Série - EN THÉRAPIE d'Éric Toledano et Olivier Nakache, saison 2, à découvrir sur Arte tv dès le 31 mars 2022
Hier soir, sur France 2, était diffusé Deux moi, un film de Cédric Klapisch de 2019, un conte sur l’ultra-moderne solitude urbaine dans lequel les errements de deux âmes sœurs sont mis en parallèle. Les deux protagonistes, chaque semaine, chacun de leur côté, confient leurs bleus à l’âme à un psy… À l’image de Klapisch, Toledano et Nakache, dans chacun de leurs films, ont su remarquablement saisir les maux et les contradictions de l’époque, et réconcilier des êtres et des réalités en apparence inconciliables ou irréconciliables. Rarement une œuvre télévisuelle est autant entrée en résonance avec son époque et ses besoins qu'En thérapie. Le tournage de la première saison s’achevait ainsi alors que le premier confinement débutait. Et c’est pendant celui de 2021 que la série a été diffusée. Comme une pause réconfortante au milieu de l'incompréhensible cacophonie. Comme un miroir apaisant pour nos esprits désorientés, avides d’être libérés et écoutés. Là, pas d’injonction à taire ses blessures ou faire son deuil, mais au contraire une écoute bienveillante, sans jugement. Un reflet apaisant. « C'est difficile de parler de soi. Certains disent que c'est le travail de toute une vie. », « Ici vous n'avez pas besoin de vous excuser de quoi que ce soit. », « Il n'y a pas de bonnes ou mauvaises pensées, pas de bonnes ou mauvaises choses à dire. ». Tels sont les mots du Docteur Dayan (Frédéric Pierrot), le psychanalyste d’En thérapie, dans les premiers épisodes de cette saison 2. « Vous sondez l'âme humaine » lui répond ainsi le personnage incarné par Jacques Weber.
Grâce au Festival Séries Mania, sur seriemaniadigital.com, j’ai en effet eu le plaisir de découvrir en avant-première les cinq premiers épisodes de la saison 2 de la série En thérapie d’Éric Toledano et Olivier Nakache, également présentés ce mercredi 23 mars au festival Séries Mania de Lille. Cette saison 2 sera disponible sur le site d'Arte dès le 31 mars 2022. Trente-cinq épisodes qui seront ensuite diffusés à la télévision le jeudi soir, à partir du 7 avril, à 20H55, jusqu’au 19 mai.
Je vous parle rarement de séries ici mais la saison 1 de celle-ci dont j’ai dévoré tous les épisodes fut pour moi un tel coup de cœur que j’ai décidé de lui consacrer un article. Si vous n’avez pas succombé à ce succès retentissant l’an passé (53 millions de vidéos vues sur arte.tv), j’espère que ces quelques lignes vous donneront envie de vous y plonger.
En thérapie est une adaptation de la série israélienne Betipul d'Hagai Levi, adaptée dans treize pays dont les Etats-Unis sous le titre « In treatment ». Dans cette version américaine, le psychanalyste était incarné par Gabriel Byrne. Ce succès hexagonal n’était pourtant pas gagné d’avance. Qui aurait pu imaginer que ce (quasi) huis-clos susciterait un tel engouement ? Le décor et le dispositif sont en effet minimalistes (le cabinet du thérapeute) et le hors-champ se cantonne à une fenêtre à laquelle il regarde parfois pour observer le départ de ses patients. C’est sans doute la raison pour laquelle les chaînes françaises ont de prime abord été réticentes à son adaptation.
Cette saison 2 nous présente la vie de Philippe Dayan, cinq ans après les attentats du Bataclan, au sortir du premier confinement de 2020. Le psychanalyste met à l'épreuve ses processus thérapeutiques auprès de quatre nouveaux patients : Ines (Eye Haïdara), une avocate solitaire à la vie bien rangée, Robin (Aliocha Delmotte), jeune adolescent en surpoids victime de harcèlement scolaire, Lydia (Suzanne Lindon), une étudiante venue partager une sombre nouvelle sur son état de santé et Alain (Jacques Weber), un chef d'entreprise dans la tourmente médiatique...Divorcé, attaqué en justice par la famille de l’un de ses anciens patients, le Dr Dayan se tourne vers Claire (Charlotte Gainsbourg), une analyste et essayiste médiatisée dont il espère le soutien pour le procès en cours.
