je pense. Il faudrait, comme en Angleterre, que ces deux mondes soient moins hermétiques. Ian McKellen joue un jour du Beckett dans un petit théâtre et le lendemain Gandalf dans « Le seigneur des anneaux »…ça me parait être une bonne philosophie.

    11.Inthemoodforcinema.com :  Quels sont vos projets cinématographiques ?

    Pierre Niney: Je tourne cet été un long-métrage qui s'appelle "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin.  C'est un projet très excitant. Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et moi jouons trois amis qui se lancent dans un road trip après le décès de leur meilleure amie commune (Mélanie Thierry). Le film raconte l'histoire de ses trois potes et la raison de cette amitié improbable entre un étudiant de 20 ans, un scénariste télé de 30, et un businessman de 40.

    Et la sortie du prochain film de Robert Guédiguian "Les Neiges Du Kilimandjaro" le 16 novembre prochain. dans lequel il m'a confié une très jolie séquence avec Ariane Ascaride.

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du  « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner aux spectateurs envie d’aller voir le film ?

    Pierre Niney: Que c'est un film très original car il a à la fois la poésie d'un film d'auteur, le rythme d'un vrai divertissement, l'humour d'une bonne comédie qui séduit aussi par le détail, de vrais dialogues bien écrits (Agnès Jaoui, experte en la matière, qui est marraine du film ne s'y est donc pas trompée!) et l'occasion de voir de jeunes et nouveaux acteurs du cinéma français, le tout en écoutant cette chanson de fou "J'aime regarder les filles" tube des années 80' ! (ca va , c'est suffisant…?)

    13. Inthemoodforcinema.com : Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

    Pierre Niney: "Sailor et Lula" de David Lynch et "Eternal Sunshine of a Spotless Mind", qui pour moi est profondément romantique.

    INTERVIEW DE FREDERIC LOUF (réalisateur de « J’aime regarder les filles »)

     Biographie: (Source: programme du Festival du Film de Cabourg 2011) Frédéric Louf a été chroniqueur cinéma au Matin de Paris en 1986, après des études de droit et de commerce. En 1992, il commence à écrire pour la télévision. En 2000, il réalise son premier court-métrage « Les petits oiseaux » présenté en 2001 dans de nombreux festivals y compris le Festival de Cannes. En 2003, Didier Brunner lui confie l’écriture puis la réalisation des 26 épisodes de « GIFT », une série d’animation 3D pour France 2.  « J’aime regarder les filles » est son premier long-métrage dont il a commencé l’écriture en 2006 et qu’il a réalisé durant l’été 2010.

    1. Inthemoodforcinema.com : Votre premier long-métrage « J’aime regarder les filles » était présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, un festival dédié au cinéma romantique. Selon moi, c’était le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de film romantique (synonyme souvent d’une grande sensibilité et mettant en scène les tourments de l’âme et du cœur). Etait-ce un parti pris délibéré dès le début d’écrire un film romantique ? Et si oui, dans quelle mesure vouliez-vous que ce film soit romantique ?

     Frédéric Louf: Je voulais parler dʼimmaturité. Lʼimmaturité est romantique en ce qu’elle pousse à idéaliser, à radicaliser, et à exagérer les sentiments… Lʼamour inconditionnel que Primo porte à Gabrielle est donc fondamentalement romantique et immature. Je ne pouvais donc éviter de faire un film romantique comme je ne pouvais éviter de citer Musset!

    2. Inthemoodforcinema.com : Aucun des personnages n’est manichéen. Delphine est à la fois forte et fragile, Primo grave et léger etc. Comment avez-vous dirigé les acteurs pour parvenir à cette complexité particulièrement crédible ?

    Frédéric Louf: Je ne les ai pas dirigés: je les ai choisis. Sans rire. Lʼexemple le plus clair est Victor Bessière qui joue Paul. Il a la stature de Paul, il en a lʼélégance et la carrure, mais dans la vie il nʼa rien à voir avec un fils à papa: La composition quʼil donne est donc un mélange volontairement bancal entre son physique aristocratique que nous avons évidemment appuyé, et ce quʼil est fondamentalement. Et je crois que cʼest grâce à cela quʼil parvient à être touchant et intéressant malgré la partition un peu rude quʼil a à jouer.

    3. Inthemoodforcinema.com :  L’action du film débute la veille du 10 mai 1981. Le film est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Cette époque s’est-elle imposée dès le début et pourquoi ? Avez-vous songé à placer l’intrigue en 2011 ?

    Frédéric Louf : Oui lʼépoque était importante pour moi car elle étaye la conscience politique naissante de Primo: il me fallait pour cela un événement fort et lʼélection de François Mitterrand est évidemment lʼévénement politique français le plus fort de ces 50 dernières années. Choisir 2011 nʼaurait pas eu le même sens et jʼaurais dû faire un film tout à fait différent, notamment en ce qui concerne lʼapproche sensuelle. Je crois en effet quʼon ne se pense pas sexuellement de la même façon en 2011 quʼen 1981, tout simplement parce quʼon nʼa pas les mêmes images en tête. En 2011, mon Primo nʼaurait pas pu être celui dont je rêvais. Ou alors il nʼaurait pas été aussi vrai…

    4. Inthemoodforcinema.com : La littérature est aussi très présente, notamment Musset qui joue un rôle essentiel ? Etait-ce uniquement un procédé scénaristique parce que nous pouvons voir un lien entre l’histoire de votre film et « On ne badine pas avec l’amour » ou cette oeuvre avait-elle une réelle importance, peut-être plus personnelle, pour vous ? L’idée de la littérature, très présente, et qui joue un rôle essentiel et même un rôle de cristallisation, dans une des plus belles scènes du film, entre Delphine et Primo, s’est-elle imposée dès le début de l’écriture ?

     Frédéric Louf: Le texte de Musset est tellement génial que, quand on lʼa lu une fois, on ne peut lʼoublier. Ça a été mon cas, et oui il a une réelle importance sentimentale pour moi. La scène en elle même mʼa causé du souci car je la trouvais «too much» et elle a fait pas mal dʼallers retours avant que je ne lʼassume complètement. Mais je ne pouvais continuer à montrer lʼimportance que Primo attache aux livres (qui sont son principal facteur dʼémancipation), sans faire jouer un vrai rôle dynamique à un de ces livres!

