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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Ce soir, Canal plus diffuse la palme d'or française du Festival de Cannes 2008: "Entre les murs" de Laurent Cantet, une projection cannoise mémorable à laquelle inthemoodforcinema.com était.
En raison de l’inimitié ou de la potentielle rancœur subsistant entre Isabelle Huppert et Quentin Tarantino suite à leurs dissensions lors du casting d’ « Inglourious Basterds » et du lien particulier qui unit cette dernière à Haneke ( « La Pianiste » du même Haneke lui a valu un prix d’interprétation cannois), je supposais que « Le ruban blanc » devait être un chef d’œuvre tel que ce prix mettait la présidente du jury 2009 hors du moindre soupçon d’avoir favorisé le réalisateur autrichien, pour des raisons autres que cinématographiques.
Alors, « un ruban blanc » est-il ce chef d’œuvre irréfutable faisant de cette palme d’or une évidence ?
Haneke est aussi outrancier dans l’austérité que Tarantino l’est dans la flamboyance. Leurs cinémas sont à leurs images, extrêmes. Alors difficile de comparer deux films aussi diamétralement opposés même si pour moi l’audace, l’inventivité, la cinéphilie de Tarantino le plaçaient au-dessus du reste de cette sélection 2009. Audace, inventivité, cinéphilie : des termes qui peuvent néanmoins tout autant s’appliquer à Haneke même si pour moi « Caché » (pour lequel il avait reçu un prix de la mise en scène en 2005) méritait davantage cette palme d’or (et celui-ci un Grand Prix) qui, à défaut d’être une évidence, se justifie et se comprend aisément.
Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un instituteur raconte l’histoire d’étranges incidents qui surviennent dans la petite communauté protestante formée par les élèves et leurs familles. Peu à peu, d’autres accidents surviennent et prennent l’allure d’un rituel primitif.
Quel qu’en soit l’enjeu et aussi âpre soit-elle, Haneke a le don de créer une atmosphère quasi hypnotique, et de vous y plonger. L’admiration pour la perfection formelle l’emporte toujours sur le rejet de l’âpreté, sur cette froideur qui devrait pourtant nous tenir à distance, mais qui aiguise notre intérêt, notre curiosité. La somptuosité glaciale et glaçante de la réalisation, la perfection du cadre et des longs plans fixes où rien n’est laissé au hasard sont aussi paralysants que l’inhumanité qui émane des personnages qui y évoluent.
Derrière ce noir et blanc, ces images d’une pureté étrangement parfaite, à l’image de ces chérubins blonds symboles d’innocence et de pureté (que symbolise aussi le ruban blanc qu’on leur force à porter) se dissimulent la brutalité et la cruauté.
L’image se fige à l’exemple de cet ordre social archaïquement hiérarchisé, et de cette éducation rigoriste et puritaine dont les moyens sont plus cruels que les maux qu’elle est destinée prévenir et qui va provoquer des maux plus brutaux encore que ceux qu’elle voulait éviter. La violence, au lieu d’être réprimé, s’immisce insidieusement pour finalement imposer son impitoyable loi. Cette violence, thème cher à Haneke, est toujours hors champ, « cachée », et encore plus effrayante et retentissante.
Ce ruban blanc c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc.
Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres.
La forme démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.
Que dire de l’interprétation ? Elle est aussi irréprochable. Les enfants jouent avec une innocence qui semble tellement naturelle que l’horreur qu’ils recèlent en devient plus terrifiante encore.
Avec une froideur et un ascétisme inflexibles, avec une précision quasi clinique, avec une cruauté tranchante et des dialogues cinglants, avec une maîtrise formelle fascinante, Haneke poursuit son examen de la violence en décortiquant ici les racines du nazisme, par une démonstration implacable et saisissante. Une œuvre inclassable malgré ses accents bergmaniens.
Un film à voir absolument. L'oeuvre austère, cruelle, dérangeante, convaincante, impressionnante d'un grand metteur en scène.
En attendant ma critique, ce soir, d' "Inglourious basterds" de Quentin Tarantino (compétition officielle 2009), un film dont je peux déjà vous annoncer qu'il est absolument magistral, pour l'instant ma palme d'or, voici, pour patienter, Quentin Tarantino et Brad Pitt (photo: inthemoodforcannes.com ).
Nous venons de l'apprendre: "Entre les murs" représentera la France à la course aux Oscars 2009! Il a été préféré à notamment "Faubourg 36" et "Un conte de Noël" par le comité de sélection français entre autres composé de Jean-Jacques Annaud, Jeanne Moreau, Thierry Frémaux. Un film radicalement différent de "La Môme" pour lequel Marion Cotillard avait été récompensée l'an passé. Espérons que la France sera de nouveau, et d'autant plus, à l'honneur en 2009. Nous saurons en janvier 2009 si "Entre les murs" est nommé comme meilleur film étranger. En attendant rendez-vous le 24 dans les salles pour le découvrir.