Avant de vous parler de la saison 2, retour sur la saison 1 constituée de trente-cinq épisodes d’une vingtaine de minutes chacun. L’intrigue du premier épisode de la saison 1 se déroule le 16 novembre 2015, dans le quartier du Bataclan et des terrasses, une tragédie qui s’immisce via la parole mais demeure hors champ. De la fenêtre du cabinet de Dayan, rien n’indique l’urgence et la violence du dehors. Les deux premiers épisodes mettent en scène des patients bouleversés par les attentats : Ariane (Mélanie Thierry), chirurgienne, qui a soigné des blessés de la tragédie et Chibane (Reda Kateb), policier de la BRI qui est intervenu dans le Bataclan. À ces personnages s’ajouteront ensuite ceux de Léonora et Damien incarnés par Clémence Poésy et Pio Marmaï, un couple en crise, et une jeune nageuse avec des tentations suicidaires, remarquablement interprétée par Céleste Brunnquell, qui dans le magnifique film Les Éblouis de Sarah Succo jouait le rôle de Camille, une adolescente libre, rebelle et courageuse qui prenait son envol pour échapper à l’emprise, physique et mentale, d’une communauté « religieuse ».
Le personnage le plus passionnant était cependant déjà celui du psychanalyste incarné magistralement par Frédéric Pierrot, pétri de doutes, angoissé à l’idée du temps qui passe et s’éprenant d’une de ses patientes. On le quittait déambulant parmi la foule aux terrasses qui reprenait vie, comme avant le 13 novembre, comme si tout cela n’avait pas existé, comme si toutes les blessures demeuraient de nouveau cachées, loin du cabinet.
Frédéric Pierrot trouve toujours le ton, d’une sidérante et admirable justesse et douceur, entre force et fragilité, pour jouer la distance nécessaire à la profession qu’il incarne et la bienveillance, l’écoute, une apparente sérénité que démentaient ses rencontres avec sa contrôleuse incarnée par Carole Bouquet (sa propre psy). Là, il laissait s’exprimer ses fêlures et ses atermoiements. Sans jamais être du théâtre filmé, malgré le recours systématique (car indissociable du dispositif) au champ/contre-champ, En thérapie met en exergue le poids des maux et la magie des mots. De l’empathie. De la parole libératrice. Du temps laissé au temps, le temps de s’appesantir alors qu’une actualité et une tragédie et une émotion en chassent une autre, en apparence du moins, mais certainement pas dans les esprits de ceux qui les ont endurées.
Les attentats du 13 novembre 2015 avaient servi de fil directeur à la première saison. Cette fois, c’est donc la pandémie de Covid-19 et ses répercussions sur la santé mentale. Cette deuxième saison commence ainsi cinq ans après la première, après le premier confinement, en mai 2020. Le psychanalyste, divorcé, est désormais installé en banlieue parisienne. Frédéric Pierrot incarne toujours le Docteur Dayan et reçoit donc quatre nouveaux patients. Clémence Poésy et Pio Marmaï, séparés, sont également à nouveau présents dans cette saison 2. Charlotte Gainsbourg incarne la superviseure du Docteur Dayan.
Les épisodes de cette saison 2 ont été réalisés par Agnès Jaoui, Emmanuelle Bercot, Arnaud Desplechin, Emmanuel Finkiel, et évidemment Éric Toledano et Olivier Nakache. Des cinéastes qui, dans leurs propres films, se concentrent sur les bleus à l’âme de leurs personnages et, en écho, leur (et nous) apportent un peu de légèreté. Chaque réalisateur ou réalisatrice s’attèle aux épisodes liés à un personnage particulier, lui apportant ainsi son regard aiguisé. L'équipe de scénaristes a également été renouvelée. Clémence Madeleine-Perdrillat supervise ainsi l'écriture de cette saison 2 après le départ des scénaristes Vincent Poymiro et David Elkaïm.