    5. Inthemoodforcinema.com : Comme dans l’œuvre de Musset, la violence sociale est présente dans votre film, mais seulement en arrière-plan, avez-vous songé à en faire un film politique ? Ou aimeriez-vous écrire un film politique ? Peut-être votre prochain projet, s’il est déjà en cours ? Avez-vous commencé l’écriture de votre prochain projet ? Pouvez-vous nous en parler ?

    Frédéric Louf : Jʼadorerais faire un film politique à la Elio Petri, mais je ne pouvais risquer de mettre toutes mes envies dans le même projet… Simplement je ne peux me résoudre à écrire des sujets univoques: il me faut de la complexité, des pistes, et des digressions. Je crois que ça permet aux films en général de continuer leur route dans la tête des gens; dʼavoir des «demi vies» plus longues!

    6. Inthemoodforcinema.com : Notamment en raison de la présence de la littérature mais aussi du caractère du personnage de Primo et de la vitalité qui se dégage de votre film, il m’a parfois fait penser au cinéma de Truffaut, est-ce une de vos références ?

    Frédéric Louf: Il y a une élégance dans le cinéma de Truffaut que jʼenvie beaucoup. Une façon de ne pas acheter le spectateur avec de la verroterie, mais de lui donner lʼimpression quʼil a tout compris par lui même. Cʼest un ciména généreux et respectueux…

    7. Inthemoodforcinema.com : Aviez-vous d'ailleurs des références littéraires (outre Musset) et/ou cinématographiques en tête en mettant le film en scène. Et pour votre direction d'acteurs, leur avez-vous donné des références littéraires ou cinématographiques particulières?

    Frédéric Louf : Aux comédiens, jʼai surtout expliqué le contexte politique du film qui nʼétait pas évident pour des gens aussi jeunes. Bien sûr jʼai suggéré certains films à voir, notamment à Lou et à Audrey… Mais des références précises, cʼest compliqué à dire: la culture, cʼest du sédiment, de la vase: ce qui y pousse provient dʼun tout… Et puis citer des gens, cʼest prendre le risque dʼavoir à supporter la comparaison!

    8. Inthemoodforcinema.com : J’ai été réellement impressionnée par la qualité de la jeune distribution, que ce soit par Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge, Ali Marhyar, Victor Bessière. Il me semble qu’il faut beaucoup de maturité pour exprimer ainsi la fougue, la fébrilité, l'exaltation, les excès et les passions de la jeunesse mais aussi paradoxalement l’immaturité de ces personnages. Comment avez-vous procédé pour les choisir ? Par casting ? Ou les avezvous choisis à partir de leurs précédents rôles ?

     Frééric Louf : A part Pierre, aucun dʼentre eux nʼavait joué au cinéma quand je les ai rencontrés. Et Pierre nʼavait eu que de petits rôles. Découvrir des gens talentueux fait partie du plaisir et pour moi cʼétait inhérent au projet; cʼest comme ouvrir un livre sans rien en savoir à lʼavance. Peu importe comment la rencontre se fait, il faut savoir regarder…

    9. Inthemoodforcinema.com : Le titre fait référence au tube de l’année 1981 de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles ». Pourquoi ce choix ?

     Frédéric Louf :  «Pour faire parler les bavards» aurait dit ma grand mère. Et surtout parce que pour moi cʼest la chanson hyper romantique dʼun type qui attend la femme de sa vie en hurlant de désespoir sur la plage!

    10. Inthemoodforcinema.com :  Le scénario est très construit mais en même temps se dégage du film une certaine liberté, une fraîcheur, une certaine naïveté mais dans le bon sens du terme. Tout était-il très écrit ou avez-vous laissé une part à l’improvisation ?

    Frédéric Louf : Les deux. Tout était très écrit, mais quand on a affaire à des comédiens comme Pierre Niney et Ali Marhyar, il faut être gravement psychorigide pour ne pas les laisser sʼexprimer!

    11.  Inthemoodforcinema.com : C’est votre premier long-métrage. Comment s’est passée la production ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

    Frédéric Louf : Hélas les difficultés que jʼai rencontrées ne sont pas particulières! Mais jʼai peut-être poussé le bouchon un peu loin en ayant la prétention de faire un film sans stars alors que je suis moi même inconnu. Il y a des gens pour qui on sent bien que découvrir de nouveaux talents nʼest pas une priorité!

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film a reçu un excellent accueil au Festival de Cabourg. Sera-t-il projeté dans d’autres festivals prochainement ?

    Frédéric Louf: Je ne suis pas dans la confidence.

    13. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner envie aux spectateurs d’aller voir le film ?

     Frédéric Louf: Quʼils vont y voir des comédiens inconnus et fabuleux et quʼils en auront pour leur argent parce que lʼhistoire leur trottera encore dans la tête le lendemain! (on ne pense pas assez à lʼamortissement de son ticket, au cinéma!).

    14. Inthemoodforcinema.com :  Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

     Frédéric Louf : «The Ghost and Mrs Muir», de J. L. Mankievicz, est un chef d’œuvre du genre.

     

  • "The Look : Charlotte Rampling" d'Angelina Morricone, à 22H15, sur Arte, ce soir

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    Après le pseudo-documentaire de Casey Affleck "I'm still here" qui mettait à « l’honneur » Joaquin Phoenix, le festival Paris Cinéma 2011 avait présenté un documentaire consacré à Charlotte Rampling, signé Angelina Maccarone et intitulé « The look, un autoportrait à travers les autres » où, d’ailleurs, la comédienne joue également beaucoup avec son image et construit là aussi, d’une certaine manière (certes très différente), son personnage.  Un documentaire également présenté dans le cadre de la section Cannes Classics du Festival de Cannes. A ne surtout pas manquer, ce soir, sur Arte.

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     Entre Paris, Londres et New York se dessine ainsi un portrait de la comédienne à travers ses discussions et ses rencontres avec des artistes et des proches comme Paul Auster, Peter Lindbergh ou Juergen Teller qui en révèlent d’ailleurs peut-être plus sur ceux avec qui elle converse que sur elle-même comme lors de cette rencontre avec Peter Lindbergh où les rôles s’inversent, le modèle devenant photographe.  Le film débute sur son regard, ce célèbre regard qui peut-être mélancolique, perçant, malicieux, mystérieux,  redoutablement beau, envoûtant, dur même parfois. Il  est divisé en huit thématiques (mise à nu, démons, la mort, le désir, l’âge…) qu’elle aborde à chaque fois avec une personne différente et qui dévoile une facette de sa personnalité tout autant que cela épaissit le mystère.  Les conversations sont entrecoupées d’extraits de films (de Visconti, Allen, Chéreau, Ozon etc) témoignant de l’audace de ses choix cinématographiques, extraits judicieusement choisis, par exemple « Max mon amour », quand il est question de tabous, « Sous le sable » quand il est question de la mort etc.

