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film - Page 71

  • Critique - "Les Marches du pouvoir" de George Clooney, le 3 novembre 2012, sur Canal plus

    Ce soir, à 20H55, sur Canal plus, ne manquez pas l'excellent "Les Marches du pouvoir" de George Clooney, d'autant plus indispensable à quelques jours des élections américaines.

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    « The American » d’Anton Corbijn, le précèdent film avec George Clooney avant "Les Marches du pouvoir" prouvait une nouvelle fois le caractère judicieux de ses choix en tant que comédien et en tant que producteur, ce film allant à l’encontre d’une tendance selon laquelle les films doivent se résumer à des concepts, prouvant qu’un film lent, au style épuré et aux paysages rugueux (ceux des Abruzzes en l’occurrence, d’ailleurs magnifiquement filmés) peut être plus palpitant qu’un film avec une action à la minute.

     Avec « Les Marches du pouvoir », il confirme la clairvoyance de ses choix (film produit par un autre acteur aux choix clairvoyants, Leonardo DiCaprio) avec un film au sujet a priori (et seulement a priori) peu palpitant : la bataille pour les primaires démocrates et, un peu à l’inverse de « The American » qui était un thriller traité comme un film d’auteur intimiste, il nous embarque dans un thriller palpitant avec ce qui aurait pu donner lieu à un film d’auteur lent et rébarbatif. "Les Marches du Pouvoir" est une adaptation de la pièce de théâtre « Farragut North » de Beau Willimon; il a été présenté en compétition officielle de la dernière Mostra de Venise.

    Stephen Meyers (Ryan Gosling) est le jeune, légèrement arrogant, mais déjà très doué et expérimenté conseiller de campagne du gouverneur Morris (George Clooney) candidat aux primaires démocrates pour la présidence américaine. Pour lui, Morris est le meilleur candidat et il s’engage à ses côtés, totalement convaincu de son intégrité et de ses compétences mais peu à peu il va découvrir les compromis qu’impose la quête du pouvoir et perdre quelques illusions en cours de route… Il va découvrir ce qu’il n’aurait jamais dû savoir, commettre l’erreur à ne pas commettre et la campagne va basculer dans un jeu de dupes aussi fascinant que révoltant.

    Le film commence sur le visage de Meyers récitant un discours, du moins le croit-on… La caméra s’éloigne et dévoile une salle vide et que l’homme qui semblait être dans la lumière est en réalité un homme dans et de l’ombre, préparant la salle pour celui qu’il veut mener à la plus grande marche du pouvoir. Ce début fait ironiquement écho au magnifique plan-séquence de la fin où la caméra se rapproche au lieu de s’éloigner (je ne vous en dis pas plus sur cette fin saisissante)…tout un symbole !

    Je ne suis pas à un paradoxe près : alors que je m’insurge constamment contre le poujadiste et simpliste «tous pourris » souvent le credo des films sur la politique, ce film qui dresse un portrait cynique de la politique et de ceux qui briguent les plus hautes marches du pouvoir m’a complètement embarquée… Clooney non plus n’est pas à un paradoxe près puisque lui qui a fermement défendu Obama dans sa campagne présidentielle et dont la sensibilité démocrate n’est pas un mystère a mis en scène un candidat (démocrate) dont l’affiche ressemble à s’y méprendre à celle du candidat Obama lors de son premier mandat. D’ailleurs, ce n’est pas forcément un paradoxe, mais plutôt une manière habile de renforcer son propos.

    A première vue, rien de nouveau : les manigances et les roueries de la presse pour obtenir des informations qui priment sur tout le reste, y compris de fallacieuses amitiés ou loyautés, la proximité intéressée et dangereuse entre le pouvoir politique et cette même presse (tout ce que la très belle affiche résume, avec en plus le double visage du politique), et même les liens inévitables entre désir et pouvoir qui ouvraient récemment un autre film sur la politique, « L’Exercice de l’Etat », dans une scène fantasmagorique mais, malgré cela, George Clooney signe un film remarquable d’intensité, servi par des dialogues précis, vifs et malins et par une mise en scène d’une redoutable élégance, notamment grâce au recours aux ombres et à la lumière pour signifier l’impitoyable ballet qui broie et fait passer de l’un à l’autre mais surtout pour traiter les coulisses obscures du pouvoir comme un thriller et même parfois comme un western (le temps d’un plan magnifique qui annonce le face-à-face dans un bar comme un duel dans un saloon). En fait, « Les marches du pouvoir » porte en lui les prémisses de plusieurs genres de films (thriller, romantique, western) montrant, d’une part, l’habileté de Clooney pour mettre en scène ces différents genres et, d’autre part, les différents tableaux sur lesquels doivent jouer les hommes politiques, entre manipulation, séduction et combat.

    Le temps d’une conversation plongée dans le noir ou d’une conversation devant la bannière étoilée (invisible un temps comme si elle n’était plus l’enjeu véritable mais aussi gigantesque et carnassière), sa mise en scène se fait particulièrement significative. Cette plongée dans les arcanes du pouvoir les décrit comme une tentation perpétuelle de trahir : ses amis politiques mais surtout ses idéaux. L’étau se resserre autour de Stephen comme un piège inextricable et les seuls choix semblent alors être de dévorer ou être dévoré, d’ailleurs peut-être pas tant par soif du pouvoir que par souci de vengeance et par orgueil, amenant ainsi de la nuance dans le cynisme apparent qui consisterait à dépeindre des hommes politiques uniquement guidés par la soif de conquête et de pouvoir. Ryan Gosling est parfait dans ce rôle, finalement pas si éloigné de celui qu’il endosse dans « Drive », incarnant dans les deux cas un homme qui va devoir renier ses idéaux avec brutalité, et qui révèle un visage beaucoup plus sombre que ce qu’il n’y parait. Face à lui, George Clooney en impose avec sa classe inégalée et inégalable qui rend d’autant plus crédible et ambivalent son personnage à la trompeuse apparence, épris de laïcité, de pacifisme et d’écologie... sans doute davantage par opportunisme que par convictions profondes, ses choix privés révélant la démagogie de ses engagements publics.

    Le cinéma américain entre Oliver Stone, Pakula, ou avec des rôles incarnés par Robert Redford comme dans « Votez McKay » de Michael Ritchie (que Redford avait d’ailleurs coproduit) a longtemps considéré et traité la politique comme un sujet à suspense. Tout en s’inscrivant dans la lignée de ces films, Clooney réinvente le genre en écrivant un film aux confluences de différents styles. La politique est décidément à la mode puisque pas moins de trois films français (très différents) sur le sujet étaient sortis l'an passé (« La Conquête », « Pater » et « L’Exercice de l’Etat »). Clooney ne s’intéresse d’ailleurs pas ici uniquement à la politique, le film ne s’intitulant pas « Les marches du pouvoir politique » mais du pouvoir tout court et cette soif d’ascension au mépris de tout pourrait se situer dans d’autres sphères de la société de même que la duplicité de ceux qui cherchent à en gravir les marches, à tout prix, même celui de leurs idéaux.

    Seul regret : que le titre original peut-être pas plus parlant mais plus allégorique n’ait pas été conservé. «The ides of March » correspond ainsi au 15 mars du calendrier romain, une expression popularisée par une des scènes de « Jules César » de William Shakespeare, dans laquelle un oracle prévient le célèbre général de se méfier du 15 mars, date à laquelle il finira par être assassiné.

    Un thriller aussi élégant que le sont en apparence ses protagonistes et qui en révèle d’autant mieux la face obscure grâce à un rythme particulièrement soutenu, un distribution brillamment dirigée (avec des seconds rôles excellents comme Philip Seymour Hoffman ou Paul Giamatti), des dialogues vifs, et surtout une mise en scène métaphorique entre ombre et lumière particulièrement symptomatique du véritable enjeu (être, devenir ou rester dans la lumière) et de la part d’ombre qu’elle dissimule (souvent habilement) et implique. Je vous engage à gravir ces « Marches du pouvoir » quatre-à-quatre. Un régal impitoyable. Vous en ressortirez le souffle coupé !

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  • Critique- « The American » d’Anton Corbijn avec George Clooney , à 20H45, sur Ciné + premier

    Ce soir, à 20H45, sur Ciné + premier, ne manquez pas l'excellent "The American" d'Anton Corbijn, avec George Clooney et retrouvez ma critique du film, ci-dessous.

