Spectacle symphonique "Claude Lelouch, d'un film à l'autre" : l'inoubliable hymne à la vie de Claude Lelouch pour ses 85 ans !
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Selon Emmanuel Kant, « la musique est la langue des émotions ». Le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule qui met à l’honneur 7ème art, compositeurs et bandes originales est la parfaite incarnation de cette citation. A l’image de la plus longue plage d’Europe qui lui sert d’idyllique décor, depuis 8 ans, ce festival, créé par Sam Bobino et Christophe Barratier, nous emporte en effet dans une valse d’émotions réconfortantes, chaleureuses et doucement enivrantes. Cette année, pour sa 8ème édition (déjà !), ce fut plus que jamais le cas. Ayant assisté à chacune d'entre elles depuis la première, je constate avec plaisir que cet évènement gagne chaque année en ampleur et notoriété sans rien perdre de sa convivialité, et qu’il devient un des incontournables de l’année. C’est par ailleurs un festival accessible à tous qui entend le demeurer. Comme pour toute valse, lorsque la musique s’arrête, elle vous laisse alors joyeusement désorienté. Retour sur ces cinq jours de griserie cinématographique.
Il y a toujours, cette seconde, haletante, et vaguement inquiétante, qui précède le premier plan d'un film, la plongée dans une histoire inconnue, même si les éléments qui la composent ne le sont pas totalement. La sensation est un peu la même avant de m’immerger dans un festival dont je connais la thématique du voyage mais sans savoir où il me conduira, quelles péripéties il me réserve, quelles émotions vont m’y étreindre, quels en seront les personnages. Quoiqu’il en soit, une joyeuse impatience est toujours au rendez-vous. A fortiori à La Baule. Et vous l’aurez compris : cette édition ne fut pas avare d’émotions qui s'ajouteront à celles des 7 précédentes éditions, procurées par tant de films découverts dans le cadre de ce festival aussi, souvent les meilleurs de l’année parmi lesquels Paterson, À peine j’ouvre les yeux, Tanna, Le Prophète, Demain tout commence, Born to be blue, Jalouse, L’attente, Mr. Turner, Carole Matthieu, Tout nous sépare, Guy, La tortue rouge, Les hirondelles de Kaboul et, rien que pour l’année 2019, en compétition, sans doute les meilleurs films de l’année (Les Éblouis, J’ai perdu mon corps, La Belle époque, La dernière vie de Simon, La nuit venue, Lola vers la mer)…et tant d’autres et aussi de nombreux documentaires comme Abdel Rahman El Bacha - Un piano entre Orient et Occident, ou encore des courts-métrages. Sans oublier des master class et les concerts mémorables de Francis Lai, Michel Legrand et Gabriel Yared (dont je vous invite à lire mon récit de la master class donnée au cinéma Le Balzac le mois dernier), l’inoubliable concert de Vladimir Cosma. Ou encore celui de Philippe Sarde l’an passé.
Que serait la vie sans musique, sans la mer, sans le cinéma ?! Un ersatz d’existence, non ? A La Baule, ces trois-là s'enlacent et s'entrelacent. Passionnément. Comme sur l’affiche de cette 8ème édition du festival (de l'artiste franco-Argentine Carolina Spielmann).
Au programme cette année : 35 projections dont 6 long-métrages en compétition que devait départager le jury présidé par Alexandre Astier, 6 courts-métrages en compétition, des films pour le jeune public, 4 passionnantes master class, des documentaires musicaux, des films classiques dans le cadre de l’hommage à Alexandre Desplat, invité d’honneur avec un concert sous la direction musicale de Solrey avec le Traffic quintet et Alexandre Desplat lui-même, mais aussi, dans le cadre de l’hommage à Ennio Morricone et Jacques Perrin, un ciné-plage consacré à Cinema Paradiso.
ENNIO MORRICONE…et GIUSEPPE TORNATORE
1/ CINEMA PARADISO de GIUSEPPE TORNATORE
L’ombre du géant Morricone a d’ailleurs plané sur cette édition et lui a insufflé son souffle lyrique. Les festivaliers, à l’occasion d’une projection sur la plage, ont ainsi pu revoir le célèbre film de Giuseppe Tornatore.
Une idée d’autant plus judicieuse que cette projection a été aussi l’occasion de rendre hommage au grand acteur et producteur qu’était Jacques Perrin à qui le festival avait d’ailleurs attribué un Ibis d’or d’honneur, en 2018.
Je n’avais pas revu ce film depuis mon enfance. Simplement me souvenais-je de ce lieu suintant de vie et de chaleur, au cœur de la Sicile, où se trouve le Cinema Paradiso, du lien si touchant entre Toto et d’Alfredo, de ces extraits de films qui transpirent la passion du cinéma. Et qu’il m’avait bouleversée. Avec le recul des années, l’émotion fut encore plus forte. Les thèmes évoqués ont pris une tout autre résonance parce que ce que l’enfance laissait deviner, l’âge adulte a permis de l’expérimenter. La nostalgie. La mélancolie. L’écoulement du temps qui emporte tout, même les êtres chers. Mais c’est aussi tout ce que le cinéma, par son pouvoir magique, peut rendre éternel. Et tout ce que ce même temps dévoreur n’emporte pas : les rêves. Parce que Cinéma Paradiso est avant tout cela, une déclaration d’amour fou au cinéma. A sa capacité à procurer à tout ce qui est éphémère des accents d’éternité. Le cinéma, dans ce film, est plus que jamais une fenêtre ouverte sur les rêves, ceux qui bercent d’illusions réconfortantes. Comme celles de cette histoire qu’Alfredo raconte à Toto, cet homme qui promet d’attendre la femme qu’il aime sous sa fenêtre 100 nuits et qui renonce à la 99ème. Comme le dit Alfredo, « La vie, c'est pas ce que tu as vu au cinéma. La vie c'est plus difficile que ça. » Oui, mais il y a le cinéma pour l’adoucir, l’éclairer, en sublimer les sentiments et transcender les émotions. Pour rêver d’une autre vie, pour s’identifier à d’autres destins, ceux projetés sur l’écran. Et pour croire à l'impossible, envers et contre tout.
Sunset Boulevard de Billy Wilder. Eve et La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz. Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly. Les Ensorcelés de Minelli. The Artist d’Hazanavicius, La La Land de Damien Chazelle. 8 ½ de Fellini. Les grands films sur le cinéma ne manquent pas. Cinéma Paradiso ne dénote bien sûr pas dans cette liste. Je vous parle aujourd’hui de la version director’s cut de 2H35 dont la dernière partie évoque l’amour de jeunesse de Toto (incarné alors par Brigitte Fossey, coupée dans les autres versions.) La version originale de 173 minutes avait en effet été classifiée défavorablement lors de sa présentation au comité de censure italien en 1989. Le film fut donc écourté pour sa sortie en salle. En 2002 sortait la version « Director's cut ». Cinema Paradiso eut en effet trois versions différentes. Lors de la sortie initiale en 1988 en Italie, le film durait 2 h 35. Pour le Festival de Cannes 1989, la durée fut ramenée à 2 h 03 par la Miramax. Le film obtint alors le Prix spécial du Jury, puis le Golden Globe et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, parmi de nombreuses autres récompenses.
Un pot de fleurs face à la mer dans un appartement. Le vent qui agite les rideaux. Et la musique de Morricone. Ainsi commence Cinema Paradiso qui, par ce simple plan, déjà, nous ensorcelle par ses parfums de nostalgie. Puis, c’est le coup de fil de la mère de Salvatore qui essaie de le joindre depuis la Sicile. Il ne répond pas. « Il est trop occupé. Il y a bien 30 ans qu'il ne vient plus nous voir …» remarque la sœur de ce dernier. « Il se souviendra. Il se souviendra, j'en suis sûre… » rétorque sa mère. Sa compagne du moment transmet le message à Salvatore. Le message suivant : « Un certain Alfredo est mort. Demain, c'est son enterrement. »
Avec la mort d’Alfredo, incarné par Philippe Noiret, pour Salvatore di Vitta (Jacques Perrin), cinéaste reconnu, c'est tout un pan du passé qui s'écroule et qui, subitement, rejaillit dans sa vie. On l’appelait Toto a l'époque. Il partageait son temps libre entre l'office où il était enfant de chœur et la salle de cinéma paroissiale, en particulier la cabine de projection où régnait Alfredo.
Les souvenirs de Salvatore nous ramènent alors en 1954. Dans un village de Sicile, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Toto, petit garçon facétieux et malin, fou de cinéma, orphelin d’un père qui "ressemblait à Clark Gable", passe son temps à perturber le projectionniste de la salle paroissiale, le Paradiso, avant de devenir son ami, et même son assistant et remplaçant dans la cabine de projection. Alfredo était aussi employé par la paroisse pour couper les scènes trop osées ou en tout cas considérées comme telles à l’époque, quand ne serait-ce qu’un simple baiser constituait déjà une atteinte à la pudeur. L'histoire de cette salle de cinéma, véritable personnage du film, se confond alors avec celle de Salvatore.
Une véritable amitié se noue entre le petit garçon turbulent et le vieux bougon autour de leur passion commune pour le cinéma. Le premier va s’assagir et le second va s’adoucir et dévoiler toute sa générosité et tendresse devenant le père de substitution du petit garnement. Lors d’un immense incendie qui ravage le cinéma, Toto sauve Alfredo des flammes. « Comment je fais moi si t’es pas là… » dira ainsi Alfredo, bouleversé et bouleversant. Alfredo devenu aveugle, Toto le remplace puis le seconde dans ce qui est devenu le Nuovo Cinema Paradiso, reconstruit par un riche mécène. Toto croise alors Elena, fille d’une famille bourgeoise. Il en tombe fou amoureux et après de nombreux efforts, malgré l’opposition de sa famille, son amour se révèle réciproque.
Alfredo demande ensuite à Toto de partir de leur village sicilien et de ne jamais revenir. « Va-t-en retourne à Rome. Je ne veux plus t'entendre parler. Je veux juste entendre parler de toi. Ne reviens plus. Ne te laisse pas envahir par la nostalgie. Et si tu ne résistes pas ne viens pas me voir. Je ne te laisserai pas entrer. Quel que soit le métier que tu choisiras, aime-le comme tu as aimé la cabine du Paradiso quand tu étais petit. » Il partira alors pour Rome et y restera 30 ans sans revenir, sans avoir revu Elena qu’il avait attendue et cherché en vain. Le destin, un concours de circonstances et Alfredo les auront séparés. Quand il revient pour les obsèques d’Alfredo, il se remémore alors son passé et cet amour qu’il n’a jamais oublié…et qu’il croit reconnaître. « Après toutes ces années, je croyais que j'étais devenu plus fort et que j'avais oublié des tas de choses mais en fait je retrouve tout comme avant comme si je n'étais jamais parti. »
Le cinéma a fermé ses portes, et va être dynamité pour devenir un parking. L’histoire de Cinema Paradiso est aussi celle de l’histoire de la salle de cinéma, ce paradis anéanti par de nouvelles habitudes et de nouveaux loisirs, et par la télévision. C’est la fin d’une époque, celle où il n’y avait pas de télévision chez soi, quand le cinéma concentrait tous les désirs, toute la fièvre d'un village, celle d’un cinéma fédérateur, véritable temple, avant la désaffection des salles dans les années 80.
Après la mort d'Alfredo, Salvatore récupérera un cadeau rempli d’amour(s) : toutes les séquences interdites qu’Alfred a soigneusement collées les unes après les autres « Le feu se termine toujours en cendres. Même les plus grandes histoires d'amour se terminent. Et après, il y en a d'autres qui naissent. Tandis que Toto n'a qu'un seul avenir devant lui. » avait dit Alfredo à Elena. La vie et les amours périclitent. Mais le cinéma les rend éternels...
Que serait ce film sans sa magnifique distribution ? Salvatore Cascio puis Marco Leonardi qui incarnèrent Toto enfant puis adolescent. Mais surtout Jacques Perrin qui apparaît peu à l’écran mais dont la présence puissante et lumineuse procure toute sa force mélancolique au film. Que d’expressions sur son visage ! La bonté, la nostalgie, l’amour, et l’enfance qui semble toujours là, si prégnante, et qui illumine son visage d'une douce innocence. Comment ne pas fondre quand il dit « Mais je ne t'ai jamais oubliée Elena » ? D’ailleurs, je me demande si le choix de ce prénom dans le scénario de Giuseppe Tornatore n’était pas un hommage au Dernier métro de Truffaut. J'ai alors pensé à cette réplique du film de Truffaut :
Est-ce que l'amour fait mal?
- Oui, ça fait mal. [...] Tu es belle, Héléna. Quand je te regarde, c'est une souffrance.
- Hier, vous disiez que c'était une joie.
- C'est une joie et une souffrance.
L'inoubliable musique d’Ennio Morricone vient renforcer toute la poésie mélancolique qui se dégage du film et du visage de Jacques Perrin. De ce "rêve merveilleux" comme Elena qualifiera son histoire d'amour avec Salvatore. Un rêve merveilleux, comme l'est le cinéma...Cinema Paradiso, c'est le récit nostalgique d'une époque révolue. Une ode au rêve. A la puissance du cinéma à laquelle le film par ses nombreux extraits de classiques rend le plus beau des hommages. Mais aussi par ce dernier plan sur le visage de Jacques Perrin qui, par le pouvoir magique du 7ème art, retrouve les émotions de son enfance et le message d'amour que lui envoie Alfredo, par-delà la mort. Un parfum d'éternité. Le cinéma est décidément un paradis. Celui des vivants. Peut-il y avoir plus belle invention que celle qui nous permet d' accéder vivants à ce paradis ? Comment ne pas aimer un film dont toute l'histoire traduit ainsi la magie du cinéma ?
Je vous laisse reconnaître les nombreux films dont figurent des extraits : L’Ange bleu de Josef von Sternberg, Les Lumières de la ville et Les Temps modernes et La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin, Autant en emporte le vent de Victor Fleming , Casablanca de Michael Curtiz , Gilda de Charles Vidor, La chevauchée fantastique de John Ford, Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, Les Chemins de la haute ville de Jack Clayton…et beaucoup d’autres. Un voyage dans l’histoire du cinéma, un édifice impressionnant auquel ce film s’ajoute. Tout aussi incontournable ! Rendez-vous sur la plage de La Baule le 1er juillet pour le (re)découvrir dans des conditions exceptionnelles.