    Au fil du documentaire, Charlotte Rampling apparait comme une femme libre que le cinéma de divertissement n’intéresse pas, qui préfère être « un monstre » plutôt qu’une actrice « sympa » (encore une manière, sans doute, de se draper dans un mystère finalement plus tranquillisant), iconoclaste, exigeante, mystérieuse donc…plus que jamais, et c’est tant mieux car si ce documentaire révèle quelque chose c’est finalement son profond mystère mais aussi sa lucidité et l’intelligence de ses choix.

    Une actrice éclatante dont le si célèbre et ensorcelant regard s’obscurcit certes parfois mais qui parait néanmoins loin de l’image figée dans laquelle on l’enferme ou derrière laquelle elle se dissimule et une passionnante réflexion sur le cinéma et sur la vie.

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  • Critique de A SINGLE MAN de Tom Ford, ce soir, à 20H50, sur Arte

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    Los Angeles, en 1962. Depuis qu'il a perdu son compagnon Jim (Matthew Goode) dans un accident, George Falconer (Colin Firth), professeur d'université Britannique, se sent incapable d'envisager l'avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie Charley (Julianne Moore), George essaie en vain de « vivre comme avant ». Une série d'évènements et de rencontres vont l'amener à décider s'il peut y avoir une vie après Jim.

    J'ai abordé ce film sans en avoir vu la bande annonce, sans en connaître le sujet. Tout juste savais-je que le styliste Tom Ford en était le réalisateur, scénariste et producteur. En quelques secondes, en quelques plans, j'étais dans l'ailleurs universel de cet homme singulier, porté par le charme ensorcelant de l'univers visuel de Tom Ford. Un univers d'une rare élégance, tantôt sombre, tantôt lumineux à l'image des variations de couleurs sur lesquelles influe l'humeur de George (et par lesquelles Tom Ford a eu la judicieuse idée de remplacer le monologue intérieur du roman de Christopher Iserwood « Un homme au singulier » dont il s'est inspiré pour ce film ).

    L'intrigue se déroule en une journée, une journée à l'issue de laquelle George a décidé de se suicider. Le compte à rebours est lancé. Quelques heures pendant lesquelles chaque minute compte plus que toute autre. Ou le présent prend toute sa douloureuse et belle signification. Ou la beauté des choses simples de la vie prend une toute autre dimension. La beauté des visages et des corps. La beauté des fleurs. La beauté des objets. La beauté des regards. Ceux des autres ou celui apposé sur le monde qui les et nous entoure.

    Les ralentis langoureux, la musique languissante (de Shigeru Umebayashi  mais aussi de  Abel Korzeniowski) nimbent ce single man, ce et ceux qui l'entourent d'une sensualité et d'une poésie envoûtantes qui rappellent celles de Wong Kar Wai (référence assumée puisque Shigeru Umebayashi est son compositeur). La solitude de George (mais aussi celle de Charley), la menace d'une guerre nucléaire en pleine crise des missiles de Cuba, la destinée de cette journée fatale renforcent la beauté fugace de chaque instant et de chaque rencontre. A l'image des personnages, nous sommes immergés dans la beauté sensuelle de l'instant.  Chaque rencontre évoque la beauté évanescente du possible, d'un désir.

    A single man est le film d'un artiste, et cela saute aux yeux dès les premiers plans. Un artiste, qu'il soit styliste ou cinéaste, est en effet quelqu'un qui vous embarque dans son univers qui lui ressemble et le singularise tout en apportant à cette histoire singulière des accents d'universalité. Le deuil, la solitude, le temps qui passe, autant de sujets universels en plus de la beauté plastique pleinement assumée qui rend caduque toute critique de superficialité puisque cette beauté devient argument artistique. Que ce soit celle de Julianne Moore, désespérément glamour ou des jeunes hommes à la beauté fatale ou trompeusement lisse (à l'image du film) que croise George. Que ce soit celle d'un plan de regards, ceux que George croise ou celui de l'affiche de « Psychose ».

     Tom Ford y apporte son style, de la classe, une incontestable élégance  pour nous faire appréhender la beauté du monde, un monde entre la ravageuse sensualité de Gucci et la sobre élégance de Saint-Laurent pour lesquels Tom Ford a travaillé. La sublime photographie  d'Eduard Grau, la musique et les costumes évidemment soignés complètent le tableau et la reconstitution subtile et magnifiée d'une époque.

    Un (premier) film incontestablement personnel d'une touchante et rare naïveté, un voyage sensoriel et sensuel d'un pessimisme lumineux et d'une beauté sombre, élégante, troublante avec comme guide l'excellent Colin Firth (qui a reçu pour ce film la Coupe Volpi de l'interprétation masculine au dernier Festival de Venise). Laissez-vous (em)porter... vous ne le regretterez pas !

    Lien permanent Imprimer Catégories : A VOIR A LA TELEVISION : CRITIQUES DE FILMS Pin it! 0 commentaire
  • Critiques de films avec Vincent Lindon, président du jury du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2013

    Actuellement à l'affiche du film de Claire Denis "Les Salauds", Vincent Lindon sera aussi le président du jury du Festival du Cinéma Américain de Deauville (à suivre en direct de l'ouverture à la clôture, sur mes différents blogs et principalement http://inthemoodforfilmfestivals.com ). A cette occasion, je vous propose, ci-dessous, quelques critiques de films dans lesquels joue ce grand acteur.

    Critique de "Mademoiselle Chambon" de Stéphane Brizé

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    Cela pourrait se résumer en une phrase : Jean (Vincent Lindon), maçon, bon mari et père de famille, croise la route de la maîtresse d'école de son fils, Mademoiselle Chambon (Sandrine Kiberlain) ; leurs sentiments réciproques vont s'imposer à eux. Enfin non, justement, cela ne se résume pas en une phrase parce que tout ce qui importe ici réside ailleurs que dans les mots, même si ce film est inspiré de ceux du roman d'Eric Holder.