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    L’affiche pouvait nous laisser présager un énième film d’action avec, quasiment chaque minute : un nouveau pays, un coup de feu, un mort, et des répliques en formes de slogan. Son élégance joliment surannée laissait néanmoins un peu de place à l’espoir… de même que la présence d’Anton Corbijn (dont le premier long « Control » avait été remarqué par la critique) à la réalisation, et de George Clooney dans le rôle principal et à la coproduction. « The American » a été adapté du roman A Very Private Gentleman de Martin Booth, publié en 1990.

    George Clooney incarne ici Jack, un tueur à gages expérimenté. Une mission qui tourne mal le « contraint » à tuer sa compagne le convainquant de faire de son prochain contrat son ultime. C’est ainsi qu’il se retrouve à Castel del Monte, un petit village italien des Abruzzes avec aussi peu d’âmes que de brebis potentiellement aussi égarés que lui parmi lesquels le prêtre du village et une prostituée. En les fréquentant, Jack prend alors le risque de rompre sa solitude et donc de mettre son identité et sa vie en danger.

    Dès la première scène, dans tous les sens du terme glaciale, le ton est donné. Après une scène d’amour, débusqué par de mystérieux tueurs, Jack abat sa compagne d’une balle dans le dos. Sans hésiter. Froidement. Première bonne nouvelle : Clooney ne joue pas les séducteurs ou un personnage gentiment névrosé dont les Coen ont le secret mais un personnage que cette première scène nous rend a priori entièrement antipathique, à l’image de son personnage dans « In the air », également a priori antipathique. Quelques scènes plus loin, en forme de générique judicieusement métaphorique de son destin, il emprunte un long tunnel désert qui s’achève par une lumière aveuglante.

    Le film se déroule ensuite entièrement dans ce petit village des Abruzzes aux paysages rugueux, d’une beauté inquiétante et âpre. Jack y promène sa solitude, son lourd passé et y rencontre un potentiel avenir auprès d’êtres aussi troubles et solitaires que lui.

    Alors que les héros bodybuildés et invincibles et la surenchère de courses-poursuites qui ont bien souvent pour seul but d’hypnotiser le spectateur, de l’empêcher de s’ennuyer et de penser sont aujourd’hui la marque de fabrique des thrillers, celui-ci est à l’opposé avec un antihéros sombre, mystérieux, presque muré dans le silence qui, de tueur à gages froid et antipathique devient l’incarnation d’une solitude et d’une marginalité alors beaucoup plus sujettes à l’empathie et surtout universelles.

    Entre le cowboy à la Sergio Leone et le Samouraï à la Melville, ce personnage, qui à l’image de ce dernier a donné son surnom qui le caractérise au titre du film, nous sommes accrochés à ses pas sur la route, certes escarpée et semée d’embûches, de la rédemption. L’atmosphère est à la fois menaçante et fascinante, énigmatique et inquiétante, reposante et agressive, à son image.

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    Photo ci-dessus inthemoodforcinema.com

    George Clooney en producteur très malin (se) trouve là un de ses meilleurs rôles. Mystérieux, sombre, traqué, mutique, et surtout seul. A l’heure où les films doivent se résumer à des concepts, il prouve une nouvelle fois qu’un film lent, au style épuré et aux paysages rugueux ( d’ailleurs magnifiquement filmés) peut être plus palpitant qu’un film avec une action à la minute. Bref, je vous recommande ce voyage dans les Abruzzes, tantôt paradisiaques, tantôt dédale infernal dont la seule échappatoire, dans un poétique dénouement, est un utopique Eden …

  • Critique - « Les Hommes libres » d’Ismaël Ferroukhi avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale, à 20H55, ce soir, sur Canal plus

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    1942. Paris occupé (outragé, brisé, martyrisé). Younes (Tahar Rahim), jeune émigré algérien vit du marché noir. Arrêté par la police française, il est contraint d’espionner la Mosquée de Paris dont les responsables et notamment le Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit (Michael Lonsdale), sont soupçonnés de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants. Sa rencontre avec le chanteur juif d’origine algérienne Salim Halali (Mahmoud Shalaby) dont la voix et la personnalité vont le toucher mais aussi avec la troublante résistante Leila (Lubna Azabal) vont le conduire à choisir son camp, au péril de sa vie. Younes va peu à peu s’éveiller au combat, celui de la liberté.

    En 2006, Rachid Bouchareb rendait hommage aux « Indigènes », soldats oubliés de la première armée française recrutée en Afrique. En 2009, avec « L’Armée du crime », Robert Guédiguian avait choisi de rendre hommage aux immigrés morts pour la France en relatant les destinées tragiques d'un groupe de jeunes juifs résistants et communistes (Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols, Italien, Arméniens) déterminés à combattre pour libérer la France. Des films de qualités peut-être inégales mais en tout cas pareillement nécessaires à l’image du film d’Ismaël Ferroukhi qui se base sur des faits réels et rend lui aussi hommage à des combattants de la liberté et à cet aspect méconnu de la résistance au sein de la Mosquée de Paris.

    Les grands films sur la résistance ne sont finalement pas si nombreux et le cinéma n’a sans aucun doute pas fini de chercher à mettre en lumière cette période sombre de l’Histoire et ceux qui ont contribué à son dénouement. Si je devais vous en recommander un seul, ce serait sans doute « L’Armée des ombres » de Jean-Pierre Melville (cliquez ici pour lire mon article de « L’Armée des ombres » à « L’Armée du crime »)…même si des films comme ceux précités ou celui-ci apportent leur pierre à l’édifice. Bien que leur intérêt cinématographique soit discutable, leur intérêt historique est incontestable (ce fut aussi le cas de « La Rafle » de Rose Bosch dont les qualités cinématographiques étaient contestables mais qui n'en étaient pas moins un film nécessaire). D’autant plus incontestable dans une période d’exacerbation des communautarismes quand un film comme celui-ci montre des hommes qui les ont dépassés pour un combat plus grand : celui de la liberté.

    C’est aussi la rencontre entre deux générations d’acteurs (très belle idée que de confronter Michael Lonsdale et Tahar Rahim) portés par la même sincérité, le même enthousiasme et le même effacement devant le message que délivrent leurs personnages. Un message fort porté par un casting de choix. Mahmoud Shalaby au regard d’une intensité troublante. Tahar Rahim dont le jeu et le corps incarnent brillamment ce jeune homme qui passe d’une relative inconscience au combat, qui dit que cette guerre n’est pas la sienne et fait son entrée en résistance et qui s’éveille, à la conscience, à l’amour, à la politique, à la liberté. Lubna Azabal (inoubliable dans « Incendies ») parfaite pour incarner cette « ombre » grave et mystérieuse. Michael Lonsdale au jeu ambigu à souhait mais dont se dégage toujours cette belle humanité, personnage complexe à l’image de cette période trouble, fréquentant des ministres de Vichy et des officiers allemands et dans le même temps délivrant de faux-papiers à des Juifs et des résistants.

    « Les hommes libres » n’est pas un film qui assène ou qui cherche à capturer le spectateur et à provoquer son émotion. Non, à l’image de ces hommes de l’ombre, il délivre son message tout en retenue évoquant tout aussi bien des évènements historiques comme la Rafle du Vel d’Hiv (scène forte qui montre toute la cruauté absurde et obscène où des papiers prouvant que vous êtes « Mahométans » vous font échapper à la mort, où des papiers classent des hommes dans une case qui les destine à la vie ou à la mort comme de vulgaires dossiers) que les sentiments sans vraiment les démontrer ou nommer.

    Sans doute pour des raisons budgétaires, mais aussi pour montrer cette vie invisible, le film ne quitte pratiquement pas la Mosquée et le Cabaret Oriental où vivent et résistent ces hommes de l’ombre.

    Qu’est-ce qu’être un homme libre ? Sans doute celui qui choisit son combat, celui de la liberté, fut-ce au péril de sa vie à l’image de ces « Hommes libres » auxquels le film rend un bel hommage. Un sujet en or, un film fait avec sincérité, porté par un casting de choix et une musique arabo-andalouse envoûtante, à l’intérêt historique incontestable. Dommage qu’il y ait parfois un problème de rythme et que la fin soit aussi brusque et que le scénario s’efface à ce point devant le sujet et le combat auxquels il rend hommage, mais finalement une belle manière de faire coïncider la forme et le fond que cette sobriété et cette modestie...devenues de plus en plus rare quand la mode est à un cinéma qui cherche à en mettre plein la vue pour masquer la vacuité du message. Je songe à un film récemment primé d’un prix de la mise en scène …mais il s’agit là d’un autre sujet.