Le premier épisode est réalisé par Agnès Jaoui. Sur Dayan plane l’ombre de son patient mort en Syrie, un patient dont le père est décédé un an auparavant, terrassé par la disparition de son fils. Il prépare le procès qui lui est intenté. Ce premier épisode se déroule hors du cabinet. Il y rencontre une avocate qui fut sa patiente des années auparavant...Dans le deuxième épisode, Dayan reçoit un nouveau patient, un enfant (le fils du couple formé par Léonora et Damien). Il porte le masque de Spiderman, se lave longuement les mains au gel, s’inquiète de voir que Dayan ne porte pas de masque, lui demande s’il est certain qu'il y a un mètre, ajoute que deux sont recommandés dans certains pays, dit que les héros ont de la chance d’être orphelins, qu’il ne veut pas dormir chez son père. Le troisième épisode réalisé par Arnaud Desplechin présente une étudiante en dernière année d’architecture. Elle ironise sur les « gens qui viennent ici pour pleurnicher sur leur vie ». Elle écrit sur un petit mot ce qui l’amène dans le cabinet, l’épreuve à laquelle elle doit faire face et dont elle n’a parlé à personne avant le thérapeute. Dans le quatrième épisode réalisé par Emmanuelle Bercot, c’est un Jacques Weber nerveux qui entre en scène, « Avec le trafic, j'ai mis une heure pour venir jusqu'ici » commence-t-il ainsi par dire. « Certains mettent des années à venir jusqu'ici» lui répond Dayan. Il gère une entreprise de 4000 employés. La semaine précédente, l’une d’entre elles s'est jetée par la fenêtre de son appartement. Il dit n’être là que pour recevoir « une approche nouvelle, des conseils fins précis. », « Si je suis là c'est pour que ça serve à quelque chose», « Je ne suis pas venu ici en dissimulant ma fragilité. » Peu à peu, il révèle qu’il « lutte pour s’endormir » et qu’il veut éradiquer ses insomnies même s’il déclare aussi « je dormirai quand je serai mort. » Il semble bouleversé par le départ de sa fille, volontaire dans un camp de réfugiés en Grèce. Le regard soudainement rempli de détresse de Weber, qui tout à coup s’écroule, promet un personnage complexe. Le cinquième épisode réalisé par Emmanuel Finkiel nous présente la superviseure de Dayan qui n’a « jamais fait de supervision » avant lui. Dayan hésite à repartir. « Vous partez ou vous arrivez ? » lui demande-t-elle. Il rétorque qu’il allait prendre l’air. L’épisode s’achève par une rencontre aussi impromptue que bouleversante pour ses protagonistes. Dans la salle d'attente du cabinet, en repartant, Dayan croise une femme incarnée par Agnès Jaoui. Des retrouvailles qui les remuent l’un et l’autre, 30 ans après…
« Depuis le 13 novembre, nous vivons tous plus ou moins dans un imaginaire de la guerre. Tout s’est mis à grincer. Tout ce qui était distinct et différent est devenu conflictuel. Nous avons mis la guerre partout. » entendait-on dans un épisode de la saison 1. Si une saison 3 n'a pas encore été annoncée, l'actualité récente, une autre guerre, effroyable et inconcevable, devrait servir de matériau à celle-ci.
Dans chacun de leurs films, Toledano et Nakache, savent ainsi allier les contraires, les univers différents, le rire et l’émotion, des personnages a priori opposés. Plus qu’à Intouchables ou au merveilleux Sens de la fête, cette série me fait beaucoup penser à leur film Samba dont le personnage féminin principal était d’ailleurs interprété par Charlotte Gainsbourg.
Tout en vous recommandant de nouveau cette série poignante, consolante, passionnante, déstabilisante aussi parfois (je vous mets au défi de ne vous reconnaître à aucun moment dans les mots et maux des personnages) dont ces premiers épisodes donnent vivement envie de voir la suite, et d’entendre encore longuement la voix apaisante de Dayan et d’en déceler les tourments cachés, une petite digression coutumière pour vous parler du film Samba précédemment évoqué (pas le plus grand succès du duo de cinéastes mais un film que j’avais particulièrement apprécié) qui débusquait aussi la vérité des êtres derrières les apparences et était là aussi formidablement écrit. Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement cette série. Mon seul regret : ne pas retrouver certains « patients » de la saison 1, tellement crédibles, vivants, vivaces dans nos esprits qu’on aurait aimé savoir ce qu’ils sont advenus, comme si on les avait intégrés à notre propre histoire. Preuve encore de la résonance et de la justesse de cette série dont l’interprétation et l’écriture ciselées en font une œuvre à part, terriblement actuelle, moderne, et captivante. Une écriture qui force d'autant plus le respect que cette saison 2 a été scénarisée et réalisée en un temps record, ce qui ne se ressent en rien dans ces cinq premiers épisodes.