    Les mots sont impuissants à exprimer cette indicible évidence. Celle d'un regard qui affronte, esquive, tremble, vacille imperceptiblement. Celle d'une lèvre dont un rictus trahit un trouble ou une blessure. Celle d'une rencontre improbable mais impérieuse. Entre un homme qui ne sait pas manier les mots (la preuve, c'est son fils qui lui apprend ce qu'est le complément d'objet direct) et vit du travail de ses mains et une femme dont c'est le métier que de manier les mots, les apprendre. Lui construit des maisons, elle déménage sans cesse. Lui est ancré dans la terre, elle est évanescente. Il a un prénom, elle est avant tout mademoiselle. Lui a un lien douloureux et charnel avec son père, ses parents à elle ne lui parlent que par téléphone interposé et pour lui faire l'éloge de sa sœur. Et pourtant, et justement : l'évidence. La musique va alors devenir le langage qui va cristalliser leurs émotions, et les sanglots longs des violons (pas de l'automne, comme ceux de Verlaine, mais ici du printemps, avec une langueur plus mélancolique que monotone) exprimer la violence de leurs irrépressibles sentiments.

    Comme dans le magnifique « Je ne suis pas là pour être aimé », on retrouve cette tendre cruauté et cette description de la province, glaciale et intemporelle. Ces douloureux silences. Cette sensualité dans les gestes chorégraphiés, déterminés et maladroits. Cette révolte contre la lancinance de l'existence. Et ce choix face au destin. Cruel. Courageux ou lâche. (Magnifique scène de la gare dont la tension exprime le combat entre ces deux notions, la vérité étant finalement, sans doute, au-delà, et par un astucieux montage, Stéphane Brizé en exprime toute l'ambivalence, sans jamais juger ses personnages...). On retrouve aussi cet humour caustique et cette mélancolie grave, notamment dans la scène des pompes funèbres qui résume toute la tendresse et la douleur sourdes d'une existence et qui fait écho à celle de la maison de retraite dans « Je ne suis pas là pour être aimé. »

    Mais ce film ne serait pas ce petit bijou de délicatesse sans l'incroyable présence de ses acteurs principaux, Vincent Lindon ( déjà magistral notamment dans "Welcome, "Pater", "Pour elle" ) d'abord, encore une fois phénoménal, aussi crédible en maçon ici qu'en avocat ailleurs. Son mélange de force et de fragilité, de certitudes et de fêlures, sa façon maladroite et presque animale de marcher, de manier les mots, avec parcimonie, sa manière gauche de tourner les pages ou la manière dont son dos même se courbe et s'impose, dont son regard évite ou affronte : tout en lui nous faisant oublier l'acteur pour nous mettre face à l'évidence de ce personnage. Et puis Sandrine Kiberlain, rayonnante, lumineuse, mais blessée qui parvient à faire passer l'émotion sans jamais la forcer. Aure Atika, qui interprète ici l'épouse de Vincent Lindon, est, quant à elle, absolument méconnaissable, d'une justesse irréprochable et d'une sobriété remarquable. Elle parvient à faire exister son personnage, dans l'ombre pourtant. Sans doute faut-il aussi une direction d'acteurs d'une précision, d'une sensibilité rares pour arriver à une telle impression d'évidence et de perfection ( la preuve, les seconds rôles sont d'ailleurs tout aussi parfaits).

    Une histoire simple sur des gens simples que Stéphane Brizé (avec la complicité de Florence Vignon, déjà co-scénariste du très beau « Le bleu des villes ») compose avec dignité dans un film épuré, sensible qui fait de ses personnages des héros du quotidien emprisonnés dans un fier et douloureux silence (résumé par le dernier plan d'une belle luminosité derrière les barreaux d'une fenêtre ). Un film qui, encore une fois, rappelle le cinéma de Claude Sautet (notamment par l'utilisation du violon et de la musique comme éléments cristallisateurs qui rappellent mon film fétiche « Un cœur en hiver » mais aussi par la sublimation d'une « histoire simple ») qui, tout en « faisant aimer la vie » et la poésie des silences, en souligne toute la quotidienne et silencieuse beauté, cruelle et dévastatrice.

    Critique de "Pour elle" de Fred Cavayé

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    Lisa (Diane Krüger) et Julien (Vincent Lindon) forment un couple heureux et amoureux, avec leur fils Oscar. Un matin, brusquement, leur vie bascule dans l’absurdité et l’horreur lorsque la police débarque chez eux pour arrêter Lisa, accusée de meurtre puis condamnée à vingt ans de prison. Julien, professeur et fils mal aimé de son état, va alors être prêt à tout pour  la faire évader.

     Jusqu’où iriez-vous par amour ? Jusqu’où sera-t-il prêt à aller pour elle ? Loin. Très loin. Au-delà des frontières. De la raison. De la légalité. Du Bien et du Mal. Plutôt que de s’appesantir sur leur vie d’avant, Frec Cavayé (d’après une idée originale du scénariste Guillaume Lemans) choisit de nous montrer deux scènes assez courtes qui suffisent pour camper un couple amoureux comme au premier jour et une Lisa, lumineuse, deux scènes qui suffisent à expliquer le tourbillon infernal dans lequel va ensuite tomber Julien.

    Si on se demande un temps pourquoi Julien ne met pas toute cette énergie à essayer de trouver la véritable coupable (Lisa serait emprisonnée à tort) plutôt qu’à la faire évader, la force du montage et la force de l’interprétation parviennent à nous le faire oublier. Voir Lisa enfermée, se laissée dépérir, s’assombrir est pour Julien insupportable. Sa rage, son sentiment d’injustice et surtout son amour pour Lisa vont transformer le tranquille professeur en criminel, vont conduire à le faire basculer dans un univers a priori très éloigné du sien, dans une violence incontrôlable.

     La caméra au plus près des visages, nous enferme avec Julien dans sa folie (on ne voit d’ailleurs presque rien de sa vie étrangère à son plan d’évasion, il n’est montré qu’une seule fois dans sa salle de classe, cette –ir-réalité n’existe plus pour lui) ou avec Lisa dans sa prison, nous faisant occulter les invraisemblances du scénario et des moyens pour nous concentrer sur la force et la vraisemblance des motivations. Et pour que nous y croyions il fallait un acteur de la dimension de Vincent Lindon.  Vincent Lindon et qui d’autre ? Je ne vois pas. Je ne vois pas tellement le mélange de force et de fragilité, de détermination et de folie qu’il dégage pour ce rôle, qui occupe, consume, magnétise l’écran et notre attention, tellement le personnage qu’il incarne, à qui il donne corps (sa démarche, son dos parfois voûté ou au contraire droit menaçant, ses regards évasifs ou fous mais suffisamment nuancés dans l’un et l’autre cas ) et vie semblent ne pouvoir appartenir à aucun autre. Je ne vois pas qui d’autre aurait pu rendre crédible ce personnage et continuer à nous le rendre sympathique, du moins excusable, malgré tout.