    Bonus: ma critique de "Or noir" de Jean-Jacques Annaud avec Tahar Rahim et l'interview de ces derniers.

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  • Avant-première – Critique de « Comme des frères » de Hugo Gélin avec Pierre Niney, François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry…

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    Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année  (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…

     « Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.

    Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d'ailleurs présentait aussi cette qualité:  « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l'homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.

     Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache  lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…

     Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.

     Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité  de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.

     Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.

    De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n'en  savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu'une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.

    Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d'ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et riche d'espoirs, cet hymne à l'amitié et la comédie tendrement mélancolique de l’année.

    En salles le 21 novembre 2012

  • 23ème Festival du Film Britannique de Dinard 2012 : le palmarès

    Cela fait 13 ans (déjà!) que j’ai eu le bonheur de faire partie du jury du Festival du Film Britannique de Dinard (retrouvez mon article publié dans le livre des 20 ans du festival « Flashback » en cliquant ici et en bas de cet article) et, depuis, à chaque fois que j’ai pu, j’y suis retournée avec grand plaisir (également en bas de cet article des liens vers mes articles sur d’autres éditions du Festival de Dinard) pour découvrir le meilleur du cinéma britannique dans un cadre sublime et convivial, malheureusement cette année, je n’ai pu être présente. Je vous livre néanmoins ci-dessous le palmarès attribué ce soir par le jury présidé par Patrick Bruel.

    Le HITCHCOCK D’OR

     
    qui comprend les prix suivants :
    Le Grand Prix du Jury
    Prix qui se compose d’une aide à la distribution
    et d’un soutien direct au réalisateur
    Le Prix Ciné+
    Ciné+ s’engage à doter le film lauréat d’une promotion sur ses chaînes
    lors de sa sortie en salle

    Shadow Dancer de James Marsh

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    Prix du Public Studio Ciné Live

    Shadow Dancer de James Marsh

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    Prix du Scénario Allianz

    iLL MANORS de Ben Drew

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    Prix de l’image Technicolor

    Good Vibrations de Lisa Barros D’Sa & Glenn Leyburn

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    Décerné par l’association LA REGLE DU JEU
    Les films concourant pour ce prix ont déjà un distributeur en France
    Distribution du film primé dans 40 salles du Grand Ouest

    iLL MANORS de Ben Drew

    MON ARTICLE PUBLIE DANS FLASHBACK, LE LIVRE DES 20 ANS DU FESTIVAL (pour vous convaincre de venir, au Festival du Film Britannique de Dinard, l’an prochain).

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    Avant 1999, Dinard représentait pour moi ce lieu délicieusement intemporel magnifié par cette incomparable couleur émeraude de la côte éponyme, exhalant un paradoxal parfum d’enfance et d’éternité, et sur lequel veillait, de son œil malicieux, la statue de mon réalisateur favori : le grand Alfred Hitchcock. En septembre 1999, je tombai sur une annonce dans un journal local annonçant un concours qui permettait de devenir membre du jury du Festival du Film Britannique. Je gardais de mon expérience dans le jury jeunes du Festival du Film de Paris, l’année précédente, un souvenir inaltérable et la féroce envie de renouveler cette expérience. Particulièrement passionnée par le cinéma britannique, le défi était d’autant plus passionnant et exaltant. Je rédigeai donc la lettre de motivation, la page exigée me semblant néanmoins bien trop courte pour exprimer mon amour inconditionnel pour le cinéma, et le cinéma britannique en particulier, et pour cette ambivalence qui en constitue la richesse et la particularité, cette influence a priori inconciliable de cinéma européen et américain ; j’exprimai mon admiration pour le réalisme social de Ken Loach ou pour celui du Free cinema, pour le lyrisme épique de David Lean, pour la sensible appréhension des atermoiements et des « ombres du cœur » de Richard Attenborough, et par-dessus tout pour « Les liaisons dangereuses » de Stephen Frears, « Les Virtuoses » de Mark Herman et pour le cinéma saisissant de vérité de Mike Leigh. Cinq jours avant le festival, on m’annonçait la bonne (et déstabilisante !) nouvelle : ma candidature avait été sélectionnée parmi plus de deux cents autres et j’allais intégrer le jury du 10ème Festival du Film Britannique de Dinard, alors présidé par Jane Birkin. Qui n’a jamais fait partie d’un jury ne peut imaginer à quel point une telle expérience est trépidante, enrichissante, singulière, à quel point elle cristallise tant d’émotions, cinématographiques et pas seulement, à quel point elle abolit la fragile frontière entre cinéma et réalité qui s’y défient et entrechoquent, nous emportant dans un troublant et ensorcelant tourbillon, suspendant le vol du temps. Alors jeune étudiante, écartelée entre mes études de cinéma et de sciences politiques, je me retrouvai dans cette réalité titubante et dans un jury avec des artistes que j’admirais (et d’autant plus désormais) comme Jane Birkin, présidente à l’empathie incomparable et à l’excentricité aussi joyeuse que nostalgique et mélancolique, Etienne Daho, Julian Barnes, Daniel Prévost et je faisais la connaissance de Tom Hollander et Mark Addy dont je constatais avec plaisir que, à l’image du festival, ils avaient tous l’humilité, l’affabilité et la simplicité des grands. Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de les remercier, ni le festival et son directeur Hussam Hindi, pour l’accueil chaleureux qui m’a alors été réservé, ce livre me donne l’occasion de le faire aujourd’hui, dix ans après ces quatre jours hors du temps et de la réalité. Non seulement, je découvrais un festival de cinéma sous un angle différent, ses débats exaltés et exaltants mais aussi un cinéma dont je soupçonnais la richesse et l’inventivité et dont cette compétition me fit mesurer l’étendue à l’image des deux films qui partagèrent les suffrages de notre jury cette année-là : le palpitant thriller magnifiquement sombre, premier long métrage d’un certain Christopher Nolan « Following » (qui remporta le Hitchcock d’argent) qui révélait un cinéaste avec un univers d’une originalité sidérante qu’il a confirmé deux ans plus tard avec « Memento » et le déjanté et burlesque « Human Traffic » de Justin Kerrigan qui remporta le Hitchcock d’or. De mémoire de festivaliers, cette dixième édition fut la plus mémorable. En tout cas pour moi qui depuis ai été dix fois jurés dans divers festivals de cinéma et en ai parcouru de nombreux autres de Deauville à Cannes, cela reste sans aucun doute un souvenir indélébile et la cause du caractère incurable d’une triple passion dont deux étaient déjà ardentes : pour le cinéma en général, pour le cinéma britannique en particulier, et pour le Festival du Film Britannique de Dinard. J’eus alors un véritable coup de foudre pour le Festival de Dinard et si je le découvrais dans des conditions étranges et privilégiées, cette impression ne s’est jamais démentie par la suite : celle d’un festival convivial dont les festivaliers et le cinéma, et non ses organisateurs, sont les véritables stars, où la diversité du cinéma britannique s’exprime aussi dans le choix de ses invités, qui deviennent souvent des habitués (et pour cause…), et dans le choix de ceux qu’il a honorés ou révélés, et non des moindres : Danny Boyle, Peter Cattaneo, Stephen Daldry, Paul Greengrass, Peter Webber, Shane Meadows…. ! Retourner à Dinard chaque fois que j’en ai l’occasion signifie toujours pour moi une douce réminiscence de ces instants magiques ( et lorsque je ne peux pas me donne l’impression d’un rendez-vous manqué) qui ont déterminé la voie que je me suis enfin décidée à emprunter, celle de la passion irrépressible ; c’est aussi la perspective de découvrir ou redécouvrir de grands auteurs, une image de la société britannique avec tout ce qu’elle reflète de fantaisie désenchantée et enchanteresse, de pessimisme enchanté, de romantisme sombre, d’élégance triste, d’audace flegmatique et de réjouissants paradoxes et oxymores… et la perspective de jubilatoires frissons cinéphiliques . Dinard a priori si sombre et pourtant si accueillante, auréolée de sa très hitchcockienne et resplendissante noirceur facétieuse, est à l’image de ce cinéma qui possède à la fois le visage tourmenté et attendrissant de Timothy Spall et celui robuste et déterminé de Daniel Craig, un cinéma qui excelle dans les comédies romantiques (de Richard Curtis, de Mike Newell…) mais aussi dans des films ancrés dans la réalité sociale, un cinéma qui, récemment encore, à Dinard, nous a fait chavirer avec la complainte mélancolique de John Carney dans « Once » ou qui nous a ouvert les yeux sur les plaies de la société contemporaine avec le percutant « It’s a free world » de Ken Loach ou le tristement intemporel « Pierrepoint » d’Adrian Shergold, bref un cinéma éclectique qui sait concilier Histoire et contemporanéité, « raisons et sentiments », une fenêtre ouverte sur des mondes, garanties d’un avenir que je souhaite aussi lucide et radieux au Festival du Film Britannique de Dinard, incomparable antre de passions et découvertes cinématographiques qui a fait chavirer le cours de mon destin.