A propos de Samba...
Après les 19, 44 millions d’entrées d’ Intouchables, ce film du tandem Toledano-Nakache était attendu. A nouveau en haut de l’affiche, Omar Sy incarne donc ici Samba, un Sénégalais en France depuis 10 ans, qui essaie de s’en sortir tant bien que mal en enchaînant les petits boulots. Face à lui, Charlotte Gainsbourg est Alice, une cadre supérieure épuisée par un burn out, terme des années 2000 un peu fourre-tout ui désigne un des nouveaux maux du siècle : la dépression liée au travail. Tous deux luttent, à leur manière. Lui pour obtenir ses papiers et pouvoir vivre paisiblement. Elle pour se reconstruire en travaillant comme bénévole dans une association qui vient en aide aux immigrés. Rien ne devait les prédestiner à se rencontrer, tous deux venant d’univers très différents, menant des vies très différentes. C’est souvent ce qui, au cinéma, donne lieu aux plus belles histoires : la rencontre de deux êtres que rien ne devait a priori (ré)unir comme Samba et Alice et ce film ne déroge pas à la règle. Le film Samba est adapté du roman Samba pour la France de Delphine Coulin, paru aux éditions du Seuil en 2011. Parmi leurs nombreuses trouvailles, l’ajout du personnage d’Alice qui, notamment grâce à son interprète mais pas seulement, échappe aux stéréotypes de ces films qui, justement, racontent l’histoire de deux êtres que tout oppose. Alice n’est pas d’emblée sympathique. Un peu égoïste, snob, confrontée à des soucis parfois bien anecdotiques à côté du combat pour sa survie de Samba, elle va se révéler au contact de ce dernier par le parcours duquel il serait difficile au spectateur de ne pas être touché. De leur couple se dégage d’autant plus de charme qu’il est inattendu et pas moins crédible grâce à la délicatesse de l’écriture et des interprétations. Charlotte Gainsbourg, plus irrésistible que jamais incarne cette Alice dotée d’une folie douce, entre force et fragilité et rend son personnage séduisant, agaçant avec charme, passant du rire aux larmes, et nous faisant nous aussi passer du rire aux larmes. Omar Sy dégage toujours une élégance folle, emportant d’emblée l’empathie du spectateur. Deux personnages que tout oppose mais qu’une quête d’identité, la maladresse et la solitude réunissent. La réalisation n’est jamais négligée au profit de l’émotion, avec quelques plans remarquables, de Paris notamment, filmée sans idéalisme ni misérabilisme et parée de couleurs inconnues. Certaines scènes sont de vrais petits bijoux d’écriture jonglant habilement entre drame et comédie, comme cette scène après la fête à la fois drôle et émouvante. Les seconds rôles ne sont pas délaissés, a fortiori dans la scène précitée, et la fougue d’Azia Higelin, le talent Tahar Rahim qui dévoile ici son pouvoir comique, y sont aussi pour beaucoup. Ajoutez à cela des dialogues réjouissants, une musique originale mélancolique et envoûtante et vous obtiendrez un film romantique et jamais mièvre, ironique et jamais cynique, actuel et jamais démagogique et possédant toute l’élégance irrésistible de son tandem d’acteurs. Un conte moderne émouvant. Le récit rythmé et passionnant du parcours du combattant de (et qu’est) Samba et de la rencontre de ces deux solitudes réussit le difficile mariage entre drame et comédie, humour et mélancolie, film divertissant et sujet de société, plus convaincant et émouvant que n’importe quel discours (par définition abstrait) sur la cruelle réalité que vivent les sans-papiers. De ces films, précieux, qui vous donnent envie de croire à tout. Surtout à l’impossible et à la magie exaltante des rencontres improbables. Les plus belles et marquantes.