    L’intrigue va à l’essentiel : la détermination furieuse, parfois aveugle, de Julien (à l’image de la surdité de la justice vis-à-vis de Lisa). Le scénario est épuré comme les murs d’une prison. Ce qui ne veut pas dire que le style est dénué d’émotion. Au contraire. Il la suscite sans la forcer. En nous montrant cet homme seul, fragilisé, aux forces décuplées. En nous montrant cet homme lui aussi dans une prison, celle de la caméra, celle de sa folie amoureuse (pléonasme ou antithèse : à vous de voir), celle de son incommunicabilité de sa douleur (avec son père, Olivier Perrier, parfait dans la retenue et la froideur). La relation paternelle est aussi au centre de l’histoire. Ce sont aussi deux pères qui vont très loin par amour. A leur manière.

    La musique, irréprochable ( de Klaus Badelt, qui a notamment travaillé avec Terrence Malick et Micheal Mann) ajoute ce qu’il faut quand il faut pour accroître la tension, déjà palpable.

    Au final, un thriller sentimental que la force de l’interprétation, magistrale, de son acteur principal (« Pour elle » vaut donc le déplacement, ne serait-ce que pour lui à qui le film doit de captiver, capturer notre attention et empathie), la vigueur, le rythme et l’intelligence du montage rendent haletant, nous faisant oublier les invraisemblances du scénario, croire et excuser toutes les folies auxquelles son amour (le, les) conduit.  Un premier long particulièrement prometteur…

    Critique de "Welcome" de Philippe Lioret

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    Pour impressionner et reconquérir sa femme Marion (Audrey Dana), Simon (Vincent Lindon), maître nageur à la piscine de Calais (là où des centaines d’immigrés clandestins tentent de traverser pour rejoindre l’Angleterre, au péril de leur vie)  prend le risque d’aider en secret un jeune réfugié kurde, Bilal (Firat Ayverdi) qui tente lui-même de traverser la Manche pour rejoindre la jeune fille dont il est amoureux, Mina (Dira Ayverdi).

     

    Cela faisait un peu plus d’un an que j’attendais la sortie de ce film, depuis que Philippe Lioret l’avait évoqué avec un enthousiasme débordant lors du Salon du Cinéma 2008… Alors ? Alors…

     

    La première demi-heure, intense, âpre, au style documentaire  suit au plus près Bilal ( au plus près de son visage, de ses émotions, de sa douleur, de ses peurs)  et nous embarque d’emblée dans son parcours périlleux. Il nous embarque et il conquiert dès les premières minutes notre empathie, notre révolte aussi contre une situation inhumaine, encore à ce jour insoluble, mais contre laquelle se battent des bénévoles comme Audrey tandis que d’autres préfèrent fermer les yeux comme Simon. La réalité sociale sert ensuite de toile de fond lorsqu’apparaît Simon, et avec son apparition c’est le documentaire qui cède le pas à la fiction.

     

    Jusqu’où iriez-vous par amour ? Tel était le slogan du précèdent film dans lequel jouait Vincent Lindon : « Pour elle ». Tel pourrait aussi être celui de « Welcome ». Ce n’est, au début, pas vraiment par altruisme qu’agit Simon mais plutôt avec l’intention d’impressionner Marion, de lui prouver qu’il n’est pas comme eux, comme ceux qui baissent la tête au lieu d’agir, comme ceux qui font éclater ou  renaître un racisme latent et peu glorieux qui rappelle de tristes heures, et qui rappelle aux étrangers qu’ils sont tout sauf « welcome ».

     

     Peu à peu Bilal,  son double,  va ébranler les certitudes de Simon, Simon qui se réfugiait dans l’indifférence, voire l’hostilité, aux étrangers qu’il croisait pourtant tous les jours. L’un fait face à son destin. L’autre lui a tourné le dos. L’un a été champion de natation, mais n’a pas réalisé ses rêves. L’autre rêve de devenir champion de football. Mais l’un et l’autre sont prêts à tout pour reconquérir ou retrouver la femme qu’ils aiment. L’un et l’autre vont s’enrichir mutuellement: Simon va enseigner  la natation à Bilal, et Bilal va lui à ouvrir les yeux sur ce qui se passe autour de lui.

     

    Le film doit beaucoup à l’interprétation de Vincent Lindon (toujours aussi exceptionnel), tout en violence et sensibilité, en force et fragilité. Il manie et allie les contradictions et les ambiguïtés de son personnage avec un talent époustouflant,  faisant rapidement oublier ces  déstabilisantes minutes de changement de ton et de passage du style documentaire à la fiction (ce parti pris initial de documentaire aurait peut-être été plus intéressant, mais nous aurait  certes privés de l’incroyable prestation de Vincent Lindon et aurait aussi privé le film d’un certain nombre de spectateurs). L’interprétation du jeune Firat Ayverdi  et des   autres acteurs, également non professionnels, est  elle aussi  troublante de justesse et contribue à la force du film.

     

    Philippe Lioret a coécrit le scénario avec Emmanuel Courcol, Olivier Adam (avec lequel il avait déjà coécrit « Je vais bien, ne t’en fais pas »),   un scénario d’ailleurs parfois un peu trop écrit donnant lieu à quelques invraisemblances (en contradiction avec l’aspect engagé du film et la réalité de  sa toile de fond) qui tranche avec l’aspect documentaire du début ( histoire de la bague un peu téléphonée) mais permet aussi de souligner certaines réalités par des détails qu’un documentaire n’aurait pas forcément pu saisir (quoique) comme cette annonce d’une avalanche aux informations et de ses quelques victimes qui semblent alors disproportionnées face à cette autre réalité passée sous silence, comme ce marquage, s'il est réel, absolument insoutenable et intolérable.