    Before 1999, Dinard for me was a deliciously timeless place magnified by the wonderful emerald colour of its coastline, and a paradoxical odour of childhood and eternity watched over maliciously by the statue of my favourite director, the great Alfred Hitchcock.

    In September 1999 I noticed a call for candidates in a local newspaper, to enter a competition which could lead to being a member of the jury of the British Film Festival. I already had wonderful memories of being one of the young jury members of the Paris Film Festival the previous year and was very keen to renew the experience. Since I am particularly interested in British cinema the challenge was even greater. So I applied thinking that the single page requested seemed far too short a space in which to express my absolute passion for film and for British films in particular as they represent a bridgehead between American and European cinema. I described my admiration for Ken Loach’s style of realism and its origins in Free Cinema. I also referred to the poetry to be found in David Lean’s films, to the prevariactions in Richard Attenborough’s « Shadowlands » but above all « Dangerous Liasions » by Stephen Frears, Mark Herman’s « Brassed Off » and for the remarkable truthfulness in Mike Leigh’s films. Five days before the festival started I received the good (and scary) news that I had been chosen out of some two hundred other applicants and was to become a member of the jury of the 10th British Film Festival of Dinard presided by Jane Birkin.

    Impossible for someone who has never sat on a jury to imagine what an exciting, rewarding, exceptional experience it is and the extent to which so many emotions can be encompassed in such activity somehow banishing the fragile barrier between film and real life takiing us into a strange and betwitching whirlwind while time stood still. At the time I was torn between studying cinema and political sciences and I was staggered to find myself a part of a jury of artists I admired (even more so now) starting with the president, Jane Birkin, a person of incomparable sympathy yet full of joyful excentricity mixed with nostalgia and sadness, then there were Etienne Daho, Julian Barnes, Daniel Prévost. I came to know Tom Hollander and Mark Addy. I also discovered with pleasure that in common with all great people and like the festival itself, they shared the qualities of modesty, simplicity and friendliness. I have never really had the chance to thank either them or the Festival Director, Hussam Hindi, for the warm welcome I received. Thanks to this book, published ten years later, I am now given the opportunity to do so. Not only did I discover a film festival from a different angle with high minded and exhilarating discussions but I also discovered wider aspects to British cinema than I had expected through the films selected in competition. This is characterised by the two films singled out by the jury. « Following » a magnificient dark thriller by a certain Christopher Nolan (which was awarded the silver Hitchcock) first feature from a film maker who was soon to make his mark two years later with « Memento » and the crazy burlesque « Human Traffic » by Justin Kerrigan which was awarded the Golden Hitchcock.. This tenth edition was the most memorable one so far to the minds of regular festival goers. Since then I have served as a jury member in ten other festivals and have attended many others from Deauville to Cannes, but my special memory of Dinard will never fade because of my triple passion for cinema in general, British cinema in particular and for the Dinard Festival itself. I fell in love with this festival, which I discovered under strange and privileged conditions, and this impression has not changed since: a user-friendly festival where guests and festival goers are the real stars – not tthe organisers. The diversity of British cinema is also made apparent through the choice of the guests, many of whom, subsequently and understandably, become regulars. Also must be mentioned the judicious choices of people receiving tributes and new talents soon to become well known names: Danny Boyle, Peter Cattaneo, Stephen Daldry, Paul Greengrass, Peter Webber, Shane Meadows…. ! Going back to Dinard whenever I can always brings back the sweet memories of those magic moments (and the years I can’t attend it always seems to me that I have missed something important) and which led me to follow the course I am on today following a real passion. It is also the occasion to discover or rediscover established ‘auteurs’, a vision of British society with all it projects in the way of disenchanted yet enchanting fantasy, of pessimism, dark romanticism, sad elegance, phlegmatic daring and joyful pardoxes and oxymorons with the prospect of enjoyable film loving shivers. Dinard seems so sober yet is so welcoming, under the star of supreme film-maker Hitchcock , reflecting this cinema which has both the features of Timothy Spall (tormented and moving) and those of Daniel Craig, (rugged and determined). A cinema that excells in romantic comedies (by Richard Curtis or Mike Newell) but also in films anchored in social reality as was the case recently in Dinard with John Carney’s film « Once » or Ken Loach’s « It’s a Free World » which opened our eyes to the wounds of contemporary society.

    I wish the British Film Festival of Dinard a radiant future and thank it for having dictated my destiny.

     

    LIENS:

    -mon compte-rendu du Festival du Film Britannique de Dinard 2010

    -mon compte-rendu du Festival du Film Britannique de Dinard 2009

    -mon compte-rendu du Festival du Film Britannique de Dinard 2007

    -mon compte-rendu du Festival du Film Britannique de Dinard 2005

    Site officiel du Festival: http://www.festivaldufilm-dinard.com/

    Le Festival de Dinard sur Facebook: https://www.facebook.com/#!/pages/Festival-du-Film-Britan…

    Programme du Festival du Film Britannique de Dinard 2012

  • Analyse critique de "L'armée des ombres" de Jean-Pierre Melville

    Je vous propose ci-dessous une nouvelle critique d'un film de Jean-Pierre Melville après "Le Samouraï" avant-hier, à l'occaion de la conférence organisée dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2012 (dont vous pouvez retrouver le programme complet, commenté et détaillé, ici) "De l’influence de Jean-Pierre Melville sur le cinéma américain" qui aura lieu le jeudi 6 septembre 2012, salle Lexington, au CID.

    Analyse de "L'armée des ombres" de Jean-Pierre Melville

     

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    L'armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969) , d'après le roman de Joseph Kessel de l'Académie Française, avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Simone Signoret, Paul Crauchet, Claude Mann, Christian Barbier, Serge Reggiani/ Musique: Eric Demarsan/ Directeur de la photographie: Pierre Lhomme/ Décors: Théobald Meurisse.

     

    Synopsis d’un scénario ciselé

     

    Octobre 1942. " Ingénieur distingué des Ponts et Chaussées, soupçonné de pensée gaulliste, semblant jouir d’une certaine influence ", Philippe Gerbier (Lino VENTURA) est interné dans un camp français puis transféré au quartier général de la Gestapo de l’hôtel Majestic à Paris. Il s’en évade en tuant une sentinelle et en sacrifiant l’autre homme arrêté. A Marseille, il est chargé avec Félix (Paul CRAUCHET) et Le Bison (Christian BARBIER) d’exécuter Doinot, qui les a trahis. Jean-François (Jean-Pierre CASSEL), un ancien ami de régiment de Félix, entre dans le réseau et réussit sa première mission : livrer un poste émetteur à Mathilde (Simone SIGNORET), membre du réseau de Paris. Il en profite pour rendre visite à son frère, Luc Jardie, grand bourgeois rêveur dont il ignore qu’il est le chef de son réseau de résistance. Gerbier, qui se cache à Lyon sous le nom de Roussel, organise l’embarquement de huit personnes à bord d’un sous-marin pour l’Angleterre ; parmi eux, Luc Jardie (Paul MEURISSE). Pendant ce temps, Félix, arrêté par la Gestapo lyonnaise, est torturé. Mathilde, grâce à un astucieux stratagème, réussit à s’introduire, avec Le Bison et Le Masque (Claude MANN), dans le Q.G. de la Gestapo.

     

    Par la minutie du scénario et la rigueur du découpage, L’armée des ombres est un film qui pourrait être considéré comme résolument classique, néanmoins la singularité de traitement de son thème principal et la singularité de traitement formel du temps notamment, nous amèneront à nuancer cette impression et à voir dans quelle mesure le film de Melville est loin d’être consensuel, à l’image des réactions contrastées, parfois même virulentes, qu’il suscita.