2/ ENNIO de GIUSEPPE TORNATORE
Si l’ombre de Morricone a plané sur ce festival, c’est aussi parce qu’y fut projeté en avant-première le documentaire fleuve de Giuseppe Tornatore : Ennio. 2H36 absolument captivantes ! Présenté à la Mostra de Venise 2021, ce documentaire en salles le 6 juillet est un périple savoureux et passionnant dans la carrière et la vie de Morricone mais aussi dans l’histoire du cinéma qu’il a tant marquée de son empreinte. Là aussi, j’y reviendrai, mais je ne peux que d’ores et déjà vous recommander vivement de découvrir ce documentaire, absolument incontournable pour qui aime la musique de film et le cinéma. Il retrace le parcours du compositeur né en 1928 à Rome et qui, à l’âge de 8 ans, rêvait de devenir médecin. Son père en décide autrement : il sera trompettiste, comme lui. Quelle émotion de réentendre toutes ses musiques et de voir ces extraits de film qu’elles ont sublimés. Sa première composition pour Tornatore fut pour Cinema Paradiso en 1988, qui remporta alors l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère et le Grand Prix au 42ème Festival de Cannes. Pour ce film, Morricone reçut le BAFTA de la Meilleure musique originale, avec son fils, Andrea, co-compositeur. Il a aussi signé la musique de neuf autres films de Tornatore. Quelques notes suffisent pour identifier la musique de celui qui a signé plus de 500 bandes originales. Le documentaire nous permet d’entrer dans l’âme et les secrets du créateur par le truchement d’une longue interview de Giuseppe Tornatore et de nombreux témoignages qui auront nécessité 5 années de travail parmi lesquels ceux de Bernardo Bertolucci, Guiliano Montaldo, Marco Bellocchio, Dario Argento, les frères Taviani, Luca Verdone, Barry Levinson, Roland Joffé, Clint Eastwood, Oliver Stone, Quentin Tarantino Wong Kar Wai, Hans Zimmer, Bruce Springsteen. Tornatore, qui a travaillé 25 ans avec Ennio Morricone, sonde les mystères de la création, de sa passion pour les échecs à sa volonté constante d’expérimenter. Plus qu’un film, Ennio se regarde comme un spectacle constitué d’extraits des films, d’images d’archives, de concerts. Ces entretiens sont entrecoupés de fragments de vie privée de Morricone, des captations de ses tournées, des extraits de films, d’entretiens d’amis et de collaborateurs, et d’archives inédites sur une carrière qui s’étend sur plus de 70 ans. Morricone a inspiré de nombreux musiciens, des compositeurs de bandes originales de films aux groupes de rock, de Hans Zimmer, John Williams, Dire Straits à Muse, Metallica et Radiohead. Le film contient nombre de moments forts comme le tournage d’Il était une fois en Amérique lors duquel De Niro joue sur un plateau inondé de musique, ou lorsque l’on découvre comme les lettres de Bach se dissimulent derrière la musique du Clan des Siciliens, ou encore comment il a orchestré instruments et influences pour créer la bande originale de Mission ou encore lorsqu’il fredonne un air a capella. On découvre aussi sa fascination par Stravinsky, ou comment il va user d’audaces dans ses partitions et arrangements pour créer des sonorités inédites. Ennio Morricone ne sera pourtant récompensé d’un Oscar qu’en 2016 (à 87 ans !) pour les Huit salopards de Quentin Tarantino, même si, en 2007, lui avait été décerné un Oscar pour l’ensemble de sa carrière. Il regrette de n’avoir jamais travaillé avec Stanley Kubrick, qui était pourtant si mélomane. Morricone décortique les secrets de ses créations. Tornatore lui rend le plus beau des hommages en mettant en valeur l’incroyable richesse de sa carrière dont il réhabilite aussi la diversité. Celle-ci ne se réduit en effet pas aux musiques de son camarade d’école Leone (aussi majestueuses et inoubliables soient-elles) mais on y trouve aussi des BO des films de : Henri Verneuil, John Boorman, Terrence Malick, Bertolucci,Lautner, Deray, Friedkin, De Palma, Joffé, Almodovar, Carion, Tarantino et tant d'autres. Tornatore rend hommage à son incroyable audace, inventivité et originalité comme lorsqu’il mêle les instruments électriques aux instruments des orchestres symphoniques ou en ajoutant des sonorités bruitistes ou des la voix humaines C’est plus passionnant et pédagogique que n’importe quel cours de musique. On en ressort en ayant envie d’écouter encore et encore ses musiques, de revoir les films pour lesquels il les a composées, de les redécouvrir différemment, et de regarder ceux à côté desquels nous serions passés. C’est peut-être Bruce Springsteen qui définit le mieux sa musique en évoquant la « très profonde émotion » qu’elle procure et que nous procure aussi ce documentaire dont on ressort étourdi de musiques et de beauté… Encore la fameuse valse des émotions !
COUP DE PROJECTEUR
4 longs-métrages étaient projetés dans la section « Coup de projecteur » : Ninja baby de Yingvild Sve Flikke, Flee de Jonas Poher Ramussen, After Yang de Koganada et I love Greece de Nafsika Guerry-Karamaounas. Le lauréat du prix Coup de projecteur 2022 Universciné est Flee de Jonas Poher Ramussen. Quelques mots sur mes deux coups de cœur de cette section : I love Greece de Nafsika Guerry-Karamounas et le film lauréat, absolument bouleversant, à voir absolument.
Retrouvez également le corner La Baule 2022 sur Universciné, avec une programmation spéciale en lien avec le festival.
1/ I LOVE GREECE de NAFSIKA GUERRY-KARAMOUNAS
Ce premier long-métrage nous emmène dans les Cyclades. Jean et Marina, un couple franco-grec, partent à Athènes pour les vacances d’été. Ils y retrouvent l’exubérante famille de Marina et une Grèce en crise. Alors qu’ils projettent de passer quelques jours en amoureux sur une petite île des Cyclades, toute la famille décide de les accompagner. Rien ne se passera comme prévu sous les feux de l’Attique…
Dans ce film à la riche palette d’émotions, le rire se teinte constamment de mélancolie et inversement. Nafsika Guerry-Karamounas met en scène avec talent la fervente âme grecque, notamment grâce à un scénario ciselé coécrit avec Chloé Larouchi qui nous emmène, comme la Grèce, dans des émotions que l’on n’attendait pas forcément. Des émotions impétueuses. Vincent Dedienne et Stacy Martin en expriment brillamment tous les excès et nuances. Pour le premier, tout tourne autour de son travail et de son mal-être. Il est à la fois exaspérant et égocentrique, et se révèle finalement fragile. La crise que le couple traverse est comme un écho à celle que connaît la société grecque qui s’immisce jusque dans leur couple. Comme dans Le Guépard où « il faut que tout change pour que rien ne change », ici il faut que tout vole en éclats pour prendre un nouveau départ. Les personnages sont aussi iconoclastes, fantasques que touchants. Un film qui mêle les genres avec habileté et qui palpite : de vie, d’énergie, de rires, de larmes. Le tout porté par la très belle musique de Camille El Bacha. Un voyage dans les Cyclades que je vous recommande donc.
Et puis, je ne peux pas ne pas évoquer cette magnifique scène sur la danse de l’aigle…une danse qui m’émeut tout particulièrement et que je connais bien au point d’en avoir fait un point central de mon roman Les Embrasés (qui se déroule dans les Cyclades, finaliste du Prix du Livre Romantique 2019) et de ma nouvelle Le premier été du reste de notre vie (qui se déroule à Corfou, Editions J’ai Lu, recueil de nouvelles Allô maman ?!). Cette danse qui s’appelle le Zeïbekiko est habituellement dansée par des hommes sur une musique de Rebetiko, une sorte de transe, pour moi une danse de l’âme qui donne lieu à une très belle scène du film.
2/ FLEE de JONAS POHER RAMUSSEN
Pour la première fois, Amin, 36 ans, un jeune réfugié afghan homosexuel, accepte de raconter son histoire. Allongé les yeux clos sur une table recouverte d’un tissu oriental, il replonge dans son passé, entre innocence lumineuse de son enfance à Kaboul dans les années 1980 et traumatismes de la fuite de sa famille pendant la guerre civile, avant la prise du pouvoir par les talibans. Après des années de clandestinité en Russie, Amin – un pseudonyme – arrive seul à 16 ans au Danemark, où il rencontre le réalisateur qui devient son ami. Au fil de son récit et des douleurs enfouies, l’émotion resurgit. Aujourd’hui universitaire brillant installé avec son compagnon danois Kasper, le jeune homme confie un secret qu'il cachait depuis vingt ans.
Ce film d’animation a cumulé les récompenses, à juste titre. Il a notamment gagné le Cristal du long-métrage au festival d'Annecy 2021 et figurait parmi les films de la sélection officielle du Festival de Cannes 2020. Une histoire vraie racontée avec beaucoup de pudeur alternant les images d’animation et les images d’archives réelles pour souligner la dimension documentaire et les turbulences de l’Histoire. A 36 ans, Amin est désormais universitaire au Danemark où il vit en couple avec un homme. Il « s’est toujours senti un peu différent des autres » parce que, « en Afghanistan, l’homosexualité n’existe pas ». Il a accepté de se confier pour la première fois sur son passé (réel) à son ami réalisateur mais il ne souhaitait pas montrer son visage. Le film se compose ainsi de dessins plus ou moins réalistes. Ainsi, lorsqu’il se souvient moins bien ou lorsqu’il s’agit de souvenirs trop âpres ou violents, les dessins sont alors simplement griffonnés et brouillons mais il s'agit alors aussi d’images d'archives en prises de vue réelles. La musique joue une place centrale pour susciter l’émotion là où le récit est dénué de sentimentalisme, la violence à laquelle est confrontée Amin n’étant jamais ouvertement montrée. Quand il raconte son enfance dans une ville de Kaboul encore libre entre les posters de Van Damne, des tubes d’alors, notamment de a-Ha, l'accompagnent. Les moments de musique sont des invitations aux rêves et des portes ouvertes sur son imaginaire. Une autre fuite. A la prise de pouvoir des moudjahidine, son père est arrêté, le gouvernement le voyant alors « comme une menace pour le parti communiste ». Et la violence s’immisce dans son quotidien d’enfant. A partir de là, il faudra fuir pour survivre. Ce film universel et poignant permet à cet homme hanté par son passé gardé secret jusque-là de s’en libérer. L’émotion est d’autant plus présente qu’il entre en résonance avec l’actualité, celle connue par d’autres réfugiés, mais aussi avec le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan. Là où dans une actualité et un zapping carnassier, une information tragique en chasse tristement une autre, Flee, avec beaucoup de subtilité, force en douceur notre regard à s’y attarder. Poignant et indispensable.
Flee est disponible en replay sur Arte.tv jusqu'au 28 juillet.
FILMS EN COMPETITION
Le jury présidé par Alexandre Astier, entouré de des actrices Mélanie Doutey, Anne Parillaud, Pascale Arbillot et de l'acteur et réalisateur Pascal Elbé a dû départager les 6 films suivants : La petite bande de Pierre Salvadori, Pétaouchnok d’Edouard Deluc, Maria rêve de Laurianne Escaffre et Yvonnick Muller, Le petit Nicolas (Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?) d'Amandine Freudon et Benjamin Massoubre et Citoyen d’honneur de Mohamed Hamidi.
Les films de cette compétition se sont avant tout distingués par leurs musiques mais aussi par des comédiens, particulièrement remarquables et engagés dans leurs interprétations. Par ailleurs, ces films mettaient souvent en scène des personnages indécis, immatures, en quête de sens, de nouveau souffle et de rêve. Le sens, le nouveau souffle et le rêve : tout ce qu’apporte finalement la bonne musique, non ?
1/ MARIA RÊVE de LAURIANE ESCAFFRE et YVONNICK MULLER
Ce film est mon coup de cœur de cette compétition, lauréat du Grand Prix du public du Festival de Cabourg 2022. Maria (Karine Viard) est femme de ménage. Mariée depuis 25 ans, réservée, timide et maladroite, elle ne quitte jamais son carnet à fleurs dans lequel elle écrit des poèmes en secret. Lorsqu’elle est affectée à l'École des Beaux-Arts, elle rencontre Hubert (Grégory Gadebois), le gardien fantasque de l'école, et découvre un lieu fascinant où règnent la liberté, la créativité et l'audace... Dans ce monde si nouveau, Maria, qui a toujours été dévouée et discrète, va-t-elle enfin se laisser envahir par la vie ?
Ce film est d’une infinie délicatesse, jusque dans la musique et les couleurs qui l’auréolent. Il est porté par les prestations tout en nuances de Grégory Gadebois et Karin Viard qui forment un couple d’une belle évidence. Au contact de l’art et grâce à l’amour de ce dernier, un gardien, secret, discret mais solaire qui se déhanche sur Elvis Presley, Maria va apprendre à conduire sa vie, à s’émanciper, à donner corps (dans tous les sens du terme) à ses rêves et par la même nous donne envie de croire en tous les possibles de l’existence, quels que soient l’âge et les circonstances. Le tout dans le décor magique des Beaux-Arts baigné comme tout ce film, d’une grande douceur et de poésie. Une bouffé d’optimisme qui fait un bien fou. Je vous en parlerai plus longuement lors de sa sortie prévue le 28 septembre 2022.
2/ UNE COMEDIE ROMANTIQUE de THIBAULT SEGOUIN
Après avoir disparu du jour au lendemain, César (Alex Lutz) réapparaît dans la vie de Salomé (Golshifteh Farahani) et découvre qu’il est le père d’une petite fille de 3 ans. Cette fois-ci, il va tout faire pour être à la hauteur de leur histoire.
Une comédie romantique est le premier long métrage de Thibault Segouin qui avait notamment travaillé sur le scénario du remarquable Guy de et avec Alex Lutz qui tient ici le rôle masculin principal, celui d’un éternel adolescent, indécis pathologique, rêveur et menteur invétéré. Avec ses couleurs acidulées (photographie de Marie Demaison), sa musique ensorcelante, sa fantaisie douce, son Paris de carte postale, ce film tient les promesses de son titre tout en détournant les codes notamment lors de son dénouement. L’amoureuse (faussement) en colère est magistralement interprétée par Golshifteh Farahani dont on découvre que la comédie lui sied aussi bien le drame. Elle a d’ailleurs reçu le prix d’interprétation de cette édition. Ajoutez à cela la BO très réussie de François Villevieille et vous obtiendrez une tendre comédie à découvrir en salle, le 5 octobre 2022.
4 /PETAOUCHNOK de EDOUARD DELUC
Au fin fond des Pyrénées, deux précaires (interprétés par Pio Marmaï et Philippe Rebbot), amis devant l’éternel, ont l’idée du siècle pour se sortir de la galère : lancer une chevauchée fantastique, à travers la montagne, pour touristes en mal de nature, de silence, d’aventure. Le jury présidé par Alexandre Astier a attribué (à l'unanimité) le Prix du meilleur film de l’édition 2022 du festival à cette comédie dans l’air du temps, un parcours initiatique qui glorifie le retour à la nature et le temps donné au temps, prétexte à des situations ubuesques et à brosser toute une galerie de personnages en quête d’ailleurs et de repères. La réussite provient avant tout de l’interprétation de Philippe Rebbot, doux rêveur excentrique et Pio Marmaï, prêt à tous les mensonges et excentricités pour récupérer sa femme et sa fille. Comme la majorité des films de cette compétition, un feel good movie porté la musique, en l’occurrence celle du groupe folk rock français Herman Dune. A découvrir en salle le 9 novembre 2022
4/CITOYEN D’HONNEUR de Mohamed Hamidi
Samir Amin (Kad Merad) est un écrivain comblé, Prix Nobel de littérature, qui vit à Paris, loin de son pays natal, l'Algérie. Il refuse systématiquement toutes les invitations qui lui sont faites. Jusqu'au jour où il décide d'accepter d'être fait « Citoyen d'honneur » de Sidi Mimoun, la petite ville où il est né. Mais est-ce vraiment une bonne idée que de revoir les habitants de cette ville, qui sont devenus, d'année en année, les personnages de ses différents romans ?
Le principal atout de ce film est l’interprétation désopilante de Fatsah Bouyahmed dans le rôle de Miloud en autochtone prêt à tout pour satisfaire le « citoyen d’honneur ». Dommage que le thème du "pillage de la réalité" et du détournement de celle-ci pour la création d'une œuvre (en l'occurrence littéraire) et de la volontaire confusion entre fiction et réalité ne soit pas davantage exploité. Dans La vache, le précèdent film du cinéaste, il s'agissait d'un paysan algérien décidé à rejoindre la France avec sa vache pour participer au salon de l'Agriculture à Paris. L'écrivain effectue ici le chemin inverse. Cinq ans après la sortie du long-métrage argentin El ciudadano ilustre de Gastón Duprat et Mariano Cohn, le cinéaste franco-algérien Mohamed Hamidi met en scène un remake, porté par la musique de Ibrahim Maalouf. En salle le 14 septembre 2022.
Je rattraperai prochainement de deux autres lauréats, La petite bande de Pierre Salvadori et Le petit Nicolas (Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?) d'Amandine Freudon et Benjamin Massoubre dont je vous parlerai bien sûr également.