     

    La photographie aux teintes grisâtres et la mise en scène appliquée de Philippe Lioret s’efface devant son sujet, devant ses personnages surtout, toujours au centre de l’image, souvent en gros plan, ou du moins en donnant l’impression tant ils existent et accrochent notre regard.

     

    Peut-être aurait-il été encore plus judicieux que cette réalisation  soit empreinte de la même rage et de la même tension que ceux dont elle retrace l’histoire, et peut-être est-ce ce qui manque à ce film aux accents loachiens pour qu’il ait la saveur d'un film de Loach. Peut-être aussi est-ce la raison pour laquelle je suis finalement restée sur la rive.  Sans doute est-ce lié à l’attente suscitée depuis plus d’un an par ce film mais plus certainement encore par le souvenir indélébile, forcément plus viscéral et plus âpre, plus marquant parce que réel,  de centaines de clandestins, dans un autre port, dans un autre pays, mais si semblables, sans doute ce souvenir de la réalité d’une souffrance inouïe soudainement sous mes yeux et si tangible prise en pleine face m’a -t-il réellement et  autrement fait prendre conscience de cette douloureuse et insoutenable réalité: chaque visage (souvent très très jeune) entrevu alors portant sur lui, à la fois si pareillement et si différemment,  la trace d’une longue et inconcevable route, d’une histoire  douloureuse, d’une détermination inébranlable, d’un pays pour lui inhospitalier, inique ou en guerre et à quel point la réalité du pays qu’ils ont quittée devait être violente et insupportable pour qu’ils aient le courage et/ou l’unique issue de prendre tous ces risques et de se confronter à la réalité de pays qui ne souhaitent ou du moins ne savent pas forcément davantage  les accueillir et panser leurs plaies.

     

    Philippe Lioret, par ce film indéniablement engagé, a le mérite de mettre en lumière une part d’ombre de la société française, et plus largement de violentes et flagrantes disparités mondiales. Le film en est à sa cinquième semaine d’exploitation et prouve ainsi que le public ne s’intéresse pas seulement aux comédies formatées que les diffuseurs s’acharnent à lui proposer et que l’âpreté d’un sujet, pourvu qu’il soit traité avec sensibilité et intelligence, pouvait aussi susciter son intérêt et le faire se déplacer en nombre. Alors à quand « Welcome » à 20H30 sur TF1 ? Il n’est pas interdit de rêver…

     

    Critique de "Pater" d'Alain Cavalier

     

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    Pendant un an, le réalisateur « filmeur » Alain Cavalier et le comédien Vincent Lindon se sont vus et filmés. Le réalisateur devenu aussi acteur et l’acteur réalisateur. Et le réalisateur acteur devenant Président de la République et son acteur réalisateur son Premier Ministre. Le tout mêlant réalité et fiction, vérité et jeu. Une fiction inventée tout en filmant la vie, l’une et l’autre étant indistinctes et se contaminant. Le Président de la République et son Premier ministre décident de proposer une loi fixant l’écart maximal entre les salaires. Le Président est partisan d’un rapport de 1 à 15 alors que son Premier ministre préférerait un écart de 1 à 10. L’élection présidentielle approche, les deux hommes s’éloignent alors et finissent par se présenter l’un contre l’autre…

     Un film pour lequel Alain Cavalier a eu carte blanche de son fidèle producteur Michel Seydoux. Et sans doute ne sont-ils pas très nombreux à accepter encore ce genre de projet : hybride, hors normes, indéfinissable.

    Un film malin et agaçant, humble et prétentieux, ludique et pédant. Mais en tout cas, un film courageux, audacieux, original, libre, à l’image de son réalisateur et de son acteur principal. Déjà au moins quatre qualités à mes yeux.

    Malin parce que, en feignant l’improvisation totale, Alain Cavalier nous emmène là où il souhaite nous emmener tout comme il conduit son acteur-réalisateur-Premier-Ministre. Malin parce qu’il brouille constamment les repères, les pistes. Malin parce que, en feignant de ne rien dire, ne rien faire ou presque, il stigmatise la politique ou du moins (dé)montre à quel point elle est un jeu (de pouvoirs, d’acteurs).  Malin parce que le titre est loin d’être innocent ou anodin. Pater. Père de la nation. Relation filiale complexe qui s’établit un père et un fils.  Entre Lindon et Cavalier, hommes entre lesquels s’établit une relation presque filiale. Entre le Président et le 1er Ministre, le fils rêvant d’ailleurs de prendre la place du père. Pater. Ce père que Cavalier évoque non sans tendresse, avouant l’avoir jugé trop durement mais gommant par une opération un défaut physique qui fait qu’il lui ressemble. Enfin, Pater parce que Cavalier a été élevé chez les prêtres où Dieu était un autre Pater. Pater : une absence donc omniprésente.

    Agaçant quand il singe la politique, la décrédibilise une fois de plus comme si elle avait encore besoin de ça. Agaçant quand Lindon et Cavalier jouent à être des politiques (et jouent sous nos yeux à être des acteurs, le film se construisant sous notre regard, ou du moins feignant de se construire sous notre regard) avec une sémantique tout aussi enfantine ( comme un « malgré que » qui a écorché mes oreilles etc et un programme relevant de ce que certains qualifieront sans doute d’une enfantine utopie : retrait de la légion d'honneur à qui place son argent à l'étranger,  limitation de l'écart entre petits et gros salaires dans une même entreprise).

    Ludique quand il interroge les fonctions d’acteur et de politique et les met en parallèle. Ludique parce que finalement l’un et l’autre (acteur et politique) jouent à être quelqu’un d’autre pour convaincre. Ludique parce que c’est aussi une leçon de cinéma (la dernière scène en est particulièrement emblématique) et une leçon contre les budgets pharaoniques donnant des films vains. Ludique quand il nous devient impossible de distinguer ce qui est fiction ou réalité, ce qui est jeu ou vérité.

    Ludique et même drôle quand  Vincent Lindon parle à ses gardes du corps dans le film  se plaignant de ne pas avoir reçu de coup de fil du Président/réalisateur Cavalier pour valider son interprétation « Qu'il n'appelle pas Vincent Lindon c'est une chose, mais le Premier Ministre quand même... » ou quand une photo compromettante pour le leader de l'opposition  tombe entre ses mains.

    Humble par ses moyens de production. Prétentieux par sa forme déconcertante, son discours d’apparence simple et finalement complexe comme la relation qu’il met en scène. Prétentieux car finalement très personnel avec un discours prétendument universel.  