     

    Genèse d’ un film singulièrement instructif

     

    L’armée des ombres est le onzième film de Melville et le troisième film qu’il consacre à la période de l’Occupation, une période qu’il connaissait bien pour l’avoir vécue dans la Résistance, s’étant engagé à Londres aux côtés du Général De Gaulle . Le premier de ces films fut Le silence de la mer en 1949 adapté du roman de Vercors paru dans la clandestinité, et dans lequel le refus d’un vieil homme et de sa nièce d’adresser la parole à un officier allemand logeant dans leur maison incarnait déjà l’esprit de résistance. Le second fut Léon Morin, prêtre, en 1961, qui était le récit de la fascination d’une veuve pour un jeune prêtre et qui était également situé au cours de cette période trouble. Enfin, l’armée des ombres sortit en 1969. Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Kessel publié en 1943, date depuis laquelle Melville n’avait cessé de rêver de son adaptation. Les souvenirs personnels liés à son passé d’agent de liaison constituent l’autre source d’inspiration comme peut le souligner la phrase d’exergue du film empruntée à Courteline : « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus...vous êtes une jeunesse lointaine. » Il est d’autant plus significatif que ce film soit signé Jean-Pierre Melville que ce nom est celui qu’il avait choisi pour entrer dans la Résistance alors qu’il s’appelait encore Jean-Pierre Grumbach. Melville est ainsi son patronyme de clandestin emprunté à l’auteur de Moby Dick qu’il admirait. Il passa ainsi en Grande-Bretagne en 1942 et participa au débarquement en France et en Italie. Il dira ainsi « dans ce film j’ai montré pour la première fois des choses que j’ai vues, que j’ai vécues. Toutefois ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D’un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance (L’armée des ombres de Joseph Kessel) j’ai fait une rêverie rétrospective ; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération. » Il dira encore : « je l’ai porté en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C’est un morceau de ma mémoire, de ma chair. »

     

    Une image inédite de la Résistance : une Résistance démythifiée

     

    Même si, de son propre aveu, Melville n’a pas cherché à effectuer une reconstitution réaliste mais plutôt « une rêverie rétrospective, un pèlerinage nostalgique à une époque qui a pourtant marqué ma génération » , ces ombres rappellent fortement celles de personnages ayant réellement existé. Melville s’est en effet inspiré de parcours de résistants. Luc Jardie rappelle ainsi Jean Moulin, aussi bien dans son apparence vestimentaire que dans quelques détails sur sa vie qui parsèment le film. La vie de Lucie Aubrac a également inspiré le récit. Les personnages de L’armée des ombres sont à l’opposé des héros romantiques que symbolisent en général les Résistants. Ils sont d’abord guidés par l’intérêt collectif même si parfois il leur arrive de succomber à des intérêts individuels remettant en cause leurs objectifs, notamment Mathilde dont la fille est menacée même si le doute plane jusqu’à la fin du film quant aux éventuelles dénonciations auxquelles elle se serait adonnées. L’armée des ombres est ainsi autant un film sur la Résistance que sur les contradictions humaines, plus exactement les contradictions entre les intérêts individuels et l’intérêt collectif, contradictions exacerbées dans ces conditions extrêmes. Alors que les films d’après guerre étaient unanimes pour faire l’éloge inconditionnel de la Résistance et par conséquent unanimement manichéens, Melville se refuse à toute complaisance et se refuse à l’héroïsation de ces résistants qu’il ne présente pas comme des hommes exceptionnels mais comme des hommes ordinaires plongés dans l’exceptionnel. Loin d’assimiler chaque acte de ses personnages à des exploits il en scrute la banalité tragique et parfois même l’inéluctable lâcheté ou les petitesses qu’elle engendre. La séquence au Majestic en fournit un exemple flagrant. Pour se sauver d’une mort certaine Gerbier sacrifie un autre détenu, probablement un résistant comme lui, en lui demandant de courir pour détourner l’attention. Ce geste est précédé d’une suite de regards entre les deux hommes dans un silence pesant en cet instant décisif. Le vol du temps est suspendu, l’instant n’en paraît que plus crucial, la peur des personnages n’en est que plus prégnante. L’horloge est ainsi ostensiblement montrée deux fois, un de leurs « geôliers » baille à plusieurs reprises. Les deux prisonniers sont filmés en champ, contre-champ, l’autre résistant a le visage dans l’ombre préfigurant sa mort si bien qu’il est à peine perceptible tandis que celui de Gerbier est clairement visible. La caméra les scrute, les contourne, les domine. Melville ne glorifie donc pas la Résistance mais en offre une radiographie minutieuse, contrairement à des films comme Paris brûle-t-il ou La bataille du rail dans lesquels les résistants sont irréprochables et passent leur temps à accomplir des exploits. La lecture du dossier de Gerbier arrêté semble être une sorte de prologue puisque, dans le dossier en question, son attitude est qualifiée de « distante », distance avec laquelle Melville nous enjoigne de regarder ces évènements historiques, paradoxalement voir le général, le global, en nous montrant des actions précises. Il ne la décrit pas avec emphase et avec une admiration aveuglée mais il recrée avec un certain réalisme le travail dans l’ombre, des résistants. Plutôt que de situer son film par rapport à des faits historiques, il le centre sur les personnages, leur dévouement, leurs trahisons, leurs peurs, leurs erreurs. Il nous décrit des hommes et des femmes plongés dans des situations hors du commun, mais pas des mythes déshumanisés. Si Melville évite l’écueil du manichéisme et de la glorification, il évite aussi celui du mélodrame, raison pour laquelle les deux frères Jardie pourtant tous deux résistants ignorent tout de leurs activités respectives, ce qui nous épargne une éventuelle séquence larmoyante inadéquate dans cet univers de murmures et d’ombres silencieuses et évanescentes. Melville le dira ainsi lui-même « J’ai voulu éviter le mélodrame, ça vous manque ? ». Cette ignorance de leurs situations respectives est aussi le témoignage que dans cet univers toute fraternité est impossible. Ainsi lorsque Félix sent une main sur son épaule, il s’empresse d’empoigner son revolver, ne pouvant plus croire ou penser d’emblée à un geste de fraternité mais se croyant forcément l’objet d’une agression de l’ennemi. Les résistants sont donc ici loin d’être irréprochables et un parallèle est même parfois implicitement établi avec ceux qu’ils combattent. Ainsi, lorsque les résistants conduisent le jeune homme qui les a trahis au lieu de son exécution ce dernier croise le regard d’une jeune fille, regard exprimant de la pitié, celle-ci croyant certainement à une arrestation , façon d’assimiler leurs méthodes à celles de l’ennemi. L’assassinat du traître donne ensuite lieu à une séquence magistrale. Cette scène lourde de non dits et d’angoisses de part et d’autre se déroule dans une pièce qui rappelle la chambre ascétique et austère du Samouraï et donc qui insinue ainsi que leurs méthodes franchissent les frontières de la loi. Tout est fait pour que sa mort suscite notre compassion et notamment l’indécision interminable de ces défenseurs de la liberté (indécision quant au moyen à employer pour procéder au meurtre) qui doivent en l’espèce devenir des assassins. Il est jeune, ne tente pas de se débattre et ne tente pas de se sauver, et on ne nous renseigne pas sur la faute qu’il a commise et tout concourt dans la mise en scène à ce que nous croyions que Félix, qui vient l’arrêter, soit un policier. La compassion suscitée chez le spectateur atteint son paroxysme lorsque, alors que le « traître » n’avait pas prononcé une parole, sa mort s’ensuit de l’écoulement de larmes sur ses joues. On est alors plus que jamais plongés dans un univers de contradictions où il faut employer les méthodes de l’ennemi pour en combattre l’action. La Gestapo et les Résistants sont en effet obligés de recourir aux mêmes méthodes, à savoir des enlèvements et des exécutions sans jugements. La séquence au cours de laquelle Félix est arrêtée et torturée fait ainsi écho à celle où lui-même avait dû tuer le jeune traître. Loin d’être toutes utiles, héroïques et récompensées leurs actions sont ici parfois viles, silencieuses, et inutiles. Ainsi, Jean-François se sacrifie inutilement pour Félix qui sera lui-même torturé. Il y a bien un but à tous ces actes (la Libération de la France) mais il semble démesurément lointain alors que chaque petite action paraît être payée d’un prix exorbitant. Tout est devenu irrationnel et le titre du livre de Jardie que Gerbier feuillette dans sa cachette « Essai sur la logique et de la théorie de la science » semble venir cyniquement en contrepoint, parce-que tout est alors justement irrationnel, « illogique ». Gerbier lui-même, protagoniste de l’histoire, ne survit qu’au prix d’une humiliation qui ébranle la confiance en lui-même. Il courra sous les balles de l’ennemi alors qu’il s’était promis de rester impassible. Ses amis ont compté sur sa faiblesse en lui lançant une corde à l’endroit jusqu’auquel ils avaient prévu qu’il courrait. Même un résistant doit trahir son courage pour continuer de servir sa cause. Même Jardie à qui Gerbier voue une immense admiration sera présent dans la voiture qui les conduira jusqu’à Mathilde pour la tuer, ce qui fera dire à Gerbier « Vous dans cette voiture de tueurs, il n’y a donc plus rien de sacré dans ce monde. » A la fin aucun d’entre eux ne survivra… même si Gerbier sauvera sa conscience cette fois mort en ne courrant pas. On nous précise même les atroces souffrances de certains, ainsi Le Bison est « décapité à la hache ». Jardie, quant à lui, est mort en ne donnant qu’un nom « le sien ». L’héroïsme est alors celui de l’ombre et du silence. Melville nous montre donc la Résistance dans son effroyable banalité, dans sa terrifiante humanité, sans fards, sans artifices dramaturgiques ou mélodramatiques, sans grandiloquence élogieuse, par le truchement d’un film qui a une allure de tragédie. C’est le quotidien d’hommes et femmes qui risquent leur vie pour des exploits minuscules comme transporter un poste de radio, à l’image de Jean-François dont ce sera la première action de résistance et qui déjà risquera deux fois d’être arrêté. Melville démythifie la Résistance en nous montrant des hommes qui non seulement doivent abattre des traîtres mais qui doivent également constamment se battre avec eux-mêmes, leurs doutes, leurs peurs, leurs lâchetés. Il filme des êtres qui mènent un combat collectif mais qui sont irrémédiablement seuls. La musique entêtante et angoissante, et les couleurs d’un froid cinglant du film renforcent cette impression. Pas plus que la résistance n’y est dépeinte comme constamment héroïque et irréprochable, la France n’est dépeinte unanimement au service de sa Libération. Melville montre ainsi l’engagement de fait de l’administration française dans la répression contre les juifs (camp d’internement en zone Sud géré par l’administration et la gendarmerie française qui remettent Philippe Gerbier à la Gestapo ou encore en montrant l’action de la milice, notamment lors d’un contrôle d’un restaurant de Lyon qui amène à l’arrestation de Gerbier. Soulignons néanmoins que d’un autre côté Melville montre également la France qui venait en aide aux résistants : le coiffeur, le douanier complice, les fermiers qui hébergent les aviateurs alliés en attente de départ pour Londres, le châtelain qui utilise ses terres pour faire atterrir les alliés.