AVANT-PREMIERES HORS COMPETITION
Parmi les avant-premières hors compétition ont été présentés, en ouverture, Maestro(s) de Bruno Chiche (dont je vous parlerai également ultérieurement), Menteur de Olivier Baroux qui sort en salle le 14 juillet 2022, projeté en clôture, un remake d’une comédie d’Émile Gaudreault, et enfin Rumba la vie de Franck Dubosc, son deuxième long-métrage après Tout le monde debout. Il y incarne Tony, la cinquantaine, chauffeur d’autobus scolaire renfermé sur lui-même, vit seul après avoir abandonné femme et enfant vingt ans plus tôt. Bousculé par un malaise cardiaque, il trouve le courage nécessaire pour affronter son passé et s’inscrire incognito dans le cours de danse dirigé par sa fille, qu’il n’a jamais connue, dans le but de la (re)conquérir et de donner un sens à sa vie. Comme dans Tout le monde debout où son personnage, valide, se faisait passer pour handicapé, il recourt au mensonge pour affronter sa culpabilité et pour arriver à ses fins : se rapprocher de sa fille. En cela, il sera aidé de son ami Gilles (Jean-Pierre Darroussin), son collègue bienveillant et lunaire, et Fanny (Marie-Philomène Nga), sa voisine. Tony est bourré de préjugés. Pour lui, l’initiale F. sur la sonnette de sa voisine doit forcément signifier Fatou et toutes les personnes d'origine africaine connaissent forcément la Rumba congolaise. Dommage que le film n’aille pas plus loin dans la dénonciation des préjugés dont est pétri le personnage de Tony. Restent des scènes attendrissantes et une interprétation d’un médecin par Michel Houellebecq qui ajoute une salutaire touche d’absurde. Musique originale de Sylvain Goldberg et Matteo Locasciulli.
ALEXANDRE DESPLAT
Cette huitième édition a ainsi comme chaque année rendu hommage à un compositeur invité : Alexandre Desplat qui succède ainsi à Francis Lai, Michel Legrand, Lalo Schifrin, Vladimir Cosma, Eric Serra, Gabriel Yared et Philippe Sarde les années précédentes ! Ce furent à chaque fois de grands moments de musique et d’émotion que je vous ai chaque année racontés ici, et cela même par le biais de la fiction.
1/CONCERT
En plus de sa master class, Alexandre Desplat participait cette année à un concert hommage de clôture, dirigé par la cheffe d’orchestre et violoniste Solrey. Alexandre Desplat, digne héritier des compositeurs français consacrés par Hollywood a déjà écrit les partitions de plus de 200 films et a été célébré́ par 2 Oscars, 2 Golden Globes, 3 Césars, 3 Baftas, 2 Grammys...La liste des cinéastes avec lesquels il a collaboré est longue : Terrence Malick, Jacques Audiard, Stephen Frears, Roman Polanski, Wes Anderson, George Clooney, Kathryn Bigelow, David Fincher, Guillermo del Toro et les films Sur mes lèvres, The King’s speech, De battre mon cœur s’est arrêté, The Ghost Writer, Monuments men, Un prophète, The Grand Budapest hotel, The Shape of water, The Curious case of Benjamin Button, Twilight, Godzilla, Harry Potter and the deathly Hallows, The imitation game, Little women, The french dispatch ...
Ce concert événement, où il s’est produit sur scène comme flûtiste, a eu au Palais des Congrès et des Festivals Atlantia de La Baule et a été l’occasion d’entendre les musiques de Harry Potter, La forme de l’eau, The Ghost Writer, Un Prophète et du Discours d’un roi qui fut justement projeté dans le cadre du festival.
2/ LE DISCOURS D’UN ROI de TOM HOOPER
Le roi en question, c’est George VI (Colin Firth), à la fois fragile et colérique, qui n’avait d’ailleurs pas vocation à le devenir puisque c’est sont frère Edouard VIII (Guy Pierce) qui était destiné au trône à la mort de leur père. Seulement Edouard VIII préféra abdiquer pour vivre son amour avec une femme, Wallis Simpson, à la réputation légère (du moins pour un monarque) car notamment divorcée deux fois. George VI que toute la famille royale appelle « Bertie » va donc devoir surmonter son handicap, un bégaiement qui l’empêche de s’exprimer en public. Pour cela, il pourra compter sur le soutien indéfectible de sa femme (Helena Bonham Carter) et sur l’aide d’un thérapeute du langage aux méthodes peu orthodoxes, Lionel Rogue (Geoffrey Rush). Alors qu’il mène cette guerre contre lui-même, une autre guerre beaucoup moins intime se fait de plus en plus menaçante…
A priori, cela s’annonçait donc comme un énième biopic avec reconstitution historique spectaculaire de rigueur et c’est sans doute d’abord le choix de prendre le contrepied de ce à quoi nous aurions pu nous attendre qui fait de ce film une grande réussite. Tom Hooper et son scénariste David Seidler ont ainsi fait le judicieux choix de l’intime, de l’histoire sans nier son implication sur l’Histoire mais vue telle que la voyait George VI, relativement lointaine. Le monde extérieur et ses rumeurs sont étouffés par l’atmosphère ouatée et non moins redoutable des allées du pouvoir.
Plutôt que de filmer George VI comme un personnage historique distant, Tom Hooper le filme à portée d’homme avec ses angoisses et ses faiblesses. Il n’apparait alors pas comme le puissant lointain (éloigné de nous historiquement et humainement) mais comme un homme qui doit affronter ses faiblesses en lequel chacun peut se reconnaître. La caméra de Tom Hooper le suit au plus près de son visage, de ses doutes, de son angoisse qui s’amorce. Le jeu en nuances de Colin Firth et la caméra sensible de Tom Hooper qui l’enferme ans son cadre, (il est tantôt filmé à gauche ou à droite, à son image, en marge) comme il l’est dans son handicap, nous donne la sensation asphyxiante d’éprouver nous aussi son angoisse si bien que notre souffle est suspendu à ses lèvres hésitantes. La maîtrise du langage devient alors le véritable enjeu du suspense du film, haletant comme un thriller. Arrivera-t-il à prononcer ce fameux discours qui fera entrer le Royaume-Uni dans la guerre contre l’Allemagne nazie ?
Un sujet qui n’a rien d’anachronique et qui est même particulièrement actuel à une époque (la nôtre) où le contenant, la forme, la communication priment sur le contenu et le message, où celui ou celle qui recevra le plus de suffrages ne sera pas forcément le ou la plus apte à gouverner mais le ou la plus apte à délivrer son message et à maîtriser la communication et le langage. Un peu la génération twitter aussi qui recherche le choc de la formule et qui pousse souvent à l’exagération, quitte à piétiner quelques personnes voire la réalité au passage. Plutôt que le pouvoir des mots, c’est donc celui de la communication que doit donc maîtriser le monarque. Un pouvoir qu’il était d’autant plus urgent de détenir quand un dictateur outre-Rhin en faisait un des instruments de sa propagande et l’utilisait pour haranguer, galvaniser et endormir les foules.
Le scénario montre habilement et par petites touches comment le poids de l’enfance et de l’Histoire (son père, ceux qui l’ont précédé, tous ceux dont les regards pèsent sur lui) sont responsables de son handicap. Mais, au-delà du combat personnel, c’est aussi une très belle histoire d’amitié entre deux hommes à la fois très différents et en quête de reconnaissance. Rogue demande constamment à être sur un pied d’égalité avec George VI, lui qui toujours à été à distance : du peuple, des autres, des mots. Prendre la parole c’est prendre sa place et exister. Le langage, dans le titre même, a d’ailleurs toute son importance : il ne s’agit pas du discours du roi mais d’un roi, qui n’a pas encore son identité propre, écrasé par le poids de l’Histoire et de ses prédécesseurs.
La richesse des dialogues saupoudrés d’un humour so british participe amplement de la réussite du film. Il est vrai que le langage d’un film dont le sujet est justement le langage se devait d’être exemplaire mais ce n’était pas pour autant gagné d’avance.
Enfin, le grand atout du film ce sont ses acteurs principaux : Colin Firth (absolument remarquable, ne forçant pas trop le trait comme c’est souvent le cas dans ces rôles à Oscars mais reflétant le bégaiement essentiellement par l’angoisse qu’il générait , Colin Firth d’ailleurs qui interprétait déjà pour moi un des meilleurs rôles de 2010 dans le très beau « A single man » de Tom Ford pour lequel il était déjà nommé à l’Oscar du meilleur acteur), Geoffrey Rush( impeccable en médecin peu conventionnel et malicieux ) et Helena Bonham Carter ( parfaite en future reine, à la fois cinglante et épouse aimante. )
Si « Le discours d’un roi » est un film marquant, c'est en particulier en raison du degré de raffinement de chacun des éléments qui le constituent (musique d'Alexandre Desplat, , scénario, interprétation, mise en scène), un film à résonance universelle autant de par le combat qu’il met en scène (un homme, fût-il roi, qui surpasse ses faiblesses et ses peurs) que de par le langage qu’il emploie et dont il souligne le poids historique.
EXPOSITION "CINEMA MON AMOUR, ANNEES STUDIO"
Du 18 juin au 03 juillet 2022, au centre culturel Chapelle Sainte-Anne, était également proposée une exposition de trois photographes de Studio Magazine célébrant ainsi les années DU magazine cinéma des années 90/2000 créé par Jean-Pierre Lavoignat et Marc Esposito à la fin des années 80.
En attendant de rattraper les films manqués, je termine avec une citation d'Oscar Wilde :
« La musique met l’âme en harmonie avec tout ce qui existe. »
En attendant la 9ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule et de vous en communiquer les dates, je vous donne rendez-vous prochainement pour le Festival du Cinéma Américain de Deauville (du 2 au 11 septembre 2022) puis pour le Dinard Festival du Film Britannique (28 septembre au 2 octobre 2022).
PALMARES COMPLET DU FESTIVAL DU CINEMA ET MUSIQUE DE FILM DE LA BAULE 2022
Meilleur Film 2022
Pétaouchnok réalisé par Edouard Deluc
Meilleure Musique de Film 2022
Ludovic Bource pour Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?
Prix d’Honneur 2022
Alexandre Desplat récompensé pour l’ensemble de sa carrière
Meilleur Court-Métrage 2022 – AG2R LA MONDIALE
REPLAY réalisé par Thomas Deflandre
Révélation Jeune Talent Compositeur 2022
Antonin Browne du Conservatoire Paul Dukas – Paris
Meilleure Musique de l’année 2022
Amine Bouhafa pour Le Sommet des dieux
Coup de Projecteur 2022 – Universciné
FLEE de Jonas Poher Rasmussen
Prix du public 2022 – Groupe Barrière
La Petite Bande de Pierre Salvadori
Meilleure Interprétation 2022
Golshifteh Farahani pour Une Comédie Romantique
110 ANS DU GROUPE BARRIERE
Cette édition fut aussi l’occasion de célébrer les 110 du Groupe Barrière.
Retrouvez mon article consacré à l’hôtel Barrière L'Hermitage sur Inthemoodforhotelsdeluxe.com, ici.
PODCAST INEDIT :
Une nouvelle au cœur du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015
Retrouvez ma nouvelle Un certain 14 novembre dans le recueil Les illusions parallèles - Editions du 38 – 2016 (cette fiction se déroule entièrement dans le cadre du festival avec en toile de fond les évènements réels de cette édition). A l'occasion de la 8ème édition du festival, en accord avec mon éditeur, Les Editions du 38, j'ai enregistré cette nouvelle en podcast, à écouter ici.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE FESTIVAL
Pour en savoir plus : le site officiel du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule et son twitter et compte instagram (@festivallabaule).
Suivez également le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule sur Facebook.
En complément, retrouvez sur Inthemoodforcinema.com tous mes articles sur les 7 premières éditions du festival et mes prochains articles sur cette 8ème édition.
Hier soir, au Palais des Congrès Atlantia de La Baule, était présenté le programme complet du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2022. Laissez-moi vous présenter ce festival que j'ai le plaisir de suivre depuis ses débuts et vous détailler sa singularité enchanteresse, ainsi que le programme de cette 8ème édition.
Selon Stendhal, « La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l'âme chercher le chagrin qui nous dévore. » Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles ce festival dont ce sera (déjà !) la huitième édition, est-il aussi joyeusement consolateur ? Qu'elle aille chercher le chagrin qui nous dévore, la joie qui nous enflamme, l'illusion qui nous transporte, le secret qui nous tourmente, le rêve qui nous égare, le regret qui nous étreint, la peur qui nous tenaille, ou la passion qui nous élève...la musique cristallise toutes nos émotions, et en particulier la musique de film que met chaque année à l'honneur le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule qui, à l'image de son affiche 2022 (de l'artiste franco-Argentine Carolina Spielmann), enlace avec passion musique et cinéma, et nous embarque dans un joyeux tourbillon. Une affiche par ailleurs jaune et bleue, aux couleurs du drapeau de l'Ukraine à laquelle le festival témoigne ainsi de sa solidarité. Un festival donc également engagé puisqu'il présente aussi l'atout d'être un "green festival" comme je vous l'explique plus bas.
Au programme de l'édition 2022 de ce festival à la fois populaire et exigeant, ouvert à tous et proposant une programmation diversifiée, idéale pour débuter l'été : 35 projections dont 5 long-métrages hors compétition que devra départager le jury présidé par Alexandre Astier, 6 courts-métrages en compétition, des films pour le jeune public, 4 master class, des documentaires musicaux, des films classiques dans le cadre de l’hommage à Alexandre Desplat, invité d’honneur de cette édition qui donnera un concert exceptionnel, mais aussi dans le cadre de l’hommage à Ennio Morricone et Jacques Perrin avec un ciné-plage consacré à Cinema Paradiso, le film de Giuseppe Tornatore dont vous pourrez retrouver également ma critique ci-dessous, et une exposition. Retrouvez, plus bas dans cet article, le détail de ce programme.
Le Festival du Cinéma et Musique de Film La Baule est ainsi un évènement unique et rare tant par la qualité des films projetés, la symbiose entre cinéma et musique que la convivialité qui y règne. Le tout dans le cadre majestueux de la Baie de La Baule qui sert d’écrin à ce festival qui, en 8 ans, a réussi à s’imposer comme un évènement cinématographique et musical incontournable avec, à son générique, des films majeurs, mais aussi des concerts marquants des plus grands compositeurs de musiques de films à l’image de ce que sera sans aucun doute celui de cette année.
L’an passé, les organisateurs de ce festival (créé et dirigé par Sam Bobino, notamment fondateur des Paris Film Critics Awards dont je vous parle, ici- et le cinéaste Christophe Barratier) avaient eu la judicieuse idée d’inaugurer une nouvelle formule mettant l’accent sur le cinéma français. Le festival devient ainsi une fenêtre d’exposition pour les films qui sortent pendant l’été, une idée lumineuse quand certains films à l’affiche en juillet-août ne bénéficient pas de la visibilité qu’ils mériteraient. Une mise en exergue d'autant plus nécessaire alors que le cinéma a plus que jamais besoin d’être défendu et soutenu en cette année où les entrées dans les salles fléchissent dramatiquement.
Pour symboliser ses nouvelles dates, durant l’été, le Festival a opté cette année pour une affiche très différente de celles des années précédentes. "Les organisateurs ont fait appel, pour cela, à l’artiste Carolina Spielmann qui propose ici un visuel à la fois volontairement vintage et moderne (dans l’esprit de la Ville de La Baule, très attachée à son histoire et continuellement tournée vers l’avenir) et qui souligne aussi ce nouveau positionnement estival. Inspirée par la baie de La Baule et ses jolies tentes rayées bleu et blanc, l’artiste a souhaité combiner la tradition et la modernité avec cette baigneuse vintage et moderne à la fois. Cette baigneuse rigolote, qui enlace dans ses bras, avec passion, la musique et le cinéma, les deux thèmes du Festival. Sa bouche en forme de cœur exprime autant l’amour pour le cinéma que pour la musique, comme pour la Ville de La Baule et pour cette belle région Loire-Atlantique. Le jaune solaire nous invite à découvrir et à voyager dans cette région lumineuse et passionnée".