     L’antithèse de la « Conquête » (également en sélection officielle à Cannes mais hors compétition, contrairement à « Pater ») qui veut nous faire croire que le cinéma c’est l’imitation ; Cavalier nous dit ici au contraire que c’est plutôt recréation (et récréation). Réflexion déroutante et ludique sur le jeu et les jeux de pouvoirs (entre un Président de la République et son Premier Ministre, entre deux hommes, entre un père et son fils, entre un réalisateur et un acteur mais aussi entre un réalisateur et le spectateur ici allègrement manipulé) qui, tout de même, témoigne d’une belle audace et liberté (de plus en plus rares) mais s’adresse à des initiés tout en feignant de s’adresser à tous. Le « Pater » Cavalier ne reproduit-il pas ainsi d’une certaine manière avec le spectateur ces jeux de pouvoirs qu’il stigmatise ?  Le sous-estime-t-il, l’infantilise-t-il ou au contraire le responsabilise-t-il en lui laissant finalement l’interprétation –dans les deux sens du terme- finale ? Peut-être que trouver des réponses à ces questions vaut la peine d’aller le voir en salles. A vous de juger.

  • Critique de "Ces amours-là" de Claude Lelouch, ce soir, sur France 3

    A l'occasion de la diffusion, ce soir, sur France 3 de "Ces amours-là" de Claude Lelouch (à ne pas manquer), retrouvez, ci-dessous ma critique du film en question et de "Un homme et une femme" de Claude Lelouch et du documentaure "D'un film à l'autre, une histoire de Claude Lelouch".

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    Lelouch. Prononcez ce nom dans un dîner et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases toutes faites et récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Avec « Roman de gare », les seconds s’étaient rapprochés des premiers, mais pour cela il aura auparavant fallu que le film soit au préalable signé d’un autre nom que le sien. Avec « Ces amours-là »,  il ravira sans doute à  nouveau les premiers et agacera certainement les seconds, ce dernier film réunissant tout ce qui définit son cinéma. Et c’est bien normal puisque ce film est le cadeau qu’il s’est offert et qu’il offre à son public pour ses cinquante ans de carrière.

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    Pour évoquer ces cinquante ans de cinéma, il nous invite à suivre le destin flamboyant d’Ilva (Andrey Dana),  ses malheurs et ses bonheurs démesurés sur cinq décennies d’histoire. Pour Ilva l’amour est plus important que tout. C’est par la plaidoirie de son avocat (Laurent Couson) et au rythme d’un orchestre symphonique que son destin, fait de bonheurs et tragédies tout aussi romanesques, nous est conté.

    Des premiers plans en noir et blanc qui évoquent les débuts du cinéma au dernier sur les spectateurs sortant d’un cinéma projetant « Ces amours-là » , ce dernier film de Claude Lelouch est avant tout un hommage au cinéma, une manière de remercier son public de sa fidélité (l’exergue puis le dernier plan leur sont ainsi destinés), de faire le bilan de son existence cinématographique, lui, l’enfant juif que sa mère cachait dans un cinéma pendant la guerre et qui verra ainsi naitre sa passion et sa dévotion pour le cinéma qui non seulement illuminera sa vie mais la sauvera.  Il s’amuse avec la mise en abyme pour nous parler de son histoire, d’histoires vraies qui l’ont marqué, mais aussi du cinéma qu’il aime.

     Le père d’Ilva (Dominique Pinon) est projectionniste, beau prétexte pour évoquer les débuts du parlant avec « Le chanteur de jazz » ou pour nous montrer des extraits de classiques du cinéma : « Remorques » de Jean Grémillon, « Autant en emporte le vent » de Victor Fleming, « Le Jour se lève » et  « Hôtel du Nord » de Marcel Carné sans parler d’une affiche très à propos du « Crime était presque parfait » d’Hitchcock.  Et c’est avant tout ce qui m’a plu dans ce nouveau film : sa passion du cinéma qui transpire dans chaque plan, sa volonté de la partager avec nous, son regard toujours alerte et curieux, presque candide. Tant pis si cette naïveté en hérisse certains.

    L’amour du cinéma donc, un amour du cinéma qui passe par celui des acteurs. Et c’est là qu’il m’a bluffée. Dans ces scènes plus intimes ou ses fameux fragments de vérité et où l’émotion affleurent et nous emportent. Qu’importe si « Ces amours-là » souffre de quelques baisses de rythme, si la musique force parfois un peu trop l’émotion, si Claude Lelouch ne s’embarrasse pas de psychologie, il dessine la vie en grand, en romanesque et le jeu de ses acteurs qu’il dirige si habilement nous y fait croire (on comprend alors aisément le générique impressionnant des acteurs qui ont tourné pour lui et qui apparaissent à la fin).

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     Que ce soit dans une boîte de jazz avec Audrey Dana, Gilles Lemaire et Jacky Ido (ce dernier est pour moi LA révélation) où plus rien d’autre, malgré la foule et le bruit, ne semble exister que leurs sentiments naissants ou au siège de la Gestapo entre Samuel Labarthe, nazi jouant la Marseillaise et Audrey Dana  (qui m’a rappelée la fameuse scène de la Marseillaise dans « Casablanca » de Michael Curtiz), Lelouch nous fait retenir notre souffle comme si la scène se déroulait réellement sous nos yeux, sans doute l’effet de sa fameuse méthode qui consiste à souffler le texte aux acteurs pour créer l’effet de surprise. Des acteurs filmés en gros plan dont sa caméra bienveillante traque l’éclat, l’émotion, la vie, la faille, la magie.       Raphaël fait ses débuts plus que prometteurs de même que le musicien Laurent Couson, Dominique Pinon devient à nouveau beau sous l’œil de Claude Lelouch, Judith Magre et Anouk Aimée nous émeuvent en quelques plans. Audrey Dana confirme la confiance que Lelouch a placée en elle, invariablement juste, incarnant ce personnage à la fois courageux et désinvolte, grave et insouciant, volontaire et soumis aux hasards de l’existence. Et il en fallait du culot pour dire à des Français de jouer des Allemands ou des Américains et de l’audace pour prétendre retracer 50 ans d’Histoire en deux heures, et pour tourner le tout en Roumanie.