     

    La mise en scène d’un film noir : le Résistant, emblême paroxystique de la solitude du (anti)héros melvillien.

     

    C’est donc un univers sombre, cruel, sordide qui nous est dépeint et qui n’est pas sans rappeler l’univers de gangsters que Melville s’attache habituellement à filmer que ce soit dans le Doulos, le Samouraï ou Le deuxième souffle etc. On songe ainsi à la phrase d’exergue du Samouraï : « il n’y a pas pire solitude que celle du tigre ». Les hommes de la résistance sont là aussi plongés dans ce « cercle rouge », ce « cercle de la mort où les hommes ont la chance de tous se retrouver un jour ». Tant de similitudes avec ce cinéma policier qu’il affectionnait tant firent dirent à certains qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans ses précédents films, Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime. L’armée des ombres se distingue certes par son sujet des films « de gangsters » de Melville mais dans son traitement, il se rapproche davantage du film noir que du film de guerre. On retrouve en effet les thèmes chers au cinéaste : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté et les mêmes acteurs jouent dans ses deux « catégories » de films, encore faudrait-il y voir deux catégories distinctes et nous allons voir que les points communs foisonnent. Ainsi Paul Meurisse et Lino Ventura étaient déjà à l’affiche du Deuxième souffle et Serge Reggiani avait interprété un rôle dans le Doulos. Par ailleurs, les poursuites rappellent celles entre policiers et truands. Ainsi certaines scènes de L’armée des ombres, sorties de leur contexte pourraient très bien figurer dans un film policier notamment lorsque Félix est arrêté dans une rue tranquille puis encadré et entraîné brutalement par deux hommes surgis de nulle part vers une voiture qui démarre en trombe. La chambre où le traître est exécuté rappelle ainsi celle de Jeff Costello/Delon dans Le Samouraï. Leur allure vestimentaire rappelle également celle des gangsters, notamment le chapeau qu’arbore la plupart du temps les Résistants du film et qui renvoie au fameux chapeau de Jeff Costello dans Le Samouraï. Gangsters et Résistants sont obsédés par le secret et les uns et les autres ont bien souvent une double vie. Les personnages vivent ici aussi dans la clandestinité afin de pouvoir réaliser leur objectif qui est de libérer la France tout comme ils vivent en clandestinité quand ils sont dans l’illégalité. Enfin les protagonistes de ces deux types de films sont également soumis à la solitude, à l’angoisse, au danger. Les Résistants ne sont pas ici des jeunes aventuriers intrépides comme on l’a souvent vu au cinéma. Melville casse délibérément cette image. Il montre des combattants de l’ombre dans leur quotidien. Ils se cachent, fuient, attendent dans un silence quasi absolu. On les voit douter des leurs convictions et parfois poussés par la peur à trahir, trahison qui engendre une exécution par la suite. On retrouve également l’influence du cinéma américain de ce cinéaste qui était un grand admirateur de Wyler. Melville rend même explicitement hommage au cinéma américain en reprenant le son du Coup de l’escalier dans la scène de l’ambulance où Mathilde vient sauver Félix. Ce son saccadé, haché, semble faire écho aux battements de cœur des Résistants que nous imaginons derrière leur impassibilité de façade. Ils martèlent aussi le temps qui passe et l’étirement des secondes dont chacune d’entre elles peut être décisive ou fatale. Tout comme le montrera ensuite Louis Malle avec le controversé Lacombe Lucien, la frontière entre le traître et le héros, l’homme de loi et le hors la loi, est bien fragile, surtout à cette époque troublée au cours de laquelle Melville nous montre ainsi qu’elle devait parfois être franchie, ainsi le nécessitait le passage de la lumière à l’ombre pour ensuite revenir à une autre lumière, celle de la Libération.

     

    La forme au service du fond : des ombres et des silences au service d’une armée secrète

     

    Du film émane une lancinante mélancolie. L’esthétique est en effet ici au service de la suggestion plutôt que de la démonstration ostentatoire, le son au service du murmure qui sied au secret de l’action alors qu’une musique démonstrative aurait été au service de l’action tonitruante. Le temps semble s’étirer jusqu’au malaise autant pour le spectateur que pour les personnages comme dans la scène de l’assassinat du traître où le spectateur est en empathie avec lui de même qu’il est en empathie avec celui que Gerbier sacrifiera pour s’enfuir du Majestic. La musique de Eric Demarsan, parfois dissonante, renforce cette impression de noirceur, d’harmonie impossible.