De ces sept années de ce passionnant festival s'entremêlent mes souvenirs et émotions, de vie et de cinéma. Comment oublier ce 13 novembre 2015 ? Comment ne pas penser au concert de Michel Legrand qui avait eu lieu le lendemain, ce fameux 14 novembre 2015 donc, concert lors duquel Michel Legrand, alors comme toute l’assistance bouleversé par l’ignominie impensable qui avait eu lieu la veille, avait débuté son concert par un morceau improvisé et deux mesures de La Marseillaise ?
Les émotions sont aussi celles procurées par tant de films découverts dans le cadre de ce festival aussi, souvent les meilleurs de l’année parmi lesquels Paterson, À peine j’ouvre les yeux, Tanna, Le Prophète, Demain tout commence, Born to be blue, Jalouse, L’attente, Mr. Turner, Carole Matthieu, Tout nous sépare, Guy, La tortue rouge, Les hirondelles de Kaboul et, rien que pour l’année 2019, en compétition, sans doute les meilleurs films de l’année (Les Éblouis, J’ai perdu mon corps, La Belle époque, La dernière vie de Simon, La nuit venue, Lola vers la mer)…et tant d’autres et aussi de nombreux documentaires comme Abdel Rahman El Bacha - Un piano entre Orient et Occident, ou encore des courts-métrages. Sans oublier des masterclasses et le concert mémorable de Francis Lai ou l’inoubliable concert de Vladimir Cosma. Ou encore celui de Philippe Sarde l’an passé.
« La musique, c’est du rêve » selon le personnage incarné par Daniel Auteuil (le si fascinant, si hermétique, si ambigu, si complexe Stéphane) dans le chef-d’œuvre de Claude Sautet, Un cœur en hiver. Alors, prêts à rêver du 29 juin au 3 juillet à La Baule ?
INVITE D'HONNEUR (ALEXANDRE DESPLAT) ET CONCERT
Cette huitième édition qui se tiendra du 29 juin au 3 juillet rendra ainsi hommage au compositeur qui sera l’invité d’honneur du festival : Alexandre Desplat qui succède ainsi à Francis Lai, Michel Legrand, Lalo Schifrin, Vladimir Cosma, Eric Serra, Gabriel Yared et Philippe Sarde les années précédentes !
Il participera à un concert hommage de clôture, dirigé par la cheffe d’orchestre et violoniste Solrey. Alexandre Desplat, digne héritier des compositeurs français consacrés par Hollywood a déjà écrit les partitions de plus de 200 films et a été célébré par 2 Oscars, 2 Golden Globes, 3 Césars, 3 Baftas, 2 Grammys...La liste des cinéastes avec lesquels il a collaboré est longue : Terrence Malick, Jacques Audiard, Stephen Frears, Roman Polanski, Wes Anderson, George Clooney, Kathryn Bigelow, David Fincher, Guillermo del Toro et les films Sur mes lèvres, The King’s speech, De battre mon cœur s’est arrêté, The Ghost Writer, Monuments men, Un prophète, The Grand Budapest hotel, The Shape of water, The Curious case of Benjamin Button, Twilight, Godzilla, Harry Potter and the deathly Hallows, The imitation game, Little women, The french dispatch ...
Ce concert événement, où le compositeur Alexandre Desplat se produira également sur scène comme flûtiste, aura lieu au Palais des Congrès et des Festivals Atlantia de La Baule, le dimanche 03 juillet à 16h30 (infos et réservations : https://billetterie.atlantia-labaule.com ou par téléphone au 02 40 11 51 51).
JURY
L’an passé, le jury du festival, alors présidé par François Berléand avait décerné l’Ibis d’or du meilleur film à C’est toi que j’attendais de Stephanie Pillonca tandis qu’ Un triomphe d’Emmanuel Courcol avait été récompensé de 2 Ibis d’Or dont celui de la meilleure musique de film de la sélection. Cette année le jury sera présidé par Alexandre Astier, réalisateur, scénariste et créateur de Kaamelott, mais aussi compositeur de musique de film. Il sera accompagné des actrices Mélanie Doutey, Anne Parillaud, Pascale Arbillot et de l'acteur et réalisateur Pascal Elbé. Ils devront départager les 6 longs-métrages en compétition.
FILMS D'OUVERTURE ET DE CLÔTURE
1. Film d'ouverture : Maestro(s) de Bruno Chiche
2. Film de clôture : Menteur d'Olivier Baroux
LES 6 LONGS-METRAGES EN COMPETITION
1. La Petite bande de Pierre Salvadori
2. Pétaouchnok de Edouard Deluc
3. Une comédie romantique de Thibault Segouin
4. Marianne rêve de Laurianne Escaffre et Yvonnick Muller
5. Le petit Nicolas (Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?) d'Amandine Freudon et Benjamin Massoubre
5 LONGS-METRAGES HORS COMPETITION
1. Maestro(s) de Bruno Chiche (film d'ouverture)
2. Rumba la vie de Franck Dubosc
3. Menteur d’Olivier Baroux (Film de clôture)
4. Les Minions 2 (Il était une fois Gru) de Kyle Balda
5. De l’autre côté du ciel de Yusuke Hirota
LONGS-METRAGES « COUPS DE PROJECTEUR »
1. Flee de Jonas Poher Ramussen
2. Ninja baby de Yingvild Sve Flikke
3. After Yang de Koganada
4. I love Greece de Nafsika Guerry-Karamaounas
LES SCOLAIRES AU FESTIVAL
Le film d'animation, Le sommet des dieux, sera expliqué en musique et en images par son compositeur Amine Bouhafa.
MASTER CLASS ET CONFERENCES
1. ALEXANDRE DESPLAT et SOLREY
Dimanche 3 juillet, 14H30. Gulf-Stream
2.ALEXANDRE ASTIER
Jeudi 30 juin, 12h. Gulf-Stream
3.Pierre Salvadori
Jeudi 30 juin, 15H, Gulf-Stream
4. Tchéky Karyo
Vendredi 1er juillet, 16H, Gulf-Stream
5.RENCONTRES UCMF
Samedi 2 juillet, 12h00, Gulf-Stream
Rencontre organisée autour des compositeurs et professionnels de la musique de film présents au festival.
CINE MA PLAGE
A (re) découvrir le sur la plage de La Baule le 1er juillet, à 22H30 :
CINEMA PARADISO de GIUSEPPE TORNATORE - Critique
Cinema Paradiso sera également diffusé sur la plage de La Baule le vendredi 1er juillet. Une idée d’autant plus judicieuse que cette projection sera aussi l’occasion de rendre hommage au grand acteur et producteur qu’était Jacques Perrin à qui le festival avait d’ailleurs attribué un Ibis d’or d’honneur, en 2018.
Je n’avais pas revu ce film depuis mon enfance. Simplement me souvenais-je de ce lieu suintant de vie et de chaleur, au cœur de la Sicile, où se trouve le Cinema Paradiso, du lien si touchant entre Toto et d’Alfredo, de ces extraits de films qui transpirent la passion du cinéma. Et qu’il m’avait bouleversée. Avec le recul des années, l’émotion fut encore plus forte. Les thèmes évoqués ont pris une tout autre résonance parce que ce que l’enfance laissait deviner, l’âge adulte a permis de l’expérimenter. La nostalgie. La mélancolie. L’écoulement du temps qui emporte tout, même les êtres chers. Mais c’est aussi tout ce que le cinéma, par son pouvoir magique, peut rendre éternel. Et tout ce que ce même temps dévoreur n’emporte pas : les rêves. Parce que Cinéma Paradiso est avant tout cela, une déclaration d’amour fou au cinéma. A sa capacité à procurer à tout ce qui est éphémère des accents d’éternité. Le cinéma, dans ce film, est plus que jamais une fenêtre ouverte sur les rêves, ceux qui bercent d’illusions réconfortantes. Comme celles de cette histoire qu’Alfredo raconte à Toto, cet homme qui promet d’attendre la femme qu’il aime sous sa fenêtre 100 nuits et qui renonce à la 99ème. Comme le dit Alfredo, « La vie, c'est pas ce que tu as vu au cinéma. La vie c'est plus difficile que ça. » Oui, mais il y a le cinéma pour l’adoucir, l’éclairer, en sublimer les sentiments et transcender les émotions. Pour rêver d’une autre vie, pour s’identifier à d’autres destins, ceux projetés sur l’écran. Et pour croire à l'impossible, envers et contre tout.
Sunset Boulevard de Billy Wilder. Eve et La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz. Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly. Les Ensorcelés de Minelli. The Artist d’Hazanavicius, La La Land de Damien Chazelle. 8 ½ de Fellini. Les grands films sur le cinéma ne manquent pas. Cinéma Paradiso ne dénote bien sûr pas dans cette liste. Je vous parle aujourd’hui de la version director’s cut de 2H35 dont la dernière partie évoque l’amour de jeunesse de Toto (incarné alors par Brigitte Fossey, coupée dans les autres versions.) La version originale de 173 minutes avait en effet été classifiée défavorablement lors de sa présentation au comité de censure italien en 1989. Le film fut donc écourté pour sa sortie en salle. En 2002 sortait la version « Director's cut ». Cinema Paradiso eut en effet trois versions différentes. Lors de la sortie initiale en 1988 en Italie, le film durait 2 h 35. Pour le Festival de Cannes 1989, la durée fut ramenée à 2 h 03 par la Miramax. Le film obtint alors le Prix spécial du Jury, puis le Golden Globe et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, parmi de nombreuses autres récompenses.
Un pot de fleurs face à la mer dans un appartement. Le vent qui agite les rideaux. Et la musique de Morricone. Ainsi commence Cinema Paradiso qui, par ce simple plan, déjà, nous ensorcelle par ses parfums de nostalgie. Puis, c’est le coup de fil de la mère de Salvatore qui essaie de le joindre depuis la Sicile. Il ne répond pas. « Il est trop occupé. Il y a bien 30 ans qu'il ne vient plus nous voir …» remarque la sœur de ce dernier. « Il se souviendra. Il se souviendra, j'en suis sûre… » rétorque sa mère. Sa compagne du moment transmet le message à Salvatore. Le message suivant : « Un certain Alfredo est mort. Demain, c'est son enterrement. »
Avec la mort d’Alfredo, incarné par Philippe Noiret, pour Salvatore di Vitta (Jacques Perrin), cinéaste reconnu, c'est tout un pan du passé qui s'écroule et qui, subitement, rejaillit dans sa vie. On l’appelait Toto a l'époque. Il partageait son temps libre entre l'office où il était enfant de chœur et la salle de cinéma paroissiale, en particulier la cabine de projection où régnait Alfredo.
Les souvenirs de Salvatore nous ramènent alors en 1954. Dans un village de Sicile, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Toto, petit garçon facétieux et malin, fou de cinéma, orphelin d’un père qui "ressemblait à Clark Gable", passe son temps à perturber le projectionniste de la salle paroissiale, le Paradiso, avant de devenir son ami, et même son assistant et remplaçant dans la cabine de projection. Alfredo était aussi employé par la paroisse pour couper les scènes trop osées ou en tout cas considérées comme telles à l’époque, quand ne serait-ce qu’un simple baiser constituait déjà une atteinte à la pudeur. L'histoire de cette salle de cinéma, véritable personnage du film, se confond alors avec celle de Salvatore.
Une véritable amitié se noue entre le petit garçon turbulent et le vieux bougon autour de leur passion commune pour le cinéma. Le premier va s’assagir et le second va s’adoucir et dévoiler toute sa générosité et tendresse devenant le père de substitution du petit garnement. Lors d’un immense incendie qui ravage le cinéma, Toto sauve Alfredo des flammes. « Comment je fais moi si t’es pas là… » dira ainsi Alfredo, bouleversé et bouleversant. Alfredo devenu aveugle, Toto le remplace puis le seconde dans ce qui est devenu le Nuovo Cinema Paradiso, reconstruit par un riche mécène. Toto croise alors Elena, fille d’une famille bourgeoise. Il en tombe fou amoureux et après de nombreux efforts, malgré l’opposition de sa famille, son amour se révèle réciproque.
Alfredo demande ensuite à Toto de partir de leur village sicilien et de ne jamais revenir. « Va-t-en retourne à Rome. Je ne veux plus t'entendre parler. Je veux juste entendre parler de toi. Ne reviens plus. Ne te laisse pas envahir par la nostalgie. Et si tu ne résistes pas ne viens pas me voir. Je ne te laisserai pas entrer. Quel que soit le métier que tu choisiras, aime-le comme tu as aimé la cabine du Paradiso quand tu étais petit. » Il partira alors pour Rome et y restera 30 ans sans revenir, sans avoir revu Elena qu’il avait attendue et cherché en vain. Le destin, un concours de circonstances et Alfredo les auront séparés. Quand il revient pour les obsèques d’Alfredo, il se remémore alors son passé et cet amour qu’il n’a jamais oublié…et qu’il croit reconnaître. « Après toutes ces années, je croyais que j'étais devenu plus fort et que j'avais oublié des tas de choses mais en fait je retrouve tout comme avant comme si je n'étais jamais parti. »
Le cinéma a fermé ses portes, et va être dynamité pour devenir un parking. L’histoire de Cinema Paradiso est aussi celle de l’histoire de la salle de cinéma, ce paradis anéanti par de nouvelles habitudes et de nouveaux loisirs, et par la télévision. C’est la fin d’une époque, celle où il n’y avait pas de télévision chez soi, quand le cinéma concentrait tous les désirs, toute la fièvre d'un village, celle d’un cinéma fédérateur, véritable temple, avant la désaffection des salles dans les années 80.
Après la mort d'Alfredo, Salvatore récupérera un cadeau rempli d’amour(s) : toutes les séquences interdites qu’Alfred a soigneusement collées les unes après les autres « Le feu se termine toujours en cendres. Même les plus grandes histoires d'amour se terminent. Et après, il y en a d'autres qui naissent. Tandis que Toto n'a qu'un seul avenir devant lui. » avait dit Alfredo à Elena. La vie et les amours périclitent. Mais le cinéma les rend éternels...
Que serait ce film sans sa magnifique distribution ? Salvatore Cascio puis Marco Leonardi qui incarnèrent Toto enfant puis adolescent. Mais surtout Jacques Perrin qui apparaît peu à l’écran mais dont la présence puissante et lumineuse procure toute sa force mélancolique au film. Que d’expressions sur son visage ! La bonté, la nostalgie, l’amour, et l’enfance qui semble toujours là, si prégnante, et qui illumine son visage d'une douce innocence. Comment ne pas fondre quand il dit « Mais je ne t'ai jamais oubliée Elena » ? D’ailleurs, je me demande si le choix de ce prénom dans le scénario de Giuseppe Tornatore n’était pas un hommage au Dernier métro de Truffaut. J'ai alors pensé à cette réplique du film de Truffaut :
Est-ce que l'amour fait mal?
- Oui, ça fait mal. [...] Tu es belle, Héléna. Quand je te regarde, c'est une souffrance.
- Hier, vous disiez que c'était une joie.
- C'est une joie et une souffrance.
L'inoubliable musique d’Ennio Morricone vient renforcer toute la poésie mélancolique qui se dégage du film et du visage de Jacques Perrin. De ce "rêve merveilleux" comme Elena qualifiera son histoire d'amour avec Salvatore. Un rêve merveilleux, comme l'est le cinéma...Cinema Paradiso, c'est le récit nostalgique d'une époque révolue. Une ode au rêve. A la puissance du cinéma à laquelle le film par ses nombreux extraits de classiques rend le plus beau des hommages. Mais aussi par ce dernier plan sur le visage de Jacques Perrin qui, par le pouvoir magique du 7ème art, retrouve les émotions de son enfance et le message d'amour que lui envoie Alfredo, par-delà la mort. Un parfum d'éternité. Le cinéma est décidément un paradis. Celui des vivants. Peut-il y avoir plus belle invention que celle qui nous permet d' accéder vivants à ce paradis ? Comment ne pas aimer un film dont toute l'histoire traduit ainsi la magie du cinéma ?