    Avec « Ces amours-là », Lelouch signe une fresque nostalgique ; une symphonie qui s’achève sur une note d’espoir ; la bande originale de son existence cinématographique qui évite l’écueil du narcissisme en guise de remerciements au cinéma, à la musique, à son public, à ses acteurs ; un film joliment imparfait qui met en exergue les possibles romanesques de l’existence ; un film jalonné de moments de grâce, celle des acteurs avant tout à qui ce film est une déclaration d’amour émouvante, passionnée et de ce point de vue entièrement réussie.

     

    En bonus, ma critique d" Un homme et une femme" de Claude Lelouch:

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    Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après que mon premier séjour à Deauville, il y a 20 ans, ait modifié le cours de mon « destin »... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur comme celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point que pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.

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    Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu'à épuisement en allant vers Deauville où il s'arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».

    Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...

     J'ai vu ce film un grand nombre de fois, tout à l'heure encore et comme à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.

    Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer.  Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.

    Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui  fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...

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     Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.

    Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes.

    Critique - Documentaire -  "D'un film à l'autre, une histoire de Claude Lelouch

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    Le cinéma de Claude Lelouch a bercé mon enfance. D’ailleurs, moi dont la passion pour le cinéma a été exacerbée à et par Deauville, j’étais presque « condamnée » à aimer son cinéma indissociable de cette ville qu’il a magnifiquement immortalisée.

    Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontre magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.  Un documentaire qui résume un demi-siècle de cinéma du « Propre de l’homme » à « Ces amours-là ».

    Ayant lu l’autobiographie de Claude Lelouch (« Itinéraire d’un enfant très gâté », Robert Laffont) que je vous recommande et ayant vu un grand nombre de ses films, j’ai néanmoins appris pas mal d’anecdotes et an ai réentendu d’autres comme l’histoire de la rencontre de ses parents auquel fera formidablement écho la remise de son Oscar des années plus tard (je vous laisse la découvrir si vous ne connaissez pas l’anecdote). Magnifique hasard à l’image de ceux qu’il met en scène.

    Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. « C’est plus difficile aujourd’hui de sortir d’un échec, aujourd’hui la terre entière est au courant. A l’époque, cela restait confidentiel. Derrière un échec on peut rebondir autant qu’on veut si on ne demande rien aux autres. Etant donné que j’ai toujours été un spécialiste du système D, j’ai toujours trouvé le moyen de tourner des films » a-t-il précisé lors du débat après la projection.

     La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr « Un homme et une femme », palme d’or à Canes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture,  elle  marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme », la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

     

    Une histoire que vous redécouvrirez parmi tant d’autres comme les derniers instants de Patrick Dewaere,  et puis des tas d’autres hasards et coïncidences et d’histoires sur les uns et les autres que Lelouch nous raconte en voix off, avec passion et sincérité, comme un film, celui de son existence, une existence à 100 à l’heure, à foncer et ne rien regretter à l’image de son court-métrage «  C'était un rendez-vous » qui ouvre le documentaire. L’histoire d’une vie et une histoire, voire une leçon, de cinéma. Claude Lelouch souligne notamment l’importance de la musique tellement importante dans ses films : « L’image, c’est le faire-valoir de la musique ». « Chaque nouvelle invention modifie l’écriture cinématographique. Mes gros plans c’est ma dictature, et les plans larges c’est ma démocratie, et pas de plan moyen. » a-t-il précisé lors du débat. « Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui va très vite et on n’a plus le temps de lire le mode d’emploi alors que de mon temps on avait le temps de lire le  mode d’emploi mais il y a quelque chose qui n’a pas fait de progrès c’est l’amour.  La montée et la descente d’une histoire d’amour  m’ont toujours fasciné. »

     

     

    Claude Lelouch est né avec la Nouvelle Vague qui ne l’a jamais reconnu sans doute parce que lui-même  n’avait « pas supporté que les auteurs de la Nouvelle Vague aient massacré Clouzot,   Morgan, Decoin, Gabin », tous ceux qui lui ont fait aimer le cinéma alors qu’il trouvait le cinéma de la Nouvelle Vague « ennuyeux ».

     Quel bonheur de revoir Jean-Paul Belmondo, Jacques Villeret, Yves Montand, Annie Girardot,  Jean Louis Trintignant, Anouk Aimée, Fabrice Luchini Evelyne Bouix, Catherine Deneuve, Lino Ventura, Fanny Ardant,  Francis Huster, Alessandra Martines, tantôt irrésistibles ou bouleversants, parfois les deux, magnifiés par la caméra de Claude Lelouch qui sait si bien, par sa manière si particulière de tourner et surtout de diriger les acteurs, capter ces fameux fragments de vérités. « Les parfums de vérité plaisent au public français. Donner la chair de poule, c’est l’aristocratie de ce métier. » Comment ne pas être ému en revoyant Annie Girardot dans « Les Misérables » (qui lui vaudront ce César de la meilleure actrice dans un second rôle, en 1996, et sa déclaration d’amour éperdue au cinéma ), Jean-Paul Belmondo et Richard Anconina dans « Itinéraire d’une enfant gâté » ? Des extraits comme autant de courts-métrages qui nous laissent un goût d’inachevé et nous donnent envie de revoir ses films.

     

     « Il n’y a pas de vraies rencontres sans miracles » d’après Claude Lelouch et chacun de ces miracles en a donné un autre, celui du cinéma.  «L’idée était de raconter l’histoire des films 13 et comment je suis allée d’un miracle à l’autre car un film est toujours un miracle. »

     

     Alors tant pis si une certaine critique continue de le mépriser (il y est habitué lui dont un critique clairvoyant disait à ses débuts  "Claude Lelouch... Souvenez-vous bien de ce nom. Vous n'en entendrez plus jamais parler.")  voire les professionnels de la profession (cf son absence aux César pour "Ces amours-là"…) car  comme il le dit lui-même :  « Un seul critique qui compte sur moi, c’est le temps qui passe ».

     Alors si comme moi, vous aimez le cinéma de Claude Lelouch et les fragments de vérités, si vous croyez aux  hasards et coïncidences, fussent-ils improbables, précipitez-vous pour découvrir ce documentaire qui sortira forcément un 13…le 13 avril 2011 qui est aussi la leçon d’une vie d’un homme  qui a su tirer les enseignements de ses succès et surtout de ses échecs et d’un cinéaste qui a tellement sublimé l’existence et les acteurs, ce dont témoigne chaque seconde de ce documentaire passionnant, itinéraire d'un enfant gâté, passionné fou de cinéma.

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