     

    Une mise en scène épurée au service d’une atmosphère claustrophobique

     

    La claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les « couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière bleutée, grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces ombres condamnées à la clandestinité pour agir. Ainsi, lors de la scène du meurtre du traître, ils sont enfermés dans une petite pièce obscure, fermée par une porte aux vitraux colorés, comme si elle symbolisait cet extérieur vivant et lumineux qui leur est désormais inaccessible. Ils sont condamnés à l’ombre. Les personnages sont souvent pris au piège. Ainsi quand Gerbier ne doit pas se cacher, il est le plus souvent prisonnier. Les personnages sont constamment confrontés à leurs propres angoisses et peu nombreux sont les Français hors de leur « cercle rouge », de leur armée du moins, qui s’y immiscent pour leur venir en aide : la famille de fermiers, les châtelains ou d’autres qui , comme le barbier interprété par Serge Reggiani, préfèrent ignorer leur action même s’ils les aident ponctuellement. L’armée des ombres se démarque ainsi des films qui montrent une majorité de Français soutenant une Résistance invariablement héroïque. Par ailleurs le temps est constamment distendu renvoyant le spectateur à ses propres angoisses. Tavernier ira même jusqu’à dire qu’il stylise autant que Bresson dans Le condamné à mort s’est échappé. Dès le premier plan on éprouve cette sensation d’étirement du temps. La place est d’abord vide puis on entend les bruits de bottes hors champ puis on distingue les soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Puis vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre, pluvieuse, est déjà plantée. Le récit lui-même est claustrophobique, enfermé sur lui-même et semble sans issue. Ainsi, en effet, le film commence par une trahison et par le meurtre de celui qui a donné un résistant et il s’achève par l’exécution « nécessaire » de Mathilde par ses propres compagnons. Le film commence à l’arc de triomphe et s’achève à l’arc de triomphe. Par ailleurs les deux indices temporels sont ceux du début, le 20 octobre 1942 et de la fin, le 23 février 1943, un peu moins d’une année qui enferme le récit et les personnages dans leurs tragiques destins. Un sentiment oppressant se dégage du film et pas même les panneaux de la fin ne viendront le démentir puisqu’ils nous annoncent la mort de tous les protagonistes, le plus souvent torturés et exécutés. Ils nous renvoient ainsi au défilé militaire du début et ce qui s’est passé entre les deux semble n’y avoir rien changé, ce qui exacerbe encore l’horreur vaine des actes commis.

     

    L’implicite et le silence au service de la polysémie

     

    La grande force de ce film réside dans ses silences, ses non dits qui engendrent des scènes judicieusement polysémiques. Cet implicite concerne tout d’abord la violence. Alors que Claude Berri dans Lucie Aubrac n’avait pu s’empêcher de montrer la torture elle n’est ici que suggérée, notamment par le visage tuméfié de Félix ou encore de Jean-François lorsqu’ils sont arrêtés par la Gestapo. Le film est à l’image de la première scène qui nous désigne d’abord les Champs Elysées déserts. Du hors champ provient ensuite le son de pas cadencés, qui entrent progressivement dans le champ sous la forme d’une colonne de soldats allemands. Cette scène se répètera plusieurs fois d’une certaine manière : là où les personnages se taisent, les images et le son hors champ disent. Ainsi en est-il dans cette scène magnifique om Gerbier s’échappe du Majestic et se réfugie chez un barbier interprété par Serge Reggiani. Après un long travelling qui accompagne sa fuite, tandis que des bruits de hurlements et de cris fusent à l’extérieur, Gerbier se fait raser la barbe et aperçoit le portrait de Pétain. Les deux hommes ne s’adressent pas la parole mais la tension est à son comble. Son rasage terminé, Gerbier tend un billet au barbier qui lui répond qu’il va descendre à l’étage inférieur pour aller chercher de la monnaie. Gerbier lui dit que cela n’est pas la peine. Le barbier descend quand même et lui rapporte un manteau. Dans un film résolument manichéen il serait descendu pour téléphoner et le dénoncer. Ici, il lui a sauvé la vie. Tout aussi significatif est le silence entre Gerbier et Mathilde et de leurs mains qui se tiennent furtivement après que cette dernière l’ait aidé à s’évader et à échapper à une mort certaine. Même les gestes d’affection s’effectuent dans l’ombre et dans le silence. L’ambiguïté culmine à la fin du film. Arrêtée par la Gestapo, Mathilde ressort au bout de deux jours, saine et sauve. On ignore si elle a parlé. Ses amis de la Résistance seront contraints de l’abattre. Les apercevant elle ne fuit pas. Son regard exprime un questionnement, une terreur indicible, une supplique : le doute plane. Lors du tournage Melville lui-même aurait laissé toute liberté à Simone Signoret dans l’interprétation de la scène. Jardie après avoir dit « Nous allons tuer Mathilde parce-qu’elle nous en prie » avouera à Gerbier « ce n’est qu’une hypothèse. » Le meurtre de Mathilde évoque d’ailleurs le degré de cynisme que les circonstances leur ont fait atteindre. Seul Le Bison, alors le plus proche de la criminalité, est horrifié par cette décision déclarant « Je tuerai tous les types que vous voulez, mais pas elle ». Cette scène met ainsi en exergue la déshumanisation de ceux qui agissent pour défendre l’humanité et qui dont dû franchir pour y arriver les frontières qu’ils voulaient rétablir. La scène est d’autant plus significative que c’est Luc Jardie, surnommé par son frère « Saint-Luc », qui le persuade de la nécessité de son exécution.

     

    La réception du film : un film sujet à polémique

     

    La polémique résulte de deux aspects presque antinomiques : la fidélité de Melville au Général de Gaulle et la vision contrastée et humanisée, démythifiée, de la résistance, le deuxième aspect atténuant en effet le premier. Dans l’Express du 15 septembre 1969, Claude Veillot dira ainsi « Melville réveille ses ombres », ombres d’une époque pas si lointaine qui , aujourd’hui encore hantent le cinéma et même la télévision au regard des nombreux films consacrés à ce sujet, notamment à Jean Moulin. Tout d’abord le film remporta un vif succès auprès du public. Tourné en extérieur en France et aux studios de Boulogne, de janvier à mars 1969, il fut présenté pour la première fois à Paris le 12 septembre 1969. Sorti en septembre 1969, il totalisa ainsi 1401822 spectateurs, notamment 338535 à Paris. Les critiques, quant à eux, reprochèrent à Melville, son indéfectible fidélité au Général de Gaulle qui incarnait certes la Résistance française mais à l’époque davantage encore celui qui était au pouvoir lors des évènements de Mai 1968. Un film en rupture avec l’image de la Résistance dans le cinéma Français et avec les simplifications manichéennes d’après guerre. René Clément fut l’un des premiers à évoquer la Résistance avec La bataille du rail (1946) consacré à la lutte des cheminots contre l’occupant, le Père tranquille (1946) qui raconte la vie d’un quinquagénaire tranquille en réalité chef d’un réseau de la Résistance et Les Maudits( 1947). Avant lui Un ami viendra ce soir de Raymond Bernard en 1945 et Jéricho d’Henri Calef la même année avaient déjà montré les Français comme unanimement engagés contre la guerre. Les films qui succédèrent à ceux-ci empruntèrent la même optique d’idéalisation montrant une France unanimement engagée contre l’occupant, une image flatteuse et héroïque. Avec L’armée des ombres Melville apporte une note discordante sur la Résistance et plus largement sur l’attitude des Français pendant la guerre, un film qui s’éloigne des images et des simplifications unanimement manichéennes d’après-guerre, même si trois ans auparavant avec La ligne de démarcation Chabrol avait déjà ouvert la voie. Il trouve ensuite un écho avec Le chagrin et la pitié d’Ophuls en 1971. Le cinéma évolue et derrière le masque du Résistant irréprochable apparaissent bientôt luttes internes, délateurs et marché noir. Uranus de Claude Berri, en 1990, et son aspect grandguignolesque noircit encore le tableau ne faisant pas preuve de la même nuance que Melville. Louis Malle avec Lacombe Lucien raconte l’histoire d’un jeune paysan qui cherche à entrer dans la Résistance et qui, n’y parvenant pas, rejoint les miliciens qui traquent les militants. Ainsi en 1974 Michel Foucault dans un entretien accordé aux Cahiers du cinéma de juillet août 1974 disait à propos de Lacombe Lucien et Le chagrin et la pitié « Quand on voit ces films, on apprend ce dont on doit se souvenir. Ne croyez pas tout ce qu’on vous a raconté autrefois. Il n’y a pas de héros. » Il faudra attendre Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré en 1982 pour que la comédie ose s’emparer du sujet...même si on se souvient du grinçant La traversée de Paris de Claude Autant-Lara en 1943 qui évoquait le marché noir et la passivité collective. A la suite de Melville apparaît donc un cinéma à l’image de la réalité, moins dichotomique et idyllique que ce qu’on aimerait y voir.