Je vous laisse reconnaître les nombreux films dont figurent des extraits : L’Ange bleu de Josef von Sternberg, Les Lumières de la ville et Les Temps modernes et La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin, Autant en emporte le vent de Victor Fleming , Casablanca de Michael Curtiz , Gilda de Charles Vidor, La chevauchée fantastique de John Ford, Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, Les Chemins de la haute ville de Jack Clayton…et beaucoup d’autres. Un voyage dans l’histoire du cinéma, un édifice impressionnant auquel ce film s’ajoute. Tout aussi incontournable ! Rendez-vous sur la plage de La Baule le 1er juillet pour le (re)découvrir dans des conditions exceptionnelles.
DOCS MUSICAUX
1. Le 8ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule rendra cette année hommage à Ennio Morricone avec la projection du film évènement Ennio : The Maestro de Giuseppe Tornatore.
2. A-Ha the movie de Thomas Robsahm et Aslaug Holm
3. Studio 54 de Matt Tyrnauer
FILMS CLASSIQUES – HOMMAGE A ALEXANDRE DESPLAT (en partenariat avec Universcine.com)
1. De battre mon coeur s'est arrêté de Jacques Audiard
2. Le Discours d'un roi de Tom Hooper - CRITIQUE
Le roi en question, c’est George VI (Colin Firth), à la fois fragile et colérique, qui n’avait d’ailleurs pas vocation à le devenir puisque c’est sont frère Edouard VIII (Guy Pierce) qui était destiné au trône à la mort de leur père. Seulement Edouard VIII préféra abdiquer pour vivre son amour avec une femme, Wallis Simpson, à la réputation légère (du moins pour un monarque) car notamment divorcée deux fois. George VI que toute la famille royale appelle « Bertie » va donc devoir surmonter son handicap, un bégaiement qui l’empêche de s’exprimer en public. Pour cela, il pourra compter sur le soutien indéfectible de sa femme (Helena Bonham Carter) et sur l’aide d’un thérapeute du langage aux méthodes peu orthodoxes, Lionel Rogue (Geoffrey Rush). Alors qu’il mène cette guerre contre lui-même, une autre guerre beaucoup moins intime se fait de plus en plus menaçante…
A priori, cela s’annonçait donc comme un énième biopic avec reconstitution historique spectaculaire de rigueur et c’est sans doute d’abord le choix de prendre le contrepied de ce à quoi nous aurions pu nous attendre qui fait de ce film une grande réussite. Tom Hooper et son scénariste David Seidler ont ainsi fait le judicieux choix de l’intime, de l’histoire sans nier son implication sur l’Histoire mais vue telle que la voyait George VI, relativement lointaine. Le monde extérieur et ses rumeurs sont étouffés par l’atmosphère ouatée et non moins redoutable des allées du pouvoir.
Plutôt que de filmer George VI comme un personnage historique distant, Tom Hooper le filme à portée d’homme avec ses angoisses et ses faiblesses. Il n’apparait alors pas comme le puissant lointain (éloigné de nous historiquement et humainement) mais comme un homme qui doit affronter ses faiblesses en lequel chacun peut se reconnaître. La caméra de Tom Hooper le suit au plus près de son visage, de ses doutes, de son angoisse qui s’amorce. Le jeu en nuances de Colin Firth et la caméra sensible de Tom Hooper qui l’enferme ans son cadre, (il est tantôt filmé à gauche ou à droite, à son image, en marge) comme il l’est dans son handicap, nous donne la sensation asphyxiante d’éprouver nous aussi son angoisse si bien que notre souffle est suspendu à ses lèvres hésitantes. La maîtrise du langage devient alors le véritable enjeu du suspense du film, haletant comme un thriller. Arrivera-t-il à prononcer ce fameux discours qui fera entrer le Royaume-Uni dans la guerre contre l’Allemagne nazie ?
Un sujet qui n’a rien d’anachronique et qui est même particulièrement actuel à une époque (la nôtre) où le contenant, la forme, la communication priment sur le contenu et le message, où celui ou celle qui recevra le plus de suffrages ne sera pas forcément le ou la plus apte à gouverner mais le ou la plus apte à délivrer son message et à maîtriser la communication et le langage. Un peu la génération twitter aussi qui recherche le choc de la formule et qui pousse souvent à l’exagération, quitte à piétiner quelques personnes voire la réalité au passage. Plutôt que le pouvoir des mots, c’est donc celui de la communication que doit donc maîtriser le monarque. Un pouvoir qu’il était d’autant plus urgent de détenir quand un dictateur outre-Rhin en faisait un des instruments de sa propagande et l’utilisait pour haranguer, galvaniser et endormir les foules.
Le scénario montre habilement et par petites touches comment le poids de l’enfance et de l’Histoire (son père, ceux qui l’ont précédé, tous ceux dont les regards pèsent sur lui) sont responsables de son handicap. Mais, au-delà du combat personnel, c’est aussi une très belle histoire d’amitié entre deux hommes à la fois très différents et en quête de reconnaissance. Rogue demande constamment à être sur un pied d’égalité avec George VI, lui qui toujours à été à distance : du peuple, des autres, des mots. Prendre la parole c’est prendre sa place et exister. Le langage, dans le titre même, a d’ailleurs toute son importance : il ne s’agit pas du discours du roi mais d’un roi, qui n’a pas encore son identité propre, écrasé par le poids de l’Histoire et de ses prédécesseurs.
La richesse des dialogues saupoudrés d’un humour so british participe amplement de la réussite du film. Il est vrai que le langage d’un film dont le sujet est justement le langage se devait d’être exemplaire mais ce n’était pas pour autant gagné d’avance.
Enfin, le grand atout du film ce sont ses acteurs principaux : Colin Firth (absolument remarquable, ne forçant pas trop le trait comme c’est souvent le cas dans ces rôles à Oscars mais reflétant le bégaiement essentiellement par l’angoisse qu’il générait , Colin Firth d’ailleurs qui interprétait déjà pour moi un des meilleurs rôles de 2010 dans le très beau « A single man » de Tom Ford pour lequel il était déjà nommé à l’Oscar du meilleur acteur), Geoffrey Rush( impeccable en médecin peu conventionnel et malicieux ) et Helena Bonham Carter ( parfaite en future reine, à la fois cinglante et épouse aimante. )
Si « Le discours d’un roi » est un film marquant, c'est en particulier en raison du degré de raffinement de chacun des éléments qui le constituent (musique d'Alexandre Desplat, , scénario, interprétation, mise en scène), un film à résonance universelle autant de par le combat qu’il met en scène (un homme, fût-il roi, qui surpasse ses faiblesses et ses peurs) que de par le langage qu’il emploie et dont il souligne le poids historique.
6 COURTS-METRAGE EN COMPETITION
1. La Débandade
2. La légère déviation des atomes
3. La Pose
4. Prudence Ledoux a le vent en poupe
5. La vie d'avant
6. Replay
ANIMATIONS
EXPOSITION "CINEMA MON AMOUR, ANNEES STUDIO"
Du 18 juin au 03 juillet 2022, du mardi au dimanche, de 14h30 à 19h (entrée libre). Centre culturel Chapelle Sainte-Anne (Place du Maréchal Leclerc). Exposition de trois photographes de Studio Magazine célébrant ainsi les années DU magazine cinéma des années 90/2000 créé par Jean-Pierre Lavoignat et Marc Esposito à la fin des années 80.
GREEN FESTIVAL
Comme je l'évoquais plus haut, autre atout du festival : celui d'être un "green festival". Le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule s’attache ainsi à placer le développement durable au cœur de l’ensemble de ses actions. Cette 8ème édition s’engage en prenant en compte les enjeux environnementaux :
Un Festival privilégiant le « tout à pied » concentré essentiellement autour du Palais des Congrès. Une billetterie dématérialisée au maximum (QR code) et des supports de communication sur matériaux recyclés, recyclables (catalogues, programmes, affiches…).
Une restauration typique privilégiant des aliments sains et responsables mettant en avant la richesse des produits locaux (circuits courts) en respectant certains principes du Slow Food.
Un Festival reposant sur les lieux existants, réunissant les Baulois, les Festivaliers et les premiers touristes estivaux.
Un Palais des Congrès éco-responsable.
PODCAST INEDIT :
Une nouvelle au cœur du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015
Retrouvez ma nouvelle Un certain 14 novembre dans le recueil Les illusions parallèles - Editions du 38 – 2016 (cette fiction se déroule entièrement dans le cadre du festival avec en toile de fond les évènements réels de cette édition). A l'occasion de la 8ème édition du festival, en accord avec mon éditeur, Les Editions du 38, j'ai enregistré cette nouvelle en podcast, à écouter ici.
INFORMATIONS PRATIQUES
Pour en savoir plus et pour réserver dès à présent vos pass : le site officiel du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule et son twitter et compte instagram (@festivallabaule). Je vous rappelle que ce festival est accessible à tous. Réservez vos pass dès à présent (75 euros) pour en profiter pleinement... Ceux-ci donnent accès à l'ensemble des séances (ouverture et clôture comprises) et des conférences et master class. Cliquez ici pour accéder directement à la billetterie.
Suivez également le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule sur Facebook.
En complément, retrouvez sur Inthemoodforcinema.com tous mes articles sur les 7 premières éditions du festival et mes prochains articles sur cette 8ème édition.
BONNES ADRESSES BAULOISES
Retrouvez mon article avec mon avis sur l'hôtel Barrière Le Royal de La Baule et sa thalasso.
Retrouvez également mon article avec mon avis sur l'hôtel Barrière L'Hermitage de La Baule
« La musique est peut-être l’exemple unique de ce qu’aurait pu être – s’il n’y avait eu l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées – la communication des âmes. » Proust
Téléchargez le programme du festival :
Selon Stendhal, « La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l'âme chercher le chagrin qui nous dévore. » Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles ce festival dont ce sera (déjà !) la huitième édition, est-il aussi joyeusement consolateur ?
Le Festival du Cinéma et Musique de Film La Baule est ainsi un évènement unique et rare tant par la qualité des films projetés, la symbiose entre cinéma et musique que la convivialité qui y règne. Le tout dans le cadre majestueux de la Baie de La Baule qui sert d’écrin à ce festival qui, en 8 ans, a réussi à s’imposer comme un évènement cinématographique et musical incontournable avec, à son générique, des films majeurs, mais aussi des concerts marquants des plus grands compositeurs de musiques de films à l’image de ce que sera sans aucun doute celui de cette année.
L’an passé, les organisateurs de ce festival (créé et dirigé par Sam Bobino, notamment fondateur des Paris Film Critics Awards dont je vous parle, ici- et le cinéaste Christophe Barratier) avaient eu la judicieuse idée d’inaugurer une nouvelle formule mettant l’accent sur le cinéma français. Le festival devient ainsi une fenêtre d’exposition pour les films qui sortent pendant l’été, une idée lumineuse quand certains films à l’affiche en juillet-août ne bénéficient pas de la visibilité qu’ils mériteraient. Une mise en exergue d'autant plus nécessaire alors que le cinéma a plus que jamais besoin d’être défendu et soutenu en cette année où les entrées dans les salles fléchissent dramatiquement.
Pour symboliser ses nouvelles dates, durant l’été, le Festival a opté cette année pour une affiche très différente de celles des années précédentes. "Les organisateurs ont fait appel, pour cela, à l’artiste Carolina Spielmann qui propose ici un visuel à la fois volontairement vintage et moderne (dans l’esprit de la Ville de La Baule, très attachée à son histoire et continuellement tournée vers l’avenir) et qui souligne aussi ce nouveau positionnement estival. Inspirée par la baie de La Baule et ses jolies tentes rayées bleu et blanc, l’artiste a souhaité combiner la tradition et la modernité avec cette baigneuse vintage et moderne à la fois. Cette baigneuse rigolote, qui enlace dans ses bras, avec passion, la musique et le cinéma, les deux thèmes du Festival. Sa bouche en forme de cœur exprime autant l’amour pour le cinéma que pour la musique, comme pour la Ville de La Baule et pour cette belle région Loire-Atlantique. Le jaune solaire nous invite à découvrir et à voyager dans cette région lumineuse et passionnée".
Cette huitième édition qui se tiendra du 29 juin au 3 juillet rendra ainsi hommage à l’un des plus grands compositeurs de musique de film dans le monde qui sera l’invité d’honneur du festival : Alexandre Desplat qui succède ainsi à Francis Lai, Michel Legrand, Lalo Schifrin, Vladimir Cosma, Eric Serra, Gabriel Yared et Philippe Sarde les années précédentes !
Il participera à un concert hommage de clôture, dirigé par la cheffe d’orchestre et violoniste Solrey. Alexandre Desplat, digne héritier des compositeurs français consacrés par Hollywood a déjà écrit les partitions de plus de 200 films et a été célébré par 2 Oscars, 2 Golden Globes, 3 Césars, 3 Baftas, 2 Grammys...La liste des cinéastes avec lesquels il a collaboré est longue : Terrence Malick, Jacques Audiard, Stephen Frears, Roman Polanski, Wes Anderson, George Clooney, Kathryn Bigelow, David Fincher, Guillermo del Toro et les films Sur mes lèvres, The King’s speech, De battre mon cœur s’est arrêté, The Ghost Writer, Monuments men, Un prophète, The Grand Budapest hotel, The Shape of water, The Curious case of Benjamin Button, Twilight, Godzilla, Harry Potter and the deathly Hallows, The imitation game, Little women, The french dispatch ...
Ce concert événement, où le compositeur Alexandre Desplat se produira également sur scène comme flûtiste, aura lieu au Palais des Congrès et des Festivals Atlantia de La Baule, le dimanche 03 juillet à 16h30 (infos et réservations : https://billetterie.atlantia-labaule.com ou par téléphone au 02 40 11 51 51).
L’an passé, le jury du festival, alors présidé par François Berléand avait décerné l’Ibis d’or du meilleur film à C’est toi que j’attendais de Stephanie Pillonca tandis qu’ Un triomphe d’Emmanuel Courcol avait été récompensé de 2 Ibis d’Or dont celui de la meilleure musique de film de la sélection.
De ces sept années de ce passionnant festival s'entremêlent mes souvenirs et émotions, de vie et de cinéma. Comment oublier ce 13 novembre 2015 ? Comment ne pas penser au concert de Michel Legrand qui avait eu lieu le lendemain, ce fameux 14 novembre 2015 donc, concert lors duquel Michel Legrand, alors comme toute l’assistance bouleversé par l’ignominie impensable qui avait eu lieu la veille, avait débuté son concert par un morceau improvisé et deux mesures de La Marseillaise ?
Les émotions sont aussi celles procurées par tant de films découverts dans le cadre de ce festival aussi, souvent les meilleurs de l’année parmi lesquels Paterson, À peine j’ouvre les yeux, Tanna, Le Prophète, Demain tout commence, Born to be blue, Jalouse, L’attente, Mr. Turner, Carole Matthieu, Tout nous sépare, Guy, La tortue rouge, Les hirondelles de Kaboul et, rien que pour l’année 2019, en compétition, sans doute les meilleurs films de l’année (Les Éblouis, J’ai perdu mon corps, La Belle époque, La dernière vie de Simon, La nuit venue, Lola vers la mer)…et tant d’autres et aussi de nombreux documentaires comme Abdel Rahman El Bacha - Un piano entre Orient et Occident, ou encore des courts-métrages. Sans oublier des masterclasses et le concert mémorable de Francis Lai ou l’inoubliable concert de Vladimir Cosma. Ou encore celui de Philippe Sarde l’an passé.
« La musique, c’est du rêve » selon le personnage incarné par Daniel Auteuil (le si fascinant, si hermétique, si ambigu, si complexe Stéphane) dans le chef-d’œuvre de Claude Sautet, Un cœur en hiver. (Un des rares films de ce dernier dont la musique ne fut pas composée par Philippe Sarde...et pour cause puisque la musique de Ravel l’accompagne et en est même un personnage à part entière !) Alors, prêts à rêver du 29 juin au 3 juillet à La Baule ?
Pour en savoir plus : le site officiel du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule et son compte instagram (@festivallabaule).
En complément, retrouvez ici tous mes articles sur les 7 premières éditions du festival et mes prochains articles sur cette 8ème édition.