Le film de Laurent Cantet lauréat de la palme d'or 2008, sortira en effet en salles en France mercredi prochain, je vous le recommande vivement. Pour avoir lu le roman récemment, je réalise d'autant plus le travail accompli (des parties entières se retrouvent telles quelles dans le roman) et d'autant plus admirable qu'à l'écran tout semble naturel, filmé sur le réel.
Ci-dessous mon article publié sur "In the mood for Cannes" à la suite de la mémorable projection cannoise du film, ainsi que mes vidéos de la fin de la projection au Grand Théâtre Lumière.
Hier avait lieu la projection du dernier film français en compétition, après « Un Conte de noël » d’Arnaud Desplechin et « La Frontière de l’aube » de Philippe Garrel : « Entre les murs » adapté du roman éponyme de François Bégaudeau qui y interprète ou plutôt recrée son propre rôle.
Synopsis : François est un jeune professeur de français d’une classe de 4ème dans un collège difficile. Il n’hésite pas à affronter ses élèves dans de stimulantes joutes verbales. Mais l’apprentissage de la démocratie peut parfois comporter de vrais risques...
Rarement une projection de cette édition 2008 aura suscité autant d’enthousiasme, se manifestant notamment par 6 minutes d’applaudissements à la fin de la projection mais aussi par des rires et des applaudissements ayant ponctué celle-ci.
Entre documentaire et fiction « Entre les murs » s’inscrit pourtant dans la lignée des films présentés cette année, du moins de par son sujet très réaliste, un film dont il est amusant de constater que son titre cette fois encore évoque l’idée d’enfermement, leitmotiv des films de cette édition 2008, mais aussi par sa forme très proche du documentaire (proche également du faux documentaire comme « Je veux voir » dont je vous ai déjà parlé il y a quelques jours).
Comme son titre l’indique, Laurent Cantet ne fait jamais sortir ses personnages de l’enceinte de l’établissement mais ce qui s’y déroule est là encore un miroir du monde, une fenêtre ouverte sur ses « fracas » : l’exclusion culturelle et sociale notamment, les expulsions d’étrangers...
Les joutes verbales palpitantes et si révélatrices entre les élèves et le professeur nous rappellent « L’esquive » d’Abdellatif Kechiche, le langage étant également ici un des acteurs principaux : révélateur des tensions, incompréhensions de la classe, entre le professeur et ses élèves mais aussi du monde qu'elle incarne.
Le professeur n’est jamais condescendant ni complaisant avec ses élèves, les échanges qu’il a avec eux sont à la fois graves et drôles, tendres et féroces.
Laurent Cantet filme au plus près des visages tantôt le professeur tantôt les élèves qui parlent mais aussi ceux qui rêvassent, s'évadent des murs, jouent avec leurs portables... nous immergeant complètement dans la vie de cette classe dont la résonance va bien au-delà.
Laurent Cantet ne « victimise » ni les élèves ni les professeurs, il filme simplement deux réalités qui s’affrontent verbalement et qui dépassent parfois ceux qui la vivent.
Le tournage a été précédé d’une année d’ateliers d’improvisations et les « acteurs » sont de vrais élèves, parents d’élèves, professeurs, administratifs de l’école : le résultat est bluffant de réalisme. Filmant avec discrétion, sans esbroufe, mais toujours au service de ses protagonistes, Laurent Cantet nous dresse à la fois un portrait subtile du monde d’aujourd’hui mais aussi celui d’un professeur avec ses doutes, ses découragements, qui met les adolescents face à leur propre limites, se retrouvant parfois face aux siennes, n’excluant pas le dérapage dont le langage est une nouvelle fois le témoignage.
La tension et notre attention ne se relâchent jamais. En filmant un microcosme qui se révèle être une formidable caisse de résonance du mur qui se dresse entre le professeur et ses élèves, qui s’abat parfois le temps d’un inestimable instant, mais aussi de tout ce qui se déroule derrière les murs et que la caméra insinue avec beaucoup de subtilité, Laurent Cantet a signé un film fort sur la fragilité du monde d’aujourd’hui et sur ses fragilités dont l’école est le témoignage et le réceptacle. S'il nous montre qu'élèves et professeurs ne parlent bien souvent pas le même langage, il les humanise et filme leurs fragilités, leurs dérapages avec autant d'empathie qu'ils soient élèves ou professeurs, ce qui les humanise encore davantage.
Dire que François Bégaudeau interprète son propre rôle avec beaucoup de talent pourrait paraître ironique et pourtant il est probablement difficile de recréer sa propre réalité en lui donnant un tel sentiment de véracité.
Des murs entre lesquels le spectateur ne se sent jamais à l’étroit, toujours impliqué, conquis par ce film passionnant, qui traduit l'universel à travers l'intime. Un grand prix ou un prix du jury en perspective ? En tout cas une des palmes d’or des festivaliers !
Ci-dessous les réactions du public à l'issue de la projection de 16H dans le Grand Théâtre Lumière en présence de l'équipe du film.