     

    Le gaullisme : sujet dichotomique et délicat dans cette période d’après 68

     

    Comme le souligneront notamment les Cahiers du cinéma d’octobre 1969, pour beaucoup de critiques L’armée des ombres est alors l’image de « la résistance telle que vue et jouée par les gaullistes, et le premier et plus bel exemple cinématographique de l’Art gaulliste, fond et forme. » ou encore « une résistance digne, compassée, pisse-froid, de bon ton et bonne conduite où l’on finit par tuer mais « proprement » et la mort dans l’âme, un combat noble pour les nobles, une cause non seulement « sacrée » mais un Dieu (épisode de Londres où De Gaulle « apparaît aux compagnons) etc ». Même si le personnage de Luc Jardie renvoie implicitement à Jean Moulin le seul à être explicitement évoqué est en effet le général De Gaulle même si son nom n’est jamais cité. Le nom de De Gaulle évoque alors davantage celui qui a démissionné le 28 avril 1969 qu’un symbole de la Résistance. De Gaulle apparaît d’abord dans l’embrasure d’une porte, ce qui permet furtivement de le reconnaître puis on le voit en amorce et on devine une stature imposante en voyant le regard de Luc Jardie se dirigeant vers le hors champ, en hauteur, vers « le ciel » (pour filer la métaphore des Cahiers) de celui qui lui remet une médaille. Cette scène a d’ailleurs fait beaucoup rire le public à sa sortie. On peut d’ailleurs encore y voir une référence au cinéma américain qui avait pour habitude de mettre en scène des personnages historiques pour donner un poids historique à ses films. On assiste donc à une critique divisée entre ceux pour qui il s’agit d’un film « d’une simple dignité » comme Jean de Baroncelli le 16 septembre 1969 ou ceux pour qui, comme Marcel Martin dans Les lettres françaises, il s’agit d’un « échec complet ». Dans Le Figaro Louis Chauvet le qualifia de « description interminable du superflu au détriment de l’essentiel ». Peut-être est-ce d’ailleurs au contraire ce qui fait l’intérêt du film, nous montrer les détails au service du général, la banalité au service de l’héroïsme. En tout cas, il est indéniable comme le souligna Etienne Fuzelier dans L’Education que ce film « aurait été impossible tout de suite après la guerre ». Celui qui se définissait comme un « bourgeois artiste » a donc signé un film à son image : singulier, mystérieux, ombrageux qui comme tout grand film n’aura pas laissé ses contemporains indifférents.

     

    Pour reprendre l’expression employée par Renoir dans French Cancan, le film de Melville, en apportant un éclairage différent à l’Histoire a encore une fois montré « le rôle social des illusionnistes » …

  • Critique "Ludwig ou le Crépuscule des Dieux" de Luchino Visconti à 20H40 sur Ciné + Club

    Ce soir, ne manquez sous aucun prétexte "Ludwig ou le Crépuscule des Dieux" de Luchino Visconti (sur Ciné + club à 20H40) et retrouvez ma critique, ci-dessous.

    Critique de "Ludwig - le Crépuscule des Dieux" : un opéra funèbre d'une vertigineuse beauté

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    Aparès mon dossier sur « Le Guépard », je vous propose aujourd’hui la critique d’un autre chef d’œuvre de Luchino Visconti, son dernier (même s’il réalisa encore deux films ensuite) datant de 1972 : « Ludwig ou le Crépuscule des dieux ». Coproduction italienne, française et allemande, il s’agit du dernier volet de sa trilogie allemande également composée des « Damnés » (1969) et de « Mort à Venise » (1971). Visconti voulait initialement réaliser l’adaptation de « A la recherche du temps perdu » de Proust mais, faute de financements, en attendant que ce projet puisse voir le jour, il décide de tourner « Ludwig ». D’une durée initiale de 3H40 le film sort en France avec une durée de 3H, encore davantage malmené, contre les vœux de Visconti, pour la sortie en Allemagne. Après la mort de Visconti, le film est vendu aux enchères par les producteurs en faillite et est adjugé pour 68 millions de lires à des proches du cinéaste qui se cotisent, avec le soutien de la RAI, afin de récupérer l’intégralité des bobines. Après la mort de Visconti, Ruggero Mastroianni et Suso Cecchi d’Amico remonteront une version approchant des quatre heures et dix minutes d’origine.

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    Ludwig (Helmut Berger) c’est le portrait tragique du roi Louis II, devenu, à 19 ans, en 1864, roi de Bavière, royaume allemand encore autonome, entre la Prusse et l'empire austro-hongrois. Sa rencontre avec Wagner (Trevor Howard), la même année, va bouleverser l’existence de l’un et de l’autre. Le roi y trouvant une amitié et un sujet d’admiration, le compositeur un riche et puissant mécène contribuant à son succès. Epris de sa cousine l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Romy Schneider) qui, comme Wagner, le décevra, il se fiance avec sa sœur Sophie (Sonia Petriva) avant de rompre les fiançailles puis de sombrer dans la solitude et la démence.

    Comment parler d’un film dont chaque plan est un tableau somptueux et dont chaque seconde est un hymne à la beauté qui imposent le silence ? Comment rendre hommage à ce chef d’œuvre fascinant ? Aucun mot sans doute ne pourra transcrire ce que les images de Visconti célèbrent magnifiquement, visuellement et musicalement. Dès les premiers plans, cela vous heurte et vous subjugue tout à la fois, et vous coupe le souffle : une magnificence visuelle tragique et ensorcelante. Le visage du roi, d’une beauté d’abord jeune mais grave et mélancolique déjà. Des scènes entrecoupées de plans fixes de témoins de l’Histoire et de son histoire qui s’expriment face à nous, le visage à demi dans la pénombre, voilé à l’image de la vérité que, sans doute, ils trahissent. Ils nous prennent alors à témoin de la folie de ce roi ou en tout cas de ce que eux appellent folie et ne pourront, de leur médiocrité, sans doute jamais comprendre : son goût des arts, de la beauté, de la liberté. Comment pourraient-ils comprendre ce roi épris de liberté et prisonnier des conventions de son rang ? Comment pourraient-ils comprendre ce roi si différent d’eux : homosexuel, esthète, amoureux de la liberté et des arts ?

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    Tandis que tout se décompose : son visage, son pays, son entourage, ses dernières illusions reste cette beauté inaltérable de l’art mais une beauté hantée déjà par la fatalité et la mort, une beauté douloureuse soulignée par la somptuosité des décors et des costumes. Des salons byzantins de Neuschwanstein à la grotte de Linderhof aux galeries de miroirs de Herrenchiemsee, la caméra de Visconti, accompagnée de la musique de Wagner (Tannhäuser ; Tristan und Isolde) ou de Schumann (Kinderscenen), en caresse les lignes baroques, admirables, raffinées et extravagantes, la beauté démesurée et tragique, nous émouvant aux larmes comme Ludwig l’est par la musique de Wagner.

    Si, malgré la décomposition du monde de ces dieux au crépuscule (le Crépuscule des dieux est le nom d'un drame musical de Wagner) qui l’entourait, la beauté était la dernière lueur de l’espoir chez le Prince de Salina dans « Le Guépard », elle est ici désespérée mais non moins éblouissante, signe d’une immortalité impossible, ce à quoi les châteaux plus spectaculaires les uns que les autres que fit construire le roi ne changeront rien.

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    Ludwig c’est donc Helmut Berger à la fois fragile et hautain, solitaire et exalté, puissant et perdu, en force et en retenue. Au fur et à mesure que les années s’écoulent, que les désillusions s’accumulent, que son idéalisme choit, le visage et le regard de l’acteur s’imprègnent de plus en plus de gravité, de déchéance, de noirceur mais il gagne aussi notre sympathie, nous, juges impuissants pris à témoin. Face à lui Romy Schneider prend sa revanche sur les Sissi, ce personnage candide et frivole dont elle a si longtemps voulu se détacher qu’elle incarne ici à nouveau mais tout en mystère, ambigüité. Impériale impératrice qui semble voler plus qu’elle ne marche tel un cygne noir, élégant, gracieux, sauvage qui ressemble tant (trop) au Ludwig des premières années.

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    Visconti, trois ans avant sa mort, comme un écho testamentaire, nous livre une subtile mise en abyme qui interroge et illustre la beauté de l’art, une symphonie visuelle et sonore, un chant de désespoir, un film d’une flamboyance crépusculaire, une réflexion ardente et vertigineuse sur l’art, la solitude, la folie enchaînés douloureusement et sublimement sur la musique de Wagner, comme en une fatale étreinte. Un hymne à la beauté des corps et des âmes, fussent-elles (ou surtout car) torturées. Un hommage à l’art. Au sien. A celui dont la beauté transcende ou isole. A celui qui perdra un roi, héros romantique, trop sensible, trop exalté, trop différent. Le portrait d’un roi à son image, un opéra funèbre à la beauté inégalée, sombre et éblouissante, et qui lui procure ce qu’il a tant et mortellement désiré : des accents d’éternité.