Retrouvez ma nouvelle Un certain 14 novembre dans le recueil Les illusions parallèles - Editions du 38 – 2016 (cette fiction se déroule entièrement dans le cadre du festival avec en toile de fond les évènements réels de cette édition).
Retrouvez enfin on article sur l'hôtel Barrière Le Royal de La Baule et sa thalasso.
Quand les horreurs et les incongruités de l’actualité obscurcissent autant l’horizon, la salle de cinéma fait plus que jamais office d'antre où s’abriter des tumultes du monde, et plus encore quand elle nous donne à voir des films lumineux dont on ressort revigoré avec l’envie d'enlacer chaque seconde et d’embrasser l’avenir, malgré tout. Telles furent les émotions suscitées par mes trois derniers coups de cœur, uniquement des films français qui d’ailleurs témoignent de la vitalité et de la diversité du cinéma hexagonal (La Brigade de Louis-Julien Petit - au cinéma depuis le 23 mars -, En corps de Cédric Klapisch - au cinéma depuis le 30 mars -, et Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona -disponible en DVD et Blu-ray le 19 avril et depuis peu en VOD-) auxquels il faudra donc d’ores et déjà ajouter un quatrième long métrage, Ténor de Claude Zidi Jr., à découvrir au cinéma le 4 mai prochain.
Antoine (Mohamed Belkhir -MB14-), jeune banlieusard parisien, suit des études de comptabilité sans grande conviction, partageant son temps entre les battles de rap qu’il pratique avec talent et son job de livreur de sushis. Lors d’une course à l’Opéra Garnier, sa route croise celle de Mme Loyseau (Michèle Laroque), professeure de chant dans la vénérable institution, qui détecte chez Antoine un talent brut à faire éclore. Malgré son absence de culture lyrique, Antoine est fasciné par cette forme d’expression et se laisse convaincre de suivre l’enseignement de Mme Loyseau.
La magie opère dès les premiers plans, un combat de boxe de rue chorégraphié tel un ballet, sous la pluie, filmé au ralenti, porté par une flamboyante musique opératique. La caméra fluide de Claude Zidi Jr. zigzague avec habileté, capture notre attention et nous immisce immédiatement dans l’action et dans le jubilatoire choc des cultures auquel nous invite le film. Confrontation d’univers, urbains mais aussi musicaux : la banlieue de Bondy et l’Opéra Garnier, le rap et l’opéra.
Comme Madame Loyseau l’enseigne à ses élèves, la technique doit toujours être au service de l’émotion. Et ici, elle l’est, incontestablement, d’emblée. Elle permet de nous transmettre celle d’Antoine quand il écoute Madame Butterfly face à la tour Eiffel. Quand un des plus beaux et célèbres poèmes de Victor Hugo, Demain, dès l’aube, est déclamé en rap. Quand Antoine s’adonne à une battle de rap et que les mots cristallisent la violence, comme si Cyrano s’était réincarné. Quand Paris s’offre, majestueuse, depuis le toit de l’Opéra Garnier et qu’Antoine, tel Rastignac, semble la défier de son indissociable « À nous deux ».
Les histoires d’univers et d'êtres opposés qui se rencontrent (se défient puis s'allient) sont souvent synonymes de succès au cinéma et ce film mériterait de ne pas déroger à la règle. Si Toledano et Nakache sont les rois d’un cinéma qui marie avec maestria rires et larmes, et qui fait se rencontrer ceux dont les destinées n’auraient jamais dû se croiser, Claude Zidi Jr., avec ce premier film en solo semble leur emboîter le pas. Cette « filiation » est aussi celle d’un cinéma universel. Si le parcours d’Antoine est évidemment singulier, chacun pourra se reconnaître dans ce combat face à soi-même, cette lutte pour sortir des cases dans lesquelles la société veut nous claquemurer, pour trouver sa voie parmi les routes entre lesquelles il faut choisir. Une jeune femme de Bondy peut devenir militaire comme un jeune rappeur livreur de sushis peut devenir ténor. Tout comme, dans Le Brio d’Yvan Attal, la jeune banlieusarde incarnée par Camelia Jordana devenait la reine des concours d’éloquence.
Le scénario, malin (cosigné Cyrille Droux, Raphaël Benoliel, Claude Zidi Jr. en collaboration avec Hector Cabello-Reyes) frôle les clichés pour mieux les contourner, pour démontrer que rien ne nous assigne à un rôle prédéterminé.
En regardant l’émission the Voice dont il était un des candidats, le producteur et le réalisateur ont eu la bonne idée de contacter Mohamed Belkhir alors connu sous le nom de MB14 qui, à l’image de son personnage qui débute dans l’opéra, fait ici ses premiers pas dans la comédie. Cette première expérience et le naturel déconcertant de son interprétation (comme l'est celle de son personnage) apportent une fraicheur supplémentaire. Une énergie revigorante. Sans que cela nuise à sa justesse, indéniable.
Face à lui, Michèle Laroque dans ce rôle d’ancienne cantatrice devenue professeure de chant (dont on oublie parfois qu’elle a tourné avec Leconte, Sautet, Berliner, Veber, Kurys...parmi d'autres) trouve ici son meilleur rôle depuis Ma vie en rose avec ce personnage particulièrement attachant auquel elle apporte à la fois folie et gravité, humour et énergie, vivacité, liberté et émotion à fleur de peau, sans jamais tomber dans le pathos ou dans l’outrance comme aurait pu l’y inviter la maladie à laquelle est confronté son personnage. Elle semble se délecter à jouer ses dialogues comme son personnage déguste chaque fraction de seconde. Et quand elle dit « Je vais savourer chaque goutte de de vin et je vais regarder par la fenêtre même si elle est de plus en plus petite », il serait difficile de ne pas la croire, et de ne pas en être ému. Les seconds rôles sont tout aussi parfaits, de Maeva El Aroussi (Samia) à l’irrésistible Samir Decazza (Elio) qui a peur de la…pluie, un des nombreux ressorts comiques du film, ou encore Guillaume Duhesme qui incarne le personnage du frère d’Antoine, Didier, mais aussi Stéphane Debac (Pierre), Marie Oppert (Joséphine), Louis de Lavignère (Maxime). Dans un magnifique plan-séquence, Roberto Alagna fait aussi une apparition marquante.
La réalisation n’est jamais empesée ou statique comme aurait pu l’y contraindre le prestige et la magnificence de l’Opéra Garnier ou comme se cantonnent souvent à l’être les mises en scène de comédies. La cité comme l’opéra sont sublimés par le chef opérateur Laurent Dailland. Un soin particulier a aussi été porté aux décors grâce à la cheffe décoratrice, Lise Péault.
La caméra virevolte comme la musique originale de Laurent Perez del Mar dont les notes délicates accompagnent la mélancolie et la nostalgie de Marie Loyseau. Elles apportent aussi une profondeur et une douceur réconfortante comme si la précieuse beauté du présent prenait le pas sur son angoisse de l’avenir. Elle suggère subtilement les sentiments qui unissent, malgré tout, les deux frères, quand la violence verbale s’empare d’eux. Elle devient plus poignante quand Didier découvre la passion secrète de son frère. Elle évoque la fougue aventureuse de la jeunesse quand elle accompagne, tels des battements de cœurs, la première visite d’Antoine à l’Opéra Garnier. Et, à la fin, elle devient carrément bouleversante, tout en étant solaire et lyrique, allant crescendo, prenant de l'ampleur et de l'amplitude, telle l’émotion qui nous envahit, lorsqu’elle accompagne le magnifique montage (signé Benjamin Favreul) et la lecture d’une lettre (que je vous laisse découvrir). Comme un écho vibrant à l’injonction à vivre sa vie et à croire en soi que ses mots exaltent. Nous donnant envie de gravir quatre à quatre l’escalier de Garnier…et de l’existence. Sa musique se mêle parfaitement aux notes de Verdi, Puccini, au rap...Une diversité de genres musicaux qui fait de ce film un véritable hymne à la musique et à son pouvoir émotionnel, ici une véritable arme dans le combat pour trouver sa voie/voix car, pour Mme Loyseau, il s'agit autant de transmettre l'apprentissage de la musique que la route pour devenir soi, et le clamer haut et fort.
Produit par Raphaël Benoliel, (qui a notamment coproduit Chéri de Stephen Frears, Minuit à Paris et Magic in the moonlight de Woody Allen), ce conte des temps modernes, tendre, drôle, émouvant, tout en étant savamment pudique et elliptique, nous insuffle une bouffée d’oxygène plus que jamais indispensable. Aussi parce qu’il nous rappelle ce dont il est crucial de se souvenir, tout particulièrement ces jours-ci, que l’altérité n’est pas une menace mais un enrichissement. Ou encore que tout peut être possible avec de la détermination et un coup de pouce du destin. Et qu'il faut s'accrocher à ses rêves. Comme dans ces films, britanniques surtout (Billy Elliot, Joue-la comme Beckham, Once...) dans lesquels les héros, après avoir bataillé contre la terre entière et surtout contre eux-mêmes, accomplissent leurs rêves, en apparence initialement impossibles. Comme le réalisateur s'est cramponné à celui de ce film qu'il porte depuis de nombreuses années...Et il a bien fait !
Il nous laisse quitter notre antre avec les yeux et le cœur remplis de l'émotion de Nessun dorma de Puccini et de la vision du plafond mirifique de Chagall (qui rend d’ailleurs hommage à quatorze compositeurs et à leurs œuvres). Et avec l’envie de prendre notre place. De saisir chaque étincelle de vie. Là. Maintenant. Tout de suite. Intensément. Et de ne pas attendre pour cela d’être confronté à sa fragilité et à sa vanité.
Ténor vient de recevoir le prix du Public des rencontres du cinéma de Gérardmer. Une raison de plus de le découvrir en salle le 4 mai si celles énumérées ci-dessus ne vous semblaient pas suffisantes.
Vous pouvez télécharger le programme complet du festival en cliquant ici.
« La musique, c’est du rêve » selon le personnage incarné par Daniel Auteuil (le si fascinant, si hermétique, si ambigu, si complexe Stéphane) dans le chef-d’œuvre de Claude Sautet, Un cœur en hiver. Un des rares films de ce dernier dont la musique ne fut pas composée par Philippe Sarde...et pour cause puisque la musique de Ravel l’accompagne et en est même un personnage à part entière ! Philippe Sarde sera ainsi l’invité d’honneur de ce 7ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule pour lequel il donnera un concert exceptionnel le 26 juin. L’occasion notamment d’entendre la bouleversante Chanson d’Hélène des Choses de la vie (ma critique en bas de cet article, vous pourrez d'ailleurs -re-voir le film en question le 23 juin au cinéma Le Gulf Stream de La Baule).
La musique, c’est du rêve, certes, incontestablement. C’est aussi de l’émotion. Voilà d’ailleurs ce que nous a promis le cofondateur du festival Sam Bobino lors de la conférence de presse de cette édition 2021 qui a eu lieu ce matin à la Salle Atlantia de La Baule : « l’émotion qui prime avant tout ».
La nouvelle affiche 2021 réalisée par l’artiste Sébastien Dupouey nous invite ainsi à l'évasion...plus que jamais salutaire, et à retrouver l'indicible joie du cinéma au cinéma et en festivals…!
Le Festival du Cinéma et Musique de Film La Baule est ainsi un évènement unique tant par la qualité des films projetés, la symbiose entre cinéma et musique que la convivialité qui y règne. Ce sera ainsi le « premier grand Festival de cinéma de l’été post-confinement ». Une nouvelle date pour ce festival (qui se tiendra du 23 au 27 juin) qui souhaite ainsi adopter un positionnement plus « estival» et qui ambitionne de devenir le rendez-vous incontournable du cinéma français juste avant l’été, ce qu’il sera sans nul doute au regard de la programmation annoncée ce matin mais aussi de ses nouvelles orientations. La musique sera bien sûr toujours et plus que jamais à l’honneur, cependant dans cette nouvelle formule l’accent sera davantage mis sur le cinéma français. Le festival sera ainsi une fenêtre d’exposition pour les films qui sortent pendant l’été, une idée judicieuse quand certains films à l’affiche en juillet-août ne bénéficient pas de la visibilité qu’ils mériteraient.
Des émotions au programme donc ! Et les émotions, les six précédentes éditions de ce festival n’en ont en effet pas été avares !
« Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » « Entre l’art et la vie, je choisis la vie ». Tel constitue l’un des pouvoirs magiques des festivals de cinéma : nous éviter d’être confrontés à ces choix cornéliens (ces citations sont extraites du film Un homme et une femme de Claude Lelouch) en permettant à l’art et la vie de s’entrelacer, au point qu’ils se confondent parfois, a fortiori au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule où la musique est omniprésente, et procure à chaque instant une aura romanesque.
Ainsi s'entremêlent mes souvenirs et émotions, de vie et de cinéma, accumulés au cours des six précédentes éditions du festival. Comment oublier ce 13 novembre 2015 ? Comment ne pas penser au concert de Michel Legrand qui avait eu lieu le lendemain, ce fameux 14 novembre 2015 donc, concert lors duquel Michel Legrand, alors comme toute l’assistance bouleversé par l’ignominie impensable qui avait eu lieu la veille, avait débuté son concert par un morceau improvisé et deux mesures de La Marseillaise ?
Emotions procurées par tant de films découverts dans le cadre de ce festival aussi, souvent les meilleurs de l’année parmi lesquels Paterson, À peine j’ouvre les yeux, Tanna, Le Prophète, Demain tout commence, Born to be blue, Jalouse, L’attente, Mr. Turner, Carole Matthieu, Tout nous sépare, Guy, La tortue rouge, Les hirondelles de Kaboul et, rien que pour l’année 2019, en compétition, sans doute les meilleurs films de l’année (Les Éblouis, J’ai perdu mon corps, La Belle époque, La dernière vie de Simon, La nuit venue, Lola vers la mer)…et tant d’autres et aussi de nombreux documentaires comme Abdel Rahman El Bacha - Un piano entre Orient et Occident, ou encore des courts-métrages. Sans oublier le concert mémorable de Francis Lai ou l’inoubliable concert de Vladimir Cosma.
Philippe Sarde sera donc l'invité d'honneur cette année (avec, au programme, un concert et deux master class), après Francis Lai, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Eric Serra, Gabriel Yared. Sarde a ainsi signé les musiques de grands classiques du cinéma, de films d’aventures d’abord : Fort Saganne, L’Ours, le Bossu ou La fille de d’Artagnan, mais aussi des musiques de films ou l’aventure est plus intime, comme celles des sublimes films de Claude Sautet (Les choses de la vie, César et Rosalie…) ou d'André Téchiné ( Hôtel des Amériques, Ma saison préférée …). Parmi les nombreux cinéastes avec lesquels il a travaillé figure également Bertrand Tavernier. Il a également composé la musique de Tess, nommé à l’Oscar de la meilleure musique. Lors de ce concert, il nous proposera une adaptation de ses œuvres ainsi revisitées pour l’occasion, avec tout un travail d’arrangements réalisé spécifiquement pour le festival. Il sera accompagné d’un orchestre de chambre mais aussi d’une jeune chanteuse Angelina Wismes qui interprétera sept chansons écrites par Philippe Sarde.
Outre le concert de Philippe Sarde, au programme : des projections de long-métrages divisées en trois sections (compétition, hors compétition, coups de projecteur), 6 courts-métrages en compétition) et, comme toujours, des grands classiques du cinéma, des rencontres et master class (publiques, professionnelles, avec les scolaires), des expositions, animations.
Comme chaque année, les films en compétition seront départagés par un jury, cette année présidé par le comédien François Berléand. Il sera entouré de l’actrice Mélanie Bernier, du compositeur Matthieu Gonet, de l’acteur Hugo Becker, de l’actrice Alice Taglioni. En ouverture, sera projeté le film Profession du père de Jean-Pierre Améris (en salles le 28 juillet 2021). En clôture, les festivaliers auront le plaisir de découvrir le film de Stéphane Foenkinos et David Foenkinos Les Fantasmes (en salles le 18 août 2021).
Parmi les films de cette édition, il me tarde de découvrir notamment Profession du père de Jean-Pierre Améris, C’est toi que j’attendais de Stéphanie Pilonca (mis en musique par Aurélie Saada, film en compétition), Sœurs de Yamina Benguigui ( avec la présence potentielle d’Isabelle Adjani, hors compétition), et même un film qui sera déjà sorti en salles le 13 juin Villa Caprice de Bernard Stora ou encore Music de Sia, un film annoncé par le nouveau programmateur du festival, Florestan La Torre, comme « très lumineux, très poétique » (un film qui ne sortira pas en France). Le petit Piaf de Gérard Jugnot sera également présenté en compétition et en avant-première (sortie prévue en février 2022.)
Les longs-métrages en Compétition
Les longs-métrages Hors Compétition sont les suivants :
Les coups de projecteurs ( longs-métrages singuliers dans lesquels la musique joue un véritable rôle) :
Comme toujours, le festival proposera : des master class, des débats notamment sur "la place des compositrices dans le cinéma français", la rencontre au Marché de La Baule, une exposition photo dédiée cette année à la Nouvelle Vague au Centre Culturel Chapelle Saint-Anne du 19 juin au 4 juillet, une résidence d'artistes nommée « La Factory ». Parmi les nouveautés : un village du festival, la salle Atlantia transformée en cinéma, l’excellent site Universcine dont je vous parle souvent ici partenaire du festival, mais aussi une nouvelle équipe à la programmation du festival, des ateliers professionnels. Autre nouveauté : un pass unique de 65 euros mis en vente le 1er juin sur le site du festival (250 pass seront ainsi mis en vente), et sur place au Cinéma Le Gulf Stream à partir du 13 juin. Pas de réservation à l’avance désormais. Le pass permettra de voir les films dès lors qu’il sera en votre possession. Pour le concert, vous pourrez également effectuer vos réservations dès le 1er juin. D'autres films surprises viendront s’ajouter à la liste. Cet article sera complété également avec les classiques parmi lesquels il y a fort à parier qu’il y aura Les choses de la vie de Claude Sautet dont je vous propose ma critique ci-dessous.
La Baule était célèbre pour sa plage et les cinéastes qu’elle a inspirés comme Diane Kurys qui, en 1990, y tourna le populaire La Baule-les-pins et très récemment, Christophe Barratier pour Envole-moi actuellement à l’affiche. Pas moins de 58 œuvres cinématographiques furent ainsi tournées en Pays de La Loire en 2020, certaines à La Baule comme L’origine du mal. La Baule est donc désormais aussi célèbre pour son nouveau festival de cinéma créé il y a 7 ans par Sam Bobino et Christophe Barratier, des années après la fin du Festival du Film Européen de La Baule.
« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». Telle est la citation d’ouverture du film Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch que j’avais eu le plaisir de revoir au Festival de La Baule (comme tant d’autres classiques d’ailleurs, notamment West side story ou Le cercle rouge), une citation empruntée à Albert Cohen à laquelle chaque année ce festival qui nous unit dans un océan de musiques est un parfait démenti. Je vous le promets : vous en repartirez avec une envie fiévreuse de vous enivrer de musiques !
Pour toutes les informations pratiques : le site officiel du festival
Pour revoir la conférence de presse : la page Facebook du festival
CRITIQUE de LES CHOSES DE LA VIE DE CLAUDE SAUTET
Mercredi 23/06 - 12H30 - Cinéma Le Gulf Stream
L’hommage que le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2021 rendra à Philippe Sarde est pour moi l’excellent prétexte pour vous parler à nouveau de Claude Sautet pour qui Sarde a composé la musique du film Les Choses de la vie. Avec quelques digressions pour évoquer ma passion pour l'ensemble de la filmographie de Claude Sautet...en espérant vous donner envie de (re)voir ses films.
Les choses de la vie est certainement le film de Sautet que j’ai le plus de mal à revoir tant il me bouleverse à chaque fois, sans doute parce qu’il met en scène ce que chacun redoute : la fatalité qui fauche une vie en plein vol. Le film est en effet placé d’emblée sous le sceau de la fatalité puisqu’il débute par un accident de voiture. Et une cacophonie et une confusion qui nous placent dans la tête de Pierre (Michel Piccoli). Cet accident est le prétexte à un remarquable montage qui permet une succession de flashbacks, comme autant de pièces d’un puzzle qui, reconstitué, compose le tableau de la personnalité de Pierre et de sa vie sentimentale.
Au volant de sa voiture, Pierre (Michel Piccoli donc), architecte d’une quarantaine d’années, est victime d’un accident. Éjecté du véhicule, il gît inconscient sur l’herbe au bord de la route. Il se remémore son passé, sa vie avec Hélène (Romy Schneider), une jeune femme qu’il voulait quitter, sa femme Catherine (Lea Massari) et son fils (Gérard Lartigau)...
Sur la tombe de Claude Sautet, au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance ». Voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma. Celui de la dissonance. De l’imprévu. De la note inattendue dans la quotidienneté. Et aussi parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition.
Tous les films de Sautet se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants. Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif. C’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».
Si son premier film, Classe tous risques, est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films et notamment Les choses de la vie même si a priori Claude Sautet changeait radicalement de genre cinématographique avec cette adaptation d’un roman de Paul Guimard, écrite en collaboration avec Jean-Loup Dabadie.
« Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. » disait ainsi Truffaut. Et en effet, le principal atout des films de Sautet, c’est la virtuosité avec laquelle sont dépeints, filmés et interprétés ses personnages qui partent de stéréotypes pour nous faire découvrir des personnalités attachantes et tellement uniques, qui se révèlent finalement éloignées de tout cliché.
On a souvent dit de Claude Sautet qu'il était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle. S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.
Ce sont avant tout de ses personnages dont on se souvient après avoir vu un film de Sautet. Ses films ensuite porteront d’ailleurs presque tous des prénoms pour titres. On se dit ainsi que Les choses de la vie aurait ainsi pu s'intituler... Hélène et Pierre.
Même dans Quelques jours avec moi, qui ne porte pas pour titre des prénoms de personnages (un film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de douce cruauté), c’est du personnage de Pierre (interprété par Daniel Auteuil) dont on se souvient.
De Nelly et M. Arnaud, on se souvient d'Arnaud (Michel Serrault), magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et de Nelly (Emmanuelle Béart), jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d’Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma : silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle et le suspense y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié avec Les choses de la vie : le thriller des sentiments.
Dans Un cœur en hiver, là aussi, le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard, à chaque note, à chaque geste d’une précision rare, ceux de Stephan (Daniel Auteuil). Je n’ai d'ailleurs encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque vivre en dehors de l’écran. Là encore comme s'il s'agissait un thriller énigmatique, à chaque visionnage, je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il.
Et puis, évidemment, il y a l’inoubliable César. Un des plus beaux rôles d’Yves Montand. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent constamment la mélancolie sous-jacente. Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour la Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement.
César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres. Les films de Sautet sont donc avant tout des films de personnages. Des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.
Les choses de la vie, c’est le film par lequel débute la collaboration de Claude Sautet avec le compositeur Philippe Sarde. Le thème nostalgique et mélancolique intitulé La chanson d’Hélène a aussi contribué à son succès. Sarde avait d’ailleurs fait venir Romy Schneider et Michel Piccoli en studio pour qu’ils posent leur voix sur la mélodie. Cette version, poignante, ne sera finalement pas utilisée dans le film.
Et puis il y a les dialogues, remarquables, qui pourraient aussi être qualifiés de musiques, prononcés par les voix si mélodieuses et particulières de Romy Schneider et Michel Piccoli : « Quel est le mot pour mentir enfin pas mentir mais raconter des histoires, mentir mais quand on invente affabuler ». « Je suis fatiguée de t'aimer. » « Brûler la lettre pour ne pas vivre seul. » Parfois ils sont cinglants aussi… : la fameuse dissonance ! Comme « Nous n'avons pas d'histoire et pour toi c'est comme les gens qui n'ont pas d'enfants c'est un échec». On songe à la magnifique lettre de Rosalie dans César et Rosalie, aux mots prononcés par la voix captivante de Romy Schneider qui pourraient être ceux d’un poème ou d’une chanson : « Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter, qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir... ».
Il y eut un avant et un après Les choses de la vie pour Claude Sautet mais aussi pour Romy Schneider et Michel Piccoli. La première est aussi éblouissante qu’émouvante en femme éperdument amoureuse, après La Piscine de Jacques Deray, film dans lequel elle incarnait une femme sublime, séductrice dévouée, forte, provocante. Et Michel Piccoli incarne à la fois la force, l’élégance et la fragilité et puis il y a cette voix ensorceleuse et inimitable qui semble nous murmurer son histoire à notre oreille.
Comme dans chacun des films de Sautet, les regards ont aussi une importance cruciale. On se souvient de ces regards échangés à la fin de César et Rosalie. Et du regard tranchant de Stéphane (Daniel Auteuil) dans Un cœur en hiver…Et de ce dernier plan qui est encore affaire de regards.
Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, comme il intrigue Camille (Emmanuelle Béart), exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres. Encore une digression pour vous recommander "Un coeur en hiver", mon film de Sautet préféré, une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images (ma critique complète sur Inthemoodforcinema.com).
Dans Les choses de la vie, on se souviendra longtemps du regard d’Hélène qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder elle n'est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante….
Les regards sont aussi capitaux dans la séquence sublime du restaurant dans laquelle ils passent du rendez-vous d’amour à la dispute, une scène qu’ils ne paraissent pas jouer mais vivre sous nos yeux, dans un de ces fameux cafés ou brasseries qu’on retrouvera ensuite dans tous les films de Claude Sautet, dans les scènes de groupe dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique. On retrouvera aussi la solitude dans et malgré le groupe. « A chaque film, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. » dira ainsi Claude Sautet. On retrouvera souvent les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes.
Annie Girardot et Yves Montand puis Lino Ventura déclinèrent les rôles d'Hélène et de Pierre dans Les choses de la vie. Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui, là encore, résonnent comme les paroles d’une chanson : «J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes.
Je termine toujours ou presque la vision d’un film de Sautet bouleversée, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. En nous racontant des « histoires simples », il a dessiné des personnages complexes qui nous parlent si bien de « choses de la vie ». Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble, et celui-ci est sans doute le plus tragique et poignant.
Il y a les cinéastes qui vous font aimer le cinéma, ceux qui vous donnent envie de faire du cinéma, ceux qui vous font appréhender la vie différemment, voire l’aimer davantage encore. Claude Sautet, pour moi, réunit toutes ces qualités.
Certains films sont ainsi comme des rencontres, qui vous portent, vous enrichissent, vous influencent ou vous transforment même parfois. Les films de Claude Sautet font partie de cette rare catégorie et de celle, tout aussi parcimonieuse, des films dont le plaisir à les revoir, même pour la dixième fois, est toujours accru par rapport à la première projection. J’ai beau connaître les répliques par cœur, à chaque fois César et Rosalie m’emportent dans leur tourbillon de vie joyeusement désordonné, exalté et exaltant. J’ai beau connaître par cœur Les choses de la vie et le destin tragique de Pierre me bouleverse toujours autant et ce « brûle la lettre » ne cesse de résonner encore et encore comme une ultime dissonance.
Les choses de la vie obtint le Prix Louis-Delluc 1970 et connut aussi un grand succès public.
Critique de ETE 85 de François Ozon
(Dimanche 27/06, cinéma Le Gulf Stream, 12H30)
Les premières minutes des films d’Ozon, brillants exercices d’exposition mais aussi de manipulation, sont des éléments incontournables de ses scénarii ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques, et sont toujours annonciatrices des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant. Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traitre), riche de mises en abyme. Dès les premières secondes, il happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. « Été 85 » ne déroge pas à la règle. C’est le cliquetis d’une cellule qu'on ouvre qui précède la vision de deux silhouettes dans la pénombre, fantomatiques. Et puis, ces mots tranchants et saisissants : « Je dois être dingue. Quand on a choisi la mort comme passe-temps, c'est qu'on est dingue. […]Ce qui m'intéresse c'est la mort. Un cadavre m'a fait un effet pas possible. Si vous n'avez pas envie de savoir comment il est devenu un cadavre alors vous n'avez qu'à laisser tomber ce n'est pas une histoire pour vous. » Ensuite, la rupture de style avec ces images éblouissantes de la plage du Tréport, sur fond de la musique de "In Between days" de The Cure. Toujours aussi cette dichotomie (ici entre ombre et lumière, désirs -de vie, amoureux- et mort qui plane), présente dès le début, qui laisse présager un drame, inéluctable. L’illusion aussi : du bonheur, et celle que crée le cinéma. Un début qui rappelle celui de « Frantz » : les cloches d’une église qui retentissent et une silhouette fantomatique qui apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue. Les premiers plans d’« Une nouvelle amie » jouaient aussi avec notre perception de la réalité, et là aussi, se référaient à la mort, donnant l’impression qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage qui est en fait son enterrement. Là aussi, un premier plan dans lequel tout était dit : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, la double identité.
L’été 85, c’est celui des 16 ans d’Alexis (Félix Lefebvre) qui, lors d’une sortie en mer, est sauvé héroïquement du naufrage (et donc de la mort, déjà) par David (Benjamin Voisin), 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu'un été ? C’est aussi l’été 85, celui de ses 17 ans, que François Ozon a lu le roman d’Aidan Chambers, « La Danse du coucou » dont « Été 85 » est adapté. « Été 85 » faisait aussi partie de la Sélection officielle du Festival de Cannes 2020.
Alexis ne cesse de parler de la mort sans doute pour en exorciser la hantise : « Les baignoires m'ont toujours fait penser à des cercueils ». Quant à David, il a perdu son père et il feint de ne rien en éprouver (« T'inquiète, c'est passé. ») et il dégaine son peigne comme un cowboy dégainerait un couteau : Ozon met ainsi en scène une inquiétante normalité qui, d’un instant à l’autre, semble pouvoir dériver vers le drame, toujours latent.
En 2001, « Sous le sable », était le premier film de François Ozon sur le deuil et le refus de son acceptation. Le personnage incarné par Charlotte Rampling refusait ainsi d’accepter la mort de son mari tout comme Adrien et Anna, dans « Frantz » sont éprouvés par la mort de ce dernier qu’ils tentent de faire revivre à leur manière. Dans « Une nouvelle amie », lorsque Claire et David révèlent leurs vraies personnalités en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Dans « Le temps qui reste », film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement, là aussi, déjà, la mort rôdait constamment.
Dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils dissimulent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité. Ses films sont ainsi souvent à l’image de ceux dont ils relatent l’histoire : en trompe-l’œil, multiples et audacieux, derrière une linéarité et un classicisme apparents. Manipulateur hors-pair, Ozon fait ainsi l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans « Dans la maison » dans lequel il s’amusait avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Dans « Frantz », hymne à la vie comme peut l’être « Été 85 » Rilke était le poète préféré d’Anna, lui qui dans « Lettres à un jeune poète » mieux que quiconque a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent. Dans « Été 85 » aussi, l’écriture à nouveau permet à la vérité d’éclater et à l’amour de revivre, en tout cas une vérité, celle vue à travers le regard et les mots d’Alexis. Dans « Dans la maison », Ozon rendait déjà hommage au prodigieux pouvoir des mots (dans « Swimming pool » aussi), à leur troublante beauté, nous donnant des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipulant tout comme l’élève y manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme (un personnage de professeur d’ailleurs également présent dans « Été 85 » sous les traits de Melvil Poupaud.) Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités sont aussi souvent à l’œuvre dans le cinéma d’Ozon. Une fois de plus, Ozon fait ici l’éloge de l’art, de l’imaginaire, son pouvoir destructeur et salvateur. Ainsi, pour Alexis, la seule façon de retrouver David, c'est de lui redonner vie à travers les mots. Par la force de l’imaginaire. « Depuis que j'ai commencé à écrire c'est comme si j'étais devenu moi-même un personnage. » dit-il ainsi. L’imaginaire qui traduit ou trahit la réalité : « Ce n'est pas David que tu aimes mais l'idée que tu te fais de lui. », « Tu crois qu'on invente les gens qu'on aime ? ».
Plusieurs scènes sont des bijoux d’émotion et/ou de tension avec toujours, un sens aigu du suspense : la scène du naufrage mais aussi deux scènes qui se répondent. Deux danses fiévreuses sur « Sailing » de Rod Stewart, foudroyantes de beauté qui glorifient la vie, la fureur de vivre même, celle de David épris de rage de vivre qui roule de plus en plus vite pour essayer de rattraper la vitesse (« Pourquoi perdre du temps, on est tous mortels ») mais aussi de l’amour, celui dont Alexis n’est « jamais rassasié. »
Ce après quoi David court, Ozon nous le donne avec ce film envoûtant : une « bulle de temps intemporelle ». Une fois de plus, son film est construit comme une démonstration parfaite et implacable. En plus de ces deux scènes précédemment évoquées dans lesquelles vie et mort s’en(tre)lacent, le début et la fin se répondent comme dans presque tous ses films. Le plan de la fin (lumineux, ouvrant sur l’avenir, l’ailleurs, l’espoir, en extérieur, avec un personnage de dos) étant le parfait contraire de celui du début (obscur, annonciateur d’un avenir désespéré, dénué d’espoir, dans un lieu clos, avec un personnage de face). Une fin qui rappelle celle que Germain (Fabrice Luchini) définit comme idéale dans le cours d’écriture qu’il donne à son élève dans « Dans la maison » : « Quand le spectateur se dit : Je ne m’attendais pas à ça et ça ne pouvait pas finir autrement ».
Ozon, une fois de plus, joue et jongle brillamment avec les genres cinématographiques, les références (notamment à la trouble incandescence de « Plein soleil », certains plans sur le bateau évoquant le film de René Clément), les perceptions, les illusions (du spectateur, des personnages) pour nous raconter une histoire d’amour universelle portée par deux acteurs à fleur de peau sidérants de justesse, Benjamin Voisin (déjà remarquable dans l’incroyablement inventif film de Léo Karmann, « La Dernière vie de Simon ») et Félix Lefebvre (sans oublier les excellents seconds rôles au premier rang desquels Valeria Bruni Tedeschi en mère loufoque), mais aussi grâce à une reconstitution à la fois réaliste et fantasmagorique d’une époque (aussi grâce au grain si particulier du Super 16), une bande-originale romantique et nostalgique. Un film fougueux, électrique, malicieusement dichotomique, sombre et lumineux, cruel et doux, tragique et ironique, qui enfièvre la réalité, enragé de fureur de vivre, d’aimer pour raconter la mort, ou la défier peut-être... Et une fois de plus, une passionnante réflexion sur le pouvoir des illusions, artistiques ou amoureuses, qui, au dénouement de ce film intense, portent et emportent vers un avenir radieux empreint de la beauté mélancolique d’un vers de Verlaine. Ou d’une danse funèbre, terriblement sublime, à jamais gravée dans nos mémoires de spectateurs.
Pour les bonnes adresses à La Baule, rendez-vous sur mon site http://inthemoodforhotelsdeluxe.com (ci-dessous, photo de l'hôtel Barrière L'Hermitage, partenaire du festival). Retrouvez mes articles complets sur l'hôtel Barrière l'Hermitage La Baule, sur le Castel Marie-Louise et sur le Royal Thalasso Barrière.
« Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » « Entre l’art et la vie, je choisis la vie ». Tel est l’un des pouvoirs magiques des festivals de cinéma : nous éviter d’être confrontés à ces choix cornéliens (ces citations sont extraites du film Un homme et une femme de Claude Lelouch) en permettant à l’art et la vie de s’entrelacer, au point qu’ils se confondent parfois, a fortiori au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule où la musique est omniprésente, et procure à chaque instant une aura romanesque.
Des six premières éditions du festival, je n’en ai manqué aucune et plus que nulle part ailleurs mes souvenirs de vie et de cinéma s’y entremêlent. Comment oublier que j’y ai passé le 13 novembre 2015 ? Comment ne pas penser au concert de Michel Legrand qui avait eu lieu le lendemain, ce fameux 14 novembre 2015 donc, concert lors duquel Michel Legrand, alors comme toute l’assistance bouleversé par l’ignominie impensable qui avait eu lieu la veille, avait débuté son concert par un morceau improvisé et deux mesures de La Marseillaise ? Et puis la mise en abyme était à son apogée dans le cadre de ce festival puisque j’avais en effet immortalisé cette soirée du 14 novembre 2015 à La Baule dans l’une des nouvelles de mon recueil sur les festivals de cinéma Les illusions parallèles, publié en 2016, avec une nouvelle intitulée Un certain 14 novembre, un recueil que j’ai eu le plaisir de dédicacer le… 13 novembre de l’année suivante au festival, aux côtés de Lalo Schifrin, invité d’honneur cette année-là.
Une oasis de quiétude, de rêve et d'évasion. Voilà ce vers quoi nous invite à voyager l'affiche du 7ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule en référence aux films d'Aventure, thématique de cette édition, mais aussi à Philippe Sarde, invité d'honneur du festival, lequel a notamment signé les musiques de grands films d’aventures telles que celles de Fort Saganne, L’Ours, le Bossu ou La fille de d’Artagnan, mais aussi des musiques de films ou l’aventure est plus intime, comme celles des sublimes films de Claude Sautet (Les choses de la vie, César et Rosalie…) ou d'André Téchiné ( Hôtel des Amériques, Ma saison préférée …). L'hôtel Hermitage, lieu phare du festival apparaît ici comme une oasis au milieu du désert en lequel se transforme la plage de La Baule.
Pour rêver sous le ciel mystérieux, magique, et constellé d'étoiles de l’affiche qui fait allusion aux contes orientaux mais aussi au récit d’aventure de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, il faudra donc patienter un peu car le festival qui devait avoir lieu du 10 au 15 novembre 2020 a été reporté au mois de Juin 2021, du 23 au 27.
En plus des concerts de ses invités d’honneur (au premier rang desquels celui, absolument inoubliable, de Vladimir Cosma), j’ai découvert tant de films remarquables grâce à ce festival parmi lesquels Paterson, À peine j’ouvre les yeux, Tanna, Le Prophète, Demain tout commence, Born to be blue, Jalouse, L’attente, Mr. Turner, Carole Matthieu, Tout nous sépare, Guy, La tortue rouge, Les hirondelles de Kaboul et, rien que pour l’année 2019, en compétition, sans doute les meilleurs films de l’année (Les Éblouis, J’ai perdu mon corps, La Belle époque, La dernière vie de Simon, La nuit venue, Lola vers la mer)…et tant d’autres et aussi de nombreux documentaires comme Abdel Rahman El Bacha - Un piano entre Orient et Occident, ou encore des courts-métrages.
« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». Telle est la citation d’ouverture du film Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch que j’avais eu le plaisir de revoir au Festival de La Baule (comme tant d’autres classiques d’ailleurs, notamment West side story ou Le cercle rouge), une citation empruntée à Albert Cohen à laquelle chaque année ce festival qui nous unit dans un océan de musiques est un parfait démenti. Chaque année, je repars ainsi de ce festival avec une envie fiévreuse de m’enivrer de musiques. Et je ne doute pas que ce sera le cas après cette édition de Juin 2021 à laquelle je vous donne d’ores et déjà rendez-vous pour vous griser de musiques sur la plus longue plage d’Europe, baie aux mille visages, entre élégante quiétude et beauté incendiaire.
La Baule était célèbre pour sa plage et les cinéastes qu’elle a inspirés comme Diane Kurys qui, en 1990, y tourna le populaire La Baule-les-pins. Elle l’est désormais aussi pour son festival de cinéma (créé il y a 7 ans par Sam Bobino et Christophe Barratier) auquel nous souhaitons une longue vie même si la route de cette 7ème édition a été jalonnée d’obstacles dont, sans aucun doute, ce bel évènement sortira encore grandi.
CRITIQUE de LES CHOSES DE LA VIE DE CLAUDE SAUTET
L’hommage que le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2021 rendra à Philippe Sarde est pour moi l’excellent prétexte pour vous parler à nouveau de Claude Sautet pour qui Sarde a composé la musique du film Les Choses de la vie. Avec quelques digressions pour évoquer ma passion pour l'ensemble de la filmographie de Claude Sautet...en espérant vous donner envie de (re)voir ses films.
Les choses de la vie est certainement le film de Sautet que j’ai le plus de mal à revoir tant il me bouleverse à chaque fois, sans doute parce qu’il met en scène ce que chacun redoute : la fatalité qui fauche une vie en plein vol. Le film est en effet placé d’emblée sous le sceau de la fatalité puisqu’il débute par un accident de voiture. Et une cacophonie et une confusion qui nous placent dans la tête de Pierre (Michel Piccoli). Cet accident est le prétexte à un remarquable montage qui permet une succession de flashbacks, comme autant de pièces d’un puzzle qui, reconstitué, compose le tableau de la personnalité de Pierre et de sa vie sentimentale.
Au volant de sa voiture, Pierre (Michel Piccoli donc), architecte d’une quarantaine d’années, est victime d’un accident. Éjecté du véhicule, il gît inconscient sur l’herbe au bord de la route. Il se remémore son passé, sa vie avec Hélène (Romy Schneider), une jeune femme qu’il voulait quitter, sa femme Catherine (Lea Massari) et son fils (Gérard Lartigau)...
Sur la tombe de Claude Sautet, au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance ». Voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma. Celui de la dissonance. De l’imprévu. De la note inattendue dans la quotidienneté. Et aussi parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition.
Tous les films de Sautet se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants. Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif. C’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».
Si son premier film, Classe tous risques, est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films et notamment Les choses de la vie même si a priori Claude Sautet changeait radicalement de genre cinématographique avec cette adaptation d’un roman de Paul Guimard, écrite en collaboration avec Jean-Loup Dabadie.
« Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. » disait ainsi Truffaut. Et en effet, le principal atout des films de Sautet, c’est la virtuosité avec laquelle sont dépeints, filmés et interprétés ses personnages qui partent de stéréotypes pour nous faire découvrir des personnalités attachantes et tellement uniques, qui se révèlent finalement éloignées de tout cliché.
On a souvent dit de Claude Sautet qu'il était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle. S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.
Ce sont avant tout de ses personnages dont on se souvient après avoir vu un film de Sautet. Ses films ensuite porteront d’ailleurs presque tous des prénoms pour titres. On se dit ainsi que Les choses de la vie aurait ainsi pu s'intituler... Hélène et Pierre.
Même dans Quelques jours avec moi, qui ne porte pas pour titre des prénoms de personnages (un film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de douce cruauté), c’est du personnage de Pierre (interprété par Daniel Auteuil) dont on se souvient.
De Nelly et M. Arnaud, on se souvient d'Arnaud (Michel Serrault), magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et de Nelly (Emmanuelle Béart), jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d’Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma : silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle et le suspense y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié avec Les choses de la vie : le thriller des sentiments.
Dans Un cœur en hiver, là aussi, le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard, à chaque note, à chaque geste d’une précision rare, ceux de Stephan (Daniel Auteuil). Je n’ai d'ailleurs encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque vivre en dehors de l’écran. Là encore comme s'il s'agissait un thriller énigmatique, à chaque visionnage, je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il.
Et puis, évidemment, il y a l’inoubliable César. Un des plus beaux rôles d’Yves Montand. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent constamment la mélancolie sous-jacente. Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour la Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement.
César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres. Les films de Sautet sont donc avant tout des films de personnages. Des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.
Les choses de la vie, c’est le film par lequel débute la collaboration de Claude Sautet avec le compositeur Philippe Sarde. Le thème nostalgique et mélancolique intitulé La chanson d’Hélène a aussi contribué à son succès. Sarde avait d’ailleurs fait venir Romy Schneider et Michel Piccoli en studio pour qu’ils posent leur voix sur la mélodie. Cette version, poignante, ne sera finalement pas utilisée dans le film.
Et puis il y a les dialogues, remarquables, qui pourraient aussi être qualifiés de musiques, prononcés par les voix si mélodieuses et particulières de Romy Schneider et Michel Piccoli : « Quel est le mot pour mentir enfin pas mentir mais raconter des histoires, mentir mais quand on invente affabuler ». « Je suis fatiguée de t'aimer. » « Brûler la lettre pour ne pas vivre seul. » Parfois ils sont cinglants aussi… : la fameuse dissonance ! Comme « Nous n'avons pas d'histoire et pour toi c'est comme les gens qui n'ont pas d'enfants c'est un échec». On songe à la magnifique lettre de Rosalie dans César et Rosalie, aux mots prononcés par la voix captivante de Romy Schneider qui pourraient être ceux d’un poème ou d’une chanson : « Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter, qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir... ».
Il y eut un avant et un après Les choses de la vie pour Claude Sautet mais aussi pour Romy Schneider et Michel Piccoli. La première est aussi éblouissante qu’émouvante en femme éperdument amoureuse, après La Piscine de Jacques Deray, film dans lequel elle incarnait une femme sublime, séductrice dévouée, forte, provocante. Et Michel Piccoli incarne à la fois la force, l’élégance et la fragilité et puis il y a cette voix ensorceleuse et inimitable qui semble nous murmurer son histoire à notre oreille.
Comme dans chacun des films de Sautet, les regards ont aussi une importance cruciale. On se souvient de ces regards échangés à la fin de César et Rosalie. Et du regard tranchant de Stéphane (Daniel Auteuil) dans Un cœur en hiver…Et de ce dernier plan qui est encore affaire de regards.
Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, comme il intrigue Camille (Emmanuelle Béart), exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres. Encore une digression pour vous recommander "Un coeur en hiver", mon film de Sautet préféré, une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images (ma critique complète sur Inthemoodforcinema.com).
Dans Les choses de la vie, on se souviendra longtemps du regard d’Hélène qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder elle n'est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante….
Les regards sont aussi capitaux dans la séquence sublime du restaurant dans laquelle ils passent du rendez-vous d’amour à la dispute, une scène qu’ils ne paraissent pas jouer mais vivre sous nos yeux, dans un de ces fameux cafés ou brasseries qu’on retrouvera ensuite dans tous les films de Claude Sautet, dans les scènes de groupe dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique. On retrouvera aussi la solitude dans et malgré le groupe. « A chaque film, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. » dira ainsi Claude Sautet. On retrouvera souvent les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes.
Annie Girardot et Yves Montand puis Lino Ventura déclinèrent les rôles d'Hélène et de Pierre dans Les choses de la vie. Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui, là encore, résonnent comme les paroles d’une chanson : «J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes.
Je termine toujours ou presque la vision d’un film de Sautet bouleversée, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. En nous racontant des « histoires simples », il a dessiné des personnages complexes qui nous parlent si bien de « choses de la vie ». Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble, et celui-ci est sans doute le plus tragique et poignant.
Il y a les cinéastes qui vous font aimer le cinéma, ceux qui vous donnent envie de faire du cinéma, ceux qui vous font appréhender la vie différemment, voire l’aimer davantage encore. Claude Sautet, pour moi, réunit toutes ces qualités.
Certains films sont ainsi comme des rencontres, qui vous portent, vous enrichissent, vous influencent ou vous transforment même parfois. Les films de Claude Sautet font partie de cette rare catégorie et de celle, tout aussi parcimonieuse, des films dont le plaisir à les revoir, même pour la dixième fois, est toujours accru par rapport à la première projection. J’ai beau connaître les répliques par cœur, à chaque fois César et Rosalie m’emportent dans leur tourbillon de vie joyeusement désordonné, exalté et exaltant. J’ai beau connaître par cœur Les choses de la vie et le destin tragique de Pierre me bouleverse toujours autant et ce « brûle la lettre » ne cesse de résonner encore et encore comme une ultime dissonance.
Les choses de la vie obtint le Prix Louis-Delluc 1970 et connut aussi un grand succès